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Date : 20030314

Dossier : T-54-03

Référence neutre : 2003 CFPI 313

Affaire intéressant le CODE CANADIEN DU TRAVAIL

L.R.C. 1985, ch. L-2, et ses modifications

ENTRE :

                                                   SYNDICAT DES TRAVAILLEURS

                                                  ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                                                                                                                                                       requérant

                                                                                   et

                                               SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                                           intimée

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE


[1]                 Il s'agit en l'espèce d'une requête de la Société canadienne des postes (la Société) en vertu de la règle 398 des Règles de la Cour fédérale (1998), et par analogie en vertu des articles 18.2 et 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle qu'amendée, aux fins d'obtenir la suspension de l'exécution d'une décision arbitrale rendue le 29 novembre 2002 (la décision arbitrale) et déposée dans le présent dossier pour enregistrement aux termes de l'article 66 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, tel que modifié.

[2]                 De par son enregistrement, la décision arbitrale a acquis la même force et le même effet qu'un jugement de cette Cour, d'où la demande de suspension à l'étude.

Les faits essentiels

[3]                 Il ressort que la Société a reçu des plaintes de collègues d'un monsieur Jacques Morissette indiquant que ce dernier était à l'origine d'un climat de travail malsain chez la Société.

[4]                 À la suite de ces plaintes, la Société a fait enquête auprès de plusieurs collègues de travail ou membres du personnel de surveillance de M. Morissette.

[5]                 La Société a aussi fait parvenir à M. Morissette le 3 avril 2002 un avis de convocation pour une réunion fixée au 5 avril 2002 l'informant qu'il sera alors rencontré suite aux plaintes reçues à son endroit.


[6]                 La nature de cette réunion ou entrevue du 5 avril 2002 en relation avec les exigences de la convention collective liant les parties est au centre de la décision arbitrale et de sa révision judiciaire subséquente, éléments sur lesquels nous reviendrons plus loin (voir paragraphes [19] et suivants, infra).

[7]                 Suite à l'entrevue du 5 avril 2002, M. Morissette reçoit le 11 avril 2002 une lettre de congédiement.

[8]                 Le 18 avril 2002, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le Syndicat) déposait un grief à l'encontre de ce congédiement. Ce grief demandait notamment la réintégration de M. Morissette dans ses fonctions.

[9]                 On doit comprendre que ce grief fut rejeté aux échelons inférieurs puisque le Syndicat a porté en arbitrage ledit grief. Cet arbitrage a donné lieu à la décision arbitrale.

[10]            La décision arbitrale a infirmé la décision de la Société de congédier M. Morissette et a fait droit, selon sa conclusion, au grief déposé par M. Morissette et le Syndicat.

[11]            Le 2 janvier 2003, la Société a intenté en Cour supérieure du Québec un recours en révision judiciaire à l'encontre de la décision arbitrale. Ce recours fut entendu le 18 février 2003. Le 21 février 2003, la Cour supérieure rejetait la demande de révision logée par la Société (décision de l'honorable juge Barakett datée du 21 février 2003, dossier 200-05-017854-030).

[12]            Les procureurs des parties en l'instance n'ont pris connaissance de cette décision de la Cour supérieure que le 3 mars 2003, soit lors de l'audition même de la requête ici à l'étude.

Le droit en matière de suspension

[13]            Il est acquis que les remèdes recherchés dans la requête à l'étude sont assujettis à l'analyse que la Cour suprême a rappelée comme suit dans l'arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334 :

L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudicie irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

Analyse

a)         Question sérieuse à juger          

[14]            Sous ce volet, il faut retenir tout d'abord que la Société a logé à l'origine la présente requête en suspension de la décision arbitrale le temps que jugement final et définitif soit rendu dans le cadre de sa demande de révision judiciaire de la décision arbitrale.

[15]            Au moment de déposer la requête ici à l'étude, la Cour supérieure n'avait donc pas entendu les procureurs des parties, encore moins rendu sa décision du 21 février 2003.

[16]            On sait toutefois depuis tout récemment que la Cour supérieure a rejeté la demande de révision de la Société. Puisque la Société a approché notre Cour pour une suspension le temps de l'obtention d'un jugement définitif sur sa révision de la décision arbitrale, il en ressort que si la Société ne va pas en appel de la décision de la Cour supérieure du 21 février 2003, elle pourrait très difficilement soutenir qu'une question sérieuse demeure toujours en suspens en sa faveur. Ce résultat ou constat réglerait donc par la négative le sort de la requête en suspension de la Société puisque d'entrée de jeu le premier volet du test à rencontrer ne serait pas rempli.

[17]            Je poursuis néanmoins la présente étude sur la base que la décision de la Cour supérieure du 21 février 2003 sera portée en appel. Sous ce scénario, peut-on soutenir que la Société a en présence une question sérieuse à juger?

[18]            Ici s'affronte ce qui fut décidé par la Cour supérieure le 21 février 2003 et ce qui fut établi par la Cour d'appel du Québec dans sa décision datée du 15 février 2002 dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Leblanc (CAQ, juges Baudouin, Fish et Rousseau-Houle, dossier 500-09-010407-005, permission d'en appeler à la Cour suprême rejetée le 6 mars 2003, ci-après l'arrêt Leblanc).

[19]            Quant à la Cour supérieure, cette dernière pour les fins de sa décision du 21 février 2003 devait déterminer si la conclusion de l'arbitre quant à la nature de la réunion du 5 avril 2002 face aux exigences de l'article 10.04 de la convention collective était manifestement déraisonnable.

[20]            Cet article 10.04 se lit comme suit :

10.04 Entrevues

a) La Société accepte d'aviser l'employée ou l'employé vingt-quatre (24) heures à l'avance de toute entrevue de nature disciplinaire ou relative à son assiduité et de lui indiquer :

i)qu'elle ou il a droit de se faire accompagner par une représentante ou un représentant syndical comme le précise la clause 10.06;

ii)quel est l'objet de la réunion en précisant s'il s'agit ou non de son dossier personnel;

iii)que si le dossier personnel de l'employée ou l'employé doit être en cause lors de l'entrevue, celle-ci ou celui-ci et(ou) sa représentante ou son représentant syndical, avec la permission de l'employée ou l'employé aura accès à ce dossier avant la tenue de l'entrevue, conformément à la clause 10.03.

b) L'employée ou l'employé a le droit de refuser de participer ou de continuer de participer à une telle entrevue à moins d'avoir reçu l'avis ci-dessus prévu.

c) Si l'employée ou l'employé ne se présente pas à l'entrevue et ne démontre pas une impossibilité de la faire, la Société procédera unilatéralement.

(mes soulignés)

[21]            Il ressort de la décision arbitrale que l'arbitre en a conclu que la réunion ou entrevue du 5 avril 2002 fut bel et bien une entrevue de nature disciplinaire au sens de l'article 10.04 a) mais que ni M. Morissette ni le Syndicat savaient à l'avance de façon suffisamment claire que telle était la nature de cette réunion.


[22]            Dans sa décision, la Cour supérieure refuse d'intervenir dans la décision de l'arbitre. Pour elle, la décision arbitrale ne rencontre pas le test d'intervention qui s'applique à elle soit que la décision arbitrale soit déraisonnable.

[23]            Voici du reste comment la Cour supérieure résume la décision arbitrale et énonce ses propres propos quant à cette décision :

[18] ... L'arbitre est arrivé à la conclusion qu'il [la réunion du 5 avril 2002] ne pouvait pas s'agir d'autres choses qu'une réunion pour décider si Morissette devait recevoir une sanction disciplinaire ou pas et qu'en l'occurrence les parties devaient être avisées conformément à l'article 10.04 et qu'elles ne l'ont pas été, viciant ainsi tout le processus de congédiement.                                                                                     

[19]          À défaut d'avoir ainsi considéré la réunion, l'alternative aurait été de constater l'absence totale du respect des droits de l'employé en considérant qu'il n'y avait eu aucune réunion (10.04) permettant à l'employé de s'exprimer. Ce raisonnement est loin d'être déraisonnable et absurde.

[20]          En d'autres termes, il faut constater que l'arbitre est arrivé à la conclusion que l'employé a été privé de son droit d'être entendu et de se défendre avec l'aide d'un représentant syndical qui savait qu'il était là dans ce but-là. Or, il a été privé de son droit le plus fondamental et, en quelque sorte, il a été piégé. Il fallait, avant de le congédier par mesure disciplinaire, lui envoyer l'avis en tous points conforme selon l'article 10.04, et lui donner l'opportunité de se faire entendre, sachant qu'il devait recevoir une sanction. C'est l'opinion de l'arbitre.

Le droit :

[21]          Le requérant devait prouver non pas que l'arbitre a pu se tromper mais qu'il s'est trompé au point de rendre une décision si manifestement déraisonnable qu'elle était irrationnelle, illogique et même absurde, tel qu'allégué par la requérante.

Conclusion :

[22]          L'arbitre décide que la réunion du 5 avril 2002, nonobstant les témoignages, ne pouvait être autre chose qu'une entrevue disciplinaire. Cette décision n'est pas illogique parce que cela tient compte du fait que c'est la seule rencontre que l'employeur a eue avec l'employé avant de le congédier et, effectivement, les informations obtenues à l'entrevue du 5 avril sont parmi celles qui ont servi à motiver le congédiement dans l'avis du 11 avril 2002.


[23]          Donc, ou bien c'est la rencontre visée par 10.04 et elle n'est pas tenue conformément aux exigences de la loi, ou bien l'employeur a procédé unilatéralement, ce qu'il ne pouvait pas faire en l'espèce.

[24]          Lorsqu'on sollicite une entrevue avec un employé pour des plaintes portées contre lui, susceptibles de conduire à une mesure disciplinaire, il faut le convoquer conformément à l'article 10.04 de la convention. Il faut que cet avis de convocation ne comporte aucune ambiguïté sur les conséquences que cela peut avoir sur l'employé et son avenir.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :                                                         

[25]          REJETTE la requête, avec dépens.

(souligné dans le texte original)

[24]            Cette conclusion de la Cour supérieure qui appuie celle tirée par l'arbitre épuise-t-elle la possibilité que la révision judiciaire de la décision arbitrale soit vidée d'une question sérieuse pour les fins du premier volet du test à l'étude?

[25]            Pas forcément.

[26]            Premièrement, il faut savoir que la fardeau à rencontrer par la Société sous le premier volet, la question sérieuse, est relativement bas.

[27]            En effet, tel que souligné dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans Bisaillon c. Canada (CAF, 10 juin 1999, dossier A-315-99) aux paragraphes [29] à [30] :


[29]          Selon la jurisprudence, pour qu'une procédure soulève une question sérieuse à trancher, il suffit simplement que la question ne soit pas frivole ou vexatoire. Les requérants n'ont pas à faire une démonstration prima facie du bien-fondé de leurs prétentions. À ce sujet le juge Hugessen écrivait dans l'arrêt Coppello :

(...) On the first branch of that test as to whether or not there is a serious question to be tried, there is no doubt whatever that this application raises very serious and difficult questions. This application is, in my view, fraught with difficulties. ... The threshold, however, is a very low one. The bar is not set high for an applicant to clear. I am satisfied that, notwithstanding the difficult questions that the applicant will have to face, the application itself is not frivolous or vexatious and that is enough to satisfy the first branch of the test.

[30]          L'arrêt North American Gateway Inc. v. C.R.T.C. de notre Cour énonce le même principe :

The jurisprudence directs that the threshold of "serious issue to be tried" is a low one. The earlier jurisprudence suggested that the applicant had to establish a prima facie case before a stay would be granted. Since the decisions of the Supreme Court of Canada in Metropolitan Stores (MTS) Ltd v. Manitoba Food and Commercial Workers Local 832 and Labour Board (Man.), [1987] 1 S.C.R. 110; 73 N.R. 341; 46 Man. R. (2d) 241, and R.J.R. MacDonald, supra, the courts have held that the threshold is much lower: the applicant need only satisfy the court that the matter on appeal is neither frivolous nor vexatious.

[28]            Tel que mentionné précédemment, la Cour supérieure en refusant d'intervenir dans la décision arbitrale ne fait que soutenir que cette décision n'est pas manifestement déraisonnable. La Cour supérieure ne va pas par là conclure que la position de la Société est frivole ou vexatoire. On sait qu'un monde de différences sépare ces deux notions.

[29]            Qui plus est, certaines remarques de la nature d'obiter dicta de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Leblanc, supra, laissent entrevoir qu'un manquement par l'employeur aux exigences de l'article 10.04 de la convention collective ne devrait possiblement pas entraîner la disparition automatique des mesures disciplinaires prévues par l'employeur.

[30]            L'affaire Leblanc n'est peut-être pas toutefois d'un si grand secours que le voudrait la Société puisque les motifs distincts des trois juges de la Cour d'appel portent en ratio sur une dynamique qui est différente de la nôtre.

[31]            Il est vrai que l'affaire Leblanc implique le congédiement d'une employée de la Société et l'impact de l'article 10.04 de la convention collective, ici même à l'étude, dans le processus de congédiement.

[32]            Tout comme dans le cas de la Cour supérieure dans le dossier présent, la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Leblanc devait évaluer si la décision de l'arbitre qui cassa le congédiement en cause sur la base d'objections préliminaires de l'employeur - décision qui fut entérinée par la Cour supérieure - était manifestement déraisonnable. La Cour en a conclu par oui à la majorité.

[33]            Toutefois, les motifs de la Cour d'appel lors de son analyse de la décision de l'arbitre fait voir que la ratio des deux juges majoritaires (la juge Rousseau-Houle étant dissidente) porte sur une situation ou une étape qui n'est pas présente dans le cas de M. Morissette.

[34]            Cette étape, c'est la portée à donner à une rencontre en date du 26 mars 1999 qu'un enquêteur de la Société a eue avec l'employée en cause à un poste de police par suite de l'arrestation de cette dernière suite à une fraude commise par elle.

[35]            Voici comment le juge Baudouin résume les faits et sa position :

I. LES FAITS

10. La mise en cause, Sylvie Leblanc, employée à la Société canadienne des postes, est arrêtée le 26 mars 1999 alors qu'elle tentait de prendre possession de marchandises commandées par téléphone, en donnant un numéro de carte de crédit qu'elle avait volé dans le courrier. Elle est prise en flagrant délit.

11. L'enquêteur de l'appelante, Serge Mathieu, est avisé de la chose et les dirigeants de l'appelante ont alors immédiatement décidé de suspendre Sylvie Leblanc pour une période indéterminée comme la convention collective le permet. Serge Mathieu se rend donc au poste de police, y rencontre Sylvie Leblanc et lui remet un avis écrit de suspension, avis qui prévoit la tenue d'une rencontre disciplinaire le 1er avril suivant. À cette date, Sylvie Leblanc se présente, accompagnée, comme l'article 10.04 de la convention collective lui en donne le droit, d'un représentant syndical et admet alors son geste. Peu de temps après, l'appelante la congédie, estimant le lien de confiance rompu.

12. L'affaire va devant l'arbitre et celle-ci, Me Diane Sabourin, se voit préalablement saisie par l'avocate du syndicat de quatre objections préliminaires qui sont les suivantes :

1) L'employeur a fait défaut d'aviser la plaignante 24 heures à l'avance de l'entrevue « de nature disciplinaire » du 26 mars 1999, contrairement au paragraphe a) de cette clause 10.04;

2) L'employeur n'a pas indiqué à la plaignante qu'elle avait le « droit de se faire accompagner par une représentante ou un représentant syndical » comme le requiert le sous-paragraphe i) de ce paragraphe a);

3) L'employeur a alors également fait défaut de lui mentionner « l'objet de la réunion » , tel que stipulé cette fois-ci au sous-paragraphe ii), en précisant s'il s'agit ou non de son dossier personnel;

4) L'employeur a enfin alors omis d'indiquer à la plaignante qu'elle avait « le droit de refuser de participer ou de continuer de participer à telle entrevue » , le tout en contravention avec le paragraphe b) de ladite clause 10.04.

13. L'arbitre accueille ces quatre objections, estimant que la rencontre du 26 mars 1999 était une rencontre de nature disciplinaire, que Sylvie Leblanc n'avait pas le bénéfice d'une représentation syndicale, que l'employeur ou son représentant devait l'avertir qu'il s'agissait d'une entrevue disciplinaire. Il y a donc, à son avis, un vice de fond grave, fondamental et fatal qui la pousse, en conséquence, à annuler l'avis de suspension et l'avis de congédiement, et à faire droit au grief.

14. L'appelante se pourvoit en révision judiciaire devant la Cour supérieure qui, le 9 novembre 2000, rejette sa requête, estimant qu'elle n'a pas à revoir les faits mis en preuve devant l'arbitre et que la décision de cette dernière n'est pas manifestement déraisonnable.

[...]


20. À mon avis, et en tout respect pour l'opinion contraire, la décision arbitrale du 30 juin 2000 est manifestement déraisonnable et la requête en révision judiciaire de l'appelante doit donc être accueillie pour les raisons suivantes.

21. Tout d'abord, c'est clairement à tort que l'arbitre a qualifié d'entrevue disciplinaire la rencontre au poste de police du 26 mars 1999. La preuve devant l'arbitre révèle que le but de celle-ci n'a été que de remettre à Sylvie Leblanc la lettre de suspension, de reprendre possession des clés et de sa carte d'identité, de lui signifier la tenue d'une entrevue disciplinaire pour le 1er avril, de lui demander si elle avait quelque chose à dire (elle n'a rien répondu), si d'autres personnes étaient impliquées (là encore, elle n'a rien répondu) et finalement de lui offrir le programme d'aide aux employé(e)s.

22. À moins donc de qualifier toute rencontre où un représentant de l'employeur remet une lettre de suspension « d'entrevue disciplinaire » , on ne peut manifestement pas, dans ces circonstances, qualifier ainsi celle du 26 mars 1999. L'erreur est ici évidente.

[36]            Le juge Fish en vient à la même conclusion que le juge Baudouin en y ajoutant toutefois que même si la rencontre du 26 mars 1999 devait être vue comme une entrevue disciplinaire, le non respect de l'article 10.04 de la convention collective n'avait pas causé préjudice à l'employée en cause puisque sa suspension et son congédiement par après n'étaient pas reliés à cette brève rencontre.

[37]            Voici comment le juge Fish s'exprime sur cet aspect aux paragraphes 51 à 53 de ses motifs :

51. Assuming, for present purposes, that these brief questions constituted a "disciplinary interview" that was not conducted in accordance with section 10.04 of the collective agreement, the incontrovertible fact of the matter is that this "interview" had no bearing whatever on either the suspension or the dismissal of Ms. Leblanc.

52. In short, assuming that Mr. Mathieu's two questions - unanswered, to all intents and purposes - constituted a "disciplinary interview" within the meaning of section 10.04, Ms. Leblanc suffered no prejudice whatever as a result of her employer's failure to observe the procedural requirements of section 10.04 of the collective agreement.


53. On any view of the matter, there was thus no rational basis for the arbitrator's decision to set aside Ms. Leblanc's suspension.

[38]            Dans le cas qui nous occupe, M. Morissette n'a pas eu en premier lieu une rencontre avec un enquêteur de la Société qui lui aurait remis un avis de suspension et posé quelques questions. C'est au niveau d'un préavis d'entrevue disciplinaire que le cas de M. Morissette se situe. Dans l'affaire Leblanc, il était reconnu que le processus disciplinaire de congédiement faisant suite à la suspension avait été fait correctement (voir à cet effet les motifs du juge Fish).

[39]            Voilà des distinctions à retenir entre le cas qui nous occupe et l'affaire Leblanc.

[40]            C'est pourquoi le passage suivant auquel la Société porte grand intérêt au niveau de la question sérieuse est suivant mon appréciation de la nature d'un obiter dictum de la part du juge Baudouin de la Cour d'appel. C'est un passage qui est néanmoins présent.

[41]            Ce passage, reproduit ci-dessous, se retrouve au paragraphe 23 des motifs du juge Baudouin et reflète la position soutenue par la Société devant l'arbitre et la Cour supérieure dans le cas présent. Dans ce passage, le juge Baudouin indique qu'une absence d'avis sous l'article 10.04 de la convention collective ne devrait pas entraîner la disparition des mesures disciplinaires imposées par l'employeur. Voici le texte de ce paragraphe 23 :

23. La lecture de cette disposition montre, de façon claire, que l'absence d'avis permet simplement au syndiqué de refuser de continuer l'entrevue et non à l'arbitre de faire disparaître les mesures disciplinaires (suspension ou congédiement) prises par l'employeur.


[42]            Je considère que ce commentaire du juge Baudouin allié au fardeau peu élevé que la Société a à rencontrer pour nous convaincre qu'elle dispose d'une question sérieuse fait que l'on doit conclure, par une faible marge toutefois, que la Société rencontre le premier volet de l'arrêt RJR - MacDonald Inc., précité.

b)          Le préjudice irréparable

[43]            La Cour a compris sous ce volet que l'argument premier de la Société est à l'effet que si éventuellement elle a gain de cause au niveau de la réforme de la décision arbitrale, l'absence de sursis de cette décision dans l'intervalle ferait que la Société aura eu entre-temps à réintégrer M. Morissette et que lors du débat sur le fond, c'est-à-dire sur la justesse du congédiement, la Société ne sera plus en mesure de plaider la rupture du lien de confiance pour soutenir la rigueur de la mesure imposée, soit le congédiement, puisque l'on pourra lui reprocher qu'elle a pu, pour un temps, travailler avec M. Morissette.

[44]            Je ne puis suivre la Société sur cette voie.


[45]            Premièrement, pour se rendre sur le fond du litige, soit la justesse du congédiement, la Société devra porter en appel la décision de la Cour supérieure du 21 février 2003 et, en plus, obtenir gain de cause auprès de la Cour d'appel qui elle, alors, renverrait le dossier pour audition devant un nouvel arbitre. Cet étapisme introduit ici dans le présent débat un certain caractère aléatoire.

[46]            Deuxièmement, je doute fortement que la Société puisse au fond être préclue de faire valoir pleinement que s'il y a eu réintégration c'est dû à des circonstances ultérieures au contexte du congédiement et, entre autres, au fait que la décision arbitrale a acquis un caractère exécutoire. La réintégration aura en quelque sorte été imposée à la Société par l'état du droit et elle pourra certes maintenir que, quant à elle, tous ses motifs pour le congédiement sont toujours présents. Toute preuve postérieure au congédiement, que cette preuve soit en faveur ou à l'encontre de la position d'une partie, serait à écarter si cette preuve n'est pas pertinente quant aux gestes précédent le congédiement.

[47]            La Société a soutenu également comme autre argument sous le préjudice irréparable que les affidavits qu'elle a soumis dans le cadre de la présente requête établissent un tel préjudice en sa faveur.

[48]            Ici encore, il m'est difficile d'abonder dans ce sens.


[49]            Il faut premièrement noter que la preuve que la Société a soumise à cet égard fut, pour partie, soumise non pas dans le cadre de son dossier de requête initiale - ce qui dans les circonstances aurait dû être le cas - mais bien postérieurement au dossier de réponse du Syndicat. Bien que j'aie accepté le dépôt à l'audition de cette preuve tardive - soit l'affidavit de Mme Pagé daté du 26 février 2003 (le deuxième affidavit de Mme Pagé) et l'affidavit de M. Racine daté du 26 février 2003 - cette tardiveté fait ressortir davantage tout le temps que la Société avait à sa disposition pour assembler une preuve contemporaine et de connaissance personnelle aux affiants pour soutenir que la réintégration de M. Morissette dans ses rangs était pour lui causer un tort irréparable à elle ou aux collègues de travail de M. Morissette.

[50]            On doit comprendre que tout comme dans l'affaire Leblanc, l'arbitre ici et la Cour supérieure n'ont pas eu à regarder au fond les gestes sérieux attribués à M. Morissette puisque le débat s'est limité à ce jour au processus de communication de la mesure de congédiement.

[51]            C'est là une réalité que la Société devait savoir comme s'imposant à elle dans le cadre de sa requête en suspension. Elle devrait donc se présenter avec un ou des affidavits suffisants pour établir dans le cadre de sa requête un tort irréparable.

[52]            L'affidavit de M. Racine produit par la Société est peu détaillé. Il ne contient en fait que quatre courts paragraphes et constitue le seul témoignage basé sur une connaissance directe et personnelle. Voici ce que cet affidavit établit :

1.     Je suis surveillant à la Société canadienne des postes depuis 22 ans dont les trois (3) dernières années sur l'équipe de jour au Centre de distribution de colis à Randin, Québec;


2.     À l'époque pertinente au congédiement de Jacques Morissette, j'étais son surveillant sur l'équipe de jour au Centre de distribution de colis à Randin, Québec;

3.     À cette époque, je craignais pour ma santé et ma sécurité lorsque Jacques Morissette était sur les lieux de travail et advenant son retour au travail j'aurais les mêmes craintes;

4.     Je suis très réticent à ce que Jacques Morissette revienne au travail.

[53]            On ne peut compter cet affidavit comme provenant d'un collègue de M. Morissette. Il convient probablement plus d'associer cet affidavit à la direction de la Société. Cela n'est pas fatal en soi, sauf que comme surveillant, M. Racine n'explicite point pourquoi, même en tant que surveillant expérimenté, il lui est impossible de contenir la situation. Dans cette ligne de pensée, on doit également constater que le paragraphe 3 de son affidavit est très laconique et offre peu de détail.

[54]            Quant à la preuve introduite par Mme Pagé, son affidavit initial daté du 30 janvier 2003, et plus spécialement les paragraphes 14 et 18 de cet affidavit, cherchent à mettre l'emphase sur l'impact négatif que la réintégration de M. Morissette aurait sur le personnel de surveillance et les collègues de travail de M. Morissette.

[55]            Quant au personnel de surveillance, on voit que la Société a cru nécessaire d'introduire par après l'affidavit de M. Racine dont on a déjà discuté.

[56]            Quant aux collègues de travail immédiats de M. Morissette, cet affidavit, pas plus que le deuxième affidavit de Mme Pagé, indiquent clairement que les craintes d'alors des collègues sont bel et bien toujours présentes chez ces collègues suite à une vérification contemporaine.

[57]            De plus, on doit retenir que la Société n'a pas introduit un seul affidavit de collègues de M. Morissette qui établirait plus qu'une réticence ou réserve. On doit comprendre ici que ce n'est pas un aspect de confidentialité ou d'anonymat qui retiendrait la Société de rechercher et d'introduire une telle preuve.

[58]            Somme toute sous ce volet, je suis d'avis que la Société n'est pas arrivée à remplir son fardeau de preuve et à établir que la réintégration de M. Morissette lui causera un préjudice irréparable.

[59]            Étant donné que je suis d'avis que la Société n'a pas rencontré le critère de préjudice irréparable, il est inutile d'examiner le troisième critère, c'est-à-dire la prépondérance des inconvénients. J'aimerais toutefois ajouter que, si je l'avais fait, j'aurais été enclin à me prononcer en faveur de M. Morissette même si sa réintégration peut éventuellement être annulée si la Société obtient gain de cause dans une audition au fond.


[60]            Il est impossible de dire à quel moment la Cour d'appel sera en mesure de se prononcer, si appel il y a, et, à l'heure actuelle, la preuve établit que M. Morissette fait face à des difficultés financières. Comme l'a indiqué le juge Dubé dans la décision Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, Section locale 148 c. Air Canada (1991), 44 F.T.R. 206, à la page 210 (T-2872-90, p. 7) :

Selon une jurisprudence établie, de longues périodes de chômage imposent au chômeur des difficultés morales, psychologiques et financières qu'on ne peut guère réparer par des dommages-intérêts (voir Retail Store Employees' Union v. Canada Safeway Ltd. (1980), 2 Man.R. (2d) 100, aux pp. 104-150).

[61]            On doit retenir de plus qu'une fois réintégré, si M. Morissette pose des gestes répréhensibles, ce dernier s'exposera de nouveau à un congédiement dont le processus sera certes épuré des lacunes soulignées par l'arbitre et la Cour supérieure.


[62]            Par conséquent, vu l'ensemble des motifs qui précèdent, la requête de la Société en vue d'obtenir un sursis d'exécution de la décision arbitrale est rejetée, le tout avec dépens.

Richard Morneau                                     

protonotaire

Montréal (Québec)

Le 14 mars 2003


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030314

Dossier : T-54-03

Affaire intéressant le CODE CANADIEN DU TRAVAIL, L.R.C. 1985, ch. L-2, et ses modifications

Entre :

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                                                                            requérant

et

SOCIÉTÉCANADIENNE DES POSTES

                                                                              intimée

                                                                                                                      

                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                           


                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ:


T-54-03

Affaire intéressant le CODE CANADIEN DU TRAVAIL, L.R.C. 1985, ch. L-2, et ses modifications

Entre :

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                              requérant

et

SOCIÉTÉCANADIENNE DES POSTES

                                intimée


LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :le 3 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

EN DATE DU :14 mars 2003

ONT COMPARU :


Me Bernard Philion

POUR LE REQUÉRANT SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

Me Luc Jodoin

POUR L'INTIMÉE SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Morency, Philion, Leblanc

Montréal (Québec)

POUR LE REQUÉRANT SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES


Jodoin Santerre

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉE SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES


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