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Date : 20000217


Dossier : IMM-1038-99

Entre :

     ISEIKETE SIMON ELAZI

     Demandeur

     ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE NADON


[1]      Par sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur cherche à faire annuler une décision de la Commission de l"Immigration et du Statut de Réfugié ( " la Section du Statut " ) datée le 25 janvier 1999, selon laquelle il n"est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur relate les faits suivants. Il est né le 25 septembre 1972 à Kinshasa, et est citoyen de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Il a quitté son pays, avec sa famille, le 25 mai 1998, pour se retrouver au Congo/Brazzaville. Par la suite, le demandeur et sa famille ont quitté Brazzaville pour le Gabon. Craignant d"être retourné dans son pays, le demandeur a quitté le Gabon sans sa famille pour la Côte d"Ivoire, d"où il a pris l"avion à Abidjan pour venir au Canada. Il est arrivé à l"aéroport de Dorval le 2 avril 1998 et il a demandé le statut de réfugié.

[3]      L"audition de sa demande de statut de réfugié a eu lieu à Montréal le 7 décembre 1998 et, le 25 janvier 1999, la Section du Statut a rejeté sa demande.

[4]      En premier lieu, la Section du Statut a clairement indiqué qu"elle n"était pas satisfaite de la preuve déposée par le demandeur relativement à son identité. À la page 2 de sa décision, la Section du Statut énonce ce qui suit:

Dans un premier temps, le tribunal n"est pas du tout satisfait de la preuve déposée par monsieur pour appuyer son identité. En effet, l"identité de monsieur est basée sur un document qui est une "Attestation provisoire de réussite" faite à Kinshasa, le 1er juillet 1997 qui confirme la réussite des examens d"État - 1995, option pédagogie générale. Le tribunal constate que ce document est émis à une date postérieure au départ de monsieur et sa famille vers Brazzaville, le 25 mai 1997. Quatre autres documents seront également déposés pour appuyer l"identité de monsieur. Il s"agit des relevés de notes scolaires de monsieur pour les années scolaires allant de 1991 à 1995.

Même si le tribunal a été en mesure de constater que le revendicateur avait une bonne connaissance de la RDC [République démocratique du Congo], il n"en demeure pas moins qu"il n"est pas en mesure de conclure que monsieur est bien la personne qu"il prétend être, dans sa demande pour obtenir son statut de réfugié. En effet, les explications de monsieur, à l"effet qu"il a jugé plus important d"apporter ses relevés de notes scolaires plutôt que son passeport zaïrois qu"il avait pourtant à sa résidence, ne sont pas de nature à rassurer le tribunal sur sa véritable identité.

[5]      En second lieu, la Section du Statut a douté de la véracité de plusieurs des allégations du demandeur et, en conséquence, a conclu à la non-crédibilité de son témoignage.

[6]      À mon avis, la Section du Statut n"a commis aucune erreur de droit ou de fait qui justifierait une intervention de ma part.

[7]      Lors de l"audition devant la Section du Statut, le demandeur a témoigné qu"il n"avait pas emporté son passeport car il n"avait pas l"intention de quitter son pays pour plus de quelques jours. Il a ajouté qu"au moment de son départ de la République démocratique du Congo, il n"avait nullement l"intention de venir au Canada. Par ailleurs, il a témoigné qu"il avait emporté ses notes scolaires parce qu"il craignait que sa maison soit vandalisée, comme elle l"a été plus tard, selon son témoignage. Cette explication n"est pas, à mon avis, crédible. Si le demandeur craignait que sa maison soit vandalisée, pourquoi aurait-il emporté ses relevés de notes et laissé son passeport? De plus, si son intention n"était que de quitter pour quelques jours, comme il l"a affirmé lors de l"audience devant la Section du Statut, il ne me paraît pas crédible qu"il ait emporté ses notes scolaires.

[8]      Ailleurs dans sa décision, la Section du Statut traite du faux passeport français obtenu par le demandeur lors de son départ de la Côte d"Ivoire. Voici comment la Section du Statut s"exprime à ce sujet, à la page 5 de sa décision:

Monsieur explique avoir voyagé avec un passeport français obtenu de son ami ivoirien. Il ajoute que c"est sa photo qui était au passeport. Invité à dire où était ce passeport, monsieur dira que ce passeport a été confisqué " en France ". Il explique que c"est un employé d"Air Canada qui aurait confisqué son passeport en lui disant " tu continues ton voyage - tu n"est pas citoyen français ". Quant à son billet d"avion, il affirme l"avoir perdu au Canada. Ses explications sont invraisemblables et affectent la crédibilité de monsieur.

[9]      Le demandeur attaque le passage ci-haut de la décision. À la page 33 de son mémoire, le procureur du demandeur avance l"argument suivant:

Il est faux de prétendre, comme le rapporte le tribunal, que c"est un employé d"Air Canada qui a confisqué, en France, le passeport du demandeur. Le demandeur a témoigné plutôt à l"effet que c"est un employé des douanes françaises qui confisqua ledit passeport français tout juste avant son embarquement.

[10]      Il est vrai, comme le prétend le procureur du demandeur, que le demandeur n"a pas témoigné qu"un employé d"Air Canada avait confisqué son passeport français avant l"embarquement dans l"avion à Paris. Il a plutôt témoigné qu"un "agent français" a confisqué son passeport avant l"embarquement. Par ailleurs, comme je l"ai fait remarquer au procureur du demandeur lors de l"audition, le demandeur aurait voyagé d"Abidjan à Paris et de Paris vers le Canada. D"après sa fiche de renseignements personnels, le demandeur aurait voyagé " en transit ", ce qui signifie que lors de son séjour à Paris, il n"est pas entré sur le territoire français. Par conséquent, il est surprenant que le demandeur soit venu en contact avec des officiers français. Les questions et réponses suivantes, que l"on retrouve au dossier du tribunal aux pages 712, 713, 714 et 715 sont intéressantes:

Q.      Quand vous êtes arrivé, Monsieur, au Canada, là, vous aviez le passeport français en votre possession?
R.      Non, non, c"était confisqué ça en France.
Q.      Le passeport a été confisqué en France?
R.      Oui, était... ils ont vu que non je suis pas un Français et tout. Ils m"ont mis comme ça, continue ton voyage avec le coupon. Ils ont... ils ont fait ça.
Q.      C"est quoi le coupon?
R.      Le coupon c"est la demie du billet de l"avion.
Q.      O.K. Le... boarding pass, là, la carte...
R.      Voilà.
Q.      ... d"embarquement, là?
R.      Voilà. Oui, la carte d"embarquement, oui, voilà.
Q.      Mais Monsieur, comment vous avez... puis entre Paris et... c"est à Paris, ça, que c"est arrivé, là, qu"on vous a...
R.      Oui.
Q.      ... confisqué?
R.      C"était en transit comme ça.
Q.      Ouil, mais on vous a... vous avez dû passer à travers l"immigration française?
R.      Um-hum.
Q.      Qui... qui a constaté que vous étiez pas Français, Monsieur, avec un passeport de la Côte d"Ivoire, là?
R.      Je sais pas. Le monsieur il... il voyait le... les gens et tout.
Q.      Bon, on va recommencer à zéro, là. L"avion arrive à Charles de Gaulle?
R.      Oui.
-      Bon.
R.      C"était juste pour le transit.
Q.      O.K. Et là, vous débarquez de l"avion. Quelle compagnie était?
R.      Air Afrique.
-      Air Afrique, bon.
R.      Air Afrique, oui.
Q.      Vous débarquez de l"avion, puis en débarquant de l"avion d"Air Afrique à Paris...
R.      Oui.
Q.      ... là vous êtes dans un corridor...
R.      Oui.
Q.      ... puis vous restez dans la... dans la zone qu"on appelle aseptisée... aseptique, là, la... la zone des personnes qui sont en transit?
R.      Oui, oui.
Q.      O.K.?
R.      Oui.
Q.      Puis là, vous passez à travers d"un poste de sécurité?
R.      Non.
Q.      Mais comment on a pu... qui a...
R.      Non.
Q.      ... qui a pris votre passeport à Paris, Monsieur, c"est çà que je ne comprends pas, là?
R.      Oui, c"est ça, merci. Quand... quand je suis parti, j"ai vu les hôtesses pour Air Canada.
-      Oui.
R.      Oui... Ils m"ont fait le transit à... pour entrer. Pour rentrer, il y avait des agents qui... qui contrôlaient.
Q.      Pour rentrer où?
R.      Pour rentrer dans l"avion d"Air Canada, pour venir ici.
-      Oui.
R.      Bon, c"était un... un agent français, c"est lui qui m"avait compliqué. Il m"a dit que non, tu continues ton voyage, le passeport reste. Tu n"es pas français et tout.
-      Vous m"étonnez beaucoup, parce que je suis étonné qu"Air Canada vous ait laissé embarquer dans un avion si le passeport est saisi par les autorités françaises.
R.      Oui, je sais.
-      Parce que les compagnies aériennes ont des sérieuses pénalités quand ils transportent des gens qui n"ont pas de passeport en règle quand ils arrivent dans le pays...
R.      Non, non, quand...
-      ... de destination.
R.      ... quand j"ai fait le transit, j"en avais. Pour aller continuer dans le (inaudible) d"avion...

[11]      Il est évident, à la lecture de ces questions et réponses, que le témoignage du demandeur est confus et vague. En premier lieu, il reconnaît que lors de son séjour à Paris, il est demeuré dans la zone aseptisée, soit la zone réservée aux personnes en transit. Par ailleurs, il semble qu"on lui ait enlevé son faux passeport alors qu"il arrivait en contact avec les hôtesses d"Air Canada. À mon avis, le témoignage du demandeur sur ce point est, sans aucun doute, dénué de toute crédibilité.

[12]      La Section du Statut a aussi regardé d"un mauvais oeil le fait que le demandeur n"ait pu produire son billet d"avion. À mon avis, l"on ne peut reprocher à la Section du Statut d"avoir tenu compte de ce fait relativement à l"appréciation de la crédibilité du demandeur. Aux pages 717 et 718 du dossier du tribunal, la Section du Statut interroge le demandeur concernant son billet d"avion:

Q.      Oui, mais document de voyage utilisé, Monsieur?
R.      Pour arriver ici.
-      C"est un... c"est un passeport, ça c"est un billet d"avion.
R.      Quand je suis arrivé ici je n"avais rien.
Q.      Mais votre billet d"avion, est-ce que vous l"aviez? Vous... vous me dites qu"on a pris la partie de votre carte d"embarquement, mais le billet d"avion qui... qui vous donnait... vous savez ce que c"est un billet d"avion? C"est le morceau...
R.      Oui, oui,oui.
Q.      Avec un carbone en arrière, là.
R.      Um-hum.
Q.      Un papier carbone en arrière... Il est où ce papier-là? Il est où ce document-là?
R.      J"ai déjà perdu ça.
Q.      Vous avez perdu ça où?
R.      J"ai perdu ça ici.
Q.      Vous avez perdu ça?
R.      Oui.

[13]      Encore une fois, je ne peux que constater que le témoignage du demandeur est peu crédible.

[14]      Dans Farah v. Canada (M.E.I.) (1993), 64 F.T.R. 237, Madame le juge Reed avait à décider de la validité d"une décision de la Section du Statut et plus particulièrement, de la validité d"une conclusion de la Section du Statut selon laquelle la destruction d"un faux passeport éthiopien affectait la crédibilité de la requérante. Aux paragraphes 7, 8 et 9 de ses motifs, Madame le juge Reed traite de ce point comme suit:

[7]      With respect to the destruction of the false Ethiopian passport and the adverse inferences the Board drew from that, I am aware that in Salamat v. Canada (Immigration Appeal Board) (1989), 8 Imm.L.R. (2d) 58 (F.C.A.), the court set aside the decision of the Immigration Appeal Board, which held that the claimant was not credible, based on irrelevant considerations or matters not established by the evidence. Included was the finding by the Board that the fact that the applicant destroyed his false Spanish passport before landing at Mirabel reflected on his credibility.
[8]      In Attakora v. Minister of Employment and Immigration (1989), 99 N.R. 168 (F.C.A.), the Board found that the applicant"s credibility was weakened by his statement that he had destroyed false travel documents while on board his flight to Canada. The Board noted that the applicant explained that he had destroyed the documents because he was afraid that if he was discovered, he would be arrested and sent back to Ghana. The Board concluded, without more, that this element of his testimony lacked credibility. Mr. Justice Hugessen for the Court of Appeal stated, at page 169:
     The Board"s finding on this point is, to say the least, puzzling. There is certainly nothing incredible in a refugee saying that he has destroyed false travel documents in order to avoid detection and arrest once they have served their purpose. In the circumstances of this case, the destruction of such documents could not have had any conceivable relevance to any issue which the Board had to decide ... I can only conclude that the Board"s insistence upon its significance is founded upon some erroneous view of the law. Does the Board think the only persons who arrive here with their travel ocuments in order can be refugees? Or that those who arrive with false documents have some obligation to preserve them?
[9]      Counsel for the applicant argues that the applicant, in destroying the false Ethiopian passport, only acted in a normal and usual way for persons fleeing their country. The difficulty with that argument, in this case, is that the false passport allegedly was not destroyed until the applicant arrived in the United States but before she came to Canada. The passport, if it existed, would have provided some objective evidence of her travels through the various countries which she asserts took place. The Board clearly did not find her explanation as to why she carried a Somali birth certificate but neither her original Somali passport nor the false Ethiopian passport to Canada credible. The Board clearly doubted whether she was who she said she was and whether she had come from Somalia as claimed.

[15]      Il ne peut faire de doute, comme l"exprime Madame le juge Reed, que le passeport "... would have provided some objective evidence of her travels through the various countries which she asserts took place". Il va sans dire qu"en l"instance, le faux passeport ainsi que le billet d"avion auraient pu apporter une preuve crédible relativement à l"identité du demandeur et le voyage qu"il a fait pour venir au Canada.

[16]      Par conséquent, il ne peut faire de doute, à mon avis, que la conclusion de la Section du Statut concernant la preuve d"identité offerte par le demandeur, n"est nullement déraisonnable. Cette conclusion est, à mon avis, suffisante pour disposer de la demande de contrôle judiciaire. Non seulement la preuve offerte par le demandeur concernant son identité est insuffisante, cette preuve, à plusieurs égards, était telle que la crédibilité du demandeur était entachée.

[17]      J"en profite pour ajouter qu"il est tout à fait raisonnable pour la Section du Statut de donner une grande importance au passeport d"un demandeur ainsi qu"à son billet d"avion. Ces documents, à mon avis, sont des documents essentiels pour démontrer l"identité d"un demandeur et son périple pour venir au Canada. À moins de présumer qu"un demandeur du statut de réfugié est effectivement un réfugié, il m"apparaît déraisonnable d"excuser la perte de ces documents à moins de motifs sérieux. Il est trop facile, à mon avis, pour un demandeur de simplement affirmer qu"il a soit perdu ces documents ou que le passeur les a repris. Si la Section du Statut insiste à ce que ces documents soient produits, il est possible que les passeurs auront à changer leurs méthodes.

[18]      De diminuer l"importance du passeport et du billet d"avion comme documents devant être produits ou d"excuser leur non-production pour toutes sortes de motifs, ne sert, à mon avis, qu"à encourager tous ceux qui ne pensent qu"à prendre avantage d"un système ayant comme seul but de permettre à de véritables réfugiés de venir au Canada.

[19]      Par conséquent, je n"ai pas été persuadé que la Section du Statut avait commis une erreur de droit ou de fait qui pourrait justifier mon intervention. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20]      Il me reste à traiter d"un dernier point. Le demandeur soumet que l"une des questions suivantes devrait être certifiée sous le paragraphe 83(1) de la Loi sur l"immigration:

À la lumière de Pushpanathan et Baker, la norme de contrôle judiciaire des décisions rendues par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié en matière de questions de fait ou de questions mixtes de droit et de fait est-elle à présent celle de la décision " manifestement déraisonnable " ou celle de la " décision déraisonnable simpliciter " ?

     - ou -

Les principes récemment établis par la Cour suprême dans les arrêts Pushpanathan et Baker doivent-ils être interprétés comme ayant pour effet d"établir la norme générale de la " décision déraisonnable simpliciter " quant aux décisions de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié portant sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit ?

[21]      Dans Liyanagamage v. Canada (M.C.I.) (1994), 176 N.R. 4, le juge Décary de la Cour d"appel fédérale expliquait, à la page 5, quand une question devait être certifiée:

[4]      In order to be certified pursuant to s. 83(1), a question must be one which, in the opinion of the motions judge, transcends the interests of the immediate parties to the litigation and contemplates issues of broad significance or general application (see the useful analysis of the concept of "importance" by Catzman, J., in Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd et al. (1986), 57 O.R. (2d) 569 (H.C.), but it must also be one that is determinative of the appeal. The certification process contemplated by s. 83 of the Immigration Act is neither to be equated with the reference process established by s. 18.3 of the Federal Court Act, nor is it to be used as a tool to obtain from the Court of Appeal declaratory judgments on fine questions which need not be decided in order to dispose of a particular case.

[22]      En l"instance, il ne peut faire de doute, à mon avis, que les conclusions de la Section du Statut concernant l"identité du demandeur et sa crédibilité sont, compte tenu de la preuve, tout à fait raisonnables. Que la norme de contrôle soit celle de la décision " manifestement déraisonnable " ou celle de la décision " déraisonnable simpliciter " n"a, à mon avis, aucune importance en l"instance. À mon avis, la norme applicable est celle de la décision déraisonnable simpliciter et c"est cette norme que j"ai appliquée en l"instance.

[23]      Vu la décision de la Cour d"appel dans Liyanagamage , je suis d"avis que les questions proposées par le demandeur pour certification ne méritent pas d"être certifiées.


     Marc Nadon

     Juge


O T T A W A (Ontario)

le 17 février 2000.

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