Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision






Date : 20000127


Dossier : IMM-2679-99



ENTRE :


Ifrah Abdillahi OMAR

Abdollfatah (Abdoulfatah) KADIR

Abdillahi Kadir ABDI

Awad Kadir ABDI


demandeurs


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE CULLEN


Introduction

[1]          Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, section du statut de réfugié, en date du 12 mai 1999, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]          Les demandeurs sont des citoyens de Djibouti. Ils revendiquent le statut de réfugié en invoquant leur crainte d"être persécutés en raison de leur nationalité ou de leur appartenance ethnique, de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social. La demanderesse est membre de la tribu des Gadaboursis alors que ses enfants sont de la tribu des Issacks. Elle est en outre membre du PDR, un parti d"opposition à Djibouti. Quant au groupe social, c"est à titre de membre de la famille d"un membre actif du " Elementary School Teachers Union " (ESTU) que la demanderesse revendique son appartenance à ce groupe. Les demandeurs invoquent la crainte d"être arrêtés, détenus, maltraités et tués s"ils retournent à Djibouti.


[3]          La section du statut de réfugié a établi que la demande comportait les cinq questions en litige suivantes :

     1.      Les demandeurs sont-ils dignes de foi?
     2.      Les Gadaboursis et les Issacks font-ils l"objet de persécution à Djibouti?
     3.      Les membres du PDR ou des membres de leur famille font-ils l"objet de persécution à Djibouti?
     4.      Les membres des familles des membres actifs de l"ESTU font-ils l"objet de persécution à Djibouti?
     5.      Les auteurs de la demande font-ils montre d"une crainte subjective de persécution?

[4]      Pour ce qui est de la question de la crédibilité, la Commission a conclu que les demandeurs étaient généralement dignes de foi. La plupart des déclarations des demandeurs sur des faits ont été crues, sauf celle de la demanderesse selon laquelle elle prétend que son mari a quitté Djibouti pour aller en Éthiopie comme réfugié et qu"elle était sans nouvelles de lui depuis. Cette déclaration a été jugée peu vraisemblable étant donné les quelques épisodes de harcèlement subis par le mari et le fait que la famille s"est morcelée pour lui permettre de demander la protection internationale.

[5]      Quant à la prétention selon laquelle les Gadboursis et les Issacks font l"objet de persécutions au Djibouti, la Commission a conclu que les deux groupes se trouvaient en position de faiblesse dans ce pays. Elle a toutefois conclu que la demanderesse et son mari n"avaient pas subi d"atteintes sérieuses qui pouvaient équivaloir à de la persécution.

[6]      La Commission s"est ensuite penchée sur le traitement des membres du PDR. La Commission a conclu que, malgré le harcèlement, les arrestations, les interrogatoires et les brèves périodes de détention, les perquisitions et les admonestations dont ils font l"objet en raison de leurs activités politiques, les traitements subis par les membres du PDR et les membres de leur famille n"équivalaient pas à de la persécution et ne justifiaient pas leur crainte d"être persécutés. En dernière analyse, ce sont là de graves atteintes, mais le harcèlement et l"intimidation n"atteignent pas le degré de gravité de la persécution dans les cas de réfugiés.

[7]      En dernier lieu, la Commission a conclu que les demandeurs n"avaient pas fait montre d"une crainte subjective de persécution. Elle a noté que la demanderesse avait signé une fausse déclaration à l"ambassade des États-Unis, à Djibouti, et qu"elle s"était abstenue de présenter une demande de statut de réfugié en Italie ou aux États-Unis, deux pays signataires de la Convention relative au statut des réfugiés par lesquels les demandeurs ont transité en se rendant au Canada.

[8]      Dans l"ensemble, la Commission a conclu que les éléments de preuve n"appuyaient pas la prétention des demandeurs selon laquelle ils seraient vraisemblablement persécutés à Djibouti en raison de leur nationalité, de leur appartenance ethnique ou de leur appartenance au PDR ou au syndicat.

Questions en litige

[9]      La demanderesse soulève comme principale question en litige la question de savoir si le tribunal a commis une erreur en concluant que les expériences vécues par la demanderesse et ses enfants, individuellement ou collectivement, ne constituaient pas de la persécution. La demanderesse soutient que, étant donné les conclusions de fait auxquelles en est arrivée la Commission, conclure que la situation n"équivalait pas à de la persécution constituait une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Elle soutient que le fait pour la Commission d"avoir utilisé une définition de la persécution trop étroite équivaut à une erreur de droit. La décision ne dit pas expressément le sens qu"a donné la Commission au mot " persécution ". Il est par conséquent difficile d"établir de façon certaine si le raisonnement de la Commission était ou non entaché d"une erreur de droit.

[10]      Au soutien de sa position, la demanderesse cite He c. MEI1, une affaire où la Commission a décidé que le traitement subi par la demanderesse du statut de réfugié aux mains des autorités chinoises ne constituait pas de la persécution. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Simpson a conclu que la Commission avait commis une erreur fondamentale de droit dans son application de la définition acceptée de persécution aux faits de l"affaire. Dans He , la demanderesse était professeur et avait pris part à un certain nombre de manifestations à la suite des descentes policières effectuées contre les étudiants en juin 1989, à Beijing. Elle a été arrêtée à son école, mise en détention et soumise à de nombreux interrogatoires au cours d"une période d"un mois. On lui a fait subir des pressions pour qu"elle signe des aveux, ce qu"elle a fait après un mois de détention. Le lendemain, elle était relâchée. On lui a annoncé qu"elle avait perdu son poste d"enseignante en raison de ses activités antigouvernementales. On lui a aussi dit qu"on la retournait dans son village pour y cultiver la terre et qu"elle n"avait pas le droit d"occuper un autre emploi. Elle s"est enfuie au Canada où elle a demandé le statut de réfugié. La Commission a conclu qu"une période de détention d"un mois, des aveux forcés, le fait pour la demanderesse d"être privée du droit d"exercer sa profession et de choisir l"endroit où elle voulait vivre ne constituaient pas de la persécution. La Commission a même donné à entendre que sa détention aurait été plus brève si elle était passée aux aveux plus tôt.

[11]      La demanderesse soutient que He s"applique et que la Cour devrait conclure que la Commission a commis une erreur comme dans la cause précitée. Le défendeur s"en remet, entre autres, à l"arrêt Sagharichi c. MEI2. Dans Sagharichi, la Cour d"appel a statué que la question de savoir si le traitement subi équivaut à de la persécution est du ressort de la Commission :

     ... même si l'appelante pouvait ainsi fonder sa revendication, il reste qu'afin d'avoir gain de cause, elle devait établir qu'elle avait raison de craindre d'être persécutée si elle retournait dans son pays; or, dans sa décision, la Section du statut de réfugié estime qu'elle n'a pas pu le faire. Les événements mentionnés par l'appelante dans son témoignage étaient sans doute malheureux, puisqu'ils constituaient selon toutes les apparences de la discrimination, ou même peut-être du harcèlement; cependant, dans leurs motifs respectifs, les deux membres font clairement savoir qu'à leur avis, ces événements n'étaient pas suffisamment sérieux ou systématiques pour être qualifiés de persécution, ou pour permettre de conclure qu'il existait une possibilité sérieuse de persécution à l'avenir.
         Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[12]      Cet arrêt a été suivi dans Sulaiman c. MCI3, où le juge MacKay a suivi la jurisprudence de la Cour d"appel de la façon suivante :

         Je ne suis pas non plus convaincu que le tribunal ait commis une erreur en statuant que la discrimination alléguée par les requérants n'équivalait pas à de la persécution. Dans l'arrêt Rajudeen c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe A-1779-83, 4 juillet 1984, la Cour d'appel fédérale a cité les définitions suivantes de la persécution:
         [TRADUCTION] Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier.
     et
         [TRADUCTION] Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine.
     Il appartient à la SSR de déterminer si la discrimination invoquée est suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution, et la Cour ne modifiera pas une telle conclusion à moins qu'elle n'ait été tirée d'une manière arbitraire ou déraisonnable: voir l'arrêt Sagharichi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, inédit, no du greffe A-169-91, 5 août 1993 (C.A.F.); [1993] A.C.F. no 796.

[13]      Je suis d"avis que la jurisprudence invoquée par le défendeur à l"appui de sa position dans la présente fait autorité.

[14]      Une deuxième question, bien qu"elle n"ait pas été débattue comme telle, porte sur le fait que la Commission a conclu que les demandeurs n"éprouvaient pas une crainte subjective de persécution. Il s"agit là d"une conclusion de fait qu"on ne modifie pas à la légère et d"un point très important à prendre en considération dans la question de savoir si quelqu"un est véritablement un réfugié étant donné que la personne qui demande le statut de réfugié doit " [craindre] avec raison d"être persécutée " pour pouvoir réussir dans sa demande. Cette exigence comporte à la fois un élément subjectif et un élément objectif. Non seulement doit-il exister une crainte subjective de persécution, mais encore faut-il que celle-ci soit justifiée4. Dans cette affaire, la Commission a conclu à l"absence d"élément subjectif étant donné que les demandeurs n"avaient pas démontré leur crainte d"être persécutés. Le défaut de respecter cette exigence entraîne le rejet de la demande.

Conclusion

[15]      Je suis d"avis que la Commission n"a pas commis d"erreur susceptible d"un contrôle judiciaire justifiant l"intervention de la Cour. Même si les critères et la définition de " persécution " appliqués par la Commission ne sont pas clairs, aucun élément de preuve ne permet de conclure que celle-ci n"a pas bien appliqué le droit ou qu"elle a tiré une conclusion déraisonnable compte tenu des faits qui étaient devant elle.

[16]      En outre, il était du ressort de la Commission de conclure que les demandeurs n"avaient pas fait montre d"une crainte subjective d"être persécutés dans le pays où ils habitaient. Il s"agit là d"une conclusion de fait, conclusion que les tribunaux de révision ne modifient que rarement. On ne peut prétendre que cette conclusion était irrationnelle ou sans fondement étant donné la preuve devant la Commission. Pour ce motif, je suis d"avis que la Commission n"a pas commis d"erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[17]      Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.




Ottawa (Ontario)                      B. Cullen
Le 27 janvier 2000                              J.C.F.C.

                                                            



Traduction certifiée conforme



Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER DE LA COUR No :          IMM-2679-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          IFRAH ABDILLAHI OMAR et autres
                         c.
                         MCI     

LIEU DE L"AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 12 JANVIER 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE CULLEN

EN DATE DU :                  27 JANVIER 2000



ONT COMPARU :

KARLA UNGER                      pour les demandeurs
LYSANNE K. LAFOND                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

KARLA UNGER                      pour les demandeurs
LYSANNE K. LAFOND                  pour le défendeur

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada







Date : 20000127


Dossier : IMM-2679-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE CULLEN

ENTRE :

     Ifrah Abdillahi OMAR

                     Abdollfatah (Abdoulfatah) KADIR
                     Abdillahi Kadir ABDI

     Awad Kadir ABDI

                    

     demandeurs

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire d"une décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié, en date du 12 mai 1999,

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

                                 B. Cullen
                                     J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme



Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.

__________________

1 (1994), 78 F.T.R. 313; [1994] A.C.F. no 1243; 25 Imm.L.R. (2d) 128 (1re inst.).

2 (1993), 182 N.R. 398; [1993] A.C.F. no 796 (C.A.), demande d"autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, (1994) 170 N.R. 159n. Cet arrêt est l"arrêt de principe sur la question de la norme de contrôle d"une décision de la Commission selon laquelle la discrimination ou le harcèlement n"équivaut pas à de la persécution. Il a été suivi récemment dans Kaish c. MCI , [1999] A.C.F. no 1041 (1re inst., le juge Dubé); Koroz c. MCI, [1999] A.C.F. no 951 (1re inst., le juge Dubé); Basha c. MCI, [1999] A.C.F. no 597 (1re inst., le juge Pinard).

3 (1996), 110 F.T.R. 127; [1996] A.C.F. no 371 (1re inst.).

4 Chan c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.