Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 2002

Dossier : IMM-4655-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1208

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                   MARIYA KIRILOVA STANKEVA

                                                                                                                                  partie demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                     partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 10 septembre 2001 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « Section du statut » ) où il fut décidé que la demanderesse, Mariya Kirilova Stankeva, n'est pas une réfugiée au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la « Convention » ).

  

Exposé des faits

[2]                 La demanderesse est une citoyenne de la Bulgarie. Elle allègue une crainte bien fondée de persécution en raison de sa religion, l'Église des Témoins de Jéhovah.

[3]                 La demanderesse allègue que la police l'a souvent chassée, ainsi que ses consoeurs et confrères Témoins de Jéhovah lorsqu'ils faisaient du porte-à-porte pour distribuer des brochures religieuses et « répandre la bonne nouvelle » . La police les empêchait de distribuer leurs brochures. Cela se serait produit notamment le 31 juillet 1999.

[4]                 Le 7 septembre 1999, la demanderesse a été victime d'une agression par les membres de l'Organisation interne de la Macédoine pirinienne (VMRO) [Internal Macedonian Revolutionary Organization (IMRO)]. Cette organisation est représentée au parlement et combat les religions étrangères. Un coreligionnaire de la demanderesse a voulu porter plainte contre cette agression mais, selon la demanderesse, la police a refusé de recevoir la plainte.

[5]                 La demanderesse a aussi commencé à recevoir des appels anonymes et insultants. En octobre 1999, la situation devenait insupportable pour la demanderesse et sa famille et conséquemment, ils ont déménagé à Sofia, la capitale de la Bulgarie. Une fois installée, la demanderesse a commencé à fréquenter d'autres Témoins de Jéhovah de cette ville.

  

[6]                 Au printemps 2000, la demanderesse a distribué quelques brochures dans un parc s'attirant ainsi l'ire d'un de ses voisins qui l'aurait menacée. Pendant la même période, une pierre lancée de l'extérieur a brisé la fenêtre de la cuisine de la demanderesse et a presque heurté la tête de sa fille. À la fenêtre, une dizaine de voisins criaient des menaces de mort. La demanderesse a alors appelé la police. Cette dernière a enquêté et, selon la demanderesse, a conclu que les voisins n'avaient rien vu ni entendu et que ce qui arrivait à la demanderesse était de sa faute.

[7]                 Après cet incident, la demanderesse dit qu'elle a recommencé à recevoir des appels anonymes et menaçants.

[8]                 Le 20 août 2000, lorsque la demanderesse distribuait des brochures religieuses dans un centre commercial, elle fut agressée par un groupe de cinq ou six personnes. La demanderesse a perdu connaissance et s'est retrouvée à l'hôpital pendant une heure. La demanderesse n'a pas voulu dénoncer l'incident à la police de peur de se faire humilier.

[9]                 La demanderesse a alors décidé de quitter la Bulgarie. Le 27 septembre 2000, elle est arrivée au Canada avec un visa touristique. Elle y fait une demande de statut de réfugié. Quant à sa famille, elle a déménagé dans un autre quartier de Sofia.


Décision de la Section du statut

[10]            La Section du statut a déterminé que la demanderesse ne s'est pas déchargée du fardeau de la preuve qui lui incombait et ne lui reconnaît pas le statut de réfugiée.

[11]            La Section du statut fonde sa décision sur trois facteurs. Premièrement, elle a exprimé un « doute mineur » au sujet de la pratique religieuse de la demanderesse parce qu'elle aurait eu de la difficulté à citer un verset de la Bible. Toutefois, le tribunal admet que la demanderesse a témoigné de manière directe.

[12]            Deuxièmement, la Section du statut a conclu que la preuve documentaire contredit une déclaration de la demanderesse retrouvée dans son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ). On retrouve le passage suivant dans les motifs de décision de la Section du statut :

...la revendicatrice prétend dans sa réponse à la question 37 de son FRP [Formulaire de renseignements personnels] que les Témoins de Jéhovah ne sont pas acceptés par les autorités politiques et policières. Cette affirmation est contredite par la preuve documentaire notamment la pièce A-11 [U.S. Department of State Annual Report on International Rights, Annual Report 1999] qui nous apprend que les Témoins de Jéhovah ont obtenu en octobre 1998 de l'État bulgare leur enregistrement officiel auquel sont soumis toutes les associations qui veulent exercer leur liberté religieuse. (...)

Le tribunal est d'avis qu'en niant ce fait précis dans son FRP, la revendicatrice atteste qu'elle n'est pas crédible sur ce point précis.


[13]            Troisièmement, la Section du statut a jugé que la demanderesse n'a pas établi de manière claire et convaincante que l'État bulgare ne peut pas ou ne veut pas la protéger. De plus, le tribunal trouve invraisemblable qu'au lieu de porter plainte auprès des autorités, elle abandonne son emploi et choisit de quitter la ville où elle vivait depuis seize ans pour aller s'installer à Sofia, la capitale.

[14]            Selon la Section du statut, le demanderesse n'a pas fait preuve de persévérance et de détermination dans sa recherche de la protection dans son pays et par conséquent n'a pas pu renverser la présomption qui se dégage de la preuve documentaire selon laquelle l'État bulgare est capable de protéger ses citoyens.

Questions en litige

[15]            Est-ce que la Section du statut a rendu une décision fondée sur une conclusion de faits erronés, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose, et plus particulièrement en ce qui a trait aux conclusions suivantes :

-            que la demanderesse n'avait pas établi de manière claire et convaincante que l'État bulgare ne peut ou ne veut la protéger;

-            que la preuve documentaire contredit la déclaration de la demanderesse à l'effet que les Témoins de Jéhovah ne sont pas acceptés par les autorités politiques et policières;

-            en doutant de la pratique religieuse de la demanderesse puisqu'elle ne pouvait citer de versets de la Bible.


Analyse

[16]            Il est bien établi depuis l'arrêt Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, que pour satisfaire à la définition de « réfugié au sens de la Convention » , un revendicateur doit démontrer par une preuve claire et convaincante, que l'État dont il est le ressortissant est incapable de le protéger. On retrouve à la page 726 de cet arrêt cette conclusion du juge La Forest :

Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet « ne veut » ou sous le volet « ne peut » de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. [...]

   

[17]            En l'espèce, la Section du statut a déterminé que la demanderesse n'a pas prouvé, par une preuve claire et convaincante, que la Bulgarie ne voulait ou ne pouvait la protéger. Dans ses motifs, elle constate trois incidents majeurs pour appuyer sa conclusion. À la page 2 de sa décision on retrouve :

En effet, la revendicatrice n'a pas établi de manière claire et convaincante que l'État bulgare ne peut pas ou ne veut pas la protéger. Il convient de noter que sur trois incidents majeur allégués, la revendicatrice n'a personnellement porté plainte qu'une seule fois. Rappelons d'abord qu'à Blagoevrad lors de l'agression présumée du 7 septembre 1999, et où elle prétend avoir été blessée, elle n'a pas porté plainte, préférant laisser son compagnon aller à la police. Le tribunal trouve invraisemblable qu'au lieu de se plaindre auprès des autorités, elle abandonne son emploi et choisisse de quitter la ville où elle vivait depuis 16 ans pour aller s'installer à Sofia la capitale. Ensuite, l'incident du 20 août à Sofia où elle aurait été battue, aurait perdu connaissance et aurait été emmenée à l'hôpital n'a pas donné non plus lieu à une plainte, la revendicatrice prétextant qu'elle serait humiliée et traitée de folle. Or, le tribunal constate que l'unique fois où la revendicatrice a appelé la police lors de l'incident du printemps 2000 où une pierre avait brisé la fenêtre de la cuisine, celle-ci est venue et a enquêté avant de repartir. On ne peut, dans le cas en l'espèce, parler d'absence de protection. Le tribunal est d'avis que la police a l'obligation de moyens et non de résultats.


[18]            La demanderesse soumet que cette conclusion est manifestement déraisonnable compte tenu de son historique personnel et la preuve documentaire. Elle dit qu'elle s'est adressée en vain à plusieurs reprises à la police pour obtenir de la protection et que l'on a refusé de la lui accorder. Selon la demanderesse, la preuve documentaire atteste aussi de la futilité pour les Témoins de Jéhovah de recourir à la protection de la police en raison des idées préconçues de ces derniers à l'égard des Témoins de Jéhovah.

[19]            Devant la Section du statut se retrouvait la Pièce A-11, U.S. Department of State Annual Report on International Religious Freedom For 1999: Bulgaria, et la Pièce A-5,International Helsinki Federation for Human Rights, Annual Report 1999. Cette preuve documentaire, spécifiquement mentionnée dans la décision de la Section du statut, n'est pas particulièrement claire en ce qui a trait à la situation en Bulgarie sur la question de la capacité de l'État bulgare de protéger ses citoyens. D'une part, on note du progrès par les autorités qui depuis 1998 reconnaissent les Témoins de Jéhovah comme religion officiellement enregistrée, permettant ainsi l'exercice par leur membres de leur liberté religieuse. D'autre part, on constate dans ces mêmes documents, des rapports d'incidents de harcèlement et de discrimination à l'égard des Témoins de Jéhovah.


[20]            Après étude de toute la preuve, je suis d'avis que la Section du statut n'a pas commis d'erreur révisable en concluant comme elle l'a fait sur cette question. Le fardeau incombe à la demanderesse de démontrer, par une preuve claire et convaincante, que l'État bulgare est incapable de la protéger. La Section du statut pouvait raisonnablement conclure, sur la preuve, que la demanderesse n'a pas renversé la présomption que l'État bulgare est capable de protéger ses citoyens.

[21]            Je ne peux constater une contradiction entre la déclaration de la demanderesse dans son FRP à l'effet que les Témoins de Jéhovah ne sont pas acceptés par les autorités politiques et policières et la preuve documentaire. Je suis d'avis qu'il ne s'agit pas là d'une erreur suffisamment grave pour justifier l'intervention de cette Cour.

[22]            Par ailleurs, le « doute mineur » soulevé par la Section du statut, au sujet de la pratique religieuse de la demanderesse, n'est pas une conclusion que je considère manifestement déraisonnable dans les circonstances. Il est aussi évident que la décision de la Section du Statut ne tourne pas sur cette conclusion.

[23]            Finalement, la demanderesse soumet que la Section du statut n'a pas pris en considération les deux certificats médicaux confirmant les deux agressions physiques dont elle avait fait l'objet en Bulgarie en raison de son appartenance et de ses activités religieuses comme Témoin de Jéhovah aussi bien à Blagoevgrad que dans la capitale Sofia.


[24]            La Section du statut a constaté ces rapports médicaux à la page 3 de ses motifs. Alors, on ne peut pas dire que le tribunal ne les a pas considérés. La valeur probante à être attribuée à un rapport médical relève du pouvoir d'appréciation discrétionnaire du Tribunal. [Voir Bula c. S.E. Canada, [1994] A.C.F. No. 937, A-794-92, 16 juin, 1994 (C.F.1re inst.)]. En l'espèce, je suis d'avis qu'aucune erreur révisable a été commise à cet égard par la Section du statut. De toute façon, la demanderesse pouvait, selon la détermination de la Section du statut, bénéficier de la protection de l'État bulgare.

[25]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[26]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale telle qu'envisagée à l'article 74(d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, S.C. (2001) chapitre 27. Je ne propose pas de certifier une question grave de portée générale.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 septembre 2001 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

    

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »                 

                                                                                                                                                                 Juge                    


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           IMM-4655-01

INTITULÉ :                                        Mariya Kirilova Stankeva c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 7 août 2002

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                      22 novembre 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Alain Joffe                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Cloutier                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alain Joffe                                                                               POUR LE DEMANDEUR

606-10, rue St-Jacques

Montréal (Québec) H2Y 1L3

Morris Rosenberg,                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de Montréal

200, boul. René-Lévesque Ouest, 9e étage

Montréal (Québec) H2Z 1X4

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.