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Date : 20041029

Dossier : T-1890-02

Référence : 2004 CF 1524

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                          MICHEL LALIBERTÉ

AGENT DE CORRECTION

                                                                                                                       Intimée

(Demandeur)

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                             

                                                                                                                                        Requérante

(Défenderesse)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête de la partie défenderesse visant à faire radier la déclaration du demandeur ou subsidiairement à faire suspendre le dossier jusqu'à ce que tous les appels aient été épuisés dans le dossier de Mme Galarneau (T-2414-03).


QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que la Cour devrait accorder ou non la requête en radiation ou la requête en suspension de l'instance?

[3]                Pour les raisons suivantes, je suis d'avis qu'il serait préférable de suspendre la requête en radiation et d'accueillir la requête en suspension de l'instance.

CONTEXTE FACTUEL        

[4]                Le demandeur est un agent de correction qui travaille dans un pénitencier à sécurité moyenne situé à Drummond depuis 1995. Cet établissement est géré par le Service correctionnel du Canada, Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992) ch. 20.

[5]                Le 12 novembre 2002, le demandeur dépose une action en dommages-intérêts contre Sa Majesté la Reine. Il déclare être exposé à la fumée secondaire de cigarettes pendant ses quarts de travail.

[6]                Le 19 décembre 2003, Mme Galarneau intente un recours collectif pour les mêmes raisons dans le dossier T-2414-03.

[7]                Le 26 janvier 2004, le Procureur général du Canada et le Service Correctionnel du Canada, défendeurs dans le dossier T-2414-03 présentent une requête visant à faire rejeter l'action aux motifs que la Cour fédérale ne possède pas la compétence requise et que la demanderesse n'a pas épuisé ses recours.

[8]                Le 25 février 2004, le protonotaire Morneau, dans le présent dossier rejette une requête dans laquelle la défenderesse demandait la suspension jusqu'à ce que soit rendue une décision finale sur la requête en radiation présentée dans le dossier T-2414-03.

[9]                Les motifs du protonotaire Morneau sont les suivants :

Requête de la partie défenderesse visant à obtenir une suspension d'instance, et cela jusqu'à ce que soit rendue une décision finale sur la requête en radiation de la déclaration présentée par le Procureur général du Canada dans le dossier Galarneau c. Procureur général du Canada et Service correctionnel du Canada, dossier T-2414-03. Le tout, sans frais.

Pour les motifs qui suivent, la requête de la défenderesse en suspension de l'instance est rejetée, le tout frais à suivre.

Il ressort que la suspension recherchée est mise de l'avant à ce moment-ci uniquement en raison d'une requête en radiation que la Couronne cherche à présenter dans un dossier récemment ouvert, soit celui d'un recours collectif projeté par Hélène Galarneau, dossier T-2414-03. Or, la date de présentation de la requête en radiation dans le dossier d'Hélène Galarneau n'est pas encore fixée et le sort final de cette requête l'est encore moins. D'autre part, l'audition au mérite dans le présent dossier est prête à être fixée et, de fait, celle ci est par la présente fixée au 25 octobre 2004 pour une durée de quatre (4) jours, en français, devant cette Cour au 30, rue McGill, à Montréal. La suspension ici recherchée par la Couronne doit être vue comme une étape intermédiaire en vue ultimement d'obtenir la radiation d'action dans le présent dossier. Si en temps utile avant l'audition au mérite du présent dossier la Couronne dispose d'une décision finale dans le dossier d'Hélène Galarneau T-2414-03 quant à sa requête en radiation, la Couronne pourra se pourvoir en jugement sommaire ou en radiation d'action contre le demandeur, et ce, si les circonstances et l'intérêt de la justice le justifient alors.

[10]            Le 18 mai 2004, le protonotaire accueillait la requête en radiation de la déclaration de l'action de la demanderesse dans le dossier T-2414-03. Mais Mme Galarneau se pourvait maintenant en appel devant notre Cour.

[11]            Le 7 juillet 2004, la défenderesse dépose la présente requête.

[12]            À ce jour, le dossier T-2414-03 fait l'objet d'un délibéré.

ANALYSE

[13]            L'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998) énonce :


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;


221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,



[14]            En ce qui a trait à la demande en radiation, je suis d'avis qu'il n'est pas opportun de traiter de cette requête à ce stade-ci. En effet, une requête en radiation a déjà été présentée dans un dossier très similaire, soit le dossier T-2414-03. L'ordonnance de radiation accordée par le protonotaire Morneau a été portée en appel et la décision de la Cour fédérale à ce sujet n'est pas encore rendue. Par conséquent, il serait avantageux pour les parties que la présente requête en radiation soit suspendue afin d'éviter des coûts additionnels et les inconvénients d'un appel. Ceci a aussi comme avantage d'éviter la possibilité de décisions contradictoires.

[15]            À la lumière de ce qui précède, il ne reste qu'à se demander si la requête en suspension de l'instance doit être accordée. La requête en radiation présentée dans la cause Galarneau (T-2414-03) s'attaque à la compétence de la Cour fédérale. À cet égard, l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales (LCF) stipule que :


50. (1) La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.


50. (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.


[16]            Traitant de ce sujet dans la décision WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp., [1999] A.C.F. no 862 (1ère inst.) (QL), paragraphe 12, la Cour fédérale a interprété cet article et les critères suivants ont été retenus : « le risque de conclusions contradictoires, les frais excessifs et la répétition des procédures » .

[17]            La suspension d'une instance ne devrait être accordée que dans les cas les plus patents (Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc., [1997] A.C.F. 1772 (1ère inst.) (QL), paragraphes 15 et 16 :


Il est de jurisprudence constante qu'une suspension d'instance ne peut être accordée que si l'on peut démontrer : (1) que la poursuite de l'action causerait un préjudice ou une injustice au défendeur, et non de simples inconvénients ou frais supplémentaires; (2) que la suspension ne serait pas injuste pour le demandeur. C'est à celui qui demande la suspension qu'il incombe de démontrer que ces conditions sont réunies (Discreet Logic Inc. c. Canada (registraire des droits d'auteur) (1993), 51 C.P.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.), à la page 191). [...]

La Cour n'accorde une suspension d'instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, dans l'exercice son pouvoir discrétionnaire, que dans les cas les plus patents. Pour déterminer si le fait d'accorder une suspension causerait une injustice au demandeur ou au requérant, la Cour répugne à limiter tout droit de recours, sauf s'il y a un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question (Association olympique canadienne c. Olympic Life Publishing Ltd. (1986), 8 C.P.R. (3d) 405 (C.F. 1re inst.), aux pages 407 et 408, Discreet Logic, précité, et Association of Parents Support Groups v. York, (1987), 14 C.P.R. (3d) 263 (C.F. 1re inst.). (Je souligne.)

[18]            Je suis d'avis que la question de fond est la même ici que dans le dossier T-2414-03. L'affidavit de Me Marie Marmet vient appuyer cette constatation. L'ordonnance du protonotaire Morneau rendue le 22 août 2003 le confirme aussi :

1.1 Est-ce que le demandeur peut intenter aux termes de l'effet combiné de l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales et du sous-alinéa 3a)(i) de la Loi sur les responsabilités civiles de l'État et le contentieux administratif la présente action en responsabilité civile extracontractuelle compte tenu du fait qu'il dispose de d'autres recours appropriés pour faire valoir ses prétentions qui concernent exclusivement ses conditions d'emploi en tant qu'agent de correction, savoir :

a)             un droit de grief aux termes de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de sa convention collective;

b)             un droit de plainte aux termes de la partie II du Code canadien du travail;

c)             un droit de plainte aux termes de la Loi sur la santé des non fumeurs;

d)             le droit de présenter une réclamation pour damages (sic) corporels, incluant les dommages psychologiques, aux termes de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État.


[19]            De toute évidence, les faits des deux dossiers sont similaires. Dans les deux cas, il s'agit d'une demande de dommages-intérêts présentée par des agents de correction alléguant l'exposition à la fumée secondaire pendant leurs quarts de travail. Dans un cas, il s'agit d'une action individuelle et dans l'autre, un recours collectif.

[20]            L'intimé prétend qu'accueillir la suspension lui cause un grave préjudice. Selon lui, cette requête aurait dû être déposée beaucoup plus tôt et il ajoute qu'il se prépare depuis longtemps pour son procès. Mais en bout de ligne, dans son mémoire, il soumet qu'il préfère la suspension à la radiation.

[21]            Il ajoute qu'une première requête a déjà été rejetée par le protonotaire Morneau le 25 février 2004 et il ne comprend pas pourquoi une autre requête du même genre fait maintenant l'objet d'un débat.

[22]            Cependant, le protonotaire Morneau, en rejetant la requête en suspension d'instance dans le présent dossier le 25 février 2004, déclare :

La suspension ici recherchée par la Couronne doit être vue comme une étape intermédiaire en vue ultimement d'obtenir la radiation d'action dans le présent dossier. Si en temps utile avant l'audition au mérite du présent dossier la Couronne dispose d'une décision finale dans le dossier d'Hélène Galarneau T-2414-03 quant à sa requête en radiation, la Couronne pourra se pourvoir en jugement sommaire ou en radiation d'action contre le demandeur, et ce, si les circonstances et l'intérêt de la justice le justifient alors.

À ce jour, aucune décision finale n'a été rendue, mais la défenderesse présente quand même une requête en radiation et subsidiairement une requête en suspension.

[23]            Considérant les arguments des parties, je suis d'avis qu'il vaudrait mieux suspendre la présente action jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue dans le dossier T-2414-03. En effet, le meilleur intérêt des parties et de l'administration de la justice seraient mieux servis en procédant ainsi. À titre d'exemple :

1)         des décisions ou conclusions contradictoires pourraient être évitées;

2)         des coûts additionnels seraient épargnés;

3)         les ressources judiciaires seraient mieux utilisées.

[24]            Pour en arriver à cette conclusion, j'ai tenu compte du préjudice ou de l'injustice que pourrait subir l'intimé mais je crois, avec respect pour l'opinion contraire, que la prépondérance des inconvénients favorise la requérante (Swift c. Canada, 2001 CFPI 1388, [2001] A.C.F. no 1909 (1ère inst.) (QL)).

[25]            Pour les raisons énoncées ci-dessus, la Cour accueille la requête en suspension de l'instance et suspend tant l'action du demandeur que la requête en radiation jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue dans le dossier T-2414-03. Lorsque la décision finale sera connue, les parties pourront, s'ils le jugent à propos, demander à l'Administrateur judiciaire une date prioritaire pour disposer des litiges qui subsisteront. Cependant, je ne demeure pas saisi du présent dossier.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête en suspension de l'instance est accueillie.

2.         L'action du demandeur et la requête en radiation sont suspendues jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue dans le dossier T-2414-03. Lorsque la décision finale sera connue, les parties pourront, s'ils le jugent à propos, demander à l'Administrateur judiciaire une date prioritaire pour disposer des litiges qui subsisteront. Cependant, je ne demeure pas saisi du présent dossier.

3.         Le tout avec frais à suivre.

                        « Michel Beaudry »                  

                                   juge                              


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1890-02

INTITULÉ :                                        MICHEL LALIBERTÉ AGENT DE CORRECTION

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :              25 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          le 29 octobre 2004

COMPARUTIONS:

Michel Laliberté                                     POUR LE DEMANDEUR

(se représente lui-même)

Marc Ribeiro                                         POUR LA DÉFENDERESSE

Marie Marmet

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michel Laliberté                                     POUR LE DEMANDEUR

Drummondville (Québec)

(se représente lui-même)

Morris Rosenberg                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)



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