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Date : 20030627

Dossier : IMM-768-02

Référence : 2003 CFPI 805

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                            TIAN WANG CHEN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Chen était un ajusteur de machines sur le navire panaméen M. V. Ever Forest. Il s'est joint à l'équipage en Thaïlande en mai 2000. Il venait de la province de Fujian en Chine et il parlait le dialecte de cette province. Il affirme que les parents du capitaine du navire et que le chef mécanicien étaient originaires de la ville de Fuzhou et qu'il s'est ainsi lié d'amitié avec eux. Il a ainsi pu fraterniser avec eux bien au-delà de son poste sur le navire puisqu'il occupait le 18e rang dans un équipage de 25 hommes.


[2]                Il prétend que ses amis de la ville de Fuzhou l'ont initié à la religion Tian Dao à laquelle il a adhéré à l'automne 2000. Il savait que la pratique du Tian Dao était interdite en Chine. Il affirme en fait que les autorités chinoises ont immédiatement été informées de sa conversion. Dix-huit jours après son initiation, son épouse l'a informé que des agents de la sécurité chinoise s'étaient rendus à leur résidence, avaient procédé à une fouille et avaient posé des questions à l'égard de leurs pratiques religieuses. Quelques semaines plus tard, le navire a accosté à Vancouver. L'épouse de M. Chen l'a informé que les agents de la sécurité s'étaient de nouveau rendus à leur résidence. M. Chen a quitté le navire et il a réussi à se rendre à Toronto où il a présenté une revendication du statut de réfugié.

[3]                Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa revendication parce qu'il estimait que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi. Le tribunal a conclu que M. Chen avait simplement décidé de déserter le navire et d'obtenir asile au Canada en déposant une fausse revendication. Le demandeur prétend que la conclusion de la Commission était non fondée et il sollicite, par la présente demande de contrôle judiciaire, une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

I. La question en litige

[4]                La question en litige en l'espèce est celle de savoir si la Commission a commis des erreurs graves lorsqu'elle a évalué le témoignage de M. Chen. Le demandeur mentionne qu'il existe cinq sources d'erreurs.


A. Amitié avec le capitaine

[5]                La Commission a conclu qu'il était improbable qu'un humble ajusteur puisse devenir un ami de confiance du capitaine du navire. Elle a déclaré : « Étant donné les normes culturelles en Chine et la hiérarchie du personnel à bord d'un navire, il est très inhabituel qu'un capitaine s'intéresse à un membre d'équipage de faible rang et fraternise avec celui-ci » . L'explication de M. Chen à cet égard était qu'il parlait le dialecte de la province de Chine d'où provenaient les parents du capitaine. La Commission a mis en doute cette explication étant donné que tous les membres de l'équipage, tant taïwanais que chinois, parlaient le mandarin.

[6]                M. Chen prétend que la Commission a tiré une conclusion arbitraire, non fondée sur de la preuve, selon laquelle son explication était peu vraisemblable. Cependant, la Commission a effectivement pris en compte la preuve dont elle disposait à l'égard du nombre de membres composant l'équipage, de leur nationalité et des connaissances linguistiques de M. Chen, du capitaine et des autres membres de l'équipage. En outre, la Commission a utilisé sa connaissance des « normes culturelles en Chine » et des rapports sociaux à bord d'un navire. L'expertise de la Commission sur ces sujets précédemment mentionnés n'est pas évidente et elle ne mérite pas beaucoup de retenue si toutefois elle en mérite un peu. Cependant, la Commission pouvait questionner M. Chen sur son amitié avec le capitaine afin d'examiner son explication compte tenu des autres éléments de preuve dont elle disposait. Elle pouvait conclure, comme elle l'a fait, que l'explication était peu convaincante.


B. Invitation à la cérémonie Tian Dao

[7]                La Commission a conclu qu'il n'était « pas crédible » que M. Chen, avant d'avoir officiellement été admis en tant que membre de cette religion, ait été invité à une cérémonie Tian Dao tenue en secret par le capitaine. M. Chen prétend que la Commission n'a pas pris en compte son explication à cet égard. Il a témoigné qu'on lui avait permis d'assister à la cérémonie parce qu'il était déjà un fidèle de Guan Yin, un personnage important dans la religion Tian Dao. Il affirme en outre que parfois les cérémonies ne sont pas tenues en secret. La transcription de l'audience révèle que la Commission a conclu que le témoignage du demandeur était embrouillé et contradictoire. En outre, les éléments de preuve documentaire dont la Commission disposait mentionnaient que les cérémonies Tian Dao sont tenues en secret. Je ne peux pas conclure que la Commission a commis une erreur en tirant sa conclusion à cet égard.

C. Le capitaine était également le « maître spirituel »


[8]                M. Chen a témoigné que le capitaine était le « maître spirituel » , un personnage central dans les cérémonies Tian Dao. Il a omis de mentionner ce renseignement dans son Formulaire sur les renseignements personnels. La Commission était d'avis qu'il s'agissait d'une omission importante et elle n'a pas accepté l'explication de M. Chen selon laquelle il n'avait pas estimé que c'était nécessaire de mentionner ce renseignement. Étant donné l'explication de M. Chen quant au rôle du capitaine dans la tentative de l'amener à participer aux activités de la religion Tian Dao, la Commission pouvait conclure que le statut du capitaine était un fait important et elle pouvait tirer une inférence défavorable de l'omission du demandeur d'avoir mentionné ce renseignement dans son exposé écrit des faits.

D. La date de naissance de Guan Yin

[9]                La Commission a questionné M. Chen à l'égard de la date de naissance de Guan Yin, une date importante pour les fidèles de la religion Tian Dao. La Commission a conclu que le témoignage du demandeur était confus. Elle a comparé son témoignage à celui d'un chrétien qui serait confus à l'égard de la date à laquelle la fête de Noël est célébrée. Sur cette question, la Commission se fondait clairement sur sa propre expertise à l'égard du Tian Dao. La Commission a déclaré qu'elle a « entendu des dizaines de revendications relatives au Tian Dao » et que ses membres « connaissent bien les dates des services religieux précis » .

[10]            La Commission est reconnue en tant que tribunal spécialisé à l'égard des revendications du statut de réfugié et elle est statutairement autorisée à appliquer sa spécialisation. Voir à cet égard la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, au paragraphe 68(4).


[11]            La Commission conteste l'affirmation de M. Chen lorsqu'il mentionne que le 19 septembre est la date de naissance de Guan Yin. Le président de l'audience a donné à entendre que la date de naissance de Guan Yin était en fait en février. M. Chen a alors déclaré que Guan Yin était effectivement née le 19 février, qu'elle était entrée en religion le 19 juin et qu'elle était devenue une déesse le 19 septembre. Son explication à l'égard de son témoignage apparemment embrouillé était que le caractère mandarin pour la date de naissance n'est pas réservé à la date de naissance. Ce caractère réfère à toutes les premières dates, y compris les trois dates mentionnées. La Commission n'a pas conclu que cette explication était satisfaisante. Compte tenu de la preuve dont la Commission disposait et de la retenue dont il faut faire preuve relativement à son expertise, je ne peux pas conclure que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable à l'égard du témoignage de M. Chen sur cette question.

E. La déclaration écrite du capitaine

[12]            Le capitaine a déposé un rapport écrit après que M. Chen eut déserté le navire. Dans sa déclaration, il affirme que, à sa connaissance, M. Chen n'avait aucun problème à bord du navire ou en Chine. Toutefois, l'exposé écrit des faits de M. Chen énonce que le capitaine avait été informé des visites des agents de la sécurité à sa résidence et du fait que le second capitaine du navire l'avait prévenu qu'il pourrait avoir des problèmes à son retour en Chine. La Commission a questionné M. Chen sur cette divergence. L'explication qu'il a donnée, bien que ce ne soit pas tout à fait clairement établi dans la transcription, semblait être que le capitaine aurait pu ne pas vouloir mentionner qu'il avait eu des problèmes parce que cela aurait pu mal paraître pour lui. La Commission a conclu que la déclaration du capitaine contredisait tout le récit de M. Chen.


[13]            Tout débat à l'égard des motivations du capitaine ne serait fondé que sur des hypothèses. Cependant, il demeure que la Commission disposait d'éléments de preuve qui contredisaient la version des événements donnée par M. Chen. La Commission pouvait prendre en compte ces éléments de preuve et en tirer les inférences qui pouvaient raisonnablement s'y appuyer. Elle pouvait en outre estimer que l'explication de M. Chen était peu convaincante. Je ne peux pas conclure que la Commission a commis une erreur.

II. Conclusion

[14]            Les motifs de la Commission pour mettre en doute la crédibilité de M. Chen étaient clairs et ils étaient expliqués de façon appropriée. Étant donné que j'ai conclu que la Commission n'a pas commis d'erreurs graves lors de son examen de la preuve dont elle disposait, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question de portée générale n'a été proposée aux fins de la certification et aucune question n'est énoncée.

                                                                   JUGEMENT

PAR LA PRÉSENTE LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question de portée générale n'est énoncée.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-768-02

INTITULÉ :

                                                            TIAN WANG CHEN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 10 JUIN 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     LE 27 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

CARLA STURDY                                                                    POUR LE DEMANDEUR

CLAIRE LE RICHE                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS AU DOSSIER :

CARLA STURDY

LEWIS & ASSOCIATES

290, RUE GERRARD EST

TORONTO (ONTARIO)    M5A 2G4                                       POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                   POUR LE DÉFENDEUR


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