Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990416


Dossier : IMM-643-98

ENTRE :

     MINZHONG LU,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS :

A.      INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [tel que modifié], par Minzhong Lu (le demandeur). Ce dernier demande notamment l'annulation de la décision d'un agent des Affaires étrangères (l'agent des visas) datée du 19 janvier 1998, par laquelle cet agent rejetait sa demande de visa pour le Canada.

B.      CONTEXTE

[2]      Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine. Il a obtenu son diplôme d'études secondaires en 1975, et a terminé avec succès en 1977 un programme spécialisé d'une année à l'École civique de cuisine générale de Fuzhou en réussissant l'examen de cuisinier principal. Dans son affidavit, il a déclaré qu'après l'obtention de son diplôme il a travaillé jusqu'en 1992 comme premier chef dans un restaurant de Fuzhou. Depuis lors, il occupe des fonctions similaires dans un restaurant chinois aux États-Unis.

[3]      En avril 1997, M. Lu a déposé une demande de résidence permanente au Canada, en qualité d'immigrant indépendant dans la catégorie des professionnels qualifiés. Il a déclaré qu'il comptait y exercer la profession de premier chef. Dans sa formule de demande il a indiqué, à l'endroit prévu à cette fin, qu'il préférait voir sa demande traitée par le Consulat du Canada à Détroit.

[4]      La demande de visa, et la documentation pertinente, ont été expédiées au Centre régional de programmes (le CRP) au Consulat général du Canada à Buffalo. Dans sa formule d'accusé de réception, le CRP a informé le demandeur que sa demande serait traitée dans les douze semaines suivantes, savoir qu'avant la fin de cette période une décision serait prise d'accueillir ou de rejeter sa demande au vu du dossier ou qu'il serait convoqué à une entrevue avec un agent des visas pour décision.

[5]      M. Lu a d'abord été évalué en vertu de la Classification canadienne descriptive des professions (la CCDP). Comme il ne recevrait pas le nombre requis de points d'appréciation en vertu de la CCDP, sa demande a ensuite été évaluée en vertu de la Classification nationale des professions (la CNP). Cette dernière venait de remplacer la CCDP comme outil imposé d'évaluation des demandeurs indépendants.

[6]      Sur la base des facteurs prévus à l'Annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 [tel que modifié] (le Règlement), que les agents de visas doivent utiliser pour évaluer la capacité des demandeurs de réussir leur installation au Canada (alinéa 8(1)a)), le demandeur s'est vu accorder 49 points d'appréciation. M. Lu avait donc 11 points de moins que les 60 requis pour qu'il soit convoqué à une entrevue (sous-alinéa 11.1a)(i)), et 21 de moins que les 70 points d'appréciation normalement requis dans la catégorie pour laquelle il faisait sa demande pour que l'agent lui délivre un visa (sous-alinéa 9(1)b)(i)).

C.      QUESTIONS ET ANALYSE

[7]      L'avocat du demandeur, M. Leahy, a couvert un large spectre dans ses plaidoiries orales et écrites. Je traiterai très brièvement de certaines des questions soulevées en renvoyant à mes motifs dans deux affaires similaires ou M. Leahy a soulevé les mêmes questions. Ces deux affaires impliquaient des cuisiniers chinois qui travaillent présentement aux États-Unis et qui cherchaient à obtenir des visas pour le Canada afin d'y pratiquer le même type de profession. Les décisions en cause sont Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration (C.F. 1re inst.; IMM-2225-98; le 16 avril 1999) et Wang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration (C.F. 1re inst.; IMM-1024-98; le 16 avril 1999).

QUESTION 1 :      L'agent des visas avait-elle compétence pour se prononcer sur la demande de visa du demandeur?

[8]      Sur cette question, M. Leahy plaide que l'agent des visas n'avait pas compétence pour se prononcer sur la demande de visa du demandeur parce que la création du CRP n'a pas de fondement statutaire. Or, ce service administratif permettait aux agents de faire traiter les demandes par un Consulat du Canada de leur choix, et de ne pas tenir compte des préférences des demandeurs de voir leur demande traitée par un consulat donné. Il a aussi plaidé que si l'agent des visas avait compétence au départ pour traiter le dossier du demandeur, elle l'avait perdue en ne prenant pas sa décision dans la période de douze semaines fixée par le CRP pour le traitement du dossier, selon l'information transmise au demandeur.

[9]      Pour les mêmes motifs que j'ai énoncés dans Chen, précitée, je considère que ces arguments ne sont pas fondés.

QUESTION 2 :      L'agent des visas a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la Préparation professionnelle spécifique (PPS) du demandeur, et en refusant d'examiner l'expérience du demandeur dans la profession visée de premier chef parce qu'il ne satisfaisait pas au facteur PPS?

[10]      Dans son approche, l'agent des visas a décidé qu'avant d'évaluer l'expérience du demandeur dans sa profession visée sous le facteur expérience de l'Annexe I du Règlement, elle devait déterminer si ses études et sa formation répondaient aux critères de PPS prévus pour la profession de premier chef. L'agent des visas a conclu que la documentation fournie par le demandeur à l'appui de sa demande ne faisait état que de l'année de formation structurée reçue à l'École civique de cuisine générale de Fuzhou. Il faut au moins quatre années de formation pour obtenir les 18 points PPS prévus pour la profession de premier chef.

[11]      L'avocat du ministre a admis que la formation sur le tas pouvait faire partie de la formation requise pour cette profession : Nakamine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) (1998), 41 Imm. L.R. (2d) 255 (C.F. 1re inst.). Le demandeur n'a toutefois présenté aucune preuve qu'il avait reçu une telle formation. L'avocat du ministre a plaidé que les années de travail dans un restaurant ne pouvaient se substituer à une formation sur le tas structurée et encadrée. Comme l'agent des visas aurait examiné toute preuve produite quant à la formation en cause, je ne peux conclure qu'elle a commis une erreur de droit en évaluant ainsi le PPS du demandeur.

[12]      M. Leahy va plus loin en plaidant que l'agent des visas a commis une erreur de principe quant elle a évalué la PPS du demandeur. Elle aurait dû, selon lui, évaluer d'abord l'expérience du demandeur comme premier chef; ensuite, si elle avait conclu qu'il possédait de l'expérience dans la profession visée, elle devait automatiquement lui accorder les 18 points d'appréciation PPS prévus pour cette profession. En d'autres mots, il a plaidé que les points accordés pour la PPS le sont en fonction de la profession, et non de l'évaluation des études et de la formation de la personne en cause.

[13]      Pour les motifs que j'ai exposés dans Chen, précitée, je ne suis pas d'avis que l'approche de M. Leahy à l'Annexe I est la bonne : voir aussi Hanif c. Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration (C.F. 1re inst.; IMM-3744-97; le 29 janvier 1998). En fait, il me semble que l'analyse de l'agent des visas touche la vraie question de plus près que celle de M. Leahy, savoir la probabilité que le demandeur réussisse son installation au Canada.

[14]      De plus, en l'absence de toute preuve que le demandeur est qualifié pour d'autres professions, un agent des visas n'est aucunement tenu de l'évaluer par rapport à une profession qui n'est pas celle qui est visée et qui n'en fait pas partie : Manji c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration (C.F. 1re inst.; T-1267-92; le 21 avril 1993). L'agent des visas n'a donc pas commis d'erreur en n'examinant pas le dossier de M. Lu pour la profession de chef, plats exotiques.

QUESTION 3 :      L'agent des visas a-t-elle commis une erreur de droit dans le calcul des points d'appréciation à accorder au demandeur en vertu du Facteur études et formation (FEF) prévu dans la CNP?

[15]      Dans le calcul des points d'appréciation FEF, l'agent des visas a utilisé les données fournies par le logiciel que tous les agents doivent utiliser dans ce cas, sans procéder personnellement à une évaluation des études et de la formation de M. Lu. La méthode utilisée par l'agent a consisté à trouver, dans l'Index études et formation (IEF) la valeur numérique assignée à la profession du demandeur dans la CNP, savoir : " 4+ ". En utilisant le logiciel prescrit, elle a converti ce chiffre en 7 points d'appréciation FEF.

[16]      L'argument avancé par M. Leahy est que comme un IEF de " 4+ " est à l'évidence plus que " 4 ", chiffre qui justifie 7 points FEF, mais moins que les " 5 " qui auraient valu 15 points d'appréciation FEF, l'agent des visas aurait dû faire une évaluation indépendante des études et de la formation du demandeur. Elle aurait pu alors, sur la foi de cette évaluation, décider ou placer le demandeur sur une échelle allant de 8 à 14 points d'appréciation.

[17]      Je ne suis pas de cet avis. L'agent des visas n'est pas tenu d'examiner comment les valeurs IEF sont transformées en points d'appréciation FEF. En fait, comme l'avocat du ministre l'a fait ressortir, rien dans la preuve qui m'est présentée ne permet de savoir ce qu'une valeur IEF de " 4+ " veut vraiment dire. Comme la CCP est intégrée au Règlement, il est clair qu'on ne peut prétendre que l'agent a restreint son pouvoir discrétionnaire de façon indue en l'appliquant. Je ne suis pas convaincu que la technique que les agents de visas doivent utiliser pour calculer les points d'appréciation FEF soit assimilable à une interprétation fautive de la législation ou à une restriction indue du pouvoir discrétionnaire. Elle n'est pas non plus clairement déraisonnable.

[18]      Je constate pourtant qu'il est paradoxal que le ministre plaide qu'il est nécessaire d'examiner la formation reçue par un demandeur pour calculer ses points d'appréciation PPS en vertu de la CCDP, alors que les points d'appréciation FEF sont calculés en application de la CNP en utilisant des données génériques et non une évaluation individualisée. L'existence de ce paradoxe ne veut toutefois pas dire que c'est une erreur de droit de la part du défendeur de conclure que la CCDP et la CNP exigent différentes méthodes d'évaluation.

QUESTION 4 :      L'agent des visas a-t-elle commis une erreur en évaluant le facteur études à dix points d'appréciation, plutôt qu'à 13 points?

[19]      Ceci me semble être le meilleur argument du demandeur. M. Leahy a plaidé que l'agent des visas avait commis un manquement à l'équité procédurale en concluant, sur la foi de la documentation fournie par le demandeur au vu des précisions que contient la formule de demande quant aux documents qui doivent être fournis, que le demandeur n'avait pas droit à 13 points d'appréciation comme le croyait son avocat. Si l'agent croyait que le diplôme d'études secondaires n'était pas de ceux qui rendent le titulaire admissible à des études universitaires et que le programme d'un an à l'école de cuisine de Fuzhou n'avait pas comme prérequis la détention d'un diplôme de ce genre, elle aurait dû informer le demandeur quant à la nature de ses préoccupations et l'inviter à faire valoir son point de vue.

[20]      J'ai examiné des questions très similaires dans Chen, précitée, et Wang, précitée, et conclu que la difficulté n'était pas attribuable au fait que le demandeur n'avait pas produit la preuve requise par l'agent des visas pour qu'il puisse recevoir le nombre le plus élevé de points sous le facteur études de l'Annexe I du Règlement. M. Lu ayant fourni les documents mentionnés dans la documentation sur les demandes, l'agent n'aurait pas dû tirer une conclusion négative parce que certains autres renseignements au sujet du dossier scolaire de M. Lu n'étaient pas disponibles, du moins pas avant d'en avoir fait part à ce dernier et de l'avoir invité à s'expliquer ou à fournir la preuve requise.

[21]      Compte tenu des réponses que j'ai données aux autres questions soulevées par le demandeur, il est clair que même si ce dernier avait reçu les trois points additionnels sous le facteur études le résultat final aurait été le même. Compte tenu de mon pouvoir discrétionnaire en l'instance, je ne suis pas disposé à annuler la décision de l'agent des visas pour cause de manquement à l'équité procédurale.

QUESTION 5 :      L'agent des visas a-t-elle commis une erreur en n'envisageant pas la possibilité d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement?

[22]      M. Leahy a plaidé que les agents des visas doivent toujours envisager la possibilité d'exercer le pouvoir discrétionnaire que leur confère le paragraphe 11(3) du Règlement. Cette disposition permet à un agent des visas de délivrer un visa à une personne qui n'a pas obtenu le nombre requis de points d'appréciation à l'examen des facteurs de l'Annexe I, s'il est d'avis que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances du demandeur de réussir son installation au Canada.

[23]      M. Lu n'a pas demandé à l'agent des visas d'envisager la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Dans Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration (C.F. 1re inst.; IMM-4458-97; le 31 août 1998), le juge Rothstein (c'était alors son titre) a conclu que l'agent des visas peut exercer de son propre chef le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3). Il a aussi dit :


                 Mais si c'est le demandeur qui veut qu'il l'exerce, il semblerait qu'il faut qu'il en fasse la demande sous une forme ou sous une autre. Bien qu'il n'y ait pas une formule réglementaire à employer, il devrait à tout le moins présenter quelques bonnes raisons pour soutenir que la décision relative aux points d'appréciation ne reflète pas ses chances d'établissement au Canada. Il n'y a eu aucune demande de ce genre en l'espèce.                 

[24]      Compte tenu de l'aspect résiduel du paragraphe 11(3) dans le cadre légal général qui gouverne le choix des immigrants, dont l'un des objectifs est d'éviter autant que possible l'exercice par les agents des visas d'un pouvoir peu structuré et potentiellement arbitraire en procédant au cas par cas, je concours à l'avis exprimé dans Lam.

[25]      En conséquence, comme M. Lu ne lui a pas demandé d'avoir recours à son pouvoir discrétionnaire, l'agent des visas n'a pas commis une erreur de droit en n'examinant pas la possibilité de l'exercer. Je ne crois pas non plus que l'agent a commis une erreur en ne considérant pas la lettre de M. Leahy, sollicitant que la demande de M. Lu soit traitée avec compassion au vu de motifs humanitaires, comme une demande qu'elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3).


D.      CONCLUSION

[26]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu de mes conclusions sur les questions en cause, ainsi que d'autres facteurs prévus à la Règle 400(3) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, je n'accorde pas de dépens dans cette cause.

TORONTO (ONTARIO)      " John M. Evans "

    

Le 16 avril 1999                                  J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-643-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MINZHONG LU,

     demandeur,

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

DATE DE L'AUDIENCE :                  MARDI 26 JANVIER 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE EVANS

EN DATE DU :                      VENDREDI 16 AVRIL 1999

ONT COMPARU :                      M. Timothy Leahy

                            

                                 pour le demandeur

                            

                             M me Andrea Horton

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Timothy Leahy

                             408-5075, rue Yonge

                             Toronto (Ontario)

                             M2N 6C6

                            

                                 pour le demandeur

                             Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

                                 pour le défendeur

                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990416

                        

         Dossier : IMM-643-98

                             Entre :

                             MINZHONG LU,

                            

                                 demandeur,

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE     

                            

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.