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Date : 20030424

Dossier : IMM-4235-02

Référence : 2003 CFPI 479

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                             ZSUZSANNA MOLNAR

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Mme Zsuzsanna Molnar (la demanderesse), une citoyenne de la Hongrie, est arrivée au Canada en juillet 1999. Le 1er octobre 2000, elle s'est mariée avec Daniel Golden, un citoyen canadien. Le 15 décembre 2000, la demanderesse a présenté une demande de parrainage et une demande de prise en compte de raisons d'ordre humanitaire (la demande CH). Il y a eu de nombreux malentendus et des avis non livrés au cours du traitement de la demande. Le 14 mars 2002, l'agente principale (l'AP) a rejeté la demande CH de la demanderesse. La demanderesse a tenté, par divers moyens, de faire rouvrir le dossier CH pour que des éléments de preuve additionnels que l'AP n'avait pas reçus soient examinés. Une dernière demande, faite par écrit le 27 août 2002 par la belle-mère de la demanderesse , fut suivie le lendemain de la réponse suivante écrite à la main :

[traduction]

Dossier fermé. Ne peux être rouvert. Ils peuvent toutefois présenter une autre demande CH. [signature illisible] 28-8-02

[2]                 La demanderesse vise à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision de fermer son dossier.

Le contexte

[3]                 Le principal point qui sous-tend la présente demande est que, le 30 janvier 2002, l'AP a expédié une lettre à la demanderesse (la lettre du 30 janvier 2002), mais à la mauvaise adresse. Dans cette lettre, elle lui demandait des renseignements et des documents additionnels à lui être envoyés dans les 30 jours. Une copie de cette lettre a également été envoyée à son avocat, quoiqu'il y ait également des témoignages contradictoires concernant le fait de savoir si la demanderesse avait avisé Citoyenneté et Immigration (CIC) du changement d'avocat avant la lettre du 30 janvier 2002. N'ayant reçu aucun renseignement additionnel, l'AP a traité la demande en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait alors.


[4]                 Il y a des renseignements contradictoires dans les affidavits de la demanderesse et de l'AP quant à la question de la bonne adresse. Les inscriptions du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) joints à l'affidavit de l'AP indiquent qu'il y a eu de nombreux changements d'adresse pour la demanderesse. Dans son affidavit, la demanderesse déclare qu'elle vit à la même adresse depuis le mois de mars 2000.

[5]                 En outre, selon l'affidavit de la demanderesse, elle aurait téléphoné à CIC en février 2001 pour aviser qu'elle ne serait plus représentée par son avocat d'alors, Josef Sarkozi. Elle a avisé par écrit le bureau de CIC de cette décision dans les deux semaines qui ont suivi. Dans son affidavit, l'AP fait remarquer qu'il n'y a aucune inscription dans le SSOBL selon laquelle le télécentre de CIC a reçu cet appel téléphonique ou cette lettre. Selon l'AP, les appels de ce genre sont enregistrés dans le SSOBL.

Les questions en litige

[6]                 La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

           1.         Est-ce que l'AP a violé les principes d'équité en refusant de rouvrir la demande de parrainage de la demanderesse, compte tenu que le dossier de la demande a été fermé en raison d'une erreur administrative commise par le défendeur, laquelle erreur ressortait clairement au vu du dossier?

           2.         L'AP a-t-elle agi de mauvaise foi?

           3.         Est-ce que le défendeur a omis de respecter la théorie de l'expectative légitime?


Analyse

[7]                 Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de ne pas faire droit à la présente demande.

Première question : Est-ce que l'AP a violé les principes d'équité en refusant de rouvrir la demande de parrainage de la demanderesse?

[8]                 La demanderesse soumet que l'AP a violé son obligation d'agir avec équité (Chhokar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 173 (1re inst.) (QL); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817) en refusant de rouvrir son dossier, alors que le motif de fermeture du dossier était le défaut de la demanderesse de répondre à une demande qui, à cause de la propre erreur du défendeur, a été expédiée à une mauvaise adresse et que la demanderesse n'a jamais reçue. L'AP avait l'obligation de donner à la demanderesse l'occasion de répondre à tous les renseignements défavorables qu'elle avait reçus ou à tous les doutes qui étaient apparus au cours du processus de demande (Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.)).


[9]                 Quoique la demanderesse renvoie à la « fermeture » de son dossier comme une conséquence de son défaut de répondre à une demande de renseignements additionnels, je ferais une description différente des faits. Le défaut de la demanderesse de répondre à la lettre du 30 janvier 2002 n'a pas occasionné la fermeture de son dossier. Son défaut de répondre et de fournir des renseignements additionnels a plutôt fait en sorte que l'AP prenne la décision CH défavorable qu'elle a prise en se fondant sur les renseignements qui se trouvaient déjà dans le dossier. Le dossier de la demanderesse a donc été fermé parce qu'une décision finale avait été rendue et non à cause de son défaut de répondre à la correspondance de l'AP. Par conséquent, la question importante est de savoir si l'AP avait le pouvoir de rouvrir une demande CH une fois que la décision finale avait été rendue.

[10]            La demanderesse n'a fait référence à aucune autorité qui appuierait la prétention selon laquelle l'AP peut rouvrir une demande CH une fois que la décision finale a été rendue. Selon l'affidavit de l'AP, le manuel IP5 mentionne que, une fois qu'une décision est rendue concernant une demande CH, elle est finale et ne peut être rouverte. La Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses règlements n'abordent pas cette question.

[11]            Aux fins de la présente analyse, j'ai tenu pour acquis, sans en décider, qu'une demande CH peut être rouverte après qu'une décision finale a été rendue s'il existe des éléments de preuve que les principes de justice naturelle ou d'équité n'ont pas été respectés.


[12]            Il est très embêtant que les affidavits en l'espèce soient complètement contradictoires. Malheureusement, aucune des parties n'a mené de contre-interrogatoire sur ces affidavits. Si elles l'avaient fait, je suppose qu'un certain nombre de questions auraient pu être clarifiées. Je n'ai donc pas le choix : il me faut décider quelle version des événements doit être préférée à l'autre.

[13]            En ce qui a trait à l'adresse de la demanderesse, je remarque que ni l'affidavit de l'AP ni le dossier certifié du tribunal ne fournissent d'élément de preuve satisfaisant concernant la manière ou la raison pour laquelle certains changements ont été faits à l'adresse de la demanderesse. À cet égard, je ne pense pas qu'il soit suffisant de déclarer simplement que le système SSOBL enregistre chaque appel téléphonique; j'aurais préféré voir, pour chaque changement d'adresse, une note additionnelle expliquant la raison pour laquelle il a été fait. Certaines des entrées du SSOBL sont simplement inexplicables. Par conséquent, je conclus que le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n'a jamais avisé CIC d'un changement d'adresse est préférable à celui de l'AP. En d'autres mots, je suis d'avis que le défendeur a commis une erreur en envoyant la lettre du 30 janvier 2002 à la mauvaise adresse.

[14]            Cette conclusion ne me conduis toutefois pas à conclure automatiquement qu'il y a eu violation des principes de justice naturelle. Le défendeur soutient que le fait que la lettre du 30 janvier 2002 ait aussi été envoyée à l'avocat de la demanderesse, M. Josef Sarkozi, était suffisant. Par conséquent, je dois également examiner les éléments de preuve sur ce point.


[15]            Il n'y a aucun élément de preuve selon lequel M. Sarkozi n'aurait pas reçu la lettre du 30 janvier 2002. Au moment où elle a rendu sa décision concernant la demande CH, l'AP ne disposait pas non plus d'élément de preuve selon lequel M. Sarkozi aurait omis de transmettre la lettre à la demanderesse. À mon avis, cela appuie la conclusion selon laquelle la demanderesse a reçu la lettre par l'entremise de son avocat d'alors. Dans son affidavit, la demanderesse prétend avoir avisé CIC de son changement d'avocat par téléphone et par une lettre de confirmation. Ni le dossier certifié du tribunal ni les notes du SSOBL n'appuient cette prétention. Malgré que j'entretienne certains doutes concernant le système SSOBL, je suis convaincue qu'il ne serait pas plausible que CIC omette d'inscrire un appel téléphonique de même qu'une lettre reçue dans un dossier actif. Par conséquent, je préfère l'affidavit de l'AP sur ce point et je conclus que CIC n'a jamais été informé du changement d'avocat.

[16]            Il en résulte que la décision de l'AP de fonder sa décision CH sur les documents déjà au dossier n'a pas violé les principes de justice naturelle ou d'équité et que, par conséquent, l'AP n'avait pas le pouvoir de rouvrir la demande CH.

Deuxième question : L'AP a-t-elle agi de mauvaise foi?


[17]            Selon ce que prétend la demanderesse, l'AP a tiré une conclusion abusive et arbitraire et a agi de mauvaise foi lorsqu'elle a conclu qu'il n'y avait pas eu d'erreur administrative et qu'aucune lettre n'avait été retournée au bureau de CIC suite à un défaut de livraison. Une fois que l'AP a été mise au courant de cette erreur, son défaut d'offrir à la demanderesse une occasion de fournir les documents que l'AP lui avait demandés auparavant est le signe de sa mauvaise foi et une violation du principe d'équité.

[18]            Je ne vois aucun élément de preuve qui appuierait ces allégations de la demanderesse. Je suis convaincue que l'AP n'a pas agi de mauvaise foi.

Troisième question : Est-ce que le défendeur a omis de respecter la théorie de l'expectative légitime?

[19]            Au bout du compte, la demanderesse soutient qu'elle a été amenée à croire que sa demande était traitée correctement, et que, par conséquent, elle avait une expectative légitime que rien dans la loi n'excluait (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.); Baker, précité). Cette expectative et son droit à l'équité procédurale n'ont pas été respectés le 13 mai 2002 lorsque le défendeur a informé la demanderesse que son dossier avait été fermé.


[20]            La théorie de l'expectative légitime prévoit que les pouvoirs publics peuvent être tenus de se conformer à leurs engagements quant à la procédure qu'ils suivront. Toutefois, ils ne peuvent, de ce fait, entrer en conflit avec leurs obligations et faire fi des exigences de la loi. Cette théorie est de nature procédurale et ne crée pas de droits substantiels (Lidder, précité). Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur les expectatives légitimes d'une personne qui contestait la décision d'un agent d'immigration. S'exprimant au nom de la majorité des juges de la Cour, Mme le juge L'Heureux-Dubé a déclaré que si un revendicateur a une expectative légitime qu'une certaine procédure sera suivie, cette procédure sera alors requise au regard de l'obligation d'équité.

[21]            À mon avis, l'AP a suivi la procédure à laquelle la demanderesse s'attendait. Rien n'indique que sa demande n'a pas été traitée correctement. Quoique la demanderesse ait été mal informée par deux agents d'immigration non identifiés à la fin du mois de mars 2002 et à la mi-avril 2002, les informations données n'ont pas créé, à mon avis, d'expectative légitime qui n'aurait pas été respectée. La preuve indique que l'AP a suivi la bonne procédure en rendant la décision CH et qu'elle a correctement refusé d'accueillir la demande de la demanderesse et de rouvrir cette demande.

Conclusion

[22]            Quoique la situation soit malheureuse, il n'y a pas eu, selon moi, de violation des principes de justice naturelle ou quelque autre erreur suffisamment importante permettant de renverser la décision de l'AP. Je note cependant que rien n'empêche la demanderesse de présenter une autre demande CH et d'y joindre tous les renseignements nécessaires à sa revendication.


Questionpour la certification

[23]            Aucune des parties n'a proposé de question pour la certification. Aucune question ne sera donc certifiée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                « Judith A. Snider »                

JUGE

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


            COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            IMM-4235-02

INTITULÉ :                                           ZSUZSANNA MOLNAR

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MERCREDI 16 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :           LE JEUDI 24 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :              Elizabeth Jaszi

Pour la demanderesse

Marcel Larouche

Pour le défendeur

                                                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Elizabeth Jaszi

                                            Avocate

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

             Date : 20030424

   Dossier : IMM-4235-02

ENTRE :

ZSUZSANNA MOLNAR

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                       défendeur

                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                            

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