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Date : 20051128

Dossier : T-537-03

Référence : 2005 CF 1604

Toronto (Ontario), le 28 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL                                   

ENTRE :

nm

                                                             CAROLE GAUDES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans la présente demande, la demanderesse sollicite, en vertu de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, un jugement déclaratoire portant qu'elle a droit rétroactivement au salaire qui ne lui a pas été versé de 1985 à 1998 en sa qualité d'employée de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). La demanderesse soutient essentiellement qu'elle a droit à un certain salaire rétroactif par suite d'une décision prise en 1975 par le Conseil du Trésor du Canada (le Conseil du Trésor) en application de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10, qui s'appliquait et qui déterminait sa rémunération. Pour les motifs exposés ci-après, je conclus à l'inexistence d'un tel droit.


A. Les faits

[2]                Employée civile de la GRC, la demanderesse travaille depuis 1982 comme technicienne de l'identité judiciaire au sein du groupe Technicien des laboratoires judiciaires et Technicien de l'identité judiciaire (le groupe FLI-FIT). Le groupe FLI-FIT étant exclu de la négociation collective, il appartient au Conseil du Trésor, en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, d'établir la rémunération de ce groupe :

Fixation par le Conseil du Trésor

22. (1) Le Conseil du Trésor établit la solde et les indemnités à verser aux membres de la Gendarmerie.

Pay and allowances

22. (1) The Treasury Board shall establish the pay and allowances to be paid to members.                    

[3]                Le Conseil du Trésor a effectivement déterminé, en application de l'alinéa 7(1)d) de la Loi sur l'administration financière, le traitement du groupe FLI-FIT :



Pouvoirs du Conseil du Trésor

7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout texte législatif, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publique, et sans limiter la généralité des articles 5 et 6,

[...]

d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique en retour des services rendus, la durée du travail et les congés de ces personnes ainsi que les questions connexes;

[...]

Powers of the Treasury Board

7. (1) Subject to the provisions of any enactment respecting the powers and functions of a separate employer but notwithstanding any other provision contained in any enactment, the Treasury Board may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management including its responsibilities in relation to employer and employee relations in the public service, and without limiting the generality of sections 5 and 6,

[...]

(d) determine and regulate the pay to which persons employed in the public service are entitled for services rendered, the hours of work and leave of such persons and any matters related thereto;

[...]

[4]                En 1975, le Conseil du Trésor a décidé que la rémunération du groupe FLI-FIT serait fixée selon une méthode de « postes témoins » , qui consiste à établir une correspondance entre le groupe professionnel « Commis aux écritures et règlements » (CR) de la fonction publique et le groupe FLI-FIT : la rémunération au niveau inférieur du groupe FLI-FIT (FIT-01) correspond à celle du niveau supérieur du groupe CR (CR-5), les quatre niveaux au sein du groupe FLI-FIT étant rajustés en conséquence. Il a aussi été décidé que les taux de rémunération du groupe FLI-FIT seraient rajustés en fonction des modifications des taux du groupe CR-5, afin de maintenir la comparabilité des salaires. En conséquence de ce système de rémunération, en vigueur depuis 30 ans, la demanderesse a eu droit aux mêmes augmentations salariales que les membres du groupe CR-5. Il convient de souligner que le Conseil du Trésor a consenti de son propre gré en 1990 des rajustements paritaires prospectifs et rétroactifs, reconnaissant ainsi l'existence de la discrimination fondée sur le sexe dans la fonction publique fédérale.

[5]                La présente demande de salaire rétroactif s'appuie sur la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] D.C.D.P. no 6; cette décision a été rendue à la suite de plaintes de discrimination fondée sur le sexe déposées après les rajustements paritaires volontaires de 1990. Dans la décision du TCDP de 1998, six groupes professionnels de la fonction publique fédérale, dont le groupe CR-5, ont reçu une indemnisation prospective et rétroactive pour discrimination fondée sur le sexe. La décision du TCDP a été analysée et appliquée au groupe FLI-FIT, qui a reçu en conséquence une augmentation prospective de salaire semblable à celle accordée au groupe CR-5, mais non le salaire rétroactif correspondant à celui versé au groupe CR-5. Les motifs invoqués par le Secrétariat du Conseil du Trésor à cet égard sont exposés plus loin.

1. Nature de la décision du TCDP

[6]                L'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP), prévoit ce qui suit :



Disparité salariale discriminatoire

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

[...]

Définition de « salaire »

(7) Pour l'application du présent article, « salaire » s'entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment :

a) des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;

b) de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;

c) des rétributions en nature;

d) des cotisations de l'employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d'assurance contre l'invalidité prolongée et aux régimes d'assurance-maladie de toute nature;

e) des autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur.

Equal Wages

11(1) It is a discriminatory practice for an employer to establish or maintain differences in wages entre male and female employees employed in the same establishment who are performing work of equal value.

[...]

Definition of "wages"

(7) For the purposes of this section, "wages" means any form of remuneration payable for work performed by an individual and includes

(a) salaries, commissions, vacation pay, dismissal wages and bonuses;

(b) reasonable value for board, rent, housing and lodging;

(c) payments in kind;

(d) employer contributions to pension funds or plans, long-term disability plans and for all forms of health insurance plans; and

(e) any other advantage received directly or indirectly from the individual's employer.

[7]                Le TCDP a compétence, en vertu de l'alinéa 53(2)c) de la LCDP, pour rendre une ordonnance s'il conclut à l'existence d'un acte discriminatoire :



Plainte jugée fondée

(2) À l'issue de l'instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

[...]

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;

[...]

[Non souligné dans l'original.]

Complaint Substantiated

(2) If at the conclusion of the inquiry the member of panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate :

[...]

(c) that the person compensate the victim for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice;

[...]

[empasis added]

[8]                En ce qui concerne sa compétence pour ordonner une indemnisation rétroactive en application de l'alinéa 53(2)c), le TCDP applique, au paragraphe 431 de sa décision, la décision du juge Hugessen dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.F.) [Fonds non publics] :

Le juge Hugessen a commenté, dans l'affaire Fonds non publics, supra, la portée de l'alinéa 53(2)c) de la Loi, eu égard à la compétence d'un tribunal d'ordonner que soit pleinement indemnisé un plaignant victime d'un acte discriminatoire. Le juge Hugessen a critiqué le Tribunal des droits de la personne soulignant qu'il « a adopté, de façon absurde, une approche tellement minimaliste de ses pouvoirs d'accorder réparation » (alinéa 20, page 90), en rejetant qu'il devait y avoir rajustement salarial rétroactif. Voici les observations du juge Hugessen concernant l'alinéa 53(2)c) (paragraphe 20) :


Selon moi, cette disposition confère simplement et explicitement le pouvoir d'ordonner le paiement à une victime des pertes de salaire qu'elle a subies en raison d'un acte discriminatoire. Pareille ordonnance est nécessairement axée sur le passé et résulte de la réponse donnée à la question suivante : « Quelle est la rémunération dont cette victime a été privée en conséquence de l'acte discriminatoire? » Aucun élément de cette disposition ne justifie l'opinion selon laquelle cette réparation doit être obtenue « à tout le moins de façon minimale » , ou qu'elle ne doit pas remonter au-delà de « la date du dépôt de [la] plainte » . Une plainte pour cause de discrimination renvoie nécessairement à des pratiques antérieures à la plainte même; on peut difficilement se plaindre d'un acte discriminatoire qui ne serait pas encore survenu. Certes, la discrimination peut se poursuivre, de sorte que le Tribunal accordera également réparation pour le futur, mais ce fait ne doit pas occulter la nécessité évidente de réparer le préjudice passé.

L'élément essentiel qu'il faut retenir de cette décision est qu'un paiement rétroactif ordonné par le TCDP équivaut à un rajustement paritaire d'un salaire dû à un employé en conséquence d'une pratique salariale discriminatoire de la part d'un employeur.

[9]                En conséquence, les éléments pertinents de l'ordonnance du TCDP sont les suivants :

À la lumière des constatations susmentionnées quant à la violation de l'article 11 de la Loi, LE TRIBUNAL ORDONNE CE QUI SUIT :

[...]

5.             Que la date du début de la période aux fins du calcul du rajustement salarial rétroactif soit le 8 mars 1985.

6.             Que pour chacune des années de la période de rétroactivité, à savoir la période s'échelonnant du 8 mars 1985 à la date de la présente décision, les rajustements paritaires soient calculés en se fondant sur les données d'évaluation des emplois de 1987-1988 de l'Étude sur la parité salariale et sur les taux salariaux en vigueur lors de chacun des exercices en cause.

7.             Que les rajustements salariaux paritaires pour les périodes postérieures à la présente décision soient consolidés et fassent partie intégrante des salaires.

[...]

2. Motifs du Secrétariat du Conseil du Trésor


[10]            Le Secrétariat du Conseil du Trésor (le Secrétariat) est la branche administrative du Conseil du Trésor et il apporte conseils et soutien aux membres du Conseil. Le Secrétariat a envoyé à la GRC l'opinion suivante, datée du 21 septembre 2000, pour distribution aux membres du groupe FLI-FIT à titre d'explication de la méthode adoptée pour appliquer la décision du TCDP au groupe FLI-FIT :

[traduction]

Exclusion des groupes FLI-FIT et TO de l'application à certains employés civils de la GRC du règlement intervenu en matière d'équité salariale

La rémunération du groupe FLI-FIT de la GRC est établie selon une méthode de « postes témoins » avec le groupe CR dans la fonction publique. Cette méthode est utilisée depuis 1975. Une correspondance est établie entre le taux salarial maximum des FIT-01 et le taux salarial maximum des CR-05. Les autres taux des FIT sont ensuite calculés au moyen de valeurs relatives des postes entre les différents niveaux et échelons.

Le groupe TO a employé une méthode d'échantillonnage qui tient compte de plusieurs groupes de comparaison et une formule de régression pour établir le taux de rémunération.

La GRC invoque cette politique salariale pour étendre aux employés du groupe FIT l'application des dispositions du règlement en matière de parité salariale obtenu par l'AFPC, en fonction des montants de règlement reçus par les employés dans leur groupe témoin PS (CR-05).

Le Secrétariat n'appuie pas cette proposition pour les motifs suivants :

·               La correspondance salariale se fonde sur une comparaison des taux de rémunération. Les taux de rémunération des CR n'ont été modifiés qu'en juillet 1998. Le Secrétariat est en faveur de l'introduction du rajustement pour équité salariale lors de la première révision salariale qui suit l'introduction des versements en juillet 1998, sur la base de la comparabilité de la rémunération. Il s'agit du 1er janvier 1999 pour le groupe FIT. Cette position a été appliquée uniformément pour différents employeurs (lorsqu'on se sert d'une méthode de postes témoins).

·               Les sommes versées rétroactivement (pour la période de 1985 à 1998) par suite du règlement intervenu représentent une indemnisation pour les pertes de salaire attribuables à la discrimination salariale fondée sur le sexe. Cette indemnisation concerne les membres des six groupes professionnels qui étaient parties à la plainte. Toutefois, le Secrétariat appuie l'application des dispositions du règlement, pour des motifs d'équité salariale, aux employés civils dont le travail est classé selon les mêmes normes que les groupes plaignants. Les employés dans les postes équivalents CK et CR effectuent essentiellement le même travail. Les tâches du groupe FLI-FIT se distinguent suffisamment de celles d'un CR pour que le premier ait droit à sa propre norme de classification. C'est ce qui distingue le groupe FLI-FIT des groupes CK, SY, DA et WPO. Il ne semble pas exister de rapports parallèles entre les groupes FLI-FIT et CR.


·               Le règlement intervenu en matière de parité salariale dans la fonction publique n'a aucune incidence directe sur les taux salariaux des groupes professionnels autres que ceux nommés dans la plainte. Un employé qui reçoit 85 %, 100 % ou 150 % du salaire d'un CR-05 dans la fonction publique ne bénéficie pas d'un rajustement de son salaire en raison du règlement sur la parité salariale des CR, mais plutôt en raison de la pratique fondée sur la comparabilité des salaires pour l'avenir.

(Dossier du défendeur, vol. 1, p. 3)

B. Ententes importantes et question à trancher

[11]            Le présent avis de demande modifié sollicite un contrôle très large :

[traduction]

IL S'AGIT D'UNE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE de la décision, ou de l'omission, du Conseil du Trésor du Canada (le Conseil du Trésor) de rajuster les salaires ou de réviser les taux de rémunération des employés faisant partie du sous-groupe de la catégorie Technicien de l'identité judiciaire, au sein du groupe Technicien des laboratoires judiciaires et Technicien de l'identité judiciaire de la GRC (le groupe FLI-FIT), dont la demanderesse, conformément aux rajustements des salaires et aux révisions des taux de rémunération consentis au groupe professionnel Commis aux écritures et règlements de la fonction publique, niveau 5 (le groupe CR-5), en application de l'ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne rendue le 29 juillet 1998 et de l'entente sur la mise en oeuvre de la rémunération paritaire en date du 29 octobre 1999 (les ordonnances du TCDP), et conformément aux décisions et aux directives du Conseil du Trésor énoncées dans les délibérations du Conseil du Trésor 714373 et 737055 (le rajustement salarial), et aux actes et(ou) aux décisions connexes du Secrétariat du Conseil du Trésor (le Secrétariat) qui a omis ou refusé d'obtenir une décision et une autorisation du Conseil du Trésor sur le rajustement salarial et a prétendu prendre, au nom du président du Conseil du Trésor, la décision de refuser de faire le rajustement salarial (les décisions du Secrétariat).

[Non souligné dans l'original.]

(Avis de demande modifié, p. 1)

Toutefois, quelques questions essentielles liées à l'avis de demande modifié ont été réglées d'un commun accord, ce qui a restreint considérablement la portée du présent contrôle.


[12]            Il est admis que le Conseil du Trésor a pris la décision de verser au groupe FLI-FIT l'augmentation salariale prospective consentie au groupe CR-5, mais il est aussi admis que le Conseil du Trésor n'a pas véritablement pris de décision quant au non-versement du salaire rétroactif au groupe FLI-FIT. Il est admis que seul le Conseil du Trésor a compétence pour déterminer la rémunération du groupe FLI-FIT, y compris le salaire rétroactif à l'étude; en fait, il est admis que le Secrétariat n'a pas compétence pour prendre une telle décision.

[13]            Malgré l'absence apparente de prise de décisions de la part de certains ressorts, deux faits sont établis et incontestés sur la question du groupe FLI-FIT et du salaire rétroactif : pour expliquer pourquoi le groupe FLI-FIT ne devrait pas recevoir de salaire rétroactif, le Secrétariat a fourni des motifs qui n'ont pas été contredits et sur lesquels il est possible de s'appuyer pour trancher la présente demande; et le groupe FLI-FIT n'a pas reçu ce salaire rétroactif.

[14]            La demanderesse considère qu'en tant que membre du groupe FLI-FIT, elle a droit au salaire rétroactif. Pour ce qui est du recours au contrôle judiciaire et à l'application de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour faire valoir le droit revendiqué, l'avocate de la demanderesse a convenu, dans le cadre de la présente demande, de ne pas solliciter une ordonnance de mandamus contre le Conseil du Trésor, compte tenu de l'avis du défendeur selon lequel le Conseil du Trésor respectera tout jugement déclaratoire rendu par de la Cour sur le droit du groupe FLI-FIT au rajustement rétroactif des salaires (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, paragraphe 22).

[15]            Le pouvoir de la Cour de rendre un jugement déclaratoire est prévu à l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales :


Pouvoirs de la Cour fédérale

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

(b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

[Non souligné dans l'original.]            

Powers of Federal Court

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[Emphasis added]

Au cours de l'audition de la présente demande, je me suis tout d'abord demandé si la Cour a compétence pour trancher la demande, puisque le non-versement du salaire rétroactif au groupe FLI-FIT n'est pas le résultat d'une « décision, ordonnance ou d'un acte » . Après réflexion, toutefois, j'ai indiqué, et les avocats ont reconnu, que la Cour est effectivement habilitée à exercer un pouvoir déclaratoire relativement à la « procédure » en cause, c'est-à-dire le processus par lequel la rémunération du groupe FLI-FIT est déterminée.


[16]            Il n'est pas contesté que les circonstances dans lesquelles un jugement déclaratoire peut être rendu sont très limitées. Le juge Joyal a indiqué dans la décision Dee c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] A.C.F. no 1158 (C.F. 1re inst.), à la page 5, les conditions auxquelles un jugement déclaratoire peut être rendu :

[...] pour toute demande de jugement déclaratoire soumise à la cour, il doit d'abord exister un litige réglable par les voies de justice. Cela revient à dire que le demandeur doit se présenter devant la cour pour faire déterminer les droits que lui reconnaît la loi. Il ne peut, par le biais d'une rédaction méticuleuse, inviter la cour à déclarer des droits qui ne sont pas reconnus par la loi ou persuader par la ruse la cour de rendre des ordonnances qu'elle n'a pas le pouvoir de rendre.

[...]

Sur le sujet des jugements déclaratoires, voici ce que déclare le juge en chef de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Attorney-General of Nova Scotia et al. c. Bedford Service Commission (1976), 72 D.L.R. (3d) 639, à la page 646 :

[traduction]

Il est donc possible de prononcer un jugement déclaratoire pour définir ou déclarer un droit que la loi reconnaît au demandeur [...] La contrepartie de ce principe est que les questions non juridiques concernant la moralité, la politique, le bien-fondé de pratiques administratives (lorsqu'elles ne sont pas illégales) ou la sagesse ou l'équité d'une mesure gouvernementale (lorsqu'elle n'est pas illégale) ne peuvent faire l'objet d'une action en jugement déclaratoire, ni d'ailleurs d'une demande traditionnelle en justice.

[17]            Le jugement déclaratoire sollicité dans la présente demande est le suivant :

[traduction]

La demanderesse demande respectueusement à la Cour d'accorder les ordonnances suivantes :

a) un jugement déclaratoire portant que les salaires du groupe FLI-FIT doivent être rajustés de manière àcorrespondre aux rajustements salariaux offerts au groupe CR-5 de la fonction publique en conséquence de l'ordonnance du TCDP, y compris un rajustement rétroactif des salaires pour la période du 8 mars 1985 au 29 juillet 1998, avec les intérêts (le rajustement rétroactif des salaires);                       

b) un jugement déclaratoire portant que le Conseil du Trésor est tenu de mettre en oeuvre et d'autoriser le paiement du rajustement rétroactif des salaires, conformément à son ordonnance de 1975 sur les salaires du groupe FLI-FIT et aux conditions d'emploi des membres du groupe FLI-FIT.


(Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, paragraphe 54)

À la lumière du libellé de l'alinéa 18.1(3)b), je considère qu'il s'agit d'une demande de jugement déclaratoire portant que le non-versement du salaire rétroactif au groupe FLI-FIT est invalide ou illégal puisque ses membres y avaient pleinement droit.

[18]            La question à laquelle il faut répondre est donc la suivante : les membres du groupe FLI-FIT ont-ils droit au salaire rétroactif?

C. Arguments et analyse de la revendication d'un droit

[19]            Le paragraphe qui suit, tiré des observations écrites de la demanderesse, résume l'essentiel du droit revendiqué :

[traduction]

Le Conseil du Trésor est lié par la loi et son omission d'étendre le paiement des salaires rétroactifs au groupe FLI-FIT constitue une rupture de contrat et un manquement à une obligation légale. Lorsque les mesures prises par le gouvernement sont contraires à la loi ou ne sont fondées sur aucune autorisation législative, la Cour peut rendre un jugement déclaratoire portant sur les droits reconnus par la loi au groupe FLI-FIT.

[Non souligné dans l'original.]

(Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, par. 43)

1. Rupture de contrat

[20]            La demanderesse a déclaré au sujet de la question du contrat :


[TRADUCTION]

J'ai toujours cru que l'une des conditions de mon emploi à titre d'employée civile faisant partie du sous-groupe FLI-FIT était que je recevrais une rémunération fondée sur la comparabilité des salaires avec le groupe CR-5 de la fonction publique, et que mon salaire serait rajusté en fonction de toute correction apportée à la rémunération du groupe CR-5.

(Affidavit de Carole Gaudes, le 22 mai 2003, par. 6)

[21]            À mon avis, la demanderesse comprend correctement la comparabilité des salaires mais, en revanche, elle se trompe quand elle considère que ce facteur est une condition « contractuelle » de son emploi. Comme nous l'avons indiqué au paragraphe 2, le Conseil du Trésor a la responsabilité, en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, d'établir la solde du groupe FLI-FIT; cette responsabilité s'exerce, selon l'alinéa 7(1)d) de la Loi sur l'administration financière, par l'application d'un pouvoir discrétionnaire unilatéral qui, sans l'ombre d'un doute, n'établit aucune relation contractuelle avec la demanderesse.

2. Manquement à une obligation légale


[22]            La demanderesse soutient énergiquement que le groupe FLI-FIT a droit au salaire rétroactif en fonction de « la correspondance salariale » fixée par la décision de 1975 du Conseil du Trésor entre le groupe FLI-FIT et le groupe CR-5. La demanderesse prétend donc que les rajustements salariaux offerts au groupe CR-5 doivent tous, sans distinction, être offerts aussi au groupe FLI-FIT, c'est-à-dire qu'il n'y a absolument aucune différence entre les salaires prospectifs et rétroactifs dont le paiement a été ordonné par le TCDP, et qu'ils auraient dû être tous deux versés au groupe FLI-FIT dans le cadre de la « correspondance salariale » avec le groupe CR-5. La demanderesse affirme, en conséquence, que la distinction faite dans les motifs du Secrétariat pour justifier le non-versement du salaire rétroactif au groupe FLI-FIT est erronée et que, par ailleurs le Conseil du Trésor commet un manquement à une obligation légale en ne versant pas un salaire rétroactif au groupe FLI-FIT.

[23]            Je suis en désaccord pour deux raisons avec l'argument de la demanderesse fondé sur le manquement à une obligation légale,.

[24]            En premier lieu, l'obligation légale du Conseil du Trésor envers le groupe FLI-FIT consiste à agir conformément au paragraphe 22(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada; c'est ce qu'il a fait en exerçant le pouvoir discrétionnaire prévu à l'alinéa 7(1)d) de la Loi sur l'administration financière, ce qui a donné lieu à la décision de 1975. Comme cette décision est l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, l'ordonnance de 1975 ne crée pas en soi une obligation légale qui permet d'invoquer un manquement à cette obligation en ce qui a trait aux rajustements ultérieurs de la rémunération du groupe FLI-FIT, y compris en l'espèce le salaire rétroactif qui n'a pas été payé, ou à l'omission de les rajuster.


[25]            En deuxième lieu, l'argument de la demanderesse selon lequel tous les rajustements de la rémunération offerts au groupe CR-5 doivent aussi être offerts au groupe FLI-FIT est indéfendable. Selon moi, un tel argument ne tient pas compte de la raison qui a poussé le TCDP à rendre l'ordonnance rétroactive.

[26]            Nul ne conteste que, depuis 1975, les rajustements de la rémunération du groupe FLI-FIT ont correspondu aux rajustements apportés à la rémunération du groupe CR-5 afin de maintenir la comparabilité salariale. D'ailleurs, conformément à l'opinion exprimée par le Secrétariat (citée au paragraphe 10 ci-dessus), le groupe FLI-FIT a reçu les augmentations salariales prospectives ordonnées pour les six groupes dont la plainte de discrimination a été accueillie parce que, conformément à la citation au paragraphe 9 ci-dessus, le paragraphe 7 de l'ordonnance précise que « les rajustements salariaux paritaires pour les périodes postérieures à la présente décision [doivent être] consolidés et [faire] partie intégrante des salaires » . Pour ces raisons, je comprends très bien ce qui a incité le Secrétariat à convenir, et le Conseil du Trésor à déterminer, que le groupe FLI-FIT devait bénéficier de l'ordonnance du TCDP, même si rien ne donne à croire que les membres du groupe FLI-FIT aient été victimes de discrimination. On a considéré que l'augmentation salariale prospective « consolidée » pour le groupe CR-5 entraînait une augmentation salariale, et qu'étant donné que les augmentations antérieures offertes au groupe CR-5 avaient été aussi offertes au groupe FLI-FIT, celle-ci devait l'être également.


[27]            Par contre, je suis d'accord avec les motifs du Secrétariat, auxquels a souscrit le défendeur, voulant qu'en ce qui concerne les rajustements paritaires rétroactifs ordonnés par le TCDP en faveur des plaignants ayant obtenu gain de cause, ces paiement doivent être considérés comme une réparation pour la perte de salaire attribuable à la discrimination fondée sur le sexe et non comme une simple augmentation de salaire. Ainsi, même si les membres du groupe CR-5 ont tiré un gain de cet élément de la décision du TCDP, les membres du groupe FLI-FIT n'avaient pas pour leur part subi la discrimination fondée sur le sexe et ne peuvent prétendre à une rémunération rétroactive; en d'autres termes, la correspondance dans la rémunération ne s'applique pas en l'espèce.

D. Conclusion quant à la revendication d'un droit

[28]            Pour les motifs susmentionnés, je conclus que les membres du groupe FLI-FIT n'ont pas droit à une rémunération rétroactive. Par conséquent, j'estime que rien ne justifie de rendre le jugement déclaratoire demandé.

[29]            En conséquence, la présente demande est rejetée.

E. Dépens


[30]            À l'audience sur la présente demande, les avocates de la demanderesse et du défendeur ont convenu que les dépens devraient suivre l'issue de la cause et être taxés conformément à la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales. L'avocate du défendeur a toutefois demandé qu'advenant le cas où la présente demande serait tranchée en faveur de son client, la possibilité soit donnée aux parties de négocier le montant des dépens avant qu'il soit nécessaire de préparer un mémoire de dépens. Je conviens que si les parties parviennent à s'entendre sur le paiement des dépens, la mise en oeuvre de cette entente permettra de satisfaire à l'ordonnance sur les dépens.

                                        ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

J'adjuge les dépens en faveur du défendeur, conformément à la colonne III du tarif B.

      « Douglas R. Campbell »    

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-537-03

INTITULÉ :                                                    CAROLE GAUDES

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 28 NOVEMBRE 2005                   

COMPARUTIONS :             

Mme E. Beth Eva                                              POUR LA DEMANDERESSE

Mme Anne M. Turley                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Fillmore Riley LLP,

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR


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