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Date : 20050121

Dossier : IMM-9488-03

Référence : 2005 CF 70

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                      EREZ SHLOMO ELBARNES

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 26 janvier 2004. La Commission a décidé que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a considéré qu'Israël ne pouvait pas protéger le défendeur?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable en évaluant la crainte subjective de persécution du défendeur?

[3]                Je dois répondre par la négative à ces deux questions pour les motifs qui suivent.

DÉCISION CONTESTÉE

[4]                La Commission était convaincue que les lettres produites par le défendeur au soutien de sa demande et un certain nombre d'autres documents confirmaient la réputation de ce dernier et sa position au sein du mouvement juif anti-sioniste ultra-orthodoxe. Elle a conclu que le témoignage du défendeur semblait sincère et pertinent. Par conséquent, elle a jugé que le défendeur était crédible.


[5]                La Commission n'a tiré aucune conclusion défavorable au regard de la crainte subjective du défendeur, même si celui-ci a attendu plus de deux ans après son arrivée au Canada pour demander l'asile. Le défendeur a expliqué qu'il se trouvait légalement au Canada et qu'il ne craignait donc pas d'être renvoyé dans son pays. La Commission a considéré que cette explication était suffisante pour justifier le délai qui s'était écoulé avant que le défendeur ne demande l'asile.

[6]                La Commission croyait qu'il était raisonnable de conclure que les autorités d'Israël jugeaient dangereuses les idées défendues par le défendeur étant donné que celui-ci était un rabbin. Elle a conclu que la preuve démontrait clairement que le défendeur avait été persécuté en raison de ses opinions et que sa crainte était fondée.

[7]                En outre, la Commission était d'avis que l'État d'origine du défendeur ne pouvait pas et ne voulait pas le protéger et avait même contribué à le diffamer le plus possible aux yeux du public. Elle est arrivée à cette conclusion parce que les idées transmises par le défendeur étaient nettement défavorables à l'existence d'Israël en tant que pays indépendant.

[8]                Finalement, elle a conclu, en conformité avec l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 10 Imm. L.R. (3d) 171 (la Commission renvoie par erreur à la p. 111 dans sa décision) rendu par la Cour d'appel fédérale sur la même question, que l'alinéa 1Fb) ne s'appliquait pas au défendeur en l'espèce. En conséquence, elle lui a accordé le statut de réfugié.


ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a considéré qu'Israël ne pouvait pas protéger le défendeur?

[9]                La norme de contrôle applicable en ce qui a trait à la question de la protection de l'État est celle de la décision manifestement déraisonnable (Czene c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 912 (1re inst.) (QL), 2004 CF 723, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Abad, [2004] A.C.F. no 1065 (1re inst.) (QL), 2004 CF 866). Dans de telles circonstances, la Cour fédérale peut intervenir seulement si elle est convaincue que la Commission a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C 1985, ch. F-7).

[10]            Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'un État devrait fournir à ses ressortissants. Il ne peut s'appliquer que si la protection ne peut pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées s'adressent à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant de solliciter la protection d'autres États (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 18).

[11]            Il incombe au revendicateur du statut de réfugié de prouver qu'il craint avec raison d'être persécuté dans son pays. Pour le faire, il ne doit pas seulement établir qu'il a une crainte subjective de persécution dans son État d'origine. Il doit aussi démontrer que sa crainte a un fondement objectif. C'est à cette étape que l'incapacité de l'État de le protéger devrait être examinée. Si un État est capable de protéger le revendicateur, alors, objectivement, la crainte de ce dernier n'est pas fondée (Ward, précité, au paragraphe 25). Par conséquent, si la protection de l'État existe, il n'y a aucune raison pour laquelle le revendicateur ne voudrait pas ou ne pourrait pas s'en prévaloir.

[12]            Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Smith, [1999] 1 C.F. 310 (1re inst.), la Cour fédérale a répété ce que la Cour suprême avait dit dans Ward, précité. Un revendicateur du statut de réfugié doit présenter une preuve « claire et convaincante » de l'incapacité de l'État d'assurer sa protection. Sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il faut présumer que l'État est capable de protéger un revendicateur. Si l'État en question est un État démocratique, le revendicateur ne doit pas simplement démontrer qu'il est allé voir certains policiers et que ses efforts ont été vains. Plus les institutions d'un État sont démocratiques, plus le revendicateur doit avoir épuisé toutes les voies d'action qui lui sont offertes.

[13]            Dans Zhuravlvev c. Canada, [2000] 4 C.F. 3 (1re inst.), le juge Pelletier (alors juge à la Cour fédérale) a déclaré ce qui suit au paragraphe 19 :


... la question de la protection de l'État est une question de degré. Lorsqu'il est démontré que l'État est l'agent persécuteur, il n'est pas nécessaire de déterminer l'étendue ou l'efficacité de la protection fournie par l'État; cette protection est par définition absente. Si l'agent persécuteur n'est pas l'État, comme dans l'affaire Ward, il est rare qu'il soit possible de répondre d'une façon catégorique, par un oui ou par un non, à la question de savoir si l'État fournit une protection. Il se peut que l'État veuille fournir sa protection, mais qu'il ne puisse pas fournir une protection efficace, que ce soit localement ou sur tout son territoire. L'efficacité est elle-même une question de degré. Toute activité policière est sujette à l'échec, en particulier dans un État démocratique. Même au Canada, les actes de vandalisme ou de violence commis au hasard entraînent rarement des déclarations de culpabilité. Dans quelles circonstances l'absence d'aide de la part de la police représente-t-elle autre chose que les limites normales de l'activité policière? Dans quelles circonstances l'omission d'agir de la police, fondée sur des éléments d'enquête inadéquats, équivaut-elle à un refus non déclaré d'agir? Dans quelles circonstances le refus d'agir d'un détachement local de police équivaut-il à un refus d'agir de la part de l'État? Dans quelle mesure un intéressé doit-il s'adresser aux autres ressources policières qui existent sur le plan géographique ou administratif, avant qu'il puisse être conclu que l'État ne peut pas ou ne veut pas protéger l'intéressé?

[14]            À la lumière de ces décisions, je crois qu'il faut, dans le cadre de l'analyse de la protection de l'État, prendre en considération la nature de l'agent de persécution et se demander s'il était raisonnable que le défendeur demande cette protection. En l'espèce, la Commission a conclu, à la page 4 de sa décision, que le défendeur ne pouvait pas obtenir la protection de l'État.

[15]            Il ressort clairement de la preuve que le défendeur a été persécuté en raison de ses opinions. Le poids de cette preuve nous permet également de conclure que la crainte de persécution future alléguée par le défendeur est fondée puisque l'État n'a pas voulu et n'a pas pu le protéger et a même contribué à le diffamer le plus possible aux yeux du public.


[16]            La preuve documentaire sur les conditions existant dans le pays (Country Reports on Human Rights Practices 2002 publiés par le Département d'État américain, à la page 1 du mémoire des arguments supplémentaires du demandeur) indique clairement qu'Israël est un pays démocratique et que le gouvernement respecte généralement les droits fondamentaux de ses citoyens. Elle révèle cependant qu'il existe un problème permanent concernant la manière dont il traite les citoyens arabes. Il n'y a pas si longtemps, le gouvernement détenait des milliers de personnes sans que celles-ci ne soient accusées de quoi que ce soit. En outre, certains prisonniers ont été condamnés sur la foi d'aveux forcés faits par eux et par d'autres personnes (à la page 2).

[17]            Comme la Commission l'a mentionné, la preuve révélait que le défendeur croit et enseigne que l'existence de l'État d'Israël est une insulte aux enseignements de la Torah (la Bible), que l'État doit cesser d'exister parce qu'il n'aurait jamais dû devenir une nation avant l'arrivée du Messie, que les Juifs doivent accepter la domination exercée par les Arabes sur le territoire et qu'ils doivent quitter Israël ou mourir.

[18]            Compte tenu de la relation de l'État avec les citoyens arabes et du fait que le défendeur enseignait que la domination des Arabes doit être acceptée, je comprends pourquoi la Commission a conclu que le défendeur ne pouvait pas obtenir la protection de l'État. Après avoir examiné attentivement la preuve produite, je ne peux considérer que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que, même si Israël est un pays démocratique, le gouvernement israélien n'aurait pas protégé le défendeur. Les croyances et les opinions personnelles de ce dernier vont à l'encontre de la simple existence d'Israël en tant que pays indépendant.


2.         La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable en évaluant la crainte subjective de persécution du défendeur?

[19]            Il faut simplement évaluer la crédibilité du revendicateur pour savoir s'il a une crainte subjective de persécution (Ward, précité). La norme de contrôle applicable à une affaire comportant une conclusion relative à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. En tant que tribunal spécialisé, la Commission est pleinement compétente pour évaluer la crédibilité du témoignage du revendicateur. Par conséquent, la Cour ne doit intervenir dans le cadre d'un contrôle judiciaire que si les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), aux pages 316 et 317).

[20]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a évalué la crainte subjective de persécution du défendeur parce qu'elle n'a pas tenu compte dans ses motifs du fait que ce dernier a séjourné de son plein gré en Israël pendant trois semaines en décembre 2001 alors qu'il prétend craindre pour sa vie dans ce pays. Je conviens qu'il est bien établi que le retour du défendeur dans son pays n'est pas compatible avec l'existence d'une crainte subjective de persécution (Caballero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 483 (C.A.F.) (QL)).

[21]            En l'espèce cependant, la Commission a effectivement tenu compte de cette preuve dans sa décision (au premier paragraphe de la page 3). Par conséquent, je ne pense pas que l'intervention de la Cour soit justifiée.

[22]            Les parties ont refusé de soumettre des questions graves de portée générale. Je suis convaincu que la présente affaire ne soulève aucune question de ce genre. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                               « Michel Beaudry »                      

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-9488-03

INTITULÉ :                                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

c.

EREZ SHLOMO ELBARNES

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 14 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                            LE 21 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Sherry Rafai Far                                                         POUR LE DEMANDEUR

Julius H. Gray                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Julius H. Gray                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

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