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Date : 20030401

Dossier : IMM-5014-01

Référence neutre : 2003 CFPI 388

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                                    OTTO SZORADI

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Il s'agit du contrôle judiciaire, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en sa version modifiée, de la décision datée du 11 octobre 2001 par laquelle un tribunal de la Section du statut de réfugié a fait droit à la demande d'Otto Szoradi d'octroi du statut de réfugié au Canada. Le ministre demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du tribunal et renvoyant l'affaire devant un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.


[2]                 Le défendeur, un citoyen hongrois âgé de 49 ans au moment de la présentation de sa demande, revendique le statut de réfugié parce qu'il craint d'être persécuté en raison de sa race et de sa nationalité (il est Rom hongrois). Le demandeur compte huit années de scolarité. Le tribunal s'est fait présenter la déposition d'un psychiatre, dont le diagnostic préliminaire était que le défendeur souffre d'un trouble psychiatrique, qui se manifeste sous forme de problèmes de mémoire, de difficultés à faire des récits fiables et d'hallucinations. Le tribunal a tenu compte de l'état mental du défendeur dans son évaluation, mais il a établi que ce dernier avait la capacité de tenir son audience et n'a donc nommé personne pour le représenter.

[3]                 Le défendeur a quitté la Hongrie le 14 octobre 1999, muni d'un passeport hongrois valide, et il est arrivé au Canada le même jour. Le 13 janvier 2000, il a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Il est venu au Canada accompagné de son frère, Jeno, ainsi que de la famille de ce dernier. Jeno, son épouse, ses enfants et ses petits-enfants ont tous revendiqué le statut de réfugié en même temps que le défendeur. Tous les membres de la famille de Jeno ont obtenu ce statut au motif qu'ils risquaient d'être persécutés s'ils devaient retourner en Hongrie, en raison de la discrimination généralisée, souvent accompagnée de violence, contre les Roms dans ce pays. Le 16 octobre 2001, le tribunal a également conclu que le défendeur, Otto Szoradi, était un réfugié au sens de la Convention.


[4]                 Comme fondement de sa revendication, Otto Szoradi a prétendu avoir fait l'objet de trois agressions violentes. Il a affirmé que, deux fois en 1996, il a été agressé dans des bars par des skinheads qui ont proféré des insultes racistes et qui, une fois l'ont frappé au moyen de coups-de-poing américains, et une autre de bâtons de baseball. Le défendeur déclare dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'après le second incident, il a porté plainte à la police, qui n'y a donné aucune suite. Selon le FRP, l'un des policiers aurait déclaré : « [traduction] Vous les gitans êtes trop nombreux; ça ne ferait pas de mal que votre population diminue, comme du temps d'Hitler » . Le troisième incident est survenu en 1999 aux dires du défendeur. Des skinheads auraient encerclé sa maison, brisé des vitres et crié des injures racistes. Ils auraient mis le feu à la maison, le défendeur parvenant de justesse à s'échapper.

[5]                 Le demandeur soutient que la décision du tribunal se fondait sur des conclusions erronées, tant en droit qu'en fait, particulièrement en ce qui concerne le casier judiciaire en Hongrie du défendeur, son état de santé, la crédibilité et la fiabilité générales de son témoignage et le défaut de sa part de demander la protection de l'État. Je traiterai maintenant de chacune de ces questions.

Le casier judiciaire du défendeur

[6]                 Dans son FRP initial, le défendeur n'a pas mentionné qu'il avait un casier judiciaire, et il n'y avait aucune discontinuité dans ses antécédents de travail déclarés qui corresponde au temps qu'il a passé en prison. Le défendeur a toutefois modifié son FRP le 4 avril 2001, et précisé qu'il avait été condamné pour vol qualifié et emprisonné pendant six ans, de 1990 à 1996, et condamné pour vol en 1998, ce qui lui a valu de passer encore trois mois en prison et de payer une amende.

[7]                 Lors de son témoignage oral, le défendeur a déclaré qu'il était innocent et qu'il avait injustement été déclaré coupable des infractions qui ont conduit à sa peine de six années d'emprisonnement. Il se trouvait en Allemagne lorsque les accusations ont été portées, et il est alors retourné en Hongrie pour blanchir sa réputation, contre l'avis de son frère. Ce dernier, qui a assisté au procès, n'a pas été autorisé à témoigner et on l'a expulsé de la salle d'audience pour avoir protesté de l'innocence de son frère. Le défendeur a déclaré au psychiatre qui l'a examiné à Toronto qu'on l'avait emprisonné pendant six ans parce qu'il s'était battu avec quelqu'un qui l'avait traité de « gitan » .

[8]                 M. Szoradi a déclaré au tribunal ne pas avoir mentionné son casier judiciaire dans son FRP initial parce qu'il craignait, si cela se savait, d'être renvoyé en Hongrie. Malgré tout, son avocat a porté l'information à l'attention du tribunal ainsi que, par son entremise, au ministre. Le tribunal a déclaré que, sans approuver l'omission de révéler un fait important,

vu l'expérience qu'a vécue le revendicateur, cette omission de révéler de l'information est justifiée par sa peur subjective de retourner en Hongrie. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, il n'avait pas assez d'expérience avec les autorités canadiennes au moment où il a rempli son FRP pour croire que son honnêteté ne pourrait le mener à ce qu'il craint le plus, soit retourner en Hongrie. Le fait que le revendicateur n'a pas dit la vérité au sujet de certains éléments de preuve n'entraîne pas nécessairement le rejet de l'ensemble de la preuve; le tribunal peut croire une partie du témoignage sans en croire la totalité. Le tribunal ne tire pas une conclusion négative au sujet de sa crédibilité en général parce qu'il a fait de fausses déclarations initialement au sujet de ses démêlés avec le système de justice pénale en Hongrie.


[9]                 Lors de l'audience du tribunal, le défendeur n'a pu donner aucun détail au sujet de ses condamnations. Il semble avoir indiqué à son avocat d'alors qu'il avait été condamné pour vol avec effraction, meurtre et agression sexuelle. Jeno Szoradi, son frère, a déclaré dans son propre FRP qu'Otto avait été injustement condamné pour avoir pillé une tombe, et peut-être sous d'autres chefs d'accusation, comme pour avoir volé de l'or à une femme. L'avocate du ministre, qui a agi comme intervenant, a toutefois soumis une preuve révélant que le défendeur avait été condamné pour vol avec circonstances aggravantes en 1990 et pour vol qualifié en 1998, et qu'il était recherché parce qu'il aurait troublé la paix quatre jours avant son départ de la Hongrie.

[10]            Dans sa décision, le tribunal a pris en compte le casier judiciaire du défendeur en regard de la définition d'un réfugié au sens de la Convention prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, qui incorpore par renvoi l'alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés. Est ainsi exclue de la définition toute personne qui a commis un crime grave de droit commun hors du pays d'accueil avant d'y être admise comme réfugié. Le tribunal a déclaré ce qui suit sur cette question :

[...] le tribunal a examiné la preuve qui lui a été soumise sur la question de l'alinéa 1Fb) en ce qui concerne le revendicateur. Dans ses arguments après l'audience, le conseil du ministre a indiqué que le ministre ne chercherait pas à obtenir une décision en vertu de l'alinéa 1Fb), compte tenu de la preuve présentée et de la jurisprudence. Le tribunal est d'accord avec cette argumentation. Il conclut qu'en fonction de la preuve soumise, le revendicateur n'est pas exclu en vertu de l'alinéa 1Fb) étant donné que le tribunal n'a pas de raisons sérieuses de penser que le revendicateur a commis un crime grave de droit commun pour lequel il n'a pas purgé sa sentence en dehors du pays d'accueil avant d'y être admis comme réfugié.                             [Souligné dans l'original.]

[11]            Bien qu'il me semble que le tribunal ait mal cité l'alinéa 1Fb) lorsqu'il l'a appliqué dans sa décision, puisque cet argument n'a été soulevé ni devant lui ni devant notre Cour, il est considéré non pertinent aux fins du présent contrôle judiciaire.


[12]            La révélation du caser judiciaire du défendeur a obligé le tribunal à examiner le moment où les agressions se seraient produites. Le tribunal a conclu dans sa décision que « [m]ême si l'incohérence des dates peut souvent entraîner une évaluation négative de la crédibilité, le tribunal ne croit pas que cette erreur a une incidence dans le cas qui nous intéresse » . Le tribunal a déclaré que s'il y avait eu une simple erreur quant à la date de la première agression, il ne fallait en tirer aucune inférence défavorable. Et si l'incident n'avait tout simplement pas eu lieu, il fallait de même ne pas tirer une inférence défavorable d'une prétention éventuellement fausse du défendeur. Aux fins d'analyser si le défendeur avait ou non été persécuté en Hongrie, le tribunal a présumé que le premier incident allégué par le défendeur ne s'était pas produit.

[13]            Le ministre demandeur a déclaré à la Cour que le statut de réfugié a été octroyé du fait que le tribunal n'avait pas apprécié à sa juste valeur le casier judiciaire du défendeur. Particulièrement, le tribunal n'a fourni aucune explication quant au fait qu'il préférait le témoignage non digne de foi du défendeur à la Déclaration, produite au nom du ministre, faisant état de renseignements obtenus d'Interpol Budapest, par l'entremise de la GRC. On y précisait que le défendeur avait commis un vol avec circonstances aggravantes et un vol qualifié en 1990, pour lesquels il a été condamné à six ans de prison en 1991, ainsi qu'un vol en 1998, pour lequel il a été condamné à deux mois de prison.

[14]            Tirant une analogie entre des documents relatifs à une condamnation au criminel et d'autres documents produits par le gouvernement d'un pays, le défendeur renvoie à Ramalingam c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. n ° 10 (1re inst.) (Q.L.), où le juge Dubé a déclaré, au paragraphe 5, que « les pièces d'identité délivrées par un gouvernement étranger sont présumées valides à moins d'une preuve contraire [...] » . Les documents concernés dans cette affaire étaient des certificats de naissance délivrés par l'État, que le tribunal aurait mis en doute de manière déraisonnable. On soutient qu'en l'espèce, le tribunal ne se serait pas contenté à sa face même de l'attestation de condamnation et de sentence soumise par le ministre.

[15]            Dans Ramalingam, précitée, le juge Dubé a émis les commentaires suivants :

[I]l faut considérer qu'un document émanant d'un État - un passeport ou un certificat d'identité - est présumé valide. La reconnaissance de la souveraineté d'un État étranger sur ses citoyens ou ses ressortissants et la courtoisie internationale rendent toute autre conclusion insoutenable. La maxime « omnia praesumuntur rite et solemniter esse acta » (toute chose est présumée être faite conformément à la règle) s'applique tout particulièrement en l'espèce en établissant une présomption réfutable de validité.

Par analogie, il semble qu'en l'espèce le tribunal aurait commis une erreur de droit révisable s'il avait conclu, en l'absence d'une preuve contradictoire directe, que le casier judiciaire du défendeur résultait d'un déni de justice, ou que celui-ci avait été injustement condamné. Le tribunal n'a toutefois pas tiré une telle conclusion. Il a plutôt pris en compte ce casier judiciaire, attesté par le certificat, en vue de se prononcer sur le statut de réfugié du défendeur.

[16]            En vue d'évaluer la crédibilité du défendeur, quel poids faut-il attribuer au fait que ce dernier avait un casier judiciaire et qu'il ne l'a pas divulgué au départ à CIC tel qu'il en était requis? La lecture de la décision fait voir clairement que c'est là la question que le tribunal a examinée; cette question relève manifestement de sa compétence, et notre Cour ne saurait la réviser qu'avec la plus grande retenue. Le tribunal a déclaré ce qui suit :

Même si cette allégation [du défendeur, selon laquelle il a été condamné pour s'être battu avec quelqu'un qui l'avait traité de gitan] va à l'encontre du document traitant de cet événement, elle ne nuit pas à la preuve qu'il a fournie révélant qu'il a été emprisonné pendant six ans; elle ne fait que mettre en doute la fiabilité du revendicateur comme témoin en ce qui a trait au motif d'emprisonnement [...]

Le tribunal ne juge pas déraisonnable l'explication du revendicateur concernant son omission initiale de révéler l'information, compte tenu du témoignage de son frère selon lequel il a essayé de prouver son innocence en 1989 et il a été emprisonné, en raison de son honnêteté, pour des crimes qu'il ne croyait pas avoir commis.


[17]            Le tribunal a établi que le défendeur n'avait pas révélé l'existence de son casier judiciaire de crainte d'être renvoyé en Hongrie. Le tribunal a clairement décidé de ne pas tirer de conclusion négative parce que le défendeur a fait de fausses déclarations initialement au sujet de ses démêlés avec le système de justice pénale en Hongrie. Le tribunal n'a pas déclaré conclure que la condamnation elle-même était injustifiée - il n'a pas examiné plus avant la preuve de l'existence d'un casier judiciaire provenant d'Interpol Budapest par l'intermédiaire de la GRC; il a simplement tiré une conclusion en matière de crédibilité sur le fondement de la non-divulgation dès le départ par le défendeur. On peut à juste titre qualifier de question de fait une telle évaluation de la crédibilité, et il est bien admis en droit, ce que le demandeur reconnaît, que la norme de contrôle judiciaire applicable à une conclusion de fait du tribunal est celle de la décision manifestement déraisonnable. La conclusion tirée par le tribunal en matière de crédibilité n'était pas manifestement déraisonnable, compte tenu de la preuve dont le tribunal était saisi, soit les témoignages du défendeur et de son frère et leur méconnaissance apparente des détails des condamnations.

Les problèmes de santé du défendeur

[18]            Le demandeur soutient que le tribunal a fait abstraction erronément des problèmes de santé du défendeur lorsqu'il a accepté comme étant digne de foi son témoignage. Le demandeur prétend que le tribunal s'est fondé sur une preuve contradictoire et peu fiable, soit le témoignage du défendeur, pour conclure qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur soutient que le rapport médical présenté par le défendeur confirmait la difficulté et l'incapacité pour ce dernier de faire un témoignage digne de foi, et que le tribunal a commis une erreur de droit en recevant son témoignage malgré que le diagnostic posé faisait douter de sa fiabilité.


[19]            Toutefois, le rapport médical devait être l'un des facteurs pris en compte par le tribunal pour évaluer la crédibilité du défendeur. Il y a discrétion quant au poids à accorder à un témoignage sujet à caution en raison de problèmes de santé. La norme de contrôle qu'il y a lieu d'appliquer à la décision du tribunal, eu égard aux problèmes de santé du défendeur, consiste à établir s'il était manifestement déraisonnable de prêter foi à quelque élément que ce soit de son témoignage. Sur le fondement de la preuve soumise, encore une fois, la décision du tribunal n'était pas manifestement déraisonnable, en ce sens que le témoignage du défendeur était fiable à certains égards.

[20]            Le tribunal a reconnu en l'espèce que la maladie mentale du défendeur avait une incidence sur son témoignage, et il en a tenu compte lorsqu'il a évalué sa crédibilité ainsi que la fiabilité de son témoignage. Tel que le défendeur le signale, le tribunal a énoncé les motifs pour lesquels il a accepté son témoignage malgré le diagnostic médical :

Ce dernier [le tribunal] ne juge pas invraisemblable que quelqu'un souffrant d'un trouble mental comme le décrit la docteure Baruch dans son rapport serait parfois rationnel et parfois irrationnel (dans la même période); rien dans le rapport de la docteure Baruch n'indique qu'en raison du trouble mental du revendicateur, celui-ci n'était jamais en contact avec la réalité ou n'était pas en mesure de tenir une conversation rationnelle.

La crédibilité générale du défendeur

[21]            Le défendeur a pu expliquer sa crainte de retourner en Hongrie d'une manière jugée satisfaisante par le tribunal. Compte tenu de la preuve, y compris les témoignages tant du défendeur que de son frère ainsi que l'information sur les conditions dans le pays, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure que le défendeur craignait avec raison d'être persécuté s'il devait retourner en Hongrie.


[22]            Le ministre a également présenté des arguments généraux quant à savoir s'il convenait que le tribunal se fonde sur le témoignage du défendeur, abstraction faite de ses problèmes de santé. La question de la crédibilité à attribuer au témoignage du défendeur devant le tribunal est entièrement du ressort de ce dernier. La Cour doit se montrer peu encline à réexaminer le témoignage alors que le tribunal était en meilleure position pour tirer les conclusions appropriées. Il faut que la preuve soumise ne donne aucune ouverture à la décision rendue pour que celle-ci puisse être annulée.

[23]            Le demandeur cite de nombreux extraits de la décision du tribunal pour démontrer que le témoignage du défendeur était parfois verbeux et par trop diffus, et que des éléments faisaient se soulever la question de la crédibilité. De même, le tribunal déclare dans la décision que le frère du défendeur était parfois un peu théâtral et « était un témoin relativement peu fiable puisqu'il n'était pas présent au cours des nombreux incidents cruciaux sur lesquels la revendication du revendicateur est fondée » . Ce dernier élément, bien sûr, n'a pas d'incidence sur la fiabilité du témoignage du défendeur lui-même.


[24]            Les passages choisis de la décision du tribunal cités par le demandeur, toutefois, ne sont pas le reflet de l'ensemble de ses conclusions quant à la fiabilité du témoignage du défendeur. Le tribunal a déclaré spécifiquement dans sa décision qu'il n'a pas pris en compte les éléments du témoignage qu'il jugeait pouvoir être entachés par la maladie mentale du défendeur (comme le récit relatif à la première agression). Le tribunal déclare bien clairement avoir conclu que l'hésitation initiale du défendeur à mentionner son casier judiciaire était compréhensible à la lumière de son témoignage et que, même si sa maladie mentale rendait sa concentration difficile, il était néanmoins cohérent et crédible pour ce qui est des actes de persécution des skinheads qu'il a signalés.

[25]            La décision du tribunal prenait en compte des éléments des témoignages du défendeur et de son frère, ainsi que la preuve documentaire et les observations présentées par l'agent chargé de la revendication et le représentant du ministre. La décision le fait ressortir. La conclusion selon laquelle des éléments du témoignage du défendeur étaient crédibles n'a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont le tribunal était saisi.

La nécessité de tenter d'obtenir la protection de l'État

[26]            J'examinerai, finalement, la question du caractère adéquat ou non de la protection offerte par l'État. Le demandeur soutient que le défendeur était tenu de tenter d'obtenir l'assistance et la protection de son État d'origine avant de chercher refuge ailleurs. Le critère approprié pour l'évaluation en la matière est énoncé dans Ward c. Canada (M.C.I.), [1993] 2 R.C.S. 689. Le juge LaForest a ainsi déclaré ce qui suit dans Ward, au paragraphe 50 :

[...] il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.


[27]            Le demandeur soutient qu'il n'y a pas effondrement complet de l'appareil étatique en Hongrie, qui est reconnue comme un État démocratique dont le système de justice, bien que parfois lent, est fiable et juste. Reconnaissant ces faits au sujet de la Hongrie, le tribunal a souligné ce qui suit :

La preuve documentaire décrit également des tentatives sérieuses de la part du gouvernement hongrois de régler le problème de la violence raciale et de la discrimination à l'endroit des minorités et traite de la protection des droits des Roms par les tribunaux, qui prend lentement forme. Le tribunal est au courant de la preuve documentaire révélant la brutalité et la discrimination policière dont sont victimes les Roms. Cependant, le tribunal est également au courant des tentatives du gouvernement d'encourager les Roms à s'enrôler dans la police et de tenter d'offrir aux agents de police une formation sur la culture rome et la gestion des conflits. Le tribunal sait toutefois que la protection n'a pas besoin d'être - et ne sera pas - parfaite. La preuve documentaire révèle que l'État a instauré des programmes de protection.

[28]            Le tribunal a explicitement reconnu qu'il n'y avait pas en Hongrie effondrement complet de l'appareil étatique. On reconnaît également dans la décision du tribunal qu'il y a présomption de protection de l'État, et que cette protection n'a pas à être parfaite. Malgré cela, tel qu'on l'a déclaré dans Zhuravlvev c. Canada (M.E.I.), [2000] 4 C.F. 3 (1re inst.), au paragraphe 19, « [l]orsqu'il est démontré que l'État est l'agent persécuteur, il n'est pas nécessaire de déterminer l'étendue ou l'efficacité de la protection fournie par l'État; cette protection est par définition absente » .


[29]            Sur le fondement de la preuve énoncée par le tribunal dans sa décision, la décision de celui-ci quant au défaut du défendeur de se réclamer de la protection de l'État n'était pas manifestement déraisonnable. Comme les prétendus persécuteurs en l'espèce sont tant des policiers que des personnes sans lien avec l'État (des skinheads), le tribunal devait conclure que le défendeur s'était acquitté du fardeau précisé par le juge LaForest dans Ward pour pouvoir conclure qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Le tribunal a disposé de la preuve requise, par suite de l'examen des actes de persécution des skinheads à l'endroit du défendeur et de l'expérience vécue par ce dernier avec les policiers, qui l'ont notamment battu.

[30]            Le défendeur, dans son FRP, ainsi que son frère lors de son témoignage oral, ont décrit ce que d'autres Roms avaient vécu à la même époque et les mesures prises par la police à leur endroit; il y avait notamment un incident - qui n'a pas donné lieu à enquête - au cours duquel la police a fait feu sur un Rom. Cette preuve relative à des personnes « dans une situation semblable » , s'ajoutant à l'expérience personnelle de M. Szoradi, a conduit le tribunal à conclure que ce dernier avait présenté une preuve quant au fait que l'État ne voulait ou ne pouvait pas le protéger.

[31]            C'est une question mixte de fait et de droit que celle d'évaluer si certains éléments de preuve sont crédibles et s'ils satisfont au fardeau de preuve requis. Il y a lieu de réviser avec une certaine retenue cet aspect de la décision du tribunal, en regard de la norme de la décision raisonnable simpliciter. En fonction de la preuve examinée par le tribunal, et de l'ensemble de la preuve présentée à l'audience, on ne peut qualifier la décision sous examen de déraisonnable.


Conclusion

[32]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée par ordonnance distincte.

[33]            Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé, en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la certification d'une question grave de portée générale. Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « W. Andrew MacKay »            

                                                                                                             Juge                             

VANCOUVER (C-B)

Le 1er avril 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        IMM-5014-01

INTITULÉ :                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  demandeur

- et -

OTTO SZORADI

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le jeudi 5 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE MACKAY

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                                        Le 1er avril 2003

COMPARUTIONS :

Mme Rhonda Marquis                                           Pour le demandeur

Mme Elizabeth Jaszi                                               Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                 Pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Elizabeth Jaszi                                                        Pour le défendeur

1267, avenue St. Clair Ouest

Toronto (Ontario)

M6E 1B8

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