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Date : 20030417

Dossier : IMM-3368-02

Référence neutre : 2003 CFPI 459

ENTRE :

                                                    SUMANDEEP KAUR MANGAT

                                                                                                                                                  demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction


[1]                 Les présents motifs découlent de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la Section d'appel a rejeté un appel d'une décision d'un agent des visas. L'agent des visas a rejeté la demande parrainée du mari de la demanderesse au motif que celui-ci n'appartient pas à la catégorie de la famille parce que, selon le libellé du paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration de 1978[1] :

La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

The family class does not include a spouse who entered into the marriage primarily for the purpose of gaining admission to Canada as a member of the family class and not with the intention of residing permanently with the other spouse.

La décision faisant l'objet du contrôle judiciaire est datée du 21 juin 2002.

[2]                 La Section d'appel a invoqué avec raison la décision de la Cour dans l'affaire Horbas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2] comme établissant le critère approprié à appliquer aux faits dont elle était saisie. Elle a écrit :

Conformément à la décision rendue dans l'affaire Horbas, [...] un critère à deux volets doit être appliqué pour déclarer un conjoint inadmissible en vertu du règlement invoqué. Premièrement, le requérant [en l'espèce, le mari de la demanderesse] doit s'être marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada. Deuxièmement, le requérant [le mari de la demanderesse] ne doit avoir aucune intention de vivre en permanence avec l'appelante [en l'espèce, la demanderesse].

[renvoi omis]

[3]                 La Section d'appel a convenu qu'il n'était pas contesté que la demanderesse et son conjoint, qui, à l'époque où la Section d'appel était saisie de l'affaire, demeurait en Inde, étaient mariés.

Le contexte

[4]                 Très brièvement, le contexte factuel est le suivant.

[5]                 La demanderesse a obtenu le droit d'établissement au Canada le 29 novembre 1998 à titre d'épouse parrainée de Manjinder Singh Grewal. La demanderesse et M. Grewal avaient, environ six mois plus tôt, contracté, en Inde, un mariage arrangé. Après son arrivée au Canada, la demanderesse et M. Grewal ont vécu ensemble chez les parents de celui-ci à Winnipeg pendant environ sept jours avant qu'il ne la quitte. M. Grewal a déposé une demande de divorce. Jatwinder Bajwa, un ami du père de la demanderesse, a tenté une médiation pour résoudre le litige entre la demanderesse et son premier mari, mais sans succès. Un mois ou deux après avoir été abandonnée par M. Grewal, la demanderesse a déménagé dans la région de Toronto et a vécu dans la résidence de Jatwinder Bajwa où, à l'époque de l'audience devant la Section d'appel, elle résidait toujours. La demanderesse et son mari actuel se sont connus deux ans avant l'établissement de la demanderesse au Canada. La demanderesse est retournée en Inde. M. Bajwa et le père de la demanderesse ont participé activement à l'arrangement de ce deuxième mariage de la demanderesse.


La décision faisant l'objet du contrôle judiciaire

[6]                 La Section d'appel a écrit :

Lors de l'audition de l'appel, j'ai entendu le témoignage sous serment de l'appelante [en l'espèce, la demanderesse] et celui de Jatinder Singh Bajwa, qui est un vieil ami de son père, qui a témoigné en personne et celui du [mari de la demanderesse], qui a témoigné par téléconférence; avant ces témoignages, le conseil avait présenté des éléments de preuve documentaire [...] en appui de l'appel. Comme il s'agit d'une nouvelle audition, dans le sens le plus large du terme, en adhérant au principe mis de l'avant dans la décision Kahlon, je peux tenir compte, et je l'ai fait, d'éléments de preuve additionnels, qu'il s'agisse de dépositions orales ou d'éléments de preuve documentaire, ainsi que de la preuve qui avait été présentée à l'agent des visas lorsqu'il en est arrivé à la décision qu'il a prise.

[renvoi omis]

[7]                 La Section d'appel a ensuite procédé à son analyse, en se fondant vraisemblablement sur l'ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, mais sans référer précisément au témoignage de M. Bajwa ou aux éléments de preuve documentaires qui lui avaient été présentés. La Section d'appel a émis des réserves au sujet de la crédibilité des témoignages de la demanderesse et de son mari. Elle a conclu en ces termes :

9. Il incombe à [la demanderesse] de fournir des éléments de preuve suffisamment dignes de foi et suffisamment crédibles pour démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, l'obtention de l'admission au Canada n'était pas la principale motivation [de son conjoint] en épousant celle-ci et que l'intention du [conjoint de la demanderesse] était de vivre en permanence avec elle. Elle n'a pas réussi à le faire.

CONCLUSION

1. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, j'estime que le [conjoint de la demanderesse] s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada, à titre de personne appartenant à la catégorie de la famille, et non avec l'intention de vivre en permanence avec [la demanderesse].

[Non souligné dans l'original.]


Les questions en litige

[8]                 Dans le mémoire des faits et du droit additionnel déposé au nom de la demanderesse, son avocat expose les questions en litige concernant la présente demande de contrôle judiciaire de la manière suivante :

[traduction]

- Est-ce que la [Section d'appel] a commis une erreur de droit en n'ayant pas du tout tenu compte du témoignage du témoin, M. Bajwa?

- Est-ce que la [Section d'appel] a commis une erreur de droit en n'ayant pas tenu compte [...] des éléments de preuve documentaires qui étaient hautement pertinents pour l'affaire parce que relatifs à la question de l'intention?

- Est-ce que la [Section d'appel] a commis une erreur de droit en interprétant mal la preuve relativement à la conclusion qu'elle a tirée selon laquelle le témoignage de la demanderesse était contradictoire?

- Est-ce que la [Section d'appel] a commis une erreur de droit en faisant défaut de tirer des conclusions claires relatives à la crédibilité concernant l'ensemble de la preuve de la demanderesse et de mentionner clairement quels éléments de preuve elle a considérés crédibles et lesquels ne l'étaient pas selon elle?

Analyse

[9]                 Je vais traiter comme un tout le défaut de la part de la Section d'appel de faire mention du témoignage de M. Bajwa ainsi que des éléments de preuve documentaires directement pertinents qui lui ont été présentés.

[10]            Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], M. le juge Evans, alors à la Section de première instance de la Cour, a écrit aux paragraphes 15 à 17 de ses motifs :

La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal [...] et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traitéces éléments de preuve [...] Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargédu contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiréune conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : [...] Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examinél'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discutédans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examinéla preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[renvois omis; non souligné dans l'original]

[11]            Sur la même question, dans Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], M. le juge Evans, qui avait entre-temps été nommé à la Cour d'appel fédérale, a écrit au nom de la Cour, au paragraphe 10 :

Lorsqu'une preuve en particulier n'est pas expressément examinée dans les motifs d'une décision, la juridiction de contrôle n'en déduira pas nécessairement qu'elle a dû échapper au décideur, si la preuve en question confère peu de valeur probante aux faits qu'elle était censée établir, ou si elle se rapporte à des faits qui sont d'une importance mineure pour la décision ultime, étant donné les autres éléments qui soutiennent la décision.

[12]            Enfin, dans la décision Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5], Mme le juge Snider a écrit au paragraphe 22 :

L'exposé de motifs a pour objet d'indiquer à l'intéressé pourquoi une conclusion donnée a été tirée. Les motifs permettent aux parties de constater que les points soulevés ont été minutieusement examinés et d'exercer leur droit d'appel ou de révision judiciaire [...] Ce sont les circonstances de chaque cas qui diront si les motifs donnés sont adéquats [...] La nécessité d'exposer des motifs au regard du devoir d'équité est assez souple pour que diverses formes d'explications écrites de la décision répondent à cette exigence [...]

[renvois omis]


[13]            Vu ces précédents, je conclus que la Section d'appel a commis une erreur susceptible de révision en ne fournissant pas l'analyse des raisons pour lesquelles le témoignage de M. Bajwa et les éléments de preuve documentaires dont elle disposait n'avaient aucun impact sur sa décision selon laquelle le conjoint de la demanderesse s'était marié principalement avec celle-ci aux fins d'obtenir l'admission au Canada et sans avoir l'intention de vivre en permanence avec la demanderesse. Pour tirer cette conclusion, nonobstant l'affirmation contraire de la Section d'appel selon laquelle sa conclusion était basée sur « l'ensemble de la preuve » , elle n'a analysé que les témoignages de la demanderesse et de son conjoint. Je suis convaincu que le témoignage de M. Bajwa et les éléments de preuve documentaires dont disposait la Section d'appel sont des éléments de preuve qui, pour reprendre les mots du juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez, « [...] semblent carrément contredire [l]a conclusion [de la Section d'appel]. » Je suis convaincu, pour reprendre encore une fois les mots du juge Evans, que, dans ses motifs dans la présente affaire, la Section d'appel s'est référée « [...] de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, » et que par conséquent « il peut être plus facile d'inférer que [la Section d'appel] n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. » Je fais une telle inférence et je conclus que la Section d'appel a commis une erreur susceptible de révision.

[14]            Autrement dit, au regard du bref extrait donné ci-dessus des motifs du juge Snider dans la décision Townsend, précitée, les motifs de la Section d'appel, qui font l'objet, en l'espèce, du contrôle judiciaire, sont simplement inappropriés et ne justifient pas sa conclusion.

[15]            Compte tenu du point où j'en suis dans mon analyse, je n'examinerai pas les troisième et quatrième questions soulevées au nom de la demanderesse et formulées plus haut dans les présents motifs.


Conclusion

[16]            Au regard de la brève analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Section d'appel faisant l'objet du contrôle judiciaire sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué tienne une nouvelle audience et statue à nouveau sur l'affaire.

[17]            Aucun des avocats n'ayant proposé la certification d'une question, aucune ne sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

                                                                                                             Juge                        

Toronto (Ontario)

Le 17 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


            COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            IMM-3368-02

INTITULÉ :                                           SUMANDEEP KAUR MANGAT

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MARDI 15 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :           LE JEUDI 17 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :Lorne Waldman

Pour la demanderesse

Robert Bafaro

Pour le défendeur

                                                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Waldman & Associates

281, av. Eglinton E.

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Pour la demanderesse                   

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                                    Date : 20030417

    Dossier : IMM-3368-02

ENTRE :

SUMANDEEP KAUR MANGAT

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET

DE L'IMMIGRATION

                      défendeur

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                           


Date : 20030417

Dossier : IMM-3368-02

Toronto (Ontario), le jeudi 17 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                       SUMANDEEP KAUR MANGAT

                                                                                                                        demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                              défendeur

                                                        ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section d'appel faisant l'objet du contrôle judiciaire est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué tienne une nouvelle audience et statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.

« Frederick E. Gibson »

                                                                                                                                       Juge                        

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.



[1] DORS/78-172.

[2][1985] 2 C.F. 359 (1re inst.).

[3](1998), 157 F.T.R. 35.

[4](2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.).

[5][2003] F.C.J. no 516 (QL), (1re inst.).

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