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Date : 20210122


Dossier : IMM-3692-19

Référence : 2021 CF 74

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

THALES RAYMOND, HENSIE WILHELMINE MARIE MICHEL GERVAIS et THAINA NANCY RAYMOND

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du 15 mai 2019 de la Section d’appel des réfugiés (SAR) confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 16 mars 2018, qui refusait la demande d’asile des demandeurs.

[2]  La SPR et la SAR ont conclu que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention] ou de personne à protéger en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Ils ne contestent pas cette conclusion, mais plutôt les conclusions quant à a la protection de l’État et au risque de persécution au Brésil.

I.  Contexte

[3]  Thales Raymond et sa conjointe Hensie Wilhelmine Gervais, les demandeurs, sont citoyens d’Haïti. Leur fille, Thaina Nancy Raymond, qui fait aussi partie de cette demande, est citoyenne du Brésil.

[4]  Monsieur Raymond soupçonne que son frère et deux autres individus auraient été impliqués dans l’assassinat de son père le 1er janvier 1999. Son frère se serait rendu en République dominicaine alors que les deux autres auraient été arrêtés par la police. Ces deux hommes se seraient échappés de prison suite au tremblement de terre de 2010 en Haïti et auraient commencé à menacer M. Raymond, le blâmant pour leur emprisonnement. M. Raymond s’est donc rendu au Brésil le 21 juin 2011, où il se serait vu décerner la résidence permanente en novembre 2012.

[5]  En 2013, en Haïti, Mme Gervais aurait été menacée, kidnappée et agressée sexuellement par le frère et les deux autres hommes. Suite à ces événements, elle aurait rejoint M. Raymond au Brésil en mai 2014.

[6]  En janvier 2016, les menaces auraient recommencées, au Brésil cette fois. En mars 2016, M. Raymond aurait croisé son frère dans la rue et celui-ci aurait réitéré les menaces de mort à son égard. En avril 2016, les demandeurs auraient décidé de fuir vers les États-Unis. Puis, suite à l’élection présidentielle américaine en novembre 2016, ils sont venus au Canada et ont déposé leur demande d’asile.

[7]  Le 16 mars 2018, la SPR a déterminé que les demandeurs étaient visés par l’article 1 E de la Convention et l’article 98 de la LIPR. La SPR a aussi conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, qu’ils n’avaient pas démontré l’absence de la protection de l’État ou l’absence d’une possibilité de refuge intérieur et qu’ils avaient peut-être subi de la discrimination, mais pas de la persécution.

[8]  Le 15 mai 2019, la SAR a rejeté leur appel. Devant la SAR, les demandeurs n’ont pas contesté l’exclusion en vertu de l’article 1 E ou l’article 98, mais ont plutôt contesté les conclusions de la SPR quant à leur crédibilité, la conclusion d’une protection adéquate de l’État au Brésil, et la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur. La SAR a affirmé les conclusions de la SPR quant à l’exclusion sur l’article 1 E et sur la protection de l’État.

[9]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SAR.

II.  Les questions en litige et norme de contrôle

[10]  La seule question en litige est à savoir si la décision de la SAR est déraisonnable quant au risque de persécution au Brésil et quant à la protection de l’État.

[11]  La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 16-23 [Vavilov]).

III.  Analyse

[12]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en ne considérant pas l’ethnicité des demandeurs dans son analyse liée à la protection de l’État alors que la preuve documentaire est à l’effet qu’il y a du racisme, incluant de la part des policiers, ainsi que de l’impunité et de la corruption de la part de la police, et que les cours de justice ne sont pas capables de traiter des causes en temps opportun.

[13]  Les demandeurs prétendent que la SAR a interprété la preuve documentaire de façon à justifier le maintien de la décision de la SPR, alors que celle-ci fait état de la discrimination et de la violence envers la population afro-brésilienne. De même, la SAR n’a pas tenu compte du fait que deux des demandeurs sont des femmes, alors que la preuve fait état d’un risque de violence plus élevé envers les femmes et que le risque est systématique et répandu. Les demandeurs affirment que la SAR n’a pas fait une analyse de l’effet cumulatif de la discrimination, comme requis par la jurisprudence.

[14]  En somme, les demandeurs affirment que la décision est déraisonnable parce que les motifs n’expliquent pas l’analyse de cette preuve par la SAR. La décision est lacunaire parce que les motifs ne sont pas suffisamment étayés.

[15]  Je ne suis pas convaincu.

[16]  D’abord, il faut noter l’évolution de la jurisprudence de cette Cour concernant l’analyse du risque dans la situation où les demandeurs sont visés par l’article 1 E de la Convention et l’article 98 de la LIPR. Dans quelques causes récentes, la Cour a conclu que l’analyse de la SPR ou de la SAR doit arrêter s’ils concluent que les demandeurs sont visés par l’exclusion des demandeurs selon l’article 1 E et l’article 98 (voir Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 [Celestin]; Saint Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 493 [Saint Paul]; Mwano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 792). Dans les affaires Celestin et Saint Paul, la Cour a certifié une question d’importance générale quant à la question de savoir si la SPR ou la SAR doivent effectuer une analyse du risque auquel font face les demandeurs au pays de résidence avant de déterminer s’ils sont visés par l’article 1 E et l’article 98. La Cour d’appel fédérale traitera donc de cette question.

[17]  Les parties n’ont pas abordé cette question en l’instance. Compte tenu de l’état de la jurisprudence au moment où la SPR et la SAR ont rendu leurs décisions, et considérant ma conclusion sur la question en litige, je conviens qu‘il n’est pas nécessaire de traiter de cette question plus en détail en l’instance (voir Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 839 au para 6; Feliznor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 597 au para 22).

[18]  L’argument des demandeurs est axé sur deux points : le fait que la SAR n’a pas traité de la preuve concernant la question du racisme au Brésil contre les Afro-Brésiliens dans son analyse de la question de la protection de l’État; et le fait que la SAR n’a pas traité de la totalité de la preuve concernant leur risque de persécution advenant un retour au Brésil. Ils soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable à cause de ces lacunes.

[19]  Je ne suis pas d’accord.

[20]  Selon le cadre d’analyse de la décision raisonnable établi par Vavilov, le rôle de la Cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable, et ce n’est pas suffisant d’établir des lacunes superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Comme disait la majorité dans Vavilov au paragraphe 100, « [l]a cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable ».

[21]  Je ne suis pas persuadé que les demandeurs ont démontré une telle erreur fatale dans la décision de la SAR. La décision de la SAR est fondée sur un fait primordial : les demandeurs n’ont pas recherché l’aide de la police ou d’autres autorités brésiliennes. La seule preuve qu’ils ont déposée quant au manque de protection de l’État fait mention d’un cas où un mari haïtien aurait battu son épouse sans que les policiers interviennent, ce qui est loin d’une preuve convaincante qui réfute la présomption de la protection de l’État (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 aux paras 17-21).

[22]  Comme note la SAR au paragraphe 24 de la décision :

Ainsi, on ne peut pas conclure qu’il n’existe aucune protection étatique dans le cas d’un individu qui aurait un différent [sic] avec un autre. Bien qu’on ne puisse conclure à une protection parfaite, il n’en demeure pas moins que celle-ci existe et, le Brésil étant un état de droit, demeure disponible pour ses résidents. Le défaut pour Monsieur Raymond d’y avoir recouru en temps opportun ne permet pas de conclure à son inexistence.

[23]  Avant de faire cette déclaration, la SAR a fait une analyse de la preuve objective dans le cartable national. Bien que je sois d’accord avec les demandeurs que l’analyse est courte, ce n’est pas, en soi, un motif pour écarter la décision. Le fait que les demandeurs n’ont pas essayé d’obtenir la protection de l’État et qu’ils n’ont pas démontré que cette protection n’était pas disponible sont des conclusions fondées sur les faits et bien expliquées dans la décision de la SAR. Les demandeurs n’ont produit aucune preuve convaincante d’absence de protection de la part de l’État brésilien quant à un différend familial. Aucun élément de preuve ne tend à établir que les demandeurs n’ont pas été suffisamment protégés par l’État brésilien (voir Debel c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 156).

[24]  En ce qui concerne le risque de persécution auquel les demandeurs vont faire face advenant leur retour au Brésil, les demandeurs constatent que la SAR a interprété la preuve documentaire de façon restrictive afin de justifier le maintien de la décision rendue par la SPR. Ils notent que deux des demandeurs sont des femmes, et ils soutiennent que la preuve documentaire dans le cartable national démontre que les femmes de couleur au Brésil font face à de la discrimination extrême, incluant les risques de violence sexuelle et conjugale, et que les risques sont chroniques, systématiques et répandus. La SAR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire et ceci est suffisant pour rendre la décision déraisonnable.

[25]  Je ne suis pas persuadé.

[26]  Je suis d’avis que la SAR a tenu compte des faits, incluant la preuve objective et la preuve sur la discrimination contre les Haïtiennes et les autres personnes en raison de leur race et de leur nationalité. La SAR a noté qu’aucun argument n’a été soulevé à l’encontre de la décision de la SPR concernant la fille mineure des demandeurs, et donc cet argument ne peut être accepté. De plus, la SAR a noté que tous les actes discriminatoires ne sont pas de la persécution et elle a cité la bonne définition selon la Convention ainsi que la jurisprudence. Les demandeurs n’ont pas soulevé une erreur dans l’analyse de la SPR et la SAR est d’accord que la preuve ne démontre pas que la discrimination équivaut à de la persécution.

[27]  Je suis d’avis que les soumissions des demandeurs sur ce point n’ont pas démontré que l’analyse de la SAR est déraisonnable, en appliquant la cadre d’analyse de la norme de contrôle de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

IV.  Conclusion

[28]  La décision de la SAR est fondée sur des faits pertinents à l’analyse et la SAR a bien expliqué sa conclusion quant à la protection de l’État et quant au risque de persécution des demandeurs au Brésil. C’est tout ce qu’exige le cadre d’analyse de la décision raisonnable énoncé dans l’arrêt Vavilov.

[29]  Pour tous ces motifs, je constate qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

[30]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31]  Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-3692-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3692-19

INTITULÉ :

THALES RAYMOND, HENSIE WILHELMINE MARIE MICHEL GERVAIS et THAINA NANCY RAYMOND c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 fÉvrier 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 22 janvier 2021

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Chantal Chatmajian

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marie-José Blain

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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