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Date : 20210125


Dossier : IMM-5966-19

Référence : 2021 CF 78

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

FARUCH KARIMI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le sujet ou l’objet du présent contrôle judiciaire n’est pas une question de fond relative à une demande d’asile. Il s’agit simplement de décider si la demanderesse aurait dû être entendue avant et après les circonstances examinées.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] n’a pas nié que l’avocat de la demanderesse était convoqué à deux audiences en même temps à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR].

[3] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SPR datée du 27 août 2019, dans laquelle cette dernière a refusé de rouvrir la demande d’asile de la demanderesse.

[4] La demanderesse et ses trois enfants mineurs sont citoyens de l’Allemagne. Ils ont demandé l’asile au Canada en septembre 2018 pour cause de violence familiale.

[5] Le désistement de leurs demandes d’asile a été prononcé pour défaut de présentation des formulaires Fondement de la demande d’asile [FDA] et de comparution à une audience sur le désistement. La SPR a rejeté la demande de réouverture de la demande pour négligence et absence d’explication raisonnable du manquement aux obligations et du défaut de comparaître à l’audience, et un avis en bonne et due forme a été donné. La demande des enfants mineurs a cependant été rouverte pour manquement à un principe de justice naturelle, étant donné qu’ils n’ont pas été représentés adéquatement.

[6] Le présent contrôle judiciaire porte sur le caractère raisonnable de la décision de la SPR quant à son refus de rouvrir la demande d’asile de la demanderesse. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[7] La SPR ne peut rouvrir une demande d’asile que s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, compte tenu de tout élément pertinent (Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, au paragraphe 62(7)).

[8] La demanderesse fait valoir que les raisons justifiant le retard ou la conduite, notamment sa propre vulnérabilité et les multiples erreurs administratives, n’ont pas fait l’objet d’une attention ou d’une analyse suffisante ou ont été rejetées laconiquement comme étant invraisemblables.

[9] En l’espèce, la SPR a reconnu les positions respectives des parties, notamment l’affirmation selon laquelle la demanderesse était vulnérable, et a examiné le cadre juridique, la question et les obligations des diverses parties concernées en matière de communication de l’information pertinente.

[10] Bien qu’elle n’ait pas abordé la question de la vulnérabilité directement, dans le cadre de l’examen de la décision, il semble que la SPR ait considéré que la demanderesse avait néanmoins reçu l’information pertinente, y compris en farsi, et qu’elle avait disposé de suffisamment de temps pour prendre des mesures d’adaptation afin de remplir ses obligations. Elle avait notamment déposé des formulaires FDA partiels conformément à l’avis de pratique en vigueur. La SPR n’a alors pas accepté les raisons du non-respect des exigences qui ont suivi.

[11] La SPR a retenu, essentiellement, qu’un avis suffisant et approprié avait été donné à la demanderesse pour qu’elle soumette les formulaires remplis – y compris une prorogation de délai.

[12] Sur ce point, la SPR était d’avis que rien n’indiquait qu’une demande de changement de date ou d’annulation avait été présentée – comme il est allégué – en raison d’un conflit d’horaire et que ladite demande avait été acceptée. De plus, contrairement à ce que l’on croit, l’audience était en fait inscrite au rôle à la date précisée.

[13] Il est toutefois évident – d’après le dossier de la SPR – que l’avocat de la demanderesse avait l’intention de demander le report de l’audience sur le désistement, car il avait deux autres audiences devant la SPR le même jour, comme l’a confirmé une communication avec le travailleur social au dossier. L’affidavit souscrit par la demanderesse devant notre Cour confirme également l’intention de l’avocat de reporter l’audience et donc la conviction de la demanderesse que l’audience avait effectivement été déplacée à une autre date.

[14] Le conflit d’horaire apparent et la nécessité d’un changement de date n’ont pas été examinés par la SPR, et rien n’indique que la crédibilité était en cause. C’est en raison d’une erreur unique, commise par inadvertance ou non, que l’audience sur le désistement n’a pas été reportée. Toutefois, n’eût été une erreur commise par inadvertance ou une erreur d’écriture, l’audience aurait été reportée ou encore la demanderesse aurait pu comparaître à la date indiquée. Dans l’état actuel des choses, la demanderesse se voit refuser la possibilité de réétablir sa demande d’asile (voir Taher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 991).

[15] En outre, le dossier atteste l’intention continue de la demanderesse de poursuivre les démarches relatives à sa demande d’asile, comme le montre son formulaire FDA partiel (Attalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 771 au paragraphe 19 (l’affaire Attalla diffère sur les faits, car la demanderesse dans cette affaire soutenait qu’elle n’était pas au courant, qu’elle avait oublié ou autrement n’avait pas retenu l’information pertinente en raison de sa vulnérabilité)).

[16] La demanderesse a donc été privée de son droit à l’équité procédurale, et la décision de la SPR était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5966‑19

LA COUR STATUE que :

  • 1) la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  • 2) le dossier doit être renvoyé à la SPR afin qu’une formation nouvellement constituée l’examine à nouveau;

  • 3) aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5966-19

 

INTITULÉ :

FARUCH KARIMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Pierre-Luc Bouchard

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Édith Savard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le Centre de réfugiés

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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