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Date : 20210126


Dossier : T‑947‑18

Référence : 2021 CF 88

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 26 janvier 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

HARJINDER BHAMRA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (le RPC) présentée par Mme Harjinder Bhamra avait été rejetée par le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) et par la division générale (la DG) du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS). Après la décision de la DG, Mme Bhamra a interjeté appel auprès de la division d’appel (la DA) du TSS. La DA lui a refusé la permission d’en appeler. Mme Bhamra demande à la Cour de contrôler la décision de la DA. Elle affirme qu’elle a droit à une pension d’invalidité du RPC. Elle agit pour son propre compte dans le cadre de la présente demande.

Le contexte

[2] Mme Bhamra avait travaillé comme préposée aux bénéficiaires et à l’entretien jusqu’en novembre 2013, lorsqu’elle avait cessé de travailler après avoir subi une fracture à la cheville. Mme Bhamra a 53 ans et n’a qu’une 7e année. L’anglais n’est pas sa langue maternelle.

[3] En juillet 2014, Mme Bhamra avait présenté une demande de pension d’invalidité du RPC. Pour avoir droit à des prestations d’invalidité du RPC, elle devait établir qu’elle avait été invalide en date du 31 décembre 2013, la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA).

[4] Dans sa demande de prestations du RPC, Mme Bhamra avait indiqué que l’affection qui entraînait son incapacité était le cancer de l’ovaire. Dans ses observations, elle avait expliqué qu’elle éprouvait une douleur constante due aux traitements de chimiothérapie et souffrait également de dépression.

[5] Au premier niveau d’examen, le ministre avait rejeté la demande de Mme Bhamra, parce que sa cheville fracturée n’était pas considérée comme une invalidité « grave et prolongée », comme l’exige le paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8.

[6] Mme Bhamra avait interjeté appel de la décision du ministre auprès de la DG. Le 12 décembre 2017, la DG avait conclu que, sur le fondement de sa blessure à la cheville, Mme Bhamra n’avait pas une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2013.

[7] Mme Bhamra a présenté une demande de permission d’en appeler de la décision de la DG devant la DA. Le 23 avril 2018, cette dernière lui a refusé la permission d’en appeler.

[8] Selon ses antécédents médicaux, Mme Bhamra a plusieurs problèmes de santé. Comme indiqué, elle avait subi une fracture à la cheville le 21 novembre 2013. Bien que la preuve médicale donne à entendre que Mme Bhamra se rétablirait complètement de cette blessure, elle affirme que sa cheville continue d’être douloureuse.

[9] En mars ou avril 2014, Mme Bhamra avait reçu un diagnostic de cancer de l’ovaire, pour lequel elle avait subi une chirurgie et des traitements de chimiothérapie.

[10] Lors de sa plaidoirie, Mme Bhamra a expliqué qu’elle continuait de souffrir d’effets secondaires importants des traitements de chimiothérapie, dont la fatigue et la dépression.

La question en litige

[11] La seule question en litige est de savoir si la décision de la DA de refuser la permission d’en appeler était raisonnable.

La norme de contrôle

[12] Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la DA du TSS, la Cour doit apprécier si la décision est raisonnable. Pour ce faire, la Cour examine le processus décisionnel et son issue. La Cour recherche un « raisonnement intrinsèquement cohérent » ainsi que « la justification, la transparence et l’intelligibilité ». Elle cherche à savoir si la décision est « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 12, 86 et 99 [Vavilov]; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

Analyse

[13] Mme Bhamra soutient que la DG et la DA s’étaient trompées, parce qu’elles n’avaient pas apprécié la nature invalidante de son cancer de l’ovaire ni les problèmes qu’elle continue de vivre aujourd’hui. Elle explique que, lorsqu’elle était toujours invalide en raison de sa cheville fracturée, elle avait ressenti des symptômes qui avaient été diagnostiqués plus tard comme un cancer de l’ovaire. Elle raconte un épisode dans l’autobus, alors qu’elle se rendait à un rendez‑vous de physiothérapie pour sa cheville, où elle était tombée gravement malade et avait dû se présenter au service d’urgence de l’hôpital. Bien que cela se soit passé avant d’avoir reçu le diagnostic de cancer, elle attribue cet épisode au cancer.

[14] Dans ses observations écrites, Mme Bhamra tient les propos suivants : [traduction] « mon invalidité n’a jamais pris fin, j’étais encore en convalescence pour ma cheville cassée en juin 2014 et mes douleurs abdominales en mars 2014, donc mon invalidité a commencé en 2013, 2014, et jusqu’à ce jour ».

[15] Pour examiner la demande de permission d’en appeler présentée par Mme Bhamra, la DA devait déterminer si l’appel avait une « chance raisonnable de succès » en appréciant si un des trois éléments définis dans la loi s’appliquait aux conclusions de la DG. La DA devait se demander s’il y avait eu a) un manquement à la justice naturelle; b) une erreur de droit; c) une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, art 58(1)).

[16] Avant d’examiner la décision de la DA, il est utile de résumer les conclusions de la DG.

[17] Lorsqu’elle avait examiné la demande de Mme Bhamra, la DG avait affirmé qu’« [i]l y a[vait] très peu d’éléments de preuve concernant son cancer et pas suffisamment pour appuyer une conclusion selon laquelle cette condition aurait rendu l’appelante invalide en date du 31 décembre 2013 ou avant cette date ». La DG avait également relevé ce qui suit : « [La demanderesse] a pensé que la fièvre qu’elle a ressentie en juillet 2013 constituait un symptôme précoce de cancer. Toutefois, il n’y a pas de preuve médicale concernant cette maladie et [la demanderesse] a continué a travaillé [sic] au‑delà de cette période. »

[18] La DG avait souligné le fait que le médecin de famille de Mme Bhamra « estimait que l’invalidité principale de [la demanderesse] était sa cheville et prévoyait une convalescence complète et un retour au travail ».

[19] Mme Bhamra s’appuie sur l’arrêt Villani c Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, pour affirmer que sa situation doit être appréciée de manière réaliste et tenir compte de son âge, de son niveau de scolarité, de ses compétences linguistiques, de ses antécédents professionnels et de son expérience de vie. La DG avait examiné l’affaire Villani. Cependant, elle devait décider si l’état de Mme Bhamra répondait aux exigences d’une invalidité « grave et prolongée » en date du 31 décembre 2013. À cet égard, la DG avait indiqué ce qui suit au paragraphe 42 :

Je dois tenir compte des répercussions de la ou des conditions de [la demanderesse] sur sa capacité de travailler à la fin de sa PMA ou avant cette date. La preuve me porte à conclure qu’elle a cessé de travailler en raison d’une blessure à la cheville et qu’elle serait en mesure de reprendre le travail après sa convalescence. Les conditions qui affectent maintenant sa capacité de travailler n’ont pas eu de répercussion sur celle‑ci en date du 31 décembre 2013 ou avant cette date. […]

[20] En fonction de ces renseignements, la DG avait conclu que le cancer de Mme Bhamra n’avait eu d’incidence sur sa capacité de travailler qu’après sa PMA, soit le 31 décembre 2013.

[21] À la lumière des conclusions de la DG, la DA a souligné que la décision de la DG contenait un « résumé détaillé de la preuve portée à sa connaissance » et que la DG « n’a[vait] pas fait fi de renseignements importants ni mal interprété ceux‑ci ».

[22] La DA a expressément tenu compte du fait que Mme Bhamra avait reçu le diagnostic de cancer pendant qu’elle se remettait de la fracture à la cheville, au paragraphe 9 de sa décision :

La division générale a reconnu que la [demanderesse] a fondé sa demande d’invalidité sur son cancer et les troubles qui en ont découlé. La division générale a conclu, avec raison, que la preuve devrait démontrer que le cancer et les limitations connexes auraient rendu la [demanderesse] invalide avant le 31 décembre 2013 afin que l’appel soit accueilli […] Même si la division générale n’a pas mis l’accent sur le cancer de la [demanderesse] et les troubles qui en ont découlé, elle n’a pas commis une erreur à cet égard, car ces troubles se sont manifestés après la date de fin de la période minimale d’admissibilité.

[23] Mme Bhamra invoque un certain nombre de décisions, notamment R T c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2016 TSSDASR 453, et B D c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 44, pour appuyer son argument que la DA n’a pas appliqué à sa situation le critère du « monde réel » qui figure dans l’affaire Villani.

[24] Toutefois, la difficulté pour Mme Bhamra est le manque d’éléments de preuve médicale pour étayer son allégation selon laquelle elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2013 (la date de la PMA). Bien qu’il ne soit pas contesté que Mme Bhamra avait subi une fracture à la cheville en novembre 2013, elle n’avait reçu le diagnostic de cancer qu’en mars 2014, soit après la date de la PMA.

[25] Je conclus que la DA a correctement défini les motifs d’appel et raisonnablement pris en compte les arguments de Mme Bhamra ainsi que la preuve. L’application des critères d’invalidité du RPC à la situation de Mme Bhamra semble entraîner de dures conséquences, mais la décision de la DA n’en est pas déraisonnable pour autant.

[26] Pour établir le droit aux prestations d’invalidité du RPC, les critères d’admissibilité doivent être satisfaits. Pour ce faire, il faut fournir des éléments de preuve de l’invalidité avant la date d’admissibilité. Afin de prouver qu’elle était admissible au RPC, Mme Bhamra devait démontrer qu’elle n’était pas en mesure de travailler en raison d’une invalidité grave et prolongée qui avait débuté avant le 31 décembre 2013. Les renseignements pertinents à la période d’admissibilité de Mme Bhamra n’appuient pas une demande de prestations d’invalidité en date du 31 décembre 2013, car son diagnostic de cancer et le traitement pour celui‑ci avaient eu lieu après décembre 2013. Aussi invalidant que puisse être son cancer, on ne peut malheureusement pas s’appuyer sur ces renseignements pour soutenir son affirmation selon laquelle elle avait été totalement invalide en décembre 2013.

[27] Je comprends la situation de Mme Bhamra, mais la Cour ne peut accorder la réparation sollicitée, parce qu’aucune erreur n’a été établie relativement à la décision de la DA.

La Charte

[28] Dans ses observations écrites, Mme Bhamra soulève des arguments relatifs à la Charte. Cependant, ses observations ne comportent aucun fondement factuel pour étayer les arguments relatifs à la Charte. Quoi qu’il en soit, se faire juger inadmissible aux prestations d’invalidité du RPC en raison d’un manque d’éléments de preuve à l’appui des allégations n’équivaut pas à un traitement discriminatoire.

Les dépens

[29] Aucune partie n’a réclamé de dépens, et aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑947‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑947‑18

 

INTITULÉ :

HARJINDER BHAMRA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

ENTRE FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK)

ET WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 26 JANVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Harjinder Bhamra

DEMANDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

Hilary Perry

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

POUR SON PROPRE COMPTE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Services juridiques d’EDSC

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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