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Date : 20210202


Dossier : IMM-7429-19

Référence : 2021 CF 111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2021

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

TUNDE IKECHUKWU OGUNKUNLE

TEMITAYO MARY OGUNKUNLE

OLUWADEMILADE REHOBOTH OGUNKUNLE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision en date du 21 novembre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR), a confirmé le rejet de leur demande d’asile au motif qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[2] Le demandeur principal (DP), son épouse et leur fille d’âge mineur sont citoyens du Nigéria et demandent l’asile en raison de leur crainte d’actes de mutilation génitale féminine et de scarification par des membres de la famille. Ils ont également une fille née au Canada qui n’est pas visée par la demande. Les demandeurs ont obtenu des visas américains en mars 2017 et ont quitté le Nigéria en septembre 2017 pour s’installer aux États-Unis. En octobre 2017, ils sont arrivés à Lacolle, au Québec (Canada) pour y demander l’asile.

[3] La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande, jugeant qu’ils avaient une PRI viable à Port Harcourt, au Nigéria. La SAR a confirmé la décision sur le fondement de la PRI, s’appuyant notamment sur la crédibilité (comme le démontre la décision de la SPR à laquelle la SAR a fait référence) de la preuve liée aux agents de persécution et à la PRI.

[4] La PRI est un concept selon lequel une personne peut être réfugiée dans une certaine région d’un pays, mais pas dans une autre. Il incombe au demandeur d’asile d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la région visée par la PRI, ou que les conditions y sont telles qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui d’y trouver l’asile, dans les circonstances (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 aux p 593, 597 (CAF)). Ce deuxième volet de l’analyse n’exige « rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur » (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15).

[5] Le présent contrôle judiciaire porte sur le caractère raisonnable des conclusions de la SAR quant à la viabilité d’une PRI et de son examen du Guide jurisprudentiel (GJ). Une décision raisonnable est intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[6] Les demandeurs soutiennent de manière préliminaire et maladroite que la demande devrait faire l’objet d’un nouvel examen puisque le GJ TB7-19851 sur lequel la SAR s’est appuyée est maintenant révoqué.

[7] Subsidiairement, les demandeurs affirment qu’ils seront persécutés dans la région visée par la PRI puisque le DP y a de la famille, ce qui est à la faveur des agents de persécution, qui pourront localiser les demandeurs à leur arrivée dans la région. De plus, selon eux, le fait que la PRI soit dans une grande région urbaine ne constitue pas une solution, et la présence d’une population nombreuse ne rend pas la PRI raisonnable.

[8] On fait valoir également que, eu égard aux directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe, la PRI est déraisonnable compte tenu de la stigmatisation et du rejet par la communauté découlant du refus d’exciser les filles; subsidiairement, il faudrait cacher ce fait.

[9] Premièrement, en ce qui concerne le recours au GJ, sans égard à sa révocation, le président de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié a indiqué que le cadre d’analyse qui y est exposé, à moins de conclusions de faits, peut servir de référence. Par ailleurs, la Cour fédérale a récemment confirmé son utilité, pourvu que « la nature et le degré de la dépendance de la SAR à l’égard du guide jurisprudentiel n’affaiblissent pas ses conclusions au point de les rendre déraisonnables » (Agbeja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 781 au para 78). La Cour doit alors poursuivre son examen relatif au caractère raisonnable de la décision rendue par la SAR.

[10] Dans la présente affaire, la SAR a réalisé une analyse indépendante de la preuve et a tenu compte des directives du président sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié et de celles concernant la persécution fondée sur le sexe.

[11] À l’égard du premier volet de l’analyse portant sur la PRI, la SAR a déterminé que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que le pouvoir et la portée des agents de persécution pouvaient poser un risque réel de persécution dans la région visée par la PRI. En particulier, au nombre des questions soulevées par la preuve, elle a constaté que le témoignage du DP était confus et vague quant à savoir quels membres de la famille se trouvaient dans la région et quelle était la fréquence de leurs contacts au fil des ans. Par conséquent, le DP n’a pas réussi à établir de manière crédible que dans cette région, des membres de la famille étaient à craindre. La SAR a souligné que, même si cela avait été établi de manière crédible, le lieu d’installation des demandeurs n’aurait pas été connu à moins que ceux-ci le divulguent, et que le risque de rencontrer des membres de la famille par hasard dans la région était plutôt faible.

[12] Concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR s’est penchée sur les conditions de la PRI, ainsi que sur la situation des demandeurs – unité familiale, religion, langue, éducation et expérience professionnelle – et a conclu que ces derniers n’avaient pas démontré que le choix de la PRI était déraisonnable. Bien que la situation ne soit pas la même, la SAR a pris en compte le GJ parce qu’il offrait diverses indications utiles permettant de trouver une PRI viable pour ceux qui fuient des acteurs non étatiques au Nigéria.

[13] En ce qui a trait à l’interprétation erronée de la preuve, il semble que l’examen de celle‑ci par la SAR n’ait pas été fait de manière déraisonnable ou que la SAR ait ignoré la preuve en mentionnant les circonstances de la PRI. De plus, la SAR est présumée avoir évalué et soupesé l’ensemble du dossier dont elle disposait (Basanti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068 au para 24). La prétention des demandeurs touche essentiellement à l’appréciation ou au poids de la preuve, et il n’appartient pas à la Cour de se prêter à un tel exercice (Vavilov, précité, au para 83).

[14] La Cour doit également rejeter les arguments secondaires avancés par les demandeurs au sujet du caractère raisonnable de la PRI parce qu’ils ne faisaient pas partie du dossier dont disposait la SAR (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 aux para 23‑24). De toute façon, ces arguments ne répondent pas aux exigences établies par la jurisprudence concernant le deuxième volet du critère de la PRI.

[15] Enfin, après examen de la décision de la SAR, on ne saurait affirmer que le GJ a été suivi de telle sorte que les motifs soient non justifiés quant à la situation personnelle des demandeurs – celle-ci appuyant la conclusion que la PRI est raisonnable. En effet, la Cour d’appel fédérale a reconnu récemment les GJ en tant que cadres d’analyses pertinents n’empiétant pas sur le pouvoir de tirer de véritables conclusions de fait (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 aux para 75, 95, 98, 100).

[16] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7429-19

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier. L’intitulé est modifié de manière à remplacer « Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7429-19

 

INTITULÉ :

TUNDE IKECHUKWU OGUNKUNLE et AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JANVIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Aboubacar Sidiki Coulibaly

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ASC Avocat Montréal

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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