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Date : 20050201

Dossier : T-1249-04

Référence : 2005 CF 162

Toronto (Ontario), le 1er février 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGEMACTAVISH

ENTRE :

                                                            JEROME KATCHIN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                          AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Commission canadienne des droits de la personne a décidé de ne pas statuer sur la plainte relative aux droits de la personne que le Dr Jerome Katchin avait déposée contre son employeur, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), parce qu'elle a conclu que la plainte avait été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après les faits sur lesquels elle est fondée.

[2]                Le Dr Katchin fait valoir que la décision de la Commission devrait être annulée pour trois raisons. D'abord, il allègue que sa plainte faisait état d'une discrimination continue qui s'est poursuivie jusqu'à la date du dépôt de ladite plainte auprès de la Commission. En conséquence, le délai d'un an prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne a été respecté et la Commission aurait dû statuer sur la plainte. Subsidiairement, si la plainte a été déposée en dehors du délai imparti, le Dr Katchin allègue que la Commission a commis une erreur en refusant d'exercer son pouvoir discrétionnaire qui lui permet de statuer sur la plainte en tout état de cause. En dernier lieu, le Dr Katchin affirme qu'en raison de la conduite de la Commission, il pouvait légitimement s'attendre à ce que celle-ci statue sur la plainte, même s'il ne l'a pas déposée à l'origine de la façon prescrite par la Commission.

[3]                Après avoir entendu les parties, je les ai informées que j'accueillais la demande, parce que je suis convaincue que la Commission a commis une erreur en concluant que la plainte du Dr Katchin avait été déposée en dehors du délai imparti. Voici les motifs de ma décision.

Objection préliminaire concernant le contenu du dossier de la demande

[4]         Étant donné que la question peut être tranchée sur la foi des documents dont les commissaires de la Commission canadienne des droits de la personne étaient saisis lorsqu'ils ont décidé de ne pas statuer sur la plainte, il n'est pas nécessaire d'examiner l'objection de l'ACIA au sujet du contenu du dossier de la demande du Dr Katchin.


Disposition pertinente de la Loi

[5]         Le refus de la Commission de statuer sur la plainte du Dr Katchin était fondé sur l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, dont voici le libellé :


41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants [...]

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that ...

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.


Plainte relative aux droits de la personne du Dr Katchin

[6]         Le 31 juillet 2003, le Dr Katchin a déposé auprès de la Commission une plainte relative aux droits de la personne dans laquelle il a allégué qu'il avait été victime de discrimination au cours de son emploi, en raison de son origine nationale ou ethnique, de sa race, de sa religion, de son état matrimonial et de son orientation sexuelle perçue.


[7]                Dans sa plainte, le Dr Katchin décrit le harcèlement et les autres traitements discriminatoires dont il a longtemps été victime de la part de ses collègues de travail et des personnes avec lesquelles il a été en contact dans le cadre de son emploi. Il reproche également à la direction de l'ACIA de ne pas avoir pris de mesures pour améliorer de façon satisfaisante l'environnement de travail malsain qu'il devait supporter. Enfin, il allègue que l'ACIA a exercé des représailles contre lui parce qu'il avait soulevé un certain nombre de questions concernant l'éthique professionnelle des vétérinaires de l'ACIA.

[8]                Il convient de souligner qu'à ce stade-ci, il s'agit de simples allégations, rien n'ayant encore été prouvé.

[9]                Dans sa plainte, le Dr Katchin décrit un certain nombre d'incidents de façon assez détaillée, notamment un incident qui serait survenu au cours d'un atelier de travail sur les relations de travail tenu le 25 mai 2002. De plus, il décrit les insultes verbales qu'il devait régulièrement supporter.

[10]            Selon la plainte, ces insultes se sont poursuivies jusqu'au dépôt de la plainte en juillet 2003; à titre d'exemple, le Dr Katchin se faisait traiter de noms comme « Hebe » (youpin), « Homo » (pédé) et « Jew Boy » (garçon juif).


[11]            Le Dr Katchin mentionne dans sa plainte que les insultes et insinuations se sont poursuivies après l'incident du 25 mai 2002, bien qu'un peu moins fréquemment. Il décrit explicitement un incident qui s'est produit peu avant le dépôt de la plainte et au cours duquel il s'est fait demander pourquoi il ne s'était jamais marié. Avant que le Dr Katchin puisse répondre, un collègue de travail serait intervenu et aurait affirmé que c'est parce qu'il attendait « Mr. Right » (l'homme idéal).

L'enquête menée par la Commission canadienne des droits de la personne en application de l'article 41

[12]       Après le dépôt de la plainte du Dr Katchin, la Commission a demandé à un enquêteur de l'aider à décider si elle devrait statuer sur la plainte. Après avoir consulté le Dr Katchin et l'ACIA, l'inspecteur a préparé un bref rapport dans lequel il a recommandé à la Commission de ne pas statuer sur la plainte, parce qu'elle avait été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée.

[13]       Dans le résumé de la plainte qu'il a présenté dans son rapport, l'enquêteur souligne l'allégation du Dr Katchin selon laquelle les actes discriminatoires se sont poursuivis jusqu'en juillet 2003. Cependant, dans la section suivante, l'enquêteur commente ce qu'il appelle les raisons du retard à déposer le rapport. Il mentionne que le Dr Katchin a communiqué avec la Commission en mai 2003 au sujet de l'incident survenu en mai 2002, mais poursuit en faisant remarquer que le plaignant n'a signé le formulaire de plainte que le 31 juillet 2003.

[14]       L'enquêteur commente ensuite dans son rapport l'allégation de la défenderesse selon laquelle elle serait lésée si la Commission statuait sur la plainte en raison du retard, après quoi il analyse l'affaire.


[15]       En fait, la partie « analyse » du rapport d'enquête n'est pas vraiment une analyse, mais plutôt une série de conclusions. Voici les extraits pertinents de cette analyse :

[TRADUCTION]

13.           La plainte a été déposée en dehors du délai imparti.

14.           La dernière conduite discriminatoire reprochée a eu lieu le 25 mai 2002 et non en juillet 2003, comme le soutient le plaignant.

15.            Le formulaire de plainte a été signé le 31 juillet 2003, après le délai d'un an.

[16]       Le rapport d'enquête ne renferme aucune explication au sujet de la façon dont l'enquêteur en est venu à la conclusion que le dernier incident de conduite discriminatoire a eu lieu le 25 mai 2002 et non en juillet 2003, comme l'indiquait la plainte du Dr Katchin.

La décision de la Commission canadienne des droits de la personne

[17]       Le rapport d'enquête a été communiqué au Dr Katchin et à l'ACIA et chacun d'eux a eu l'occasion de présenter ses commentaires au sujet du rapport.

[18]       Dans ses observations supplémentaires, le Dr Katchin a souligné qu'il était allégué dans sa plainte que la conduite discriminatoire s'est poursuivie jusqu'en juillet 2003. Selon lui, le dernier événement au sujet duquel il se plaignait a eu lieu au début de juillet 2003 et non en mai 2002, comme l'enquêteur l'a affirmé au paragraphe 14 de son rapport.

[19]       Les observations supplémentaires de l'ACIA ne comportent aucun commentaire au sujet de la date à laquelle le dernier acte discriminatoire aurait eu lieu.


[20]       Après avoir pris connaissance du rapport d'enquête et des observations supplémentaires des parties, la Commission a décidé qu'elle ne statuerait pas sur la plainte du Dr Katchin, parce qu'elle avait été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée.

Question en litige

[21]       Bien que le Dr Katchin ait soulevé trois questions à trancher dans sa demande, j'estime que la seule question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la plainte du Dr Katchin avait été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée.

Norme de contrôle

[22]       Il n'est pas nécessaire non plus d'examiner les observations opposées des parties au sujet de la norme de contrôle applicable quant à la décision de la Commission sur la question de savoir si la plainte a été déposée à l'intérieur du délai d'un an prescrit par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Même lorsque j'applique la norme de retenue la plus élevée, la décision ne peut être confirmée.

Analyse


[23]       Dans sa plainte, le Dr Katchin allègue qu'il a été victime de nombreux actes discriminatoires dans le cadre de l'emploi qu'il exerçait pour l'ACIA, lesquels actes se seraient poursuivis jusqu'en juillet 2003. C'est précisément pendant ce mois qu'il a déposé sa plainte relative aux droits de la personne auprès de la Commission.

[24]       Dans sa plainte, le Dr Katchin indique clairement qu'il a été constamment injurié au cours de la période allant de mai 2002 à juillet 2003. Il a donné un exemple précis d'une remarque qu'un collègue de travail lui a adressée pendant cette période et qui semble être liée à l'orientation sexuelle perçue du demandeur.

[25]       Il appert des observations supplémentaires du Dr Katchin que cet incident serait survenu au début de juillet 2003.

[26]       Malgré ces faits, l'enquêteur a conclu que le dernier incident de conduite discriminatoire reproché par le Dr Katchin est survenu le 25 mai 2002 et non en juillet 2003, comme celui-ci l'a soutenu.

[27]       La Commission a souscrit à cette conclusion dans sa décision de ne pas statuer sur la plainte du Dr Katchin.


[28]       Comme l'avocat de la défenderesse l'a admis à juste titre, il est impossible de savoir comment les commissaires en sont arrivés à la conclusion que la plainte du Dr Katchin avait été déposée en dehors du délai imparti sur la foi des renseignements portés à leur connaissance. Étant donné que la plainte du Dr Katchin renvoie clairement à une conduite discriminatoire qui s'est poursuivie jusqu'à la date du dépôt de la plainte, la conclusion de la Commission selon laquelle le dernier acte discriminatoire mentionné dans celle-ci aurait eu lieu en mai 2002 est manifestement déraisonnable et ne peut être confirmée.

Conclusion

[29]       Le texte de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est impératif. Cela signifie que la Commission doit « statuer » sur une plainte, à moins que l'affaire ne soit visée par l'une ou l'autre des exceptions énumérées, dont aucune n'est pertinente en l'espèce.

[30]       Étant donné que j'en suis arrivée à la conclusion que la plainte du Dr Katchin avait été déposée à l'intérieur du délai imparti, il s'ensuit que la Commission doit statuer sur cette plainte. Cela ne signifie pas qu'elle doit renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne en vue d'une audience, mais simplement qu'elle doit mener une enquête sur le bien-fondé des allégations du Dr Katchin pour savoir si une instruction par le Tribunal est justifiée.

[31]       En conséquence, la demande est accueillie. La décision datée du 4 juin 2004 de la Commission canadienne des droits de la personne est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'elle statue sur la plainte du Dr Katchin.


Dépens

[32]       Après avoir entendu les parties sur la question des dépens, je suis d'avis que les dépens devraient suivre l'issue de la cause.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision datée du 4 juin 2004 de la Commission canadienne des droits de la personne est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'elle statue sur la plainte relative aux droits de la personne déposée par le Dr Katchin.

                                                                                  _ A. Mactavish _                 

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1249-04

INTITULÉ :                                        JEROME KATCHIN

                                                                                           demandeur

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

                                                                                        défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 28 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MADAME LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 1er FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham                                         Pour le demandeur

Sonia Barrette                                                   Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP                              Pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              Pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada


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