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Date : 20011217

Dossier : IMM-1026-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1389

ENTRE :

                                                                      JING NAN CUI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande fondée sur le paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi) visant à obtenir le contrôle judiciaire en application de la Loi sur la Cour fédérale d'une décision datée du 1er février 2001 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]         Le demandeur est un homme marié de trente-sept ans, originaire d'une province de la Chine du Nord-Est.


[3]         Le demandeur s'est marié en octobre 1986 et sa femme et lui ont eu leur premier enfant en février 1988. Cependant, en septembre 1995, l'épouse du demandeur s'est aperçue qu'elle était encore enceinte. Le demandeur est donc le père de deux enfants : une fille de douze ans et un garçon de quatre ans.

[4]         Son deuxième enfant est né sans la permission des autorités chinoises. Quand elles ont découvert cela, les autorités chinoises lui ont imposé une amende de 10 000 yuan et les autorités responsables de la planification des naissances ont ordonné que l'un d'eux se fasse stériliser. En outre, des responsables de la planification des naissances ont détruit les meubles que possédait la famille du demandeur et ont menacé celle-ci d'emprisonnement si la stérilisation n'était pas effectuée.

[5]         Le demandeur craint que s'il retourne en Chine il existe un mandat d'arrêt contre lui.

[6]         Après ces incidents, le demandeur et sa femme se sont cachés, mais dans des endroits différents. Le demandeur a obtenu les services d'un passeur clandestin, qui a décidé de l'emmener au Canada d'abord et lui a promis d'emmener sa femme ensuite.

[7]         Le demandeur est arrivé au Canada le 10 juin 1998, mais il n'a revendiqué le statut de réfugié que le 14 juillet 1999. Pendant ce temps, le demandeur se cachait, et il a vécu grâce à la somme de cinq mille dollars US qu'il avait apportée avec lui.


[8]         Il fonde sa revendication entièrement sur la possibilité qu'il soit stérilisé s'il retourne en Chine puisque sa femme et lui contrevenaient à la politique chinoise de l'enfant unique.

[9]         À la connaissance du demandeur, sa femme n'a pas été stérilisée, mais il n'a pas eu beaucoup de contacts avec elle depuis juillet 2000, quand elle lui a écrit une brève note.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[10]       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu'il n'y a pas plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté parce qu'il a contrevenu à la politique chinoise de l'enfant unique?

L'ANALYSE

[11]       Non, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il n'y a pas plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté parce qu'il a contrevenu à la politique de l'enfant unique.

La norme de contrôle applicable

[12]       Il faut d'abord et avant tout définir la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à l'égard des décisions de la Commission. Généralement, la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions de fait et de droit est celle de la décision manifestement déraisonnable, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de droit pur est celle de la décision correcte.


[13]       Dans Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a déclaré :

[par. 45] D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable.

[14]       Plus tard, dans Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier a conclu :

[par. 5] La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.

[15]       En l'espèce, les questions soulevées par le demandeur sont des questions de fait. En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[16]       Encore une fois, dans Boye, [1994] A.C.F. 1329, le juge en chef adjoint Jerome a affirmé :

[par. 6] De plus, la section du statut de réfugié peut tirer une conclusion défavorable à l'égard de la crédibilité du demandeur en raison de l'invraisemblance de son récit, pourvu que l'on puisse raisonnablement dire que les déductions qu'elle fait existent. Le tribunal peut régulièrement tirer des conclusions défavorables à l'égard de la crédibilité d'un individu, à condition qu'il motive sa décision dans des termes clairs et sans équivoque.

[par. 7] Après avoir étudié attentivement les motifs de la section du statut de réfugié en l'espèce, je suis convaincu qu'elle a examiné et pesé tous les éléments de preuve soumis par le demandeur [...]. Je suis incapable de conclure que le tribunal n'a pas tenu compte des éléments de preuve dont il disposait ni que ses conclusions étaient tirées de façon abusive ou arbitraire. En l'absence d'une telle erreur dominante, rien ne me justifie d'intervenir dans sa décision.


La simple possibilité de persécution

[17]       La Commission était appelée à déterminer si le demandeur pouvait satisfaire au critère établi dans la décision Adjei, [1989] 2 C.F. 680, selon lequel :

[par. 8] Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de possibilité « sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.

[18]       Pour satisfaire à ce critère, le demandeur doit établir qu'il craint avec raison d'être persécuté s'il est renvoyé en Chine. La Commission a écrit à la page 3 de sa décision :

Le revendicateur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa crainte est fondée et qu'il existe plus qu'une simple possibilité de persécution. Le tribunal considère qu'il y a possibilité de persécution, mais pas plus qu'une simple possibilité.

[19]       La Commission était convaincue que, comme les autorités responsables de la planification familiale avaient recherché le demandeur pour la première fois il y a trois ans et demi, elles ne s'intéressaient plus à lui, et qu'il était plus vraisemblable qu'on stérilise l'épouse du demandeur que celui-ci. Cependant, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas produit des éléments de preuve contraignants sur la question de savoir si son épouse avait déjà été stérilisée. La Commission a indiqué à la page 3 de sa décision :

Même s'il se peut que le comité de planification des naissances désire encore que cet homme de 37 ans, qui a déjà été puni, soit stérilisé ou que sa femme de 36 ans le soit, cette probabilité est déjà plus mince qu'il y a trois ans et demi. Il est certainement plus vraisemblable qu'on recherche la femme plutôt que le mari, et pourtant cette femme vit dans la même communauté depuis un bon moment déjà, semble-t-il, sans qu'on l'ait trouvée.


[20]       Le demandeur soutient que cette conclusion est insoutenable à la lumière de la conclusion générale de crédibilité, et que rien ne prouve que l'écoulement du temps diminuerait l'intérêt que les autorités chinoises ont pour lui. Le défendeur, toutefois, est d'avis que le demandeur devrait être en mesure d'établir que les autorités responsables de la planification des naissances s'intéressent toujours à lui, si effectivement c'est le cas. En outre, le demandeur estime que cette conclusion ne tient aucun compte de son témoignage selon lequel son épouse [TRADUCTION] « se cachait » à la campagne. Pour lui, compte tenu de la conclusion générale de crédibilité, il existe une explication logique au fait que les autorités chinoises n'ont pas trouvé son épouse au cours des trois dernières années et demie. À la page 24 de la transcription, on indique :

[TRADUCTION]

Cooke :                      O.K., Merci [...] maintenant, votre mère élève vos deux enfants?

Revendicateur :        Oui.

Cooke :                      Et ils ne peuvent pas du tout les faire sortir voir leur mère?

Revendicateur :        Parce qu'elle se cache à la campagne, alors ils ne veulent éveiller aucun soupçon - aucun.

[21]       Cette discussion a logiquement mené à l'examen de la deuxième question litigieuse dont était saisie la Commission. Le commissaire s'est informé de la fréquence des communications entre le demandeur et son épouse, et ce, pour déterminer si cette dernière avait été stérilisée ou non. À la page 24 de la transcription, on indique :

[TRADUCTION]

Cooke :                      Vous-êtes vous informé quant à savoir si votre femme avait été stérilisée?

Revendicateur :        Je me suis informé.

Cooke :                      Auprès de qui?

Revendicateur :        Mon beau-père.

Cooke :                      Et quand lui avez-vous demandé cela?

Revendicateur :        Je ne suis pas trop certain de la date, mais c'est au mois de mai ou juin.

Cooke :                      Et qu'a-t-il alors répondu?


Revendicateur :        Non.

[22]       La Commission avait des doutes sur le fait qu'il y avait eu peu de communications entre le demandeur et son épouse quant à la possibilité de la stérilisation de celle-ci. En fait, la Commission a clairement noté que le demandeur avait eu peu de contacts avec son épouse depuis son départ de la Chine et qu'il n'avait pas du tout essayé de communiquer avec elle depuis juillet 2000. À la page 2 de la décision, il ressort que l'absence de communication n'a pas été de bon augure pour le demandeur :

Six mois se sont donc écoulés sans que ce tribunal soit informé des probabilités que sa femme ait été stérilisée.

[23]       En bref, la Commission a conclu que le demandeur ne pouvait s'acquitter du fardeau que lui impose le critère établi dans la décision Adjei, précitée. Le demandeur n'a produit aucun élément de preuve contraignant quant à la question de savoir si son épouse avait ou non été stérilisée. En outre, la Commission a semblé croire qu'il était plus probable qu'on stérilise l'épouse du demandeur que celui-ci.

[24]       Par conséquent, il n'y avait qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s'il retournait en Chine.

[25]       L'avocat du demandeur prétend que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle à la page 4 de sa décision :

Je dois néanmoins reconnaître que s'il retourne là-bas et se présente au point d'entrée alors qu'il existe un mandat d'arrêt contre lui, il pourrait être victime de mesures plus graves. Cependant, il sait où se trouve sa femme et je pense qu'il pourrait alors prendre des dispositions si les responsables de la planification des naissances persistaient à imposer la stérilisation.


[VERSION ANGLAISE] Mind you, I have to acknowledge that if he were to return and arrive at the port of entry and, there was, in fact, a warrant outstanding for him, he, at that point, could be subjected to more serious actions on the part of officials. But he is aware of where his wife is and, I suspect that arrangements could be made at that point if family planning authorities still wanted to obtain sterilization.

[26]       Le demandeur soutient que cette conclusion (version anglaise) est déraisonnable et qu'elle a été tirée de façon abusive et arbitraire parce que [TRADUCTION] « le tribunal laisse entendre que, si le demandeur était arrêté, des dispositions pourraient être prises en vue de la stérilisation de son épouse » .

[27]       Le défendeur prétend que la Commission conclut plutôt que des « dispositions » pourraient être prises pour [TRADUCTION] « éviter » la prise de « mesures plus graves » (la stérilisation).

[28]       À mon avis, ce paragraphe pourrait être plus clair. Quoi qu'il en soit, la décision de la Commission doit être interprétée dans son ensemble; je dois également garder à l'esprit qu'il ne s'agit là que de conjectures parce qu'il n'y a aucun élément de preuve contraignant indiquant si l'épouse du demandeur a été stérilisée ou non et s'il y a toujours un mandat d'arrêt.

[29]       Même si la Commission avait mieux formulé ce paragraphe, je ne puis conclure que cette erreur justifie l'intervention de la Cour.


                                                               O R D O N N A N C E

EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Ni un ni l'autre avocat n'a proposé une question à certifier.

« Pierre BLAIS »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                IMM-1026-01

INTITULÉ :                                          Jing Nan Cui c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 12 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                        Le 17 décembre 2001

COMPARUTIONS:

M. Hart A. Kaminker                                                                     POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen Jarvis                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Kranc & Associates                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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