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Date : 20031216

Dossier : IMM-9530-03

Référence : 2003 CF 1477

ENTRE :

                                                                    ALICIA THOMAS

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Par requête déposée le 3 décembre 2003, la demanderesse demande les redressements suivants :

[traduction]

(1)           une ordonnance de sursis de la mesure de renvoi [en instance contre la demanderesse] jusqu'au dernier en date des événements suivants : a) une décision relative à la demande principale de contrôle judiciaire en l'espèce a été rendue; b) la demande d'autorisation relative à la décision de l'agent d'examen des risques dans le dossier no IMM-9122-03 et c) la demande d'établissement ont été tranchées;

(2)           les dépens relatifs à la requête;

(3)           toute autre ordonnance conseillée par l'avocate et autorisée par la Cour.


[2]                 La « demande principale de contrôle judiciaire en l'espèce » est une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d'une agente d'expulsion qui a rejeté la demande de sursis de la mesure de renvoi du Canada de la demanderesse jusqu'à ce qu'une décision soit prise relativement à sa demande d'établissement en instance, faite au Canada, pour des raisons d'ordre humanitaire. La décision est datée du 2 décembre 2003 et, lorsque la requête a été entendue par la Cour le 8 décembre 2003, la date du renvoi de la demanderesse en Jamaïque avait été fixée au 12 décembre 2003.

[3]                 Aucune requête dans le but d'obtenir un sursis à la mesure de renvoi n'a été déposée au nom de la demanderesse dans le dossier IMM-9122-03 dans lequel la demanderesse demande l'autorisation et le contrôle judiciaire d'une décision qui a suivi un examen des risques avant renvoi.

[4]                 La demanderesse a déposé, au Canada, une demande d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire, en février 2003. Aucune décision n'a été prise à cet égard et la Cour n'est saisie d'aucune question en rapport avec cette demande.


CONTEXTE

[5]                 La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque qui est née en février 1973. Elle a apparemment vécu en Jamaïque jusqu'à son départ pour le Canada. Elle est arrivée au Canada à la fin du mois d'octobre 1992. Elle vit donc au Canada depuis quelque onze (11) ans. En Jamaïque, la demanderesse a vécu dans le tourment. Très jeune, entre l'âge de douze (12) ans et de quatorze (14) ans, un événement extrêmement traumatisant s'est produit dans sa vie, événement qu'elle n'a apparemment divulgué à personne jusqu'à son arrivée au Canada, puis uniquement à son conjoint en 1994, puis ensuite uniquement lorsqu'elle a décrit cette expérience en 2002, pendant une audience sur le statut de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal saisi de sa demande n'a pas cru le récit qu'elle a fait de l'expérience traumatisante.

[6]                 La demanderesse a formé une relation de soutien au Canada en 1994 et cette relation dure toujours. En fait, elle et son conjoint se sont mariés en novembre de cette année. En outre, très récemment, la demanderesse a subi une évaluation psychosociale poussée dont les résultats ont été communiqués à son avocate et soumis à la Cour.

QUESTIONS EN LITIGE


[7]                 Dans la présente demande de sursis à la mesure de renvoi, il incombe à la demanderesse de prouver que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sur laquelle elle se fonde pour demander le sursis soulève une question sérieuse à trancher et qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé. Elle doit également prouver que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi du sursis. Le critère à trois volets (3) est conjonctif et non disjonctif.

ANALYSE

            i)          Question préliminaire

[8]                 Tel que susmentionné dans les présents motifs, alors que la demanderesse demande le sursis uniquement en rapport avec le dossier de la Cour concernant sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du refus de surseoir à son renvoi, elle demande également un redressement en rapport avec une autre demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'elle a déposée devant la Cour et avec sa demande d'établissement en instance, faite depuis le Canada, pour des raisons d'ordre humanitaire.

[9]                 Je suis convaincu que la demanderesse ne peut, en l'espèce, demander un sursis de la mesure de renvoi qui pourrait très bien se poursuivre après qu'une décision finale aura été rendue concernant la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sur laquelle elle fonde sa demande de sursis. Ainsi, si la demanderesse doit obtenir le sursis de la mesure de renvoi, et elle l'a obtenu, le redressement ne sera accordé que jusqu'à la décision finale relative à la demande principale.


ii)         Questions sérieuses à trancher

[10]            L'avocate de la demanderesse a demandé un sursis au renvoi de la demanderesse dans une lettre datée du 28 novembre 2003 adressée à l'agente d'expulsion qui a remis à la demanderesse sa « convocation » en vue d'être renvoyée. L'avocate a écrit :

[traduction] Vous disposez d'un pouvoir discrétionnaire compte tenu des faits hors de l'ordinaire de la présente affaire, et nous vous demandons de bien vouloir exercer ce pouvoir afin d'éviter à Mme Thomas le désagrément d'avoir à faire face à une situation aussi menaçante sur le plan psychologique, au sein d'une société qui est susceptible de l'exposer de nouveau à un risque.

L'agente d'expulsion a refusé le sursis en mentionnant uniquement l'obligation du ministre, en vertu de la loi, d'effectuer le renvoi « [...] dès que les circonstances le permettent » .

[11]            L'avocate a demandé à l'agente d'expulsion de lui donner ses motifs. L'agente d'expulsion a refusé la demande en indiquant dans les notes au dossier annexées à son affidavit en l'espèce qu'une telle demande de motifs [traduction] « [...] doit être faite par l'entremise du coordonnateur de la protection des renseignements personnels » . Je suis convaincu que cette réponse soulève une question sérieuse à trancher relativement à la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sur laquelle repose la requête en vue d'obtenir un sursis au renvoi de la demanderesse.


[12]            Il ressort clairement du dossier déposé au nom du défendeur, dans la présente requête en vue d'obtenir un sursis, que l'agente d'expulsion a préparé des notes manuscrites qui décrivent les motifs pour lesquels elle a refusé la demande de sursis. Le refus d'un sursis est une décision qui peut avoir de profondes répercussions sur certaines personnes, notamment la demanderesse. Les principes adoptés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[1] me convainquent que, lorsque des motifs sont écrits, comme ils l'ont été relativement aux faits en l'espèce, et qu'une demande relative à ces motifs est déposée en temps opportun, la question de savoir si l'agent qui a préparé ces motifs est tenu de les fournir, encore une fois en temps opportun et non au moyen d'un processus relativement long et complexe comme celui qui est prévu dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, est une question sérieuse qu'il faut trancher[2].

iii)         Préjudice irréparable


[13]            Le renvoi de la demanderesse en Jamaïque, là où ont eu lieu les événements troublants du passé et qui est un pays où il est peu probable qu'elle puisse bénéficier d'un certain appui, entraînerait, selon moi, un risque de préjudice grave, quoique non irréparable, à la demanderesse, en raison de son état psychologique de vulnérabilité, selon la preuve dont dispose la Cour, et du fait que lui serait enlevée la relation de soutien et d'interdépendance qu'elle a conservée pendant quelque dix (10) années avec l'homme qui est aujourd'hui son mari. Dans le même ordre d'idées, et encore une fois, compte tenu de la preuve dont la Cour dispose, je suis convaincu que le renvoi de la demanderesse causerait un préjudice à son partenaire de longue date, aujourd'hui son mari.

[14]            Toutefois, aucune de ces considérations ne m'amènerait à conclure à un préjudice irréparable causé par le renvoi de la demanderesse, si ce n'est la divulgation très récente, apparemment faite avec réticence, de l'existence d'un enfant que le mari de la demanderesse aurait eu avec une autre femme. L'enfant est un citoyen canadien, tout comme son père, et il a aujourd'hui environ quatre (4) ans. En vertu d'un accord entre la mère de l'enfant et le mari de la demanderesse, les parents de l'enfant ont la garde partagée et le mari de la demanderesse a la garde de l'enfant toutes les deux semaines. La mère de l'enfant reconnaît le rôle de la demanderesse qui s'occupe de l'enfant pendant les semaines pendant lesquelles le père a la garde de l'enfant.


[15]            Encore une fois, dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême nous enseigne que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la principale préoccupation. Il ne faut pas tenir rigueur à l'agente d'expulsion qui n'a pas tenu compte de cet intérêt en examinant la demande de sursis du renvoi puisqu'apparemment, elle n'était pas au courant de l'existence de l'enfant, mais maintenant que la Cour sait que cet enfant existe, je suis convaincu qu'il s'agit d'un intérêt dont elle doit dûment tenir compte lorsqu'elle est appelée à décider si un préjudice irréparable serait causé par le renvoi de la demanderesse en ce moment[3].

[16]            Comme je l'ai dit plus tôt, je suis convaincu que le renvoi de la demanderesse en Jamaïque, en ce moment, entraînerait vraisemblablement un préjudice grave, quoique non irréparable, à la demanderesse. Je tire cette conclusion en me fondant sur le rapport psychosocial déposé devant la Cour. Dans le même ordre d'idées, tel que susmentionné, je suis convaincu que le renvoi de la demanderesse causerait un préjudice à son époux, ces deux personnes étant très interdépendantes selon la preuve dont la Cour est saisie. Cependant, ce qui m'amène surtout à dire que le renvoi de la demanderesse en Jamaïque en ce moment causerait un préjudice irréparable est l'intérêt supérieur du jeune enfant de son mari. Cet intérêt supérieur, conjugué aux conséquences du renvoi à la fois sur la demanderesse et sur son mari, m'amène à conclure que le préjudice qui serait causé par le renvoi de la demanderesse en Jamaïque, avant qu'une décision finale soit rendue relativement à la demande principale d'autorisation et de contrôle judiciaire, serait un préjudice irréparable.


iv)         Prépondérance des inconvénients

[17]            Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé sur la question sérieuse qu'il faut trancher et sur le préjudice irréparable et, compte tenu du dossier positif de la demanderesse au Canada pendant la période de temps relativement longue qu'elle a vécue dans ce pays, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise la demanderesse.

CONCLUSION

[18]            Par conséquent, la présente requête en vue d'obtenir le sursis de la mesure de renvoi est accueillie et une ordonnance de sursis au renvoi de la demanderesse en Jamaïque jusqu'à ce que la demande principale d'autorisation et de contrôle judiciaire fasse l'objet d'une décision finale est rendue.

                                                                           _ Frederick E. Gibson _             

                                                                                                             Juge                               

Ottawa (Ontario)

le 16 décembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-9530-03

INTITULÉ :                                                        ALICIA THOMAS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 8 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                     LE 16 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell                                            POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hinkson, Sachak, McLeod                                  POUR LA DEMANDERESSE

& Barnwell

Toronto (Ontario)

M5V 1X1

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Toronto (Ontario)

M5X 1K6


COUR FÉDÉRALE

                                   Date : 20031216

                      Dossier : IMM-9530-03

ENTRE :

ALICIA THOMAS

                                          demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                défendeur

ligne

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ligne



[1]         [1999] 2 R.C.S. 817.

[2]         Voir la décision Wright c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002) 20 Imm. L.R. (3d) 97, dans laquelle la juge Dawson a écrit, au paragraphe [18] :

Il serait préférable que les agents d'expulsion donnent une brève explication de leurs décisions. Je ne suis pas prête par contre, compte tenu des circonstances de l'espèce, à dire que le fait que le lettre de refus n'explique pas plus en détail les motifs de la décision de l'agente soulève une question sérieuse.

Je suis convaincu que le paragraphe ci-dessus se distingue des faits en l'espèce. Il ne s'agissait pas tout seulement d'une lettre dans laquelle il n'y avait pas de motifs détaillés. En fait, il s'agissait du refus d'une demande de motifs alors qu'apparemment, ces motifs existaient.

[3]         Quant au cas d'un agent d'expulsion dans des circonstances semblables à celles en l'espèce, voir : Jamal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F.    no 766 (1re inst.), au paragraphe 7.


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