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Date : 20031016

Dossier : IMM-1374-03

Référence : 2003 CF 1197

ENTRE :

                                                  NAZILA NAGHASHZADEH et

                                     SEYED NOUREDIN HOSSEINI SALAKDEH

                                                                                                                                        demandeurs

et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, déposée relativement à une décision datée du 6 février 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Nazila Naghashzadeh (la demanderesse principale) et Seyed Nouredin Hosseini Salekdeh (le demandeur à charge) ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les demandeurs demandent que la décision soit annulée et renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il rende une nouvelle décision.

[3]                 La demanderesse principale a fondé sa demande sur ses opinions politiques en raison de sa participation alléguée à un groupe d'opposition étudiant en Iran. Le demandeur à charge a fondé sa demande sur son appartenance à un groupe social en raison des difficultés que lui auraient causées les activités de son épouse. Dans sa décision, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas fourni d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui leur auraient permis de démontrer le bien-fondé de leur demande d'asile.

[4]                 La demanderesse principale est une iranienne âgée de 28 ans qui prétend avoir formé en 1999, avec trois de ses amis, un groupe étudiant antigouvernemental à Téhéran.

[5]                 Le demandeur à charge, qui n'était pas étudiant, a aidé le groupe en achetant un photocopieur qui permettrait la production de tracts destinés à être distribués. La demanderesse principale et ses amis distribuaient les tracts tard dans la nuit ou tôt le matin. Ces tracts contenaient des renseignements favorables au mouvement étudiant et des propos hostiles au chef suprême de l'Iran, l'ayatollah Khomeiny.


[6]                 Tôt le matin du 28 avril 2001, les autorités ont arrêté une membre du groupe qui distribuait des tracts. Témoin de l'arrestation, la demanderesse principale s'est immédiatement rendue chez elle et a informé son mari de l'incident. Ils ont quitté leur domicile ensemble et se sont rendus chez un ami afin de se soustraire à une arrestation.

[7]                 Le lendemain, les demandeurs ont entendu dire qu'une autre membre du groupe avait été arrêtée et que leur propre domicile avait fait l'objet d'une descente. Au cours de cette descente, le photocopieur ainsi qu'un certain nombre de tracts ont été saisis.

[8]                 Les demandeurs sont restés chez leur ami et ne sont pas retournés chez eux. Avec l'aide de leur ami, ils ont contacté un passeur pour qu'il organise leur départ de l'Iran.

[9]                 Au début du mois de mai 2001, les demandeurs, avec l'aide du passeur, ont quitté l'Iran pour Dubay, mais, une fois rendus à Dubay, les autorités leur ont dit que leurs papiers n'étaient pas en règle. Ils ont donc été forcés de retourner en Iran.

[10]            Le 20 juin 2001, après avoir obtenu de nouveaux papiers, les demandeurs ont réussi à quitter l'Iran. À bord de l'avion, ils ont détruit leur passeport iranien car le passeur les avait prévenus qu'autrement ils seraient expulsés. Les demandeurs ont présenté des demandes d'asile à leur arrivée à Vancouver, le même jour.


[11]            Dans sa décision, la Commission s'est montrée réticente à croire les allégations de la demanderesse principale, et ce, en raison d'incohérences dans les témoignages, de divergence par rapport à des informations objectives et d'éléments peu plausibles compte tenu du contexte juridique, social et culturel de l'Iran.

[12]            Pour ce qui est de la demanderesse principale, la Commission a affirmé que le scénario voulant qu'elle se soit trouvée dans une ruelle de Téhéran entre 2 h et 3 h du matin au moment de l'arrestation de son amie, sans être accompagnée par un homme de la famille, n'était pas plausible compte tenu des sévères restrictions imposées aux femmes en Iran.

[13]            La Commission a relevé les incohérences apparentes dans le témoignage de la demanderesse principale en ce qui a trait à l'arrestation de son amie : elle a dit dans son témoignage que la plaque d'immatriculation de la voiture conduite par les hommes ayant arrêté son amie avait un certain numéro, mais lorsqu'on lui a demandé si elle avait réussi à voir la plaque d'immatriculation dans l'obscurité, elle a répondu que non.

[14]            La Commission a souligné que, malgré l'allégation de la demanderesse principale suivant laquelle elle était une militante politique, elle n'avait pas su montrer qu'elle possédait le niveau attendu de connaissance des organisations protestataires étudiantes et de leurs objectifs.


[15]            Lorsqu'on l'a pressée de nommer l'organisation étudiante à laquelle elle appartenait, la demanderesse principale a nommé le Front démocratique de l'Iran, et elle a dit que cette organisation était dirigée par Tabarzadi et que les frères Mohammadi en étaient membres. Des éléments de preuve documentaire subséquemment produits par la demanderesse principale ont montré que cela n'était pas possible.

[16]            En outre, la Commission a dit que la preuve documentaire suivant laquelle on ne remet jamais de copie d'un mandat d'arrestation à un membre de la famille contredisait le témoignage dans lequel la demanderesse principale affirmait que des agents du gouvernement, munis d'un mandat d'arrestation, s'étaient présentés chez ses beaux-parents et avaient remis le mandat d'arrestation au frère de son époux. La Commission a rejeté l'explication fournie par le demandeur à charge, portant que son frère avait soudoyé les agents pour qu'ils lui laissent le mandat d'arrestation.

[17]            La Commission a relevé d'importantes contradictions entre les renseignements que la demanderesse principale a fournis dans le dossier de l'interrogatoire rempli devant un agent d'immigration et dans son FRP, et le témoignage qu'elle a produit devant la Commission.


[18]            La Commission a par la suite souligné le manque de crédibilité du témoignage du demandeur à charge. Plus précisément, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur à charge, portant qu'il avait acheté un photocopieur d'un ami et qu'il avait obtenu un reçu établi à son nom personnel, n'était pas plausible étant donné la preuve documentaire qui indiquait que la propriété des photocopieurs était limitée à certaines entreprises, aux hôpitaux et aux écoles.

[19]            La Commission n'a pas jugé plausible que les demandeurs aient passé trois fois sans problème par les contrôles de sécurité pourtant rigoureux de l'aéroport de Téhéran, en utilisant leur propre passeport, soi-disant après que leur maison eut été fouillée et que leur participation politique eut été confirmée.

[20]            Les demandeurs ont prétendu qu'une lecture de la décision dans son ensemble montre clairement que la Commission a agi de mauvaise foi. Les termes utilisés dans la décision et le manque total d'explications quant à savoir pourquoi elle a si peu tenu compte du témoignage des demandeurs illustrent l'omniprésence de mauvaise foi dans la décision de la Commission.

[21]            Le défendeur, pour sa part, affirme que la Commission a appliqué le critère juridique approprié lorsqu'elle a tiré ses conclusions quant à la crédibilité.

[22]            En outre, le défendeur soutient qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions qu'elles a tirées quant à crédibilité, compte tenu de l'ensemble de la preuve dont elle était saisie, et que la Commission n'a en aucun temps fait abstraction de la preuve ou mal interprété celle-ci.


[23]            Le défendeur souligne ensuite que les conclusions quant à la crédibilité sont des conclusions de fait relevant clairement du mandat et de l'expertise de la Commission, et qu'elles ne justifient pas l'intervention de la Cour, à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables.

[24]            Enfin, le défendeur dit que l'argument de mauvaise foi soulevé par les demandeurs est sans fondement parce qu'il n'y a aucune preuve de mauvaise foi de la part de la Commission. De plus, le principe de la mauvaise dans le renvoi d'un employé, invoqué à l'appui de la position des demandeurs, n'est pas pertinent dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision de la Commission.

[25]            Il est bien établi en droit que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable, comme l'a souligné la juge Snider dans la décision Ozo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 561 (C.F. 1re inst.) :

[10] [ ...] la norme de contrôle judiciaire appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui veut dire que les conclusions quant à la crédibilité doivent être étayées par la preuve et ne pas être tirées de façon arbitraire ni fondées sur des conclusions de fait erronées (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (Q.L.); Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 514 (C.A.) (QL); Muhammed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 815 (1re inst.) (QL)).


[11] Bien que notre Cour puisse être en aussi bonne position pour évaluer si la revendication du demandeur est plausible compte tenu de la preuve documentaire, elle n'a pas pour rôle d'apprécier de nouveau la preuve dont la Commission était saisie et il incombe toujours au demandeur de démontrer qu'il n'était pas raisonnable pour la Commission de tirer les inférences qui ont été les siennes (Aguebor, précitée). Même dans le cas où la Cour en serait arrivée à une autre conclusion sur le fondement de la preuve, la décision de la Commission ne doit pas être infirmée, à moins qu'elle ne soit abusive ou arbitraire ou rendue sans tenir compte des éléments dont celle-ci disposait (Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 560 (1re inst.) (QL); Tao c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 622 (1re inst.) (QL); Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1983] A.C.F. no 129 (C.A.) (QL); Muhammed, précitée).

[26]            En outre, la Cour d'appel fédérale a conclu que la Commission est autorisée à tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur le manque de plausibilité, le bon sens et la raison :

[4] Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.).

[27]            La norme de preuve applicable aux conclusions quant à la crédibilité est la prépondérance des probabilités. En l'espèce, la lecture de la décision de la Commission dans son ensemble montre clairement que la Commission a suffisamment motivé sa conclusion suivant laquelle les demandeurs n'étaient pas crédibles.


[28]            En fait, la Commission a largement motivé sa conclusion suivant laquelle les demandeurs n'étaient pas crédibles. Elle a donné notamment les motifs suivants : il n'est pas plausible qu'une jeune femme sorte seule aux petites heures du matin pour distribuer des tracts dans une ruelle de Téhéran, la demanderesse principale n'a pas établi qu'elle connaissait bien les organisations protestataires étudiantes, la preuve documentaire contredit l'association alléguée de la demanderesse principale au Front démocratique de l'Iran, il y a d'importantes contradictions entre le témoignage que la demanderesse principale a produit et les renseignements qu'elle a fournis dans le dossier de l'interrogatoire, il n'est pas plausible que les demandeurs aient pu passer trois fois sans problème par les contrôles de sécurité pourtant rigoureux de l'aéroport de Téhéran, en utilisant leurs propres passeports, soi-disant après que leur maison eut été fouillée et que leur participation politique eut été confirmée.

[29]            Tous ces motifs sont plus que suffisants pour me convaincre que la Commission a appliqué la norme de preuve appropriée. En conséquence, l'argument des demandeurs que la Commission s'est fondée sur un critère inconnu pour conclure qu'ils n'étaient pas crédibles est sans fondement. Plus précisément, les contradictions importantes entre le témoignage que la demanderesse principale a produit et les renseignements qu'elle a fournis dans le dossier de l'interrogatoire, et la conclusion de la Commission suivant laquelle la demanderesse principale a improvisé en bonne partie son témoignage, permettent à elles seules de conclure que la demande des demandeurs n'est pas crédible.

[30]            Pour déterminer si les conclusions tirées par la Commission sont raisonnables, il faut interpréter la décision la Commission dans son ensemble et l'analyser dans le contexte de la preuve elle-même, comme l'indique le juge Joyal dans la décision Miranda c. Canada (M.E.I.) (1993), 63 F.T.R. 81 (1re inst.) :


[3] Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble. Certes, on pourrait les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.

[31]            En bref, bien qu'elle n'ait pas énoncé tous les motifs à l'appui de ses conclusions, la Commission a suffisamment étayé les nombreuses contradictions contenues dans la preuve des demandeurs et les a clairement illustrées. En conséquence, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[32]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« P. Rouleau »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 16 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-1374-03

INTITULÉ :                                           NAZILA NAGHASHZADEH

c.

M.C.I.

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 1ER OCTOBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                        LE 16 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Bediako K. Buahene                               POUR LES DEMANDEURS

Caroline Christiaens                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bediako K. Buahene

Vancouver (C.-B.)                                  POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la Justice

Vancouver (C.-B.)                                  POUR LE DÉFENDEUR



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