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Date : 20030411

Dossier : IMM-2831-02

Référence neutre : 2003 CFPI 428

Toronto (Ontario), le vendredi 11 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                          ANANDHAJEYASEELAN SUBRAMANIAM

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 28 mai 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur est un Tamoul originaire de Colombo, au Sri Lanka. À l'époque de l'audience, il était âgé de vingt-huit ans. Il affirmait craindre avec raison d'être persécuté par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) et par le Parti démocratique populaire de l'Eelam (EPDP).

[3]                 Le demandeur a relaté avec franchise les faits qu'il invoquait à l'appui de sa revendication. Il a déclaré dans son FRP qu'il avait vécu l'essentiel de sa vie dans la région de Colombo, et qu'entre 1996 et la date de son départ du pays, il avait été arrêté et emmené au poste de police une vingtaine de fois, généralement dans le cadre de rafles et de contrôles d'identité. On peut résumer de la façon suivante les persécutions dont le demandeur affirme avoir été victime :

En octobre 1997, il a été pris dans une rafle après l'attentat à la bombe contre l'hôtel Galadhari et emmené au poste de police, où il a été interrogé et frappé. Sa mère l'a fait relâcher en payant quelqu'un 30 000 roupies.

En janvier 1998, il a été arrêté dans la rue alors qu'il attendait un ami. La police l'a accusé d'être complice des LTTE dans la destruction de transformateurs d'alimentation et dans un trafic d'armes.

En mars 2000, le demandeur et son frère ont été arrêtés par la police. Ils ont été interrogés et roués de coups et ont reçu l'ordre de ne pas quitter la ville de Colombo, ce qui limitait les déplacements du demandeur dans son travail.


En mai 2000, des policiers ont arrêté le demandeur pour la dernière fois. Ils l'ont interrogé au sujet d'un ancien associé et l'ont menacé « du pire » s'ils apprenaient qu'il avait le moindre contact avec un Tigre.

Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada, le 18 juin 2000.

[4]                 Dans sa décision, la CISR a exposé avec justesse les règles de droit applicables en matière de crédibilité :

Dans son évaluation de la crédibilité, le tribunal garde à l'esprit la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Maldonado (Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.); 31 N.R. 34 (C.A.F.)), où elle déclare, entre autres : Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter.

Cependant, malgré les éléments de preuve soumis par le demandeur au sujet du bien-fondé de sa revendication, la CISR a déclaré dès les premières pages de sa décision : « La crédibilité du revendicateur est remise en question notamment parce qu'il n'est pas muni des documents voulus » (à la page 5).

[5]                 La CISR s'est dite préoccupée par le fait que le demandeur n'avait pas produit le passeport en cours de validité dont il s'était servi pour sortir du Sri Lanka. Elle a déclaré :


En l'occurrence, les papiers utilisés par le revendicateur pour quitter son pays revêtent une importance considérable, car sa revendication repose sur le fait que la police s'intéressait de plus en plus à lui, le soupçonnant de soutenir les LTTE, au point de l'arrêter quatre fois après 1996, de lui faire subir de mauvais traitements et de le menacer de mort en mai 2000, ce qui a précipité sa décision de fuir le pays le 8 juin 2000. Comme le tribunal doit déterminer si le revendicateur a établi sa présence au Sri Lanka à des moments pertinents pour sa revendication, son passeport sri-lankais fournirait la meilleure preuve matérielle prima facie non seulement de son identité, mais également de sa présence au Sri Lanka quand le passeport a été délivré et à la date à laquelle il est sorti du pays. Comme il a témoigné qu'un nouveau passeport lui a été délivré en 1997 et qu'il a quitté le Sri Lanka en juin 2000, la présentation de son passeport y confirmerait sa présence lorsqu'il y a eu les sérieux problèmes qu'il prétend avoir eus.

Cependant, comme le revendicateur n'a pas présenté son passeport, ni même une photocopie dudit document, le tribunal examine donc les autres documents qu'il a fournis. À l'audience, il a présenté un certificat de naissance, une carte d'identité nationale (CIN) et deux déclarations attestant qu'il résidait à Colombo, l'une datant de 1995 et l'autre, de mai 2000. Le certificat de naissance et la CIN ont été envoyés au Haut-Commissariat du Canada à Colombo pour vérification, et ils ont été jugés authentiques. Cependant, ces documents n'établissent en rien sa présence au Sri Lanka entre 1997 et 2000. Le timbre apposé sur le certificat de naissance, apparemment nécessaire pour l'obtention de son passeport en 1995, atteste de sa présence dans le pays cette même année. Sa CIN, délivrée en 1990, confirme seulement qu'il est tamoul de Colombo.

(Décision, à la page 6)

[6]                 En ce qui concerne les documents produits par le demandeur pour prouver qu'il avait résidé à Colombo en 1995 et en 2000, la CISR a remis en question leur validité en déclarant :


Le revendicateur a également soumis deux copies d'un formulaire intitulé « Déclaration de détails concernant le résident/maître de maison » qui le nomme comme résident à la même adresse à Colombo. L'un date de 1995 et l'autre, de mai 2000. Le principal occupant, de toute évidence la mère du revendicateur, a signé les deux formulaires, attestant par là-même de leur véracité et de leur exactitude. Aux termes du Règlement sur les mesures d'urgence, à Colombo, les maîtres de maison tamouls doivent fournir la liste des personnes résidant sous leur toit sur ces formulaires, qu'ils doivent ensuite remettre à la police locale. Plusieurs anomalies font douter de l'authenticité des deux documents. Il semble, à première vue, que les deux documents aient été remplis par la même personne, mais un second examen soulève de sérieux doutes. Il ne faut pas être expert pour relever des différences évidentes entre la signature du principal occupant et l'écriture dans le reste des documents. Toutefois, ce qui est bien plus important et problématique, c'est l'absence de toute indication sur ces documents que le contenu en a été vérifié. Il s'agit de formulaires en blanc que quiconque peut passer prendre dans tout poste de police de Colombo et remplir à sa guise. Le revendicateur a déclaré que sa mère lui a envoyé tous ses documents. Or, elle n'est pas considérée comme une partie désintéressée par rapport à sa revendication du statut de réfugié. Faute d'élément de sécurité convaincant, ces documents n'ont guère de valeur probante. Ils n'établissent pas la présence du revendicateur à Colombo à des moments pertinents.

(Décision, aux pages 7 et 8)

[7]                 Le tribunal a par conséquent conclu ce qui suit :

S'appuyant sur Shanmuganathan (Shanmuganathan Kamagasabai c. M.C.I. (C.F. 1re inst., no IMM-2019-94), le lundi 2 mai 1995), le tribunal conclut que le revendicateur n'a pas établi sa présence au Sri Lanka dans la période la plus pertinente en ce qui concerne sa revendication. Il sait quand il est arrivé au Canada, mais aucune preuve digne de foi ne le situe géographiquement dans les cinq années qui précèdent son arrivée. Il aurait pu être n'importe où dans le monde. Le tribunal ne sait pas pourquoi il a quitté le Sri Lanka, mais il estime que ce n'est pas pour les motifs qu'il a donnés. Il déclare craindre avec raison d'être persécuté et il lui incombe d'établir le bien-fondé de sa revendication en présentant des preuves dignes de foi à ce sujet. Or, il ne l'a pas fait.

(Décision, à la page 12)

[8]                 Je suis d'accord avec l'avocat du demandeur pour dire que la conclusion tirée au sujet des « Déclaration(s) de détails concernant le résident/maître de maison » revêt une importance capitale en ce qui concerne l'évaluation de la revendication. En effet, si ces documents sont considérés valides, on répondrait ainsi à la principale réserve formulée par la CISR au sujet de la crédibilité du revendicateur, qui est remise en question parce qu'il « n'est pas muni des documents voulus » , et on dissiperait peut-être ainsi les doutes de la CISR. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis qu'en tirant cette conclusion au sujet de ces documents cruciaux, la CISR a manqué aux principes de l'application régulière de la loi.

[9]                 Il est acquis aux débats que les deux documents en question ont d'abord été produits devant la CISR sans commentaires et que la seule question qui a été posée au demandeur à leur sujet consistait à lui demander d'en préciser le contenu. En d'autres termes, la CISR n'a jamais, au cours de l'audience, remis en doute la validité de ces documents, de sorte que le demandeur n'a pas eu la possibilité de fournir d'autres éclaircissements ou de formuler d'autres arguments au sujet de leur validité.

[10]            Je conclus que la CISR a gravement manqué aux principes de l'application régulière de la loi en procédant de cette façon. Je conclus en outre que les doutes soulevés par la CISR au sujet de la validité des documents parce qu'ils avaient été envoyés au demandeur par sa mère ne sont nullement appuyés par la preuve et qu'ils sont pour cette raison tout à fait injustifiés. En conséquence, je conclus que la CISR a commis une erreur qui justifie la révision de sa décision.

ORDONNANCE

En conséquence, j'annule la décision de la CISR et je renvoie l'affaire à la CISR pour qu'elle soit jugée par un tribunal différemment constitué.

                                                                           « Douglas R. Campbell »      

                                                                                                             Juge                    

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2831-02

INTITULÉ :                                          ANANDHAJEYASEELAN SUBRAMANIAM    

                                                                                                  demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MERCREDI 9 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                        LE VENDREDI 11 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal T. Crane

Toronto (Ontario)                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                            POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

         Date : 20030411

        Dossier : IMM-2831-02

ENTRE :

ANANDHAJEYASEELAN SUBRAMANIAM

                                             demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                         

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