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Date : 20210223

Dossier : 21-T-2

Référence : 2021 CF 176

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ROLEX SA

demanderesse

et

PWT A/S

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Rolex SA, a présenté une requête par écrit, datée du 1er février 2021, en vertu du paragraphe 369(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir une ordonnance : a) prorogeant au 1er mai 2021 le délai pour signifier et déposer un avis de demande, b) prorogeant tous les autres délais en conséquence, et c) n’adjugeant aucuns dépens relativement à la requête. La demanderesse sollicite cette prorogation afin de pouvoir signifier et déposer une demande d’appel au titre de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi], à l’encontre d’une décision du registraire des marques de commerce [le registraire] expédiée le 1er décembre 2020 [la décision contestée].

[2] La défenderesse, PWT A/S, qui était l’autre partie à la procédure devant le registraire qui a donné lieu à la décision contestée, s’oppose à la requête, faisant valoir que la demanderesse n’a pas satisfait au critère applicable à une demande de prorogation de délai.

[3] Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, la présente requête sera rejetée, car je suis d’accord avec la position de la défenderesse selon laquelle la demanderesse n’a pas satisfait au critère applicable.

II. Le contexte

[4] La défenderesse a demandé l’enregistrement d’une marque de commerce, désignée dans la décision contestée comme le Dessin de Couronne, en liaison avec une liste de produits et services. La demanderesse s’est opposée à cette demande pour plusieurs motifs, y compris un risque allégué de confusion avec son propre dessin-marque déposé, dénommé dans la décision « DESSIN DE COURONNE Rolex ». Le registraire a rejeté la plupart des motifs d’opposition.

[5] En ce qui concerne l’allégation de confusion, le registraire a effectué une analyse de la confusion en s’appuyant sur la liste non exhaustive d’éléments prévus au paragraphe 6(5) de la Loi. Le registraire a conclu que la défenderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’y avait aucune probabilité de confusion entre les marques des parties en ce qui a trait à une liste de produits et services qui, selon le registraire, chevauchaient les produits et services figurant dans l’enregistrement de la demanderesse. Cependant, le registraire a également relevé une liste de produits et services dans la demande qui ne chevauchaient pas ceux de l’enregistrement de la demanderesse. Dans sa décision, le registraire a donc conclu que la demande d’enregistrement de la marque de la défenderesse pouvait procéder en liaison avec cette dernière liste de produits et services.

[6] La décision contestée est datée du 30 novembre 2020. La demanderesse explique que la décision a été « expédiée » le 1er décembre 2021. Il s’agit d’un renvoi au libellé du paragraphe 56(1) de la Loi, qui prévoit un droit d’appel devant la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision, ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal.

[7] Par conséquent, la date limite pour que la demanderesse interjette appel de la décision du registraire était le 1er février 2021. À cette date, la demanderesse a déposé la présente requête par écrit en vertu de l’article 369, en vue d’obtenir une prorogation du délai jusqu’au 1er mai 2021 pour le dépôt de son appel. Le dossier de requête de la demanderesse comprend l’affidavit d’une auxiliaire juridique du cabinet de l’avocat de la demanderesse et des observations écrites. La défenderesse a déposé des observations écrites s’opposant à la requête, et la demanderesse a déposé une réponse. Ma décision est fondée sur ces documents.

III. La question en litige

[8] La seule question en litige dans la présente requête est celle de savoir si la demanderesse a satisfait au critère pour se voir accorder l’ordonnance demandée visant à proroger le délai pour interjeter appel.

IV. Analyse

A. Le critère permettant d’obtenir une prorogation de délai

[9] Les parties invoquent toutes deux la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c Hennelly (1999), 244 NR 399 [Hennelly] au para 3, selon laquelle le critère approprié dans le cadre de l’examen d’une demande de prorogation de délai est de savoir si le demandeur a démontré : a) qu’il a eu l’intention constante de poursuivre sa demande; b) que sa demande n’est pas dénuée de fondement; c) que la prorogation de délai ne cause pas de préjudice au défendeur; d) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le retard.

[10] Comme l’a expliqué le juge Zinn dans la décision Dun-Rite Plastics & Custom Fabrication Inc. c Canada (Procureur général), 2018 CF 892 [Dun-Rite] au para 6, les quatre éléments du critère énoncé dans l’arrêt Hennelly orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice, et il n’est pas nécessaire que ces quatre éléments favorisent tous le requérant pour que la prorogation soit accordée.

[11] La défenderesse renvoie également la Cour à l’arrêt Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38 [Virdi] au para 2, dans lequel la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il incombait à la partie qui demande une prorogation de délai de prouver les éléments du critère et que, en règle générale, cela se fait au moyen d’une déposition par affidavit signée par le requérant lui-même, pouvant faire l’objet d’un contre-interrogatoire. Dans l’arrêt Virdi, le fait que l’appelant se soit appuyé sur un affidavit signé par la secrétaire de son avocat pour démontrer qu’il avait une explication raisonnable justifiant son retard, une intention constante de poursuivre le contrôle judiciaire ainsi qu’une cause défendable, a porté un coup fatal à sa requête en prorogation de délai (au para 3).

[12] La défenderesse invoque l’arrêt Virdi pour faire valoir que, en se fondant uniquement sur l’affidavit de l’auxiliaire juridique de son avocat comme preuve à l’appui de sa requête, la demanderesse ne s’est pas non plus acquittée de son fardeau en l’espèce. Je n’estime pas que l’arrêt Virdi étaye la proposition selon laquelle le fait de s’appuyer sur une preuve par affidavit autre que celle de la partie elle-même porte nécessairement un coup fatal à une requête en prorogation de délai. L’effet dépendra plutôt des éléments particuliers du critère qui sont en cause dans une affaire donnée (voir, par exemple, Dun-Rite, au para 10). J’examinerai le caractère suffisant de la preuve de l’auxiliaire juridique lorsque je me pencherai sur l’application de chacun des éléments du critère ci-dessous.

B. L’intention constante de poursuivre l’appel

[13] L’affidavit de l’auxiliaire juridique est relativement bref. Elle affirme que, compte tenu de son rôle d’auxiliaire juridique au sein du cabinet de l’avocat de la demanderesse, elle est au courant des faits attestés, sauf lorsqu’il est précisé qu’il s’agit de renseignements tenus pour véridiques. Je résumerais sa déclaration de la façon suivante :

  1. La demanderesse demande que le délai pour interjeter appel de la décision soit prorogé jusqu’au 1er mai 2021;

  2. La décision a été communiquée à l’avocat de la demanderesse au Canada le 21 décembre 2020;

  3. La demanderesse n’a pas pris connaissance de la décision avant la mi-janvier 2021, en raison de la fermeture de son bureau pendant la période des Fêtes, du 18 décembre 2020 au 8 janvier 2021;

  4. La demanderesse et ses avocats sont tous deux situés à Genève, en Suisse;

  5. La demanderesse a besoin de plus de temps pour engager des discussions sérieuses et coordonner l’appel avec ses avocats canadiens;

  6. Par conséquent, la demanderesse sollicite maintenant une ordonnance visant à proroger jusqu’au 1er mai 2021 le délai pour signifier et déposer l’avis de demande.

[14] La défenderesse fait valoir que cette preuve n’établit pas l’intention d’interjeter appel. L’auteure de l’affidavit n’indique pas que son cabinet a reçu l’instruction de déposer un appel. Selon les observations de la défenderesse, la preuve n’établit qu’une intention d’envisager d’interjeter appel et le fait que la demanderesse souhaite se réserver le choix à cet égard. Dans ses observations en réponse, la demanderesse réplique que le fait qu’elle examine la décision contestée et ses motifs d’appel plus en détail démontre l’intention constante requise de poursuivre l’appel de la décision.

[15] Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les éléments de preuve fournis par la demanderesse sur ce point sont faibles. Cependant, bien que cela ne soit pas directement indiqué, je déduis des éléments de preuve que la demanderesse a l’intention d’interjeter appel de la décision du registraire. Cet élément favorise la demanderesse.

C. Le bien-fondé de l’appel

[16] La défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas fourni de preuve directe quant au bien-fondé perçu de son appel. De plus, bien que la demanderesse indique dans ses observations écrites qu’il existe des motifs d’appel valables, elle n’expose pas ces motifs et n’explique pas pourquoi elle les considère comme méritoires sur la base du dossier ou de la décision contestée.

[17] Je suis d’accord avec la caractérisation par la défenderesse des documents de la demanderesse relativement à la requête. Il n’y a aucun élément de preuve étayant le bien-fondé de l’appel. Les observations de la demanderesse ne font qu’indiquer que la défenderesse a demandé l’enregistrement de sa marque pour des produits et services qui chevauchent ceux de la demanderesse et que la décision contestée a maintenu la demande de la défenderesse pour certains produits et services qui demeurent préoccupants pour la demanderesse. Ces observations font état de l’insatisfaction de la demanderesse à l’égard de la décision, mais n’expliquent pas sur quelle base la demanderesse pourrait faire valoir que le registraire a commis une erreur en concluant que les produits et services pertinents ne se chevauchent pas, par exemple.

[18] La demanderesse estime qu’elle n’est pas tenue de cerner des motifs d’appel détaillés pour demander une prorogation de délai. Elle demande plutôt une prorogation de délai pour avoir le temps de consulter ses avocats et de formuler des stratégies juridiques et des motifs d’appel. La demanderesse soutient qu’il lui incombe, dans le cadre de la présente requête, de fournir à la Cour un aperçu général de ses motifs d’appel potentiels de manière prospective.

[19] La présente situation s’apparente à celle qu’a abordée le juge Zinn dans l’affaire Dun-Rite, où la demanderesse n’avait fourni aucune preuve directe du bien-fondé de la requête proposée (au para 8) et où la Cour n’avait donc pas été en mesure de déterminer si celle-ci était fondée (au para 10). Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les éléments de preuve et les observations de la demanderesse ne satisfont pas à cet élément du critère.

D. Le préjudice causé à la défenderesse en raison de la prorogation du délai

[20] La demanderesse soutient que la défenderesse ne subirait aucun préjudice en raison de la prorogation de délai de trois mois qui est demandée dans la présente requête. La défenderesse, pour sa part, fait valoir qu’elle subirait un préjudice si la demanderesse obtient la prorogation du délai d’appel en raison de la perte de la certitude à première vue entourant sa demande d’enregistrement d’une marque de commerce, qui a été accueillie.

[21] À mon avis, le type de préjudice invoqué par la défenderesse a peu de poids. Un préjudice de ce type existe nécessairement dans tous les cas où un demandeur demande une prorogation du délai pour poursuivre une procédure qu’il est autrement trop tard d’engager. Cet élément du critère favorise la demanderesse.

E. L’explication raisonnable justifiant le retard

[22] Pour expliquer le retard, les observations de la demanderesse font référence à la fermeture de son bureau, du 18 décembre 2020 au 8 janvier 2021, et au temps nécessaire pour ensuite assurer la coordination avec les avocats canadiens, compte tenu du décalage horaire important et des répercussions de la pandémie de COVID-19.

[23] La défenderesse fait valoir que la demanderesse n’a pas établi d’explication raisonnable justifiant ce retard. La défenderesse se concentre encore une fois sur l’absence de preuve provenant d’un représentant de la demanderesse et concernant les effets de la fermeture de ses bureaux et les mesures prises, le cas échéant, pour examiner la décision entre le 8 janvier 2021 et la date limite pour interjeter appel, soit le 1er février 2021.

[24] Je reconnais que l’auxiliaire juridique peut avoir une connaissance personnelle suffisante, grâce à la relation qu’a son cabinet avec le client, pour se prononcer quant à la durée de la fermeture de son bureau. Toutefois, comme le soutient la défenderesse, il n’y a aucune preuve des mesures prises entre le 8 janvier 2021 et le 1er février 2021. Il n’y a pas non plus d’explication de la raison pour laquelle l’appel n’a pas pu être entamé dans ce délai, si ce n’est l’affirmation très générale selon laquelle une prorogation de délai est nécessaire pour engager des discussions sérieuses et assurer la coordination avec les avocats canadiens. Je conclus que la demanderesse n’a pas satisfait à cet élément du critère.

F. Conclusion

[25] Encore une fois, je trouve que l’analyse de la requête de la demanderesse ressemble à celle menée dans la décision Dun-Rite (au para 13). Comme la demanderesse n’a pas satisfait à deux des quatre éléments du critère, elle ne m’a pas convaincu qu’il est dans l’intérêt de la justice d’octroyer une prorogation de délai. La présente requête sera donc rejetée.

V. Les dépens

[26] La défenderesse demande une ordonnance lui adjugeant 500 $ au titre des dépens de la présente requête. Bien que la demanderesse n’ait pas sollicité de dépens dans son avis de requête, elle a changé d’avis et a elle aussi demandé des dépens de 500 $ dans ses observations en réponse.

[27] Comme la défenderesse a eu gain de cause dans sa contestation de la présente requête, les dépens devraient lui être adjugés, et je suis convaincu que le montant de 500 $ proposé par chacune des parties au cas où elle aurait gain de cause est approprié. Mon ordonnance sera rendue en ce sens.



ORDONNANCE DANS LE DOSSIER 21-T-2

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête de la demanderesse est rejetée.

  2. Les dépens de la présente requête, fixés à 500 $, sont adjugés à la défenderesse.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

21-T-2

INTITULÉ :

Rolex SA c PWT A/S

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES À OTTAWA (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2021

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marks & Clerk Law LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Norton Fullbright Rose LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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