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Date : 20050216

Dossier : IMM-2217-04

Référence : 2005 CF 249

Toronto (Ontario), le 16 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                                YONG ZHE JIN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 28 janvier 2004, par laquelle elle a rejeté la demande d'asile du demandeur fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]                Le demandeur est un citoyen chinois qui prétend avoir une crainte fondée d'être persécuté du fait de sa religion par la PSB, qui est la police qui relève du ministère chinois de la Sécurité publique et de ses bureaux de sécurité à l'échelle locale. Le demandeur fonde sa revendication sur son adhésion à la religion Tian Dao, aussi connue sous le nom de Yiguandao ou Tiandao Jiao.

[3]                Dans sa décision, la SPR a rejeté la revendication du demandeur parce qu'elle est parvenue à une conclusion négative au sujet de sa crédibilité, et aussi parce qu'elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve du risque de persécution à l'encontre des fidèles de la religion Tian Dao en Chine. En particulier, les deux passages suivants de la décision de la SPR donnent les motifs du rejet :

La preuve documentaire dont dispose le tribunal indique clairement que la pratique des religions dans le monde est une question qui intéresse les organisations internationales luttant pour les droits de la personne. Compte tenu de cette preuve documentaire, le tribunal estime qu'il y a absence de preuve confirmant les allégations du demandeur selon lesquelles les fidèles de la religion Tian Dao seraient détenus, torturés et emprisonnés. Un conseiller en recherche de l'organisation Human Rights Watch, division de l'Asie, qui se spécialise dans le « contrôle de la religion d'État » , a déclaré n'être au fait d'aucun signalement de mauvais traitements à l'endroit de fidèles de la religion Tian Dao et que s'il y avait eu de tels signalements, il serait au courant. (Renvoi : Pièce R-1, Réponse à la demande de renseignements CHN37199.E, 12 septembre 2001)

(Décision de la SPR, p. 5)

[...]

Le tribunal conclut que l'absence de documents appuyant les allégations d'actes de persécution récents contre des adeptes de la religion Tian Dao, ainsi que les questions de crédibilité mentionnées précédemment nuisent sérieusement à la demande d'asile du demandeur et ternissent sa crédibilité.


Le tribunal a également examiné si le demandeur est une personne à protéger en vertu des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la LIPR. Le demandeur a exprimé sa crainte de persécution du fait de son adhésion à la religion Tian Dao. Son témoignage à ce sujet s'est avéré non crédible. En fait, des invraisemblances dans son témoignage ont entaché sa crédibilité.

(Décision de la SPR, p. 10)

[4]                À mon avis, pour ce qui est des conclusions qui viennent d'être citées, la SPR ne s'est pas acquittée de son obligation d'examiner la totalité de la preuve avant de parvenir à des conclusions appropriées aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[5]                D'après le dossier du tribunal (le dossier) en l'espèce, de nombreux éléments de preuve tendent à prouver qu'il existe plus qu'une simple possibilité que les adeptes de la religion Tian Dao soient persécutés en Chine. Une déclaration datant d'octobre 1999 est d'une importance particulière à cet égard :

[TRADUCTION]

Selon le professeur, la première interdiction explicite de la religion Tian Dao par un gouvernement chinois remonte à 1946, et la secte est toujours illégale. À Taïwan, le bannissement a été levé en 1987. En général, il y a eu un relâchement dans l'attitude du gouvernement chinois à l'égard de la religion depuis 1980, mais le Tian Dao, en tant que « secte hétérodoxe » non reconnue, n'a pas bénéficié de cette tolérance accrue. Le professeur n'a été informé d'aucun autre changement dans l'attitude du gouvernement chinois à l'égard du Tian Dao dans les dernières années.

(Dossier du tribunal, p. 172)

En outre, une déclaration d'avril 2001 indique ceci :

[TRADUCTION]

Un étudiant au doctorat en histoire à UCLA, qui obtiendra son doctorat en juin 2001 et qui enseignera à l'Université de Washington à St-Louis (Missouri), à compter d'août 2001, a fourni des renseignements contextuels qui pourraient être utiles concernant la secte Yiguan Dao en Chine. L'étudiant au doctorat, qui se spécialise dans les religions populaires chinoises, y compris le Yiguan Dao et qui a une vaste expérience de travail dans le nord de la Chine, a déclaré ceci le 4 avril 2001 dans une lettre :


Yiguandao était une organisation extrêmement importante et influente en Chine durant les années 1930 et 1940. En 1951, elle a été interdite et soumise à une intense campagne de propagande, et ses chefs ont été arrêtés et envoyés en rééducation. Cette campagne a eu beaucoup de succès, et les quelques croyants qui y sont demeurés fidèles ont dû se cacher. La campagne a été répétée en 1957 et de nouveau au cours des années 1960, mais la secte avait été si intensément discréditée en 1951 que les campagnes ultérieures n'ont été rien de plus que de grands procès idéologiques.

Même si l'on tient compte de l'ouverture relative à l'égard de la liberté de religion en Chine, le Yiguandao demeure la coupable universelle dans la presse chinoise. La secte est toujours très illégale et, compte tenu de l'intensité de la propagande gouvernementale entreprise contre elle dans le passé, il n'est pas vraisemblable qu'elle sera acceptée de sitôt par le gouvernement de la République populaire de Chine. Jusqu'à la campagne récente (1999) contre le Falungong, qui était ouvertement calquée sur la campagne de 1951 contre le Yiguandao, de nombreux groupes religieux pouvaient exister en paix, avec l'acceptation implicite des autorités locales. Même dans ces circonstances, il y avait peu de chance que le Yiguandao puisse être accepté d'une quelconque manière. Toutefois, compte tenu de l'examen minutieux dont font l'objet les religions locales, le Yiguandao ne pourrait certainement pas exister ouvertement. S'il reste des croyants à Guangdong et à Fujian, ils ont vraisemblablement appris les principes de cette religion secrètement et assez récemment de la part d'hommes d'affaires ou de touristes taïwanais, qui sont connus pour faire de l'apostolat en République populaire de Chine.

Compte tenu des très fortes pressions exercées contre la secte, je serais plutôt surpris de constater que le Yiguandao existe toujours à Fujian ou à Guandong [sic], sauf, comme je l'ai mentionné, dans le contexte d'un apostolat assez récent en provenance de Taïwan. Et même ces activités ont dû se dérouler en secret. Traditionnellement, la secte était la plus forte dans le nord de la Chine, et elle n'existe certainement pas là aujourd'hui. J'ai vu des rapports du gouvernement chinois (Fandong huidaomen jieshao, Qunzhong chubanshe, 1985) qui mentionnent la crainte d'un renouveau du Yiguandao dans des provinces intérieures éloignées, mais rien qui se rattache spécifiquement à Fujian ou à Guangdong.

Malheureusement, je n'ai pas de données concernant les arrestations ou les détentions parce que ces chiffres sont rarement publiés par le gouvernement chinois, et parce que le Yiguandao a une telle notoriété en République populaire de Chine que ces arrestations auraient vraisemblablement été effectuées en secret.

[Non souligné dans l'original]

(Dossier du tribunal, p. 179)

[6]                Toutefois, dans sa décision, la SPR a choisi d'insister uniquement sur le passage suivant tiré du dossier qui est le renvoi de bas de page utilisé dans le paragraphe de la page 5 de la décision de la SRP cité ci-dessus :

[TRADUCTION]


Concernant le traitement réservé aux adeptes du Tian Dao sur le continent chinois, un consultant en recherche de Human Rights Watch, division de l'Asie, qui se spécialise dans le contrôle de la religion d'État, a déclaré dans une lettre datée du 5 septembre 2001 n'être au fait d'aucun signalement de mauvais traitements à l'endroit de fidèles du Tian Dao et que s'il y avait eu de tels signalements il serait au courant. Les tentatives pour obtenir des renseignements du Secrétariat international d'Amnistie internationale à Londres sont restées vaines, compte tenu des délais dont nous disposions. Veuillez prendre note que les lettres CHN36541.E du 6 avril 2001, CHN34826.E du 1er juillet 2000, CHN34370.E du 8 mai 2000, CHN32887.E du 14 octobre 1999, CHN29913.E du 24 août 1998, CHN26564.E du 30 avril 1997 traitent des traitements réservés aux fidèles du Tian Dao (Yiguandao, et autres appellations).

(Dossier du tribunal, p. 174)

En outre, pour étayer la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de la preuve, la SPR fait référence à deux décisions de la présente Cour dans lesquelles le dossier dont elle était saisie ne contenait pas suffisamment de preuve documentaire pour établir que les adeptes du Tian Dao sont persécutés en Chine : Sun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.F.P.I., IMM-2529-01), le juge O'Keefe, le 30 avril 2002; et Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.F.P.I., IMM-65-02), la juge Layden-Stevenson, le 31 octobre 2002. À mon avis, cela n'est certainement pas le cas dans la présente demande.

[7]                Il est important de souligner que, d'après la preuve non contredite qui figure au dossier en l'espèce, au moins six mois après son arrivée au Canada et la présentation de sa demande d'asile, le demandeur est devenu membre d'un temple Tian Dao à Toronto (dossier du tribunal, pp. 76 et 270B). À l'égard de ce fait, la SPR n'a fait aucune analyse détaillée d'une possibilité future de persécution aux termes de l'article 96, ou d'une probabilité de risque futur en vertu de l'article 97, si le demandeur devait retourner en Chine. Outre cette omission, j'ai deux questions au sujet de la décision de la SPR qui exige certaines observations.


[8]                L'un des passages reproduits du dossier selon lequel il n'y a pas eu de plaintes récentes doit être lu au regard de la preuve non réfutée selon laquelle la religion Tian Dao est illégale en Chine. À partir de ce fondement, il n'est pas difficile de comprendre que, si une religion est illégale, il pourrait bien y avoir plus qu'une simple possibilité que ses adeptes soient persécutés en Chine. En outre, le fait qu'aucun rapport récent n'existe ne prouve pas qu'il n'y a pas de persécution. Étant donné que l'on sait que la religion Tian Dao est une religion secrète, il se pourrait fort bien que l'absence de rapport soit une preuve que cette religion a réussi à maintenir son caractère secret ou, comme le soulignait la déclaration d'avril 2001 reproduite ci-dessus, que les autorités ne sont pas prêtes à publier de tels rapports. C'est-à-dire que l'absence de rapport ne nie pas de façon probante qu'il puisse y avoir une possibilité de persécution ou la probabilité d'un risque.

[9]                À mon avis, le non-examen de ces considérations futures aux termes des articles 96 et 97, dans le dossier de l'espèce, rend la décision manifestement déraisonnable.

                                        ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à une formation différemment constituée pour nouvel examen.

                                                                      « Douglas R. Campbell »         

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-2217-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                  YONG ZHE JIN

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 15 FÉVRIER 2005    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                            LE 16 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Nadine Tobin                                                             POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates                                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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