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Date : 20210217


Dossier : IMM-788-21

Référence : 2021 CF 158

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

BRAYAN RODRIGUEZ GRACIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le demandeur souhaite obtenir une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure d’expulsion vers la Colombie qui le vise. Il demande un sursis jusqu’à ce que la présente Cour ait statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision (datée du 25 janvier 2021) par laquelle sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) était rejetée. Le dossier de requête du demandeur a été soumis le 12 février 2021. La mesure de renvoi du Canada doit être exécutée le 19 février 2021.

[2] Pour les motifs suivants, la requête est rejetée.

[3] À titre préliminaire, l’avocat du défendeur souhaite que l’intitulé soit modifié afin que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ne soit plus désigné comme défendeur. Puisque la demande de contrôle judiciaire sous-jacente concerne le rejet d’une demande d’ERAR, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est le seul défendeur approprié en l’espèce. L’avocate du demandeur s’oppose à cette demande : elle soutient que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile doit être désigné afin de s’assurer qu’une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi tienne contre l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), l’entité responsable de mettre en œuvre la mesure d’expulsion. Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur : advenant qu’un sursis soit ordonné, l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) aborderait les préoccupations du demandeur, et par conséquent, il n’est pas nécessaire de désigner le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour garantir qu’un sursis ordonné par la Cour soit respecté par l’ASFC. Donc, l’intitulé sera modifié afin que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ne soit plus désigné comme défendeur.

[4] Le demandeur est né en Colombie en juillet 1987. Il est arrivé au Canada le 11 juillet 2018, à l’aide d’un passeport mexicain frauduleux. Il a reçu le statut de résident temporaire sans visa, ainsi qu’une autorisation de voyage électronique à titre de visiteur d’une durée de 6 mois. En janvier 2019, il a soumis une demande visant à ce que son statut de visiteur soit prolongé jusqu’au 30 décembre 2019, et cette demande lui a été accordée.

[5] Le demandeur et plusieurs autres personnes ont été arrêtés par des membres de la police régionale de York (la PRY) le 16 août 2019. Il a été accusé de complot en vue de commettre un acte criminel (vol qualifié). L’accusation était le résultat d’une enquête menée par l’escouade des attaques à main armée du service de police régionale de York concernant des vols à main armée visant des représentants de commerce de gros dans le domaine de la bijouterie et des métaux précieux dans la région de Toronto. Il a été affirmé que le demandeur et d’autres personnes utilisaient des techniques de surveillance et des dispositifs de localisation pour surveiller les déplacements de cibles potentielles afin de déterminer le moment opportun pour les voler. Il a été allégué qu’au moment des arrestations, le 16 août 2019, la police a interrompu les tentatives continues du demandeur et de six autres individus de localiser un vendeur de bijoux en gros qui visitait le Canada pour prendre part au Canadian Jewellery Expo. Au moment de l’arrestation, toutes les personnes impliquées ont fourni un passeport mexicain qui semblait frauduleux (les empreintes digitales lient le demandeur à une escroquerie similaire en Californie en octobre 2008, où il vivait à l’époque. Après qu’il eut été déclaré coupable relativement à cette escroquerie, et une fois qu’il eut purgé sa peine, le demandeur a été expulsé vers la Colombie en 2010).

[6] Après son arrestation, le demandeur a passé une entrevue auprès de l’ASFC. Selon le compte rendu de cette entrevue, le demandeur a informé l’ASFC qu’il était entré au Canada à l’aide d’un passeport mexicain frauduleux. Il était venu au Canada pour trouver du travail, parce que la vie en Colombie était difficile. Lorsqu’il a été questionné sur sa santé, le demandeur a affirmé avoir subi des blessures par balles aux deux pieds à la suite d’une fusillade en Colombie survenue approximativement trois ans plus tôt. Il a expliqué qu’il était avec un ami lorsque celui-ci a été tué et qu’il avait été blessé par les projectiles destinés à son ami.

[7] Le 30 septembre 2019, un agent a établi le rapport visé au paragraphe 44(1) de la LIPR, car il jugeait que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour activités de criminalité organisée aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. L’affaire a été déférée à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) pour enquête. À ce jour, la Section de l’immigration n’a pas encore rendu de décision en l’espèce.

[8] Le 20 mars 2020, le demandeur a plaidé coupable aux chefs d’accusation de complot en vue de commettre un acte criminel (vol qualifié). Il a été condamné à une peine d’une journée de prison, car il s’est vu octroyer un crédit équivalent à un an pour sa détention présentencielle (le demandeur a été détenu 218 jours avant qu’une décision soit rendue en l’espèce).

[9] Le 24 mars 2020, un autre rapport a été établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR; il y était inscrit que, selon l’agent, le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Ce rapport était fondé sur la déclaration de culpabilité du demandeur en date du 20 mars 2020. Le 27 mars 2020, un délégué du ministre a confirmé cette décision aux termes du paragraphe 44(2) de la LIPR et a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur, au titre de l’alinéa 228(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[10] Le 2 avril 2020, le demandeur a été mis en liberté sous réserve de diverses conditions, y compris celle qu’il devait résider à Laval au Québec, avec sa caution.

[11] Au début du mois d’octobre 2020, le demandeur a été arrêté en Ontario par des membres de la police régionale de York et accusé de complot en vue de commettre un acte criminel (vol qualifié) et de harcèlement criminel. Les infractions auraient été commises le ou vers le 1er octobre 2020. La conduite présumée du demandeur ayant mené aux accusations semble similaire à celle ayant mené à sa déclaration de culpabilité du 20 mars 2020 – soit le ciblage d’un bijoutier en vue de commettre un vol qualifié. Il semblerait que la police ait interrompu la surveillance d’une cible qui est propriétaire d’une bijouterie lorsqu’elle a arrêté le demandeur et une autre personne.

[12] L’avocate du demandeur a informé la Cour, lors de l’audience relative à la présente requête, que les nouvelles accusations avaient été retirées par la Couronne le 25 janvier 2021.

[13] Après avoir été informée par la police régionale de York, le 6 octobre 2020, l’ASFC a arrêté le demandeur en vertu de la LIPR pour avoir violé les conditions de sa libération. Le demandeur est toujours détenu au titre des dispositions de la LIPR.

[14] Le 16 octobre 2020, le demandeur a été informé par l’ASFC de son droit de soumettre une demande d’ERAR. Le demandeur a déposé une demande d’ERAR avec l’aide d’un avocat. Le demandeur allègue que son père était un membre de la milice paramilitaire et que ce dernier a commis plusieurs meurtres. Le demandeur a fourni des documents établissant que son père avait été déclaré coupable de meurtre en 1997. Le demandeur a allégué qu’il serait exposé à un risque s’il retournait en Colombie, parce que les familles et collègues des victimes de son père ou essaieraient de le retrouver pour se venger des crimes commis par son père. Il dit qu’en fait, c’est pour cette raison qu’on lui a tiré dans les jambes à Bogota en janvier 2016. Il a aussi fourni un affidavit de sa mère selon lequel elle avait subi des blessures par balles en 1990 en guise de représailles pour les crimes commis par son mari. Elle soutient aussi que, durant plusieurs années qui ont suivi, elle a reçu des menaces. Le demandeur a aussi soumis des éléments de preuve faisant état de la situation dans le pays établissant l’existence d’une [traduction] « culture de vengeance » en Colombie, ainsi qu’un affidavit d’un avocat en Colombie dans lequel ce dernier faisait part de son opinion selon laquelle le demandeur ne pourrait avoir accès à une protection de l’État efficace en Colombie.

[15] La demande d’ERAR a été rejetée le 25 janvier 2021. L’agent a admis les dires du demandeur concernant les crimes de son père et ses propres expériences passées. Cependant, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État.

[16] Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Il fait valoir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, parce que l’agent a tiré des conclusions défavorables à l’égard de sa crédibilité sans tenir d’audience. Le demandeur affirme aussi que l’agent a commis une erreur, du fait qu’il a négligé d’évaluer [traduction] « le degré de préjudice (décès) » que le demandeur pourrait subir s’il retournait en Colombie, et qu’il a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[17] Le demandeur souhaite maintenant obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’une décision définitive concernant sa demande de contrôle judiciaire à l’égard de la demande d’ERAR soit rendue.

[18] Un sursis à une ordonnance exécutoire est une forme de réparation extraordinaire en equity qui nécessite que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire après avoir évalué toutes les circonstances pertinentes (cf. R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 au para 27). Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans un contexte similaire, la question fondamentale est de savoir si le fait de surseoir au renvoi est juste et équitable à la lumière des circonstances de l’affaire. Il s’agira nécessairement d’une décision propre au contexte de l’affaire. Voir Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 25.

[19] Dans une requête comme celle-ci, il convient d’appliquer le critère bien connu à trois volets. En tant que partie requérante, le demandeur doit établir : (1) que la demande de contrôle judiciaire soulève une « question sérieuse à trancher », (2) qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé, et (3) que la prépondérance des inconvénients (c.-à-d. l’évaluation visant à établir quelle partie subirait le plus grand préjudice si le sursis était accordé ou refusé en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond) favorise l’octroi du sursis : voir Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302, 6 Imm LR (2e) 123 (CAF); R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196 au para 12; Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110, et RJR-Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, à 334.

[20] En plus des éléments de ce critère, au moment d’établir s’il convient de prendre les mesures spéciales sollicitées par le demandeur, la Cour doit évaluer si la conduite de la partie se présentant devant elle est irréprochable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14, M. le juge Evans a soutenu que, « si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée. » [souligné dans l’original] (au para 9). Comme le juge Evans l’a expliqué, au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire, la Cour « doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne » (au para 10). Même si les propos de M. le juge Evans se rapportaient à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser de statuer sur le bien-fondé d’une demande de contrôle judiciaire, il est évident que le même pouvoir discrétionnaire s’applique au moment d’évaluer une demande de redressement interlocutoire.

[21] Le juge Evans offre une liste non exhaustive de facteurs dont il faut tenir compte au moment d’exercer ce pouvoir discrétionnaire (au para 10) :

[22] Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67, la Cour d’appel fédérale répète que « le principe de la conduite irréprochable » est « un principe d’equity en vertu duquel on peut refuser à une partie un redressement auquel elle aurait normalement droit en raison de son comportement antérieur ou de sa mauvaise foi. Fait important », poursuit la Cour, « pour qu’un comportement antérieur puisse justifier le refus d’un redressement, la conduite doit porter directement sur l’enjeu même de la revendication » [renvois omis, non souligné dans l’original] (au para 37).

[23] À la lumière de ces principes, j’ai conclu que le demandeur ne peut se voir octroyer la mesure spéciale qu’il souhaite obtenir, parce qu’il n’a pas eu une conduite irréprochable. Spécifiquement, la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est appuyée par un affidavit souscrit par le demandeur le 11 février 2021. Je juge que cet affidavit est vicié à un point tel qu’il en devient trompeur à l’égard des aspects importants suivants.

[24] Premièrement, mis à part quelques détails pouvant être glanés dans la décision à l’égard de l’ERAR (jointe en annexe), l’affidavit du demandeur ne dit essentiellement rien au sujet ses antécédents d’immigration au Canada. Le contexte énoncé plus haut dans les paragraphes 4 à 13 est tiré en grande partie des informations fournies par le ministre. L’affidavit du demandeur ne fait aucunement mention du fait qu’il est rentré au Canada à l’aide d’un passeport mexicain frauduleux et qu’il lui a été permis de rester au Canada sur foi de ce passeport frauduleux. Il ne fait pas mention du fait que le demandeur avait été libéré du centre de détention de l’immigration en avril 2020 sous réserve de diverses conditions (mis à part une allusion indirecte comme nous le verrons plus bas). Il ne fait pas mention du fait qu’en plus d’avoir été jugé interdit de territoire pour grande criminalité, le demandeur était aussi interdit de territoire pour activités de criminalité organisée, et la décision de la Section de l’immigration à ce chapitre est toujours en instance. Cette dernière omission est particulièrement préoccupante. En particulier, quand un demandeur cherche à obtenir un sursis rapidement, comme c’est le cas en l’espèce, il doit fournir un compte rendu détaillé et franc de ses antécédents d’immigration : voir Surmanidze c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1615 au para 18.

[25] Je ne souscris pas à l’observation de l’avocate du demandeur selon laquelle il convenait d’omettre toutes ces informations parce que le ministre est au fait des antécédents d’immigration du demandeur, que la question centrale de la demande de sursis concerne le risque de préjudice auquel fait face le demandeur, et que, dans son affidavit, le demandeur a donc mis l’accent sur cette question. Le ministre connaît peut-être les antécédents d’immigration du demandeur, mais ce n’est pas le cas de la Cour. C’est au demandeur, et non au ministre, qu’il incombe de fournir ces informations de façon exacte et exhaustive. De plus, même si le risque de faire l’objet de préjudice est une question importante, elle est loin d’être la seule question à trancher relativement au critère en trois volets ou de façon plus générale lorsqu’on demande à la Cour d’octroyer une réparation en equity.

[26] Deuxièmement, le demandeur affirme ce qui suit à l’égard de sa déclaration de culpabilité du 20 mars 2020 :

[traduction]

En mars 2020, j’ai été déclaré coupable de complot en vue de commettre un acte criminel, mais j’ai plaidé coupable seulement parce que je voulais être libéré, puisque j’avais été incarcéré pendant 218 jours que et les cours fermaient cette journée-là en raison de la COVID-19. J’aurais été obligé d’attendre un an dans une prison à sécurité maximale avant d’être jugé. Dans les faits, je n’ai commis aucun des crimes dont j’ai été accusé, puisque j’attendais seulement d’avoir des nouvelles d’un emploi en construction. Je me suis présenté devant la Cour pour obtenir une mise en liberté sous caution, mais je n’ai pas eu accès aux avocats et au Programme de cautionnement de Toronto en raison de la COVID-19, donc j’ai été laissé à moi-même. Si je plaidais coupable, j’étais condamné à la peine déjà purgée. Si je continuais d’essayer de prouver mon innocence, je serais incarcéré un an ou deux en attente d’un procès. Nous étions constamment enfermés dans nos cellules, sans pouvoir prendre de douches pendant des jours, la COVID-19 arrivait, les tribunaux allaient fermer. J’avais l’impression que je n’avais pas d’autre choix.

[27] La raison pour laquelle le demandeur a inclus ce paragraphe dans son affidavit n’est pas claire, si ce n’est que pour laisser entendre d’une certaine façon que son expulsion serait injuste, parce qu’il n’aurait pas dû être déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. En elle-même, une telle contestation indirecte de mesure d’expulsion serait une erreur en droit, mais elle ne serait pas nécessairement un indice d’inconduite relativement à la présente requête. Cependant, je juge que, non seulement son explication quant à la raison pour laquelle il avait plaidé coupable n’est pas crédible, mais qu’en plus elle a été fournie dans le but de tromper la Cour.

[28] Le demandeur ne mentionne pas s’il a été représenté par un avocat dans le cadre de la procédure pénale. Il n’a pas fourni de transcription du plaidoyer de culpabilité ni de la procédure de détermination de la peine. Le paragraphe 606(1.1) du Code criminel mentionne notamment le fait que le tribunal ne peut accepter un plaidoyer de culpabilité que s’il est convaincu que prévenu fait volontairement le plaidoyer, que le prévenu comprend que, en le faisant, il admet les éléments essentiels de l’infraction en cause, et que les faits justifient l’accusation. En l’absence de toute preuve du contraire, je dois présumer que le juge devant lequel le demandeur a inscrit son plaidoyer de culpabilité a posé les questions qu’il devait poser afin d’être convaincu de ces choses, ainsi que de tous les autres aspects prévus au paragraphe 606(1.1). De plus, je suis disposé à présumer que le demandeur a fourni des réponses à ces questions qui ont convaincu le juge. Autrement, le plaidoyer de culpabilité n’aurait pas été admis. L’affidavit déposé en preuve par le demandeur dans la présente instance a placé ce dernier dans une impasse : soit il a trompé le tribunal pénal, soit il tente de tromper la présente Cour. Aucun élément de preuve n’établit que le demandeur souhaite faire casser son plaidoyer de culpabilité en appel au motif qu’il l’avait inscrit involontairement ou qu’il avait été mal informé, le rendant ainsi invalide. Un plaidoyer de culpabilité est un aveu formel de culpabilité devant la cour (R v Faulkner, 2018 ONCA 174 au para 85). L’affidavit du demandeur déposé en preuve relativement à la présente requête est contredit directement par l’admission accompagnant son plaidoyer de culpabilité daté du 20 mars 2020.

[29] Troisièmement, le demandeur affirme ce qui suit au sujet de son arrestation en octobre 2020 :

[traduction]

Même en octobre 2020, je suis allé chercher mes biens auprès de la police. Je sais que ma remise en liberté comportait des conditions que j’aurais dû respecter, cependant, je pensais que, comme je me rendais moi-même voir la police, je n’étais pas dans le tort. Je réalise maintenant mon erreur, et je n’enfreindrai pas la loi ni les conditions qui me sont imposées. Je serai un résident respectable du Canada qui respecte la loi.

[30] Je ne suis pas absolument certain de ce que le demandeur veut dire, ici. Il semble essayer d’expliquer les raisons de son arrestation la plus récente. Il semble laisser entendre que c’était parce qu’il n’avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté par l’immigration (même si, comme il a été souligné, il n’a rien dit d’autre sur le sujet). Il a commis une « erreur » et c’est pour cette raison qu’il a été arrêté.

[31] Tout comme une partie souhaitant obtenir la mesure de réparation en equity que constitue le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi doit non seulement donner un compte rendu détaillé et franc de ses antécédents d’immigration, elle doit aussi faire de même dans le cas de ses antécédents criminels pouvant être pertinents relativement aux questions portées à l’attention de la Cour. Le demandeur ne l’a pas fait. Il semble plutôt laisser entendre qu’il a été arrêté lorsque, un jour, il s’est simplement rendu au poste de police pour récupérer ses biens (il ne précise pas de quels biens il s’agit) et qu’il s’est vu accusé d’avoir manqué à ses conditions de mise en liberté. Il ne mentionne aucunement les nouvelles accusations au criminel à son égard. Il s’agit d’une omission très grave qui aurait pu tromper la Cour concernant un point important.

[32] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’avocate du demandeur a informé la Cour, lors de l’audition de la présente requête, que ces nouvelles accusations avaient été retirées à la demande de la Couronne le 25 janvier 2021. L’affidavit du demandeur appuyant la requête a été souscrit le 11 février 2021, mais il ne fait pas mention du fait que les accusations ont été retirées. Même si, comme le soutient l’avocate du demandeur, le demandeur était d’avis qu’aucun élément de preuve n’appuyait les accusations au départ, et que c’est pour cette raison qu’elles ont été retirées, le demandeur ne peut pas simplement faire comme si les accusations n’avaient jamais existé, et fournir une explication de la raison pour laquelle il s’est fait arrêter qui, au mieux, est incomplète.

[33] Le défendeur mentionne que le fait que le demandeur n’ait pas fourni un compte rendu détaillé et exact de ses antécédents d’immigration et criminels appuie son observation selon laquelle la prépondérance des inconvénients (la troisième partie du critère à trois volets relatif à l’octroi d’un sursis) favorise le défendeur. Même si je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cela doit être pris en considération au moment d’établir s’il convient d’accorder au demandeur la mesure spéciale qu’il réclame, selon moi, cette situation doit être examinée sous l’angle du principe de la conduite irréprochable plutôt que celui de la prépondérance des inconvénients. Il en est ainsi en raison des problèmes graves découlant de l’affidavit du demandeur que j’ai énoncés précédemment, lesquels tendent à miner l’intégrité de la présente instance, plutôt que d’influer sur la personne qui ferait face à davantage d’inconvénients si le sursis était accordé ou refusé. Cela dit, dans le cadre d’une autre affaire, les facteurs témoignant d’une absence de conduite irréprochable pourraient appuyer la prépondérance des inconvénients, et il serait alors en fait plus approprié de procéder à l’examen au regard de cette rubrique.

[34] Pour être bien clair, je n’estime pas que les antécédents criminels du demandeur établissent qu’il n’a pas une conduite irréprochable. C’est plutôt le fait qu’il n’a pas fourni un compte rendu détaillé et franc de ces antécédents dans le cadre de sa demande de réparation en equity auprès de la Cour qui l’établit. (Par ailleurs, les antécédents criminels du demandeur, y compris le fait qu’il a été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, sont pertinents relativement à la prépondérance des inconvénients, et militeraient en faveur du ministre : voir Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 112 au para 34.)

[35] Finalement, même si je juge, compte tenu des motifs énoncés plus haut, que le demandeur ne peut demander à ce que sa requête en sursis soit examinée sur le fond, je reconnais que les facteurs énoncés dans l’arrêt Thanabalasingham sont, en quelque sorte, similaires à la première et à la deuxième parties du critère à trois volets (soit, la solidité de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire et les effets sur le demandeur s’il devait être renvoyé). Je me contenterai de dire que je suis d’avis que les motifs de contrôle judiciaire invoqués par le demandeur sont, au mieux, faibles. Par conséquent, le fait d’autoriser le renvoi immédiat du demandeur ne soulève aucune préoccupation quant au fait que cela le priverait injustement d’un recours dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente (voir mon analyse dans Gray c Canada (Procureur général), 2020 CF 1037 aux paras 52-54). Le demandeur n’a pas non plus produit « des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité qu’un préjudice irréparable sera inévitablement causé » si le sursis n’était pas octroyé : voir Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31. Même en tenant pour acquis que le récit du demandeur au sujet du passé de son père et des conséquences de ce passé sur le demandeur ainsi que sur d’autres membres de sa famille est vrai, et en admettant que les craintes du demandeur soient authentiques, il est conjectural, au vu du dossier du dossier dont je dispose, de penser que des parties inconnues souhaiteraient toujours lui causer du mal et, le cas échéant, qu’ils seraient capables de le retrouver.

[36] Pour ces motifs, la requête du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de sa mesure de renvoi du Canada vers la Colombie est rejetée.


ORDONNANCE DANS L’AFFAIRE IMM-788-21

LA COUR ORDONNE que :

  1. L’intitulé soit modifié par la suppression du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur.

  2. La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur du Canada vers la Colombie soit rejetée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-788-21

 

INTITULÉ :

BRAYAN RODRIGUEZ GRACIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 17 FÉVRIER 2021 À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

17 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Arlene Rimer

 

pour le demandeur

 

Monmi Goswami

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arlene Rimer

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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