Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210304


Dossier : T‑1899‑19

Référence : 2021 CF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LLOYD SIMMONS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Dans sa déclaration de revenus de 1998, Lloyd Simmons a demandé une déduction de 1 000 000 $, au titre des dons de bienfaisance, pour avoir donné des parts d’un fonds de placement à son ancienne école. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a établi la cotisation d’après les renseignements fournis dans la déclaration de revenus, et M. Simmons a reçu un remboursement de 471 688 $. Toutefois, à la suite d’une nouvelle cotisation, en avril 2002, l’ARC a refusé 750 000 $ de la déduction au titre des dons de bienfaisance. Par conséquent, M. Simmons devait 462 250 $ à l’ARC sur ses impôts de 1998.

[2] M. Simmons a déposé une opposition à la nouvelle cotisation, mais il a accepté qu’elle soit mise en suspens jusqu’à ce qu’une cause type devant la Cour canadienne de l’impôt sur le même genre de déduction au titre des dons de bienfaisance que celle qu’il avait demandée soit tranchée. La cause type a finalement été réglée sur la base d’une évaluation convenue pour le don de bienfaisance qui représentait 60 p. 100 de la valeur initialement réclamée. Entre‑temps, M. Simmons n’avait fait aucun paiement volontaire sur la somme due, et les intérêts avaient continué de s’accumuler sur le solde impayé.

[3] Au nom du ministre du Revenu national (le ministre), l’ARC a offert de régler l’opposition selon les mêmes modalités que celles de la cause type, mais M. Simmons n’a jamais répondu à l’offre. Par conséquent, en août 2008, l’ARC est allée de l’avant et a accueilli l’opposition en partie, augmentant la déduction admissible au titre des dons de bienfaisance de 200 000 $ et portant ce nouveau total à 450 000 $. Bien que cette mesure ait diminué le montant dû, il restait un solde important.

[4] M. Simmons n’a pas fait grand‑chose pour diminuer sa dette fiscale de 1998, et les intérêts ont continué de courir. À la fin de décembre 2014, il a demandé un allègement pour les contribuables des arriérés d’intérêts. Une demande semblable concernant une somme inférieure due pour ses impôts de 2008 a été ajoutée par la suite. Le 27 mars 2017, l’ARC a accordé à M. Simmons un allègement partiel pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, en raison de son état de santé pendant cette période. À part cela, la demande a été rejetée.

[5] M. Simmons a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de cette décision (dossier de la Cour no T‑636‑17). Le juge Barnes a instruit la demande le 13 février 2018, et l’affaire a été mise en délibéré. Avant qu’une décision ne soit rendue, le 7 mars 2018, M. Simmons s’est désisté de la demande de contrôle judiciaire en raison d’un règlement qu’il avait conclu avec le défendeur et selon lequel sa demande d’allègement des arriérés d’intérêts serait réexaminée par l’ARC.

[6] Le 5 décembre 2018, l’ARC a de nouveau refusé la demande d’allègement des intérêts. M. Simmons a demandé que l’ARC réexamine la demande. Dans une décision du 25 octobre 2019, l’ARC a de nouveau refusé d’annuler les arriérés d’intérêts.

[7] M. Simmons demande maintenant un contrôle judiciaire du dernier refus de sa demande d’allègement pour les contribuables. Il prétend que la décision est injuste et déraisonnable. Pour les motifs suivants, je ne suis pas d’accord. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

II. LE CONTEXTE

A. Le don de bienfaisance

[8] Le don de bienfaisance dont il s’agit découle d’un don à son ancienne école de parts que M. Simmons avait acquises dans le fonds spéculatif Northern Star.

[9] Dans le cadre d’un mécanisme de placement offert par le fonds, des investisseurs comme M. Simmons acquièrent des parts de fiducie d’une valeur de 1 000 $ dans le fonds. Les investisseurs peuvent acquérir jusqu’à 1 000 parts au total. Ils versent une mise de fonds de 25 p. 100 et contractent un prêt sans intérêt de 20 ans pour les 75 p. 100 résiduels du coût des parts achetées. Le paiement comptant (moins les frais de vente et les honoraires professionnels) est remis à une société d’investissement pour qu’elle investisse dans des contrats à terme sur marchandises.

[10] Les investisseurs bénéficient d’un allègement fiscal en faisant don de leurs parts à un organisme de bienfaisance enregistré, puis en demandant une déduction pour la valeur des parts données. Fait important, les investisseurs réclament la pleine valeur de 1 000 $ par part pour la déduction au titre des dons de bienfaisance, même si cela ne leur a coûté que le quart de cette somme dans l’année de l’achat et du don.

[11] M. Simmons a acquis 1 000 parts du fonds spéculatif Northern Star d’une valeur totale de 1 000 000 $. Il a versé une mise de fonds de 250 000 $. Il a ensuite fait don des parts à son ancienne école et a demandé une déduction au titre d’un don de bienfaisance d’une valeur de 1 000 000 $ dans sa déclaration de revenus. Il a donc reçu un remboursement de 471 688 $ pour l’année d’imposition 1998.

B. La nouvelle cotisation de 2002

[12] Des préoccupations ont été soulevées à l’ARC quant à savoir si le fonds spéculatif Northern Star était utilisé à des fins d’évitement fiscal non autorisé. La demande de déduction au titre des dons de bienfaisance présentée par M. Simmons (et d’autres) a donc été examinée.

[13] Selon le paragraphe 118.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp), (la LIR), les déductions au titre des dons de bienfaisance sont restreintes à la juste valeur marchande des dons. À la suite d’une nouvelle cotisation relative au don de parts du fonds spéculatif Northern Star par M. Simmons, l’ARC a conclu que la juste valeur marchande du don était de 250 $ par part, et non de 1 000 $, comme il avait été demandé. L’ARC est arrivée à ce chiffre après avoir examiné trois facteurs : a) le coût pour les investisseurs particuliers dans le fonds; b) la juste valeur marchande pour les organismes de bienfaisance au moment du don; c) la juste valeur marchande pour le prochain acquéreur éventuel sur le marché public ouvert.

[14] À la suite de la nouvelle cotisation, une somme de 750 000 $ de la déduction initiale a été refusée. Cela a eu comme conséquence que M. Simmons devait 462 250 $ à l’ARC relativement à ses impôts de 1998. Entre‑temps, M. Simmons avait investi le remboursement qu’il avait reçu dans une entreprise de gravier.

C. L’opposition de M. Simmons et la cause type

[15] M. Simmons a déposé une opposition en temps opportun à la nouvelle cotisation. Toutefois, il a accepté que l’opposition soit mise en suspens jusqu’à ce que la Cour canadienne de l’impôt statue sur la cause type d’un autre contribuable qui avait également demandé une déduction au titre d’un don de bienfaisance de parts du fonds spéculatif Northern Star. De son côté, l’ARC a accepté de suspendre la mesure de recouvrement en attendant qu’une décision soit rendue dans la cause type. L’ARC a également informé M. Simmons, toutefois, que des intérêts continueraient de courir sur le solde impayé de sa nouvelle cotisation. Il pourrait éviter d’autres frais d’intérêt en faisant des versements volontaires sur son compte. Si son opposition était accueillie, toute somme en litige lui serait remboursée, plus les intérêts.

[16] L’autre cause a finalement été réglée en octobre 2006, compte tenu du fait qu’une déduction de 600 $ par part donnée du fonds serait admise.

[17] À plusieurs reprises en 2007, l’ARC a offert à M. Simmons de régler son opposition sur la même base que la cause type (c.‑à‑d., 600 $ par part donnée du fonds), mais il n’a pas répondu. Par conséquent, l’ARC a établi une nouvelle cotisation relative à la juste valeur marchande du don. Elle a conclu que la juste valeur marchande des parts dont M. Simmons avait fait don était de 450 $ par part plutôt que de 250 $, comme cela avait été établi en 2002. Par conséquent, en août 2008, l’ARC a accueilli l’opposition en partie et a crédité 200 000 $ de plus pour le don dans la déclaration de revenus de 1998 de M. Simmons, pour une déduction totale admissible de 450 000 $. Bien que ce rajustement ait diminué la somme que M. Simmons devait dorénavant sur ses impôts de 1998, il ne l’a pas effacée. La dette est demeurée impayée, et les frais d’intérêts s’y sont accumulés.

D. La première demande d’allègement pour les contribuables

[18] Le paragraphe 220(3.1) de la LIR confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour « renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs […] en application de la présente Loi ». En pratique, ce pouvoir discrétionnaire est exercé au nom du ministre par des fonctionnaires de l’ARC. Depuis 2005, l’allègement ne peut être demandé qu’à l’égard des dix années précédant la demande.

[19] Le processus de demande d’allègement et les facteurs dont l’ARC tient compte pour rendre une décision sur des demandes semblables sont énoncés dans une circulaire d’information de l’ARC. (La version actuelle de cette circulaire est la circulaire d’information IC07‑1R1 Dispositions d’allègement pour les contribuables (du 18 août 2017).) De façon générale, pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une renonciation aux frais d’intérêts ou une annulation de ceux‑ci, l’ARC tiendra compte, entre autres choses, du fait que les frais découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable (p. ex., maladie ou accident grave), des actions de l’ARC (p. ex., tout retard excessif de la part de l’ARC pour régler une opposition ou un appel), et de l’incapacité du contribuable de payer ou des difficultés financières qui seraient causées par le recouvrement du paiement. L’ARC tiendra également compte de la conduite du contribuable, par exemple s’il a respecté, par le passé, ses obligations fiscales de façon volontaire, s’il a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance, s’il a fait des efforts raisonnables à l’égard de sa situation fiscale, et s’il a agi rapidement pour remédier aux retards ou aux omissions de son propre chef.

[20] Depuis décembre 2014, M. Simmons (avec l’aide d’un avocat) a présenté une série de demandes d’allègement des intérêts imposés pour l’année d’imposition 1998. Il a fini par ajouter une demande d’allègement relativement à un montant inférieur exigible pour l’année d’imposition 2008. Il n’est pas nécessaire pour les besoins en l’espèce d’exposer en détail chaque demande et chaque décision. Le premier examen de l’ARC (du 11 août 2015) a refusé la demande. Le deuxième examen de l’ARC (du 29 mars 2017) a accepté la demande en partie, en raison de l’état de santé de M. Simmons en 2010. M. Simmons a demandé un contrôle judiciaire de cette décision, mais cette demande a fait l’objet d’un désistement, en tenant compte du fait que le ministre réexaminerait la demande d’allègement. Le troisième examen subséquent de l’ARC (du 5 décembre 2018) a refusé la demande. M. Simmons a demandé que l’ARC effectue un nouvel examen en raison d’erreurs qui, selon lui, avaient été commises lors du troisième examen. Le quatrième examen (du 25 octobre 2019) a de nouveau rejeté la demande d’allègement. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

E. L’examen de l’ARC de 2018

[21] Comme je l’ai souligné, à la suite du règlement de la précédente demande de contrôle judiciaire, M. Simmons s’est désisté de cette demande, et le ministre a convenu de réexaminer la demande d’allègement. M. Simmons était représenté dans la demande de contrôle judiciaire par un avocat, Jeff Pniowsky. Me Pniowsky avait présenté les demandes d’allègement au nom de M. Simmons, et il continue d’agir en son nom. Le défendeur, le procureur général du Canada, était représenté dans la précédente demande de contrôle judiciaire par Penny Piper, avocate au ministère de la Justice.

[22] Le dossier de la présente demande de contrôle judiciaire contient trois indications du fondement sur lequel la précédente demande de contrôle judiciaire a été réglée. La première indication est une lettre datée du 13 mars 2018 de Me Piper à Me Pniowsky (dont une copie a été envoyée à l’ARC). Me Piper écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

La décision du défendeur [de renvoyer l’affaire au ministre pour nouvel examen] était fondée sur les observations du juge Barnes à l’audience tenue le 13 février 2018 à Winnipeg, au Manitoba. À la fin de l’audience, le juge Barnes avait proposé que les parties se rencontrent ultérieurement pour voir si un règlement financier était possible, et il avait formulé ces observations en dépit du fait qu’il avait déjà reconnu que l’Agence du revenu du Canada ne pouvait accepter un « compromis » à l’égard d’une dette fiscale. En raison de la nature des procédures, et comme le juge Barnes semblait avoir d’autres préoccupations, un renvoi au ministre était le seul recours.

[23] Me Piper souligne également dans sa lettre que M. Simmons était autorisé à présenter des observations supplémentaires au plus tard 30 jours après le dépôt de l’avis de désistement de la demande de contrôle judiciaire. (L’avis avait été déposé le 6 mars 2018.)

[24] Le dossier révèle que Me Piper a joint à sa lettre une copie de l’avis de demande de contrôle judiciaire initiale déposé par M. Simmons dans le dossier no T‑636‑17.

[25] La deuxième indication du fondement sur lequel la précédente demande de contrôle judiciaire a été réglée se trouve dans une lettre datée du 9 avril 2018 de Me Pniowsky, adressée à l’ARC, dans laquelle il a présenté des observations à l’appui de la demande d’allègement renouvelée. La lettre de Me Pniowsky commençait de la façon suivante :

[traduction]

Nous faisons suite à la lettre de la Couronne du 13 mars 2018 ainsi qu’à l’entente intervenue entre les parties dans le cadre de la demande susmentionnée présentée à la Cour fédérale, dans laquelle le défendeur a accepté de renvoyer au ministre du Revenu national la demande d’annulation des intérêts pour les années d’imposition 1998 et 2008 du demandeur, en vue d’un réexamen. Cette entente a été conclue à la suite de l’audience relative à la demande tenue le 13 février 2018 et de l’avertissement lancé à la fin de l’audience par le juge Barnes aux parties leur recommandant de se rencontrer pour voir s’il était possible de conclure un règlement, car il y avait un « risque des deux côtés ». Pour la nouvelle décision, nous demandons au ministre d’examiner tous les documents déposés antérieurement à l’appui de la demande initiale d’allègement pour les contribuables et de la demande de deuxième examen, ainsi que les observations supplémentaires contenues aux présentes.

[26] La troisième indication est une déclaration de Me Pniowsky, dans une lettre datée du 15 janvier 2019, selon laquelle, lorsqu’il a accepté de se désister de la demande de contrôle judiciaire, il s’attendait à ce qu’il y ait un nouvel examen de bonne foi de la demande d’allègement. Cette lettre sera examinée plus loin.

[27] Comme il a été souligné, dans ses observations relatives au réexamen, Me Pniowsky a demandé que le décideur tienne compte de tous les documents déposés précédemment. On peut présumer que cela visait à signaler que M. Simmons s’appuyait toujours sur tous les motifs déjà invoqués à l’appui de sa demande d’allègement.

[28] Depuis le début, la demande d’allègement était fondée sur trois principaux facteurs : 1) la capacité de gain de M. Simmons a été touchée négativement par la maladie au cours de la période pertinente; 2) l’ARC a tardé de façon excessive à agir jusqu’en 2008, pour enfin établir la valeur admissible du don de bienfaisance, période durant laquelle la situation financière de M. Simmons s’est détériorée; 3) le paiement de la somme due au moment de l’établissement de la cotisation aurait causé des difficultés financières à M. Simmons (bien que les difficultés financières actuelles n’aient pas été alléguées). M. Simmons a eu gain de cause en partie pour des raisons de santé au cours de l’année 2010. Toutefois, aucun des autres facteurs n’a été jugé suffisant pour justifier un allègement. Néanmoins, comme Me Pniowsky l’a indiqué, M. Simmons a continué de s’appuyer sur ceux‑ci pour le nouvel examen.

[29] Les observations supplémentaires fournies dans la lettre datée du 9 avril 2018 portaient sur l’allègement des intérêts accordé aux participants à d’autres programmes de dons avec effet de levier. Selon Me Pniowsky, [traduction] «C dans la plupart de ces cas, le ministre a offert d’annuler tous les intérêts à compter de la date de la nouvelle cotisation consécutive à la vérification ». Il a donné des exemples d’offres de règlement d’oppositions dans trois autres affaires à des conditions plus favorables que l’évaluation finale par l’ARC du don de M. Simmons. Bien qu’aucun d’entre eux n’était lié aux dons du fonds spéculatif Northern Star, Me Pniowsky a soutenu que [traduction] « le principe d’équité exige que les contribuables dans des circonstances semblables soient traités de la même façon ». Dans une lettre de suivi du 4 décembre 2018 adressée à l’ARC, Me Pniowsky a répété cette observation et fourni un quatrième exemple d’un programme de dons avec effet de levier que l’ARC avait évalué plus favorablement que le don de M. Simmons.

[30] En novembre 2018, lorsque l’affaire a été réexaminée, le solde dû était de 819 499 $. Il s’agissait d’impôts pour 1998 et 2008 qui s’établissaient 229 250 $ et d’arriérés d’intérêts de 590 249 $.

[31] La demande d’allègement a été refusée de nouveau dans une lettre datée du 5 décembre 2018. En résumé, l’ARC a conclu que l’allègement n’était pas justifié pour les raisons suivantes :

  • Il n’y a eu aucun retard dans le traitement de l’opposition de 2002 par l’ARC entre la date à laquelle M. Simmons a consenti à la mettre en suspens et la date à laquelle elle a été réglée.

  • La maladie de M. Simmons en 2010 n’aurait pas nui à sa capacité de respecter ses obligations pour les années d’imposition 1998 et 2008, qui étaient dues avant la maladie.

  • M. Simmons avait suffisamment d’actifs pour régler le solde des arriérés du compte.

  • M. Simmons n’a pas pris de mesures qui auraient diminué les arriérés d’intérêts (p. ex., en effectuant des paiements volontaires ou en acceptant l’offre de régler son objection en 2007). Il a plutôt [traduction] « en connaissance de cause, laissé augmenter un solde en souffrance d’année en année ».

  • Enfin, en ce qui concerne les autres programmes de dons avec effet de levier, la lettre de décision indiquait que [traduction] « l’allègement des intérêts pour chaque programme de dons est déterminé en fonction de la façon dont les contribuables ont fait l’objet de cotisations et de la façon dont ils ont tiré profit de l’entente. Les particularités peuvent varier d’un programme à un autre. Dans le cas du fonds spéculatif Northern Star, la juste valeur marchande utilisée par l’agence a été établie par un rapport d’évaluation préparé par la section de l’évaluation interne. Ce n’est pas le cas dans tous les programmes de dons avec effet de levier ».

[32] Dans une lettre datée du 15 janvier 2019 adressée à l’ARC, Me Pniowsky a demandé que l’affaire soit réexaminée en raison [traduction] « d’erreurs évidentes » dans la décision du 5 décembre 2018. En particulier, il a soutenu que le décideur avait tenu compte, à tort, du fait que la Cour fédérale avait circonscrit la portée de l’examen.

[33] La préoccupation de Me Pniowsky découle manifestement de la déclaration suivante dans la lettre de décision du 5 décembre 2018 : [traduction] « Selon la correspondance reçue de la Cour fédérale, la mention que vous avez faite du retard causé par les appels n’a pas été prise en compte dans le deuxième examen, pas plus que les documents financiers de la société relativement à la situation financière du contribuable ». Le décideur avait ensuite expliqué pourquoi les dossiers financiers de la société n’étaient pas pertinents pour l’impôt sur le revenu des particuliers de M. Simmons et, comme il a été mentionné précédemment, il avait conclu que l’ARC n’avait pas tardé à traiter l’opposition de 2002.

[34] Le dossier n’indique pas clairement ce que le décideur entend par [traduction] « correspondance reçue de la Cour fédérale ».

[35] Quoi qu’il en soit, Me Pniowsky a expliqué sa préoccupation dans sa lettre datée du 15 janvier 2019 :

[traduction]

D’après les discussions que nous avons eues avec l’avocat de la Couronne, il semble que vous ayez mal interprété une lettre du ministère de la Justice fédéral comme étant des directives de la Cour même. Ce faisant, vous avez adopté l’approche contraire à celle proposée par la Cour. Nous avions compris que des efforts de bonne foi seraient déployés pour régler cette affaire à la suite de l’avertissement de la Cour selon lequel il y avait un risque réel pour les deux parties. Plutôt que de tenter d’effectuer des démarches de bonne foi pour arriver à un règlement, vous avez fait le contraire en restreignant vos domaines d’examen de façon à justifier l’inaction de la Couronne.

Mis à part le fait que cette démarche est à l’opposé de l’objectif même du désistement, et en supposant que cette affaire a simplement été convertie en un autre examen sans contexte (ce qui, nous ne l’admettons pas, serait la bonne démarche), vous êtes tenus de prendre en compte tous les facteurs pertinents à la demande d’allègement de notre client. Il n’y a pas de base juridique pour limiter arbitrairement votre examen et omettre des faits qui sont manifestement pertinents à l’incapacité de payer de notre client au moment pertinent ou aux circonstances qui ont porté ceci à votre attention.

[36] Rien dans le dossier n’apporte de précision sur la mention de Me Pniowsky de ses discussions avec l’avocat de la Couronne. Rien n’indique à qui il a parlé ni pourquoi il a conclu que le décideur avait confondu une lettre du ministère de la Justice (vraisemblablement la lettre datée du 13 mars 2018 de Me Piper – voir le paragraphe 22 ci‑dessus) avec des [traduction] « directives de la Cour même ».

[37] En réponse à la lettre datée du 15 janvier 2019 de Me Pniowsky, l’ARC a entrepris un autre examen de la demande d’allègement de M. Simmons.

[38] Dans le cadre de ce quatrième examen, l’ARC a demandé à M. Simmons, dans une lettre datée du 25 janvier 2019, les renseignements supplémentaires suivants :

  • Un formulaire de revenus et dépenses, d’actifs et de passifs rempli.

  • Trois de ses plus récents relevés de compte de chacune de ses banques.

  • Les états des résultats et bilans des deux derniers exercices.

  • Tout autre renseignement pertinent pouvant faciliter l’examen.

[39] Me Pniowsky a répondu à cette demande dans une lettre datée du 21 mars 2019, écrivant ce qui suit au représentant de l’ARC responsable de l’examen :

[traduction]

Comme vous l’avez reconnu au téléphone, il s’agit de la suite d’une affaire qui a pris naissance à la Cour fédérale afin de régler le dossier, comme il a été décrit dans des éléments de correspondance antérieure, lesquels documents vous ont été transmis. Comme vous le savez, nous ne prétendons pas qu’il existe des difficultés financières actuellement, mais nous nous fondons sur les circonstances telles qu’elles existaient au moment où la dette avait pris naissance, comme cela a été décrit plus particulièrement à l’audience devant la Cour fédérale. Votre demande s’inscrit dans le prolongement d’une tendance selon laquelle le ministre se concentre sur des domaines que nous n’avons pas mis de l’avant, tout en faisant fi de ceux qui, nous l’affirmons précisément, justifient un allègement, avec l’intention apparente de refuser tout allègement.

Ce qui avait été promis comme un processus de règlement mutuel de bonne foi s’est avéré être le contraire. Nous venons également d’apprendre que le ministre a profité de ces prétextes en procédant à une saisie‑arrêt prévue par la loi (demande formelle de paiement) directement à l’encontre de notre cabinet, laquelle est jointe aux présentes. Nous avons l’intention de demander réparation à la Cour fédérale. Veuillez nous faire parvenir (à notre bureau et pas seulement à notre client) votre décision définitive.

[40] Bien que Me Pniowsky fasse allusion aux [traduction] « circonstances telles qu’elles existaient au moment où la dette avait pris naissance, comme cela a été décrit plus particulièrement à l’audience devant la Cour fédérale », il n’a pas fourni d’autres renseignements à l’ARC au sujet de ce qui avait été dit à l’audience quant aux circonstances ou par qui. (Je note entre parenthèses que la demande formelle de paiement mentionnée par Me Pniowsky a ensuite été retirée par l’ARC.)

[41] Aucune autre observation ou information n’a été fournie à l’ARC avant que la décision ne soit rendue sur le quatrième examen.

III. LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[42] Dans une lettre datée du 25 octobre 2019, l’ARC a refusé la demande d’allègement des arriérés d’intérêts de M. Simmons.

[43] La lettre de décision commence par énoncer les facteurs pertinents relevés dans la circulaire d’information (aux paragraphes 18 et 19 ci‑dessus), mais souligne également que les lignes directrices ne sont pas censées être exhaustives et que chaque demande d’allègement doit faire l’objet d’un examen et d’une décision fondée sur les faits qui lui sont propres, conformément à l’objet du paragraphe 220(3.1) de la LIR. La lettre souligne également que cet objectif est résumé au paragraphe 8 de la circulaire d’information. Ce paragraphe énonce ce qui suit :

La législation donne à l’ARC la capacité d’administrer le régime fiscal de façon équitable et raisonnable en aidant les contribuables à régler des problèmes qui se présentent indépendamment de leur volonté et en permettant d’adopter une approche raisonnée dans le cas de contribuables qui, en raison de problèmes personnels ou de circonstances hors de leur contrôle, n’ont pas pu satisfaire à une exigence législative aux fins de l’impôt sur le revenu.

[44] Après avoir résumé l’historique des cotisations d’impôt de 1998 et de 2008 ainsi que des arriérés d’intérêts, la lettre de décision explique ensuite pourquoi la demande d’allègement a été refusée. Je résume ainsi les motifs fournis :

  • En ce qui concerne la conduite et la gestion des affaires fiscales du contribuable, M. Simmons avait laissé la dette subsister pendant plus de 10 ans. Il n’avait pris aucune mesure pour régler le problème du solde impayé. Il n’avait pas tenu compte de ses obligations fiscales, malgré le fait que l’ARC l’a informé que les intérêts continueraient de s’accumuler. Il n’avait pas fait d’efforts raisonnables à l’égard de ses obligations fiscales, et il ne s’était pas conformé volontairement à ces obligations. (Bien que cela ne soit pas mentionné dans la lettre de décision, la fiche de renseignements sur l’allègement pour les contribuables qui a été préparée à l’intention du décideur indique que, pendant que les intérêts s’accumulaient, M. Simmons a eu accès à des actifs qu’il a choisi d’utiliser à d’autres fins plutôt que de respecter ses obligations fiscales.)

  • L’ARC n’a pas tardé à trancher l’opposition à la nouvelle cotisation de 2002.

  • L’ARC avait offert de régler l’opposition sur la même base que la cause type relative au fonds spéculatif Northern Star, mais, étant donné que M. Simmons n’a pas répondu à cette offre, l’ARC a tranché l’opposition en fonction d’une nouvelle appréciation de la juste valeur marchande de son don.

  • Des offres de règlement d’autres programmes de dons ont été faites en fonction de l’examen des circonstances particulières de ces programmes. Quoi qu’il en soit, ces offres de règlement dépendaient de la signature de renonciations par les contribuables, ce que M. Simmons n’avait pas fait dans sa propre affaire.

  • Comme M. Simmons ne se fondait pas sur des difficultés financières, cela n’a pas été pris en compte.

[45] Par conséquent, l’annulation des arriérés d’intérêts n’a pas été approuvée.

IV. LA NORME DE CONTRÔLE

[46] Il ne fait aucun doute que le fond d’une décision refusant un allègement pour les contribuables devrait être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est désormais la norme de contrôle présumée, on ne peut y déroger, dans les cas d’exceptions précises, « que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10). Il n’y a aucune raison de déroger à cette présomption. Je souligne également qu’il était bien établi bien avant l’arrêt Vavilov que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle qui s’appliquait pour les décisions relatives à l’allègement pour les contribuables : voir Canada (Agence du revenu) c Telfer, 2009 CAF 23 au para 24. Entre autres choses, cette norme reflète la nature hautement discrétionnaire des décisions relatives aux demandes d’allègement au titre du paragraphe 220(3.1) de la LIR.

[47] Le contrôle des décisions administratives selon la norme de la décision raisonnable « vise à donner effet à l’intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit » (Vavilov, au para 82).

[48] L’exercice de tout pouvoir public « doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95). Par conséquent, un décideur administratif a l’obligation « de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée » (Vavilov, au para 96).

[49] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable appelle la retenue judiciaire. La norme de la décision raisonnable vise à faire en sorte que les « cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13).

[50] La cour de révision doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). L’appréciation du caractère raisonnable d’une décision doit être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). Lorsque le décideur a fourni les motifs de sa décision, une cour de révision doit d’abord « examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov, au para 84, guillemets internes omis). Lors du contrôle, il faut accorder une « attention particulière » aux motifs du décideur et « les interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, au para 97).

[51] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La norme de la décision raisonnable « exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision » (ibid.). Une cour de justice qui applique cette norme « ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’“éventail” des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution “correcte” au problème » (Vavilov, au para 83).

[52] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable. Il doit établir que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, at para 100).

V. LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[53] Le défendeur [traduction] « conteste » plusieurs documents joints comme pièces à l’affidavit à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, soutenant qu’ils devraient avoir [traduction] « un poids limité ou nul ». Plus particulièrement, le défendeur s’oppose à ce que la Cour tienne compte de ce qui suit :

  • a) la transcription de l’audience du 13 février 2018 concernant la précédente demande de contrôle judiciaire (à l’exception des pages 86 à 89 de cette transcription) [pièce A de l’affidavit de Colleen Da Costa souscrit le 20 janvier 2020];

  • b) une lettre datée du 2 mars 2018 de Me Pniowsky adressée à Me Piper confirmant son intérêt à continuer de discuter du règlement de la demande de contrôle judiciaire [incluse dans la pièce B de l’affidavit Da Costa];

  • c) une lettre conjointe datée du 2 mars 2018 de Mes Piper et Pniowsky adressée à la Cour fédérale confirmant qu’un règlement avait été conclu et qu’un avis de désistement serait déposé auprès de la Cour [incluse dans la pièce B de l’affidavit Da Costa];

  • d) un courriel du 9 avril 2018 de Me Piper envoyé au cabinet d’avocats de Me Pniowsky, dans lequel elle a fait remarquer que le ministère de la Justice avait fermé son dossier dans l’affaire et qu’il ne devrait plus être mis en copie conforme dans la correspondance envoyée à l’ARC [inclus dans la pièce B de l’affidavit Da Costa];

  • e) un courriel du 4 décembre 2018 de Me Piper au cabinet d’avocats de Me Pniowsky rappelant que le ministère de la Justice ne devrait plus recevoir de copie de la correspondance envoyée à l’ARC [inclus dans la pièce B de l’affidavit Da Costa];

  • f) le dossier de demande du demandeur concernant la demande de contrôle judiciaire (dossier de la Cour no T‑636‑17) [pièce D de l’affidavit Da Costa].

[54] Comme le défendeur le fait correctement remarquer, la règle générale, sous réserve de certaines exceptions, veut que seuls les documents dont disposait le décideur initial soient admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : voir Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 17‑20; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 13‑28; Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 aux para 7‑9.

[55] En appliquant ce principe, voici comment je me prononce à l’égard des documents susmentionnés :

  • a) Je suis d’accord avec le défendeur que seules les pages 86 à 89 de la transcription de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire peuvent être prises en compte. Elles fournissent le contexte des références dans les documents dont disposait le décideur quant aux commentaires formulés par le juge Barnes à la fin de l’audience. Le reste de la transcription n’a pas été présenté au décideur et ne n’inscrit pas dans les exceptions reconnues. Par conséquent, je ne l’examinerai pas dans le cadre de l’appréciation du caractère raisonnable de la décision. Cela n’aurait pas dû être inclus dans le dossier de demande.

  • b) Bien que cela n’ait que peu d’importance, je suis disposé à accepter la lettre datée du 2 mars 2018 de Me Pniowsky à Me Piper comme contexte du règlement de la précédente demande de contrôle judiciaire.

  • c) De même, la lettre conjointe de Mes Piper et Pniowsky adressée à la Cour fédérale, datée du 2 mars 2018, peut être considérée comme un contexte (bien que, encore une fois, son contenu n’ait que peu d’importance).

  • d) Le courriel de Me Piper daté du 9 avril 2018 n’est tout simplement pas pertinent.

  • e) Le courriel de Me Piper daté du 4 décembre 2018 n’est pas non plus pertinent.

  • f) Le dossier de demande du demandeur provenant du dossier de la Cour T‑636‑17 compte plus de six cents pages. Une grande partie de ces documents sont sans importance ou sans rapport avec la présente demande, alors même que le décideur disposait de la plupart des documents, parce qu’ils faisaient partie des demandes d’allègement antérieures du demandeur. D’autres parties de ce dossier, et, surtout, le mémoire des faits et du droit du demandeur, n’ont pas été présentées au décideur et ne sont pas visées par une exception reconnue qui permettrait d’en faire l’examen dans le cadre de la présente demande. Dans ses observations écrites relatives à la présente demande, l’avocat de M. Simmons prétend adopter les observations qu’il a faites dans la précédente demande de contrôle judiciaire, et se fonder sur celles‑ci. Cela dénote une mauvaise compréhension de la nature de la présente demande de contrôle judiciaire, qui porte sur une décision différente et qui, en principe, doit être fondée sur le dossier dont disposait le décideur. Par conséquent, pour apprécier le caractère raisonnable de la décision du 25 octobre 2019, je ne prendrai pas en compte le précédent mémoire des faits et du droit ni quoi que ce soit d’autre dans le dossier de demande de la demande antérieure de contrôle judiciaire dont le décideur ne disposait pas. Dans la mesure où Me Pniowsky maintient que ses observations antérieures font partie du contexte du nouvel examen, elles auraient dû être présentées au décideur. Par contre, tout élément du dossier de demande antérieur dont disposait le décideur ayant rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle peut être pris en compte en l’espèce. Je m’empresse toutefois d’ajouter qu’il aurait fallu trouver une meilleure façon de présenter ces documents à la Cour dans le cadre de la présente demande, au lieu de reproduire en bloc le dossier de demande d’une autre demande de contrôle judiciaire.

VI. ANALYSE

[56] En bref, l’argument principal de M. Simmons en l’espèce est qu’il était injuste de la part de l’ARC de faire en sorte qu’il se désiste de sa précédente demande de contrôle judiciaire pour en arriver au même résultat qu’auparavant lors du nouvel examen. Selon ma compréhension de sa position, il ne se plaint pas du processus suivi par l’ARC qui, en quelque sorte, se rapporte aux exigences en matière d’équité procédurale. Il s’oppose plutôt au fond de la décision. Il maintient que l’ARC aurait dû rendre une décision différente lors du nouvel examen. Ainsi, à mon avis, lorsqu’il se plaint d’iniquité, il dit simplement d’une autre façon que la décision est déraisonnable. Plus particulièrement, M. Simmons prétend que la décision est déraisonnable dans le contexte de la précédente demande de contrôle judiciaire et du désistement de celle‑ci.

[57] Je ne suis pas de cet avis.

[58] Il ne fait aucun doute que les circonstances qui ont mené au nouvel examen de la demande d’allègement après la contestation de la décision de 2017 dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont pertinentes au caractère raisonnable de la décision qui a finalement été rendue sur ce nouvel examen. Toutefois, contrairement à ce qu’a fait valoir M. Simmons, la décision n’est pas déraisonnable lorsqu’elle est considérée dans ce contexte. Ce contexte est résumé aux paragraphes 21 à 29 et 32 à 41 ci‑dessus. M. Simmons insiste beaucoup sur le fait qu’il a accepté de régler sa précédente demande de contrôle judiciaire, mais qu’il est resté au même point. Toutefois, le dossier relatif à ce règlement ne démontre pas que la décision ultime est déraisonnable.

[59] Dans le dossier dont je suis saisi, tous les avocats du défendeur se sont engagés, dans le règlement de la première demande de contrôle judiciaire, à renvoyer l’affaire au ministre pour un nouvel examen. C’est exactement ce qui s’est produit. M. Simmons s’est raisonnablement attendu à ce qu’il s’agisse d’un nouvel examen de bonne foi. En fait, cette attente a été clairement exprimée en son nom dans une lettre de Me Pniowsky à l’ARC (voir les paragraphes 35 et 39 ci‑dessus). Toutefois, le simple fait que l’ARC a tiré la même conclusion lors du nouvel examen qu’elle avait tirée auparavant ne signifie pas que le nouvel examen n’était pas de bonne foi, que l’ARC a abordé l’affaire avec un esprit fermé ou que le nouvel examen allait à l’encontre des modalités de règlement de la précédente demande de contrôle judiciaire. Le décideur a fourni une explication raisonnée des motifs pour lesquels la demande d’allègement était refusée. M. Simmons n’a pas été en mesure de signaler quelque lacune que ce soit dans le raisonnement du décideur qui pourrait remettre en question le caractère raisonnable de la décision.

[60] Le caractère raisonnable d’une décision doit être apprécié au regard des contraintes juridiques et factuelles imposées au décideur qui sont propres au contexte de la décision (Vavilov, au para 90). En l’espèce, rien dans le dossier n’indique que le pouvoir discrétionnaire du décideur ait été l’objet de contraintes, hormis celles qui s’exercent dans chaque demande d’allègement de ce genre, à savoir les dispositions du paragraphe 220(3.1) de la LIR et les lignes directrices de la circulaire d’information. Le résultat a été expliqué en ces termes dans la lettre de décision. En outre, bien que M. Simmons ait peut‑être espéré un résultat différent lors du nouvel examen, rien ne donne à entendre qu’il a été amené à se désister de sa précédente demande de contrôle judiciaire par une affirmation selon laquelle le nouvel examen conduirait à un résultat différent. La lettre de Me Piper datée du 13 mars 2018 ne visait pas à demander à l’ARC d’en arriver à un résultat particulier lors du nouvel examen (elle n’aurait pas eu, de toute façon, l’autorisation légale de le faire). La correspondance de suivi de Me Pniowsky avec l’ARC n’a pas donné à entendre que Me Piper avait énoncé de façon incomplète ou inexacte les modalités du règlement de la demande de contrôle judiciaire. Et, sans aucun doute, les commentaires formulés par le juge Barnes à la fin de l’audience relative au contrôle judiciaire antérieur ne visaient pas à demander à l’ARC de trancher l’affaire différemment.

[61] L’avocat de M. Simmons m’invite à présumer qu’il devait avoir une bonne raison de se désister de la précédente demande de contrôle judiciaire. Même si cela est vrai, je dois refuser son invitation à spéculer sur des questions n’ayant pas été soumises au décideur et qui n’ont pas été établies dans le cadre du dossier dont je suis saisi.

[62] L’avocat de M. Simmons soutient également que la décision est déraisonnable, parce que le décideur n’a pas abordé l’argument portant que l’allègement était justifié en raison de l’incidence de la maladie de M. Simmons sur sa capacité à gagner un revenu et, en outre, que les arriérés d’intérêts s’étaient accumulés du fait qu’ils auraient causé à M. Simmons des difficultés à s’acquitter de ses obligations en temps opportun, compte tenu des revers financiers qu’il avait connus dans le passé.

[63] Je ne suis pas convaincu que cette omission suffit pour rendre la décision déraisonnable. S’il est vrai que la lettre de décision est silencieuse sur ces points, il est également vrai que les observations faites par l’avocat de M. Simmons en lien avec le nouvel examen (en avril 2018 et de nouveau en mars 2019) ne les abordent pas non plus (à l’exception de la déclaration standard selon laquelle il s’appuyait sur tous les documents antérieurs). La demande d’allègement a un long historique. La dernière décision n’est pas déraisonnable simplement parce qu’elle ne tenait pas compte des arguments présentés plus tôt dans ce long processus, en particulier quand ces arguments avaient déjà été rejetés par l’ARC (dans les décisions du 29 mars 2017 et du 5 décembre 2018), et que les observations présentées dans le cadre de la demande de nouvel examen ne fournissaient aucune raison valable de penser que les décisions antérieures étaient erronées. Le contrôle d’une décision administrative ne peut être dissocié de l’historique de l’instance (Vavilov, aux para 91, 94).

[64] En résumé, je ne suis pas convaincu que la décision ne tienne pas valablement compte des questions et des préoccupations centrales soulevées par M. Simmons dans le cadre du nouvel examen (Vavilov, aux para 127‑128). Dans le contexte de l’historique des demandes d’allègement pour les contribuables, y compris la précédente demande de contrôle judiciaire, la décision de refuser la demande d’allègement est justifiée, transparente et intelligible.

VII. CONCLUSION

[65] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision du 25 octobre 2019, qui a refusé la demande d’allègement pour les contribuables, est rejetée avec dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1899‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 25 octobre 2019, qui a refusé la demande d’allègement au titre du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, est rejetée avec dépens.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1899‑19

 

INTITULÉ :

LLOYD SIMMONS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 15 DÉCEMBRE 2020 DEPUIS OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET WINNIPEG (MANITOBA) (PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Jeff Pniowsky

Matthew Dalloo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Anita Balakumar

Samantha Gergely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman

Sweatman LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.