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Date : 20210222


Dossier : IMM-7186-19

Référence : 2021 CF 174

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

Mbombo DITU

Pety DITU

Yolanda DITU

Francisca DITU

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience le 22 février 2021)

[1] Mme Ditu et ses enfants sollicitent le contrôle judiciaire du refus de leur demande d’asile. Les demanderesses sont des ressortissantes de la République démocratique du Congo [la RDC], mais ont vécu en Afrique du Sud de 2002 à 2017. Elles allèguent avoir obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud, mais n’ont présenté aucune preuve à l’appui de cette affirmation. En bref, elles soutiennent qu’elles risquent d’être persécutées pour des raisons politiques en RDC, en raison de l’engagement politique du défunt mari de Mme Ditu, et de faire l’objet de discrimination équivalant à de la persécution en Afrique du Sud étant donné qu’elles sont des étrangères.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile. Elle a conclu que la crédibilité de Mme Ditu était sérieusement entachée. Elle n’a donc pas cru les faits que Mme Ditu a allégués pour étayer le bien-fondé de sa crainte de persécution. De plus, la SPR a rejeté l’affirmation de Mme Ditu selon laquelle les demandeurs d’asile déboutés qui retournent en RDC s’exposent au risque d’être persécutés. Comme elle a conclu que Mme Ditu et ses enfants pouvaient retourner en toute sécurité en RDC, la SPR n’a pas jugé nécessaire d’évaluer les risques allégués en Afrique du Sud.

[3] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel des Ditu. Elle a souscrit aux conclusions de la SPR pour ce qui est de la crédibilité et des risques auxquels s’exposent les demandeurs d’asile déboutés qui retournent en RDC. Elle a souligné que la question centrale n’était pas celle de savoir si le mari de Mme Ditu est décédé en 2002. Le décès du mari, à lui seul, n’était pas suffisant pour prouver l’engagement politique de ce dernier ou le fait que Mme Ditu et ses enfants seraient perçues aujourd’hui comme des opposantes au régime politique congolais. La SAR a aussi rejeté la demande fondée sur la disposition relative aux « raisons impérieuses », soit le paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], car la persécution alléguée n’était pas « d’une gravité si exceptionnelle qu’elle atteint un degré tel qu’on la qualifie d’épouvantable ou d’atroce ».

[4] Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, Mme Ditu soutient premièrement que la SAR aurait dû tenir compte du fait qu’elle a obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud et que cela crée une présomption en sa faveur. Toutefois, elle n’a cité aucune décision à l’appui de son argument. À ce chapitre, la SAR avait pour tâche d’évaluer la crainte de persécution de Mme Ditu en date d’aujourd’hui. L’évaluation est prospective : voir Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635 au paragraphe 9, entre autres décisions où l’on affirme ce principe de base. Une évaluation prospective effectuée en 2002 ne mène pas nécessairement aux mêmes résultats que pareille évaluation effectuée en 2019, surtout que Mme Ditu affirme que les circonstances ont changé en RDC depuis 2002. Le fait que Mme Ditu n’ait fourni aucun élément de preuve documentaire à l’égard de sa demande d’asile en Afrique du Sud n’aide certainement pas à régler cette question.

[5] Deuxièmement, Mme Ditu fait valoir que la SAR aurait dû examiner le risque auquel elle serait exposée si elle retournait en Afrique du Sud. Selon elle, compte tenu de la suspension temporaire des renvois vers la RDC, elle serait renvoyée en Afrique du Sud. Cet argument n’a pas été formulé devant la SAR. On ne peut donc pas, dans le contexte du contrôle judiciaire, reprocher à la SAR de ne pas l’avoir examiné. Quoi qu’il en soit, cet argument peut être rejeté de façon sommaire.

[6] Pour le moment, il est hypothétique de conclure que les Ditu seraient renvoyées en Afrique du Sud. À cet égard, je souligne que le ministre n’est pas d’avis que les Ditu ont une quelconque forme de statut juridique en Afrique du Sud et n’invoque ni la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés ni l’alinéa 101(1)d) de la Loi. Si le ministre tente de renvoyer les demanderesses en Afrique du Sud, celles-ci pourront présenter leurs arguments relatifs au principe du non-refoulement dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi. Pour l’application des articles 96 et 97 de la Loi, la SAR devait seulement évaluer la crainte des Ditu d’être persécutées dans le pays dont elles ont la nationalité, soit la RDC.

[7] Troisièmement, Mme Ditu fait valoir que la SAR a omis d’appliquer adéquatement la disposition relative aux raisons impérieuses. Je rejette cet argument. Comme je l’ai mentionné dans une décision récente, Gomez Dominguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1098 au paragraphe 40, trois éléments doivent être établis pour que la disposition s’applique : 1) le demandeur, à un moment donné dans le passé, a satisfait à la définition de réfugié; 2) le demandeur ne satisfait plus à la définition de réfugié en raison d’un changement de circonstances dans le pays d’origine; 3) il existe des raisons impérieuses de ne pas retourner dans le pays d’origine, qui sont assimilées à une persécution épouvantable ou atroce. Il était raisonnable que la SAR rejette la demande d’asile en se fondant uniquement sur le troisième volet de ce critère. La SAR a énoncé le bon critère juridique et est arrivée à une conclusion raisonnable au regard des faits. Étant donné que les trois éléments sont conjonctifs, le fait que les demanderesses ne remplissaient pas l’un d’entre eux a dispensé la SAR d’examiner les deux autres.

[8] L’avocat a demandé la certification d’une question au sujet de l’incidence du statut de réfugié des demanderesses en Afrique du Sud sur l’analyse du risque en cas de renvoi en RDC. Je refuse de certifier la question pour les motifs suivants. Premièrement, selon la Cour d’appel fédérale, une question certifiée doit être de portée générale, c’est-à-dire qu’elle est susceptible d’être soulevée dans diverses affaires : Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 RCF 674 au paragraphe 46. Comme je l’ai mentionné précédemment dans mon jugement, l’avocat n’a cité aucune autre affaire dans laquelle la question a été soulevée. Je ne peux donc pas conclure que cette question sera de portée générale dans d’autres affaires, bien que je sois conscient du fait que des gens fuient peut-être l’Afrique du Sud pour des raisons semblables. Deuxièmement, la preuve du statut accordé aux demanderesses en Afrique du Sud est extrêmement mince. Aucun document montrant pourquoi le statut de réfugié leur aurait été accordé n’a été versé au dossier. En l’absence de preuve, il serait donc très difficile pour la Cour d’appel d’analyser la question en profondeur.

[9] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7186-19

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7186-19

 

INTITULÉ :

MBOMBO DITU, PETY DITU, YOLANDA DITU ET FRANCISCA DITU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) et Montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 FÉVRIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

POUR LES DEMANDERESSES

Sonia Bédard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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