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Date : 20210309


Dossier : T-471-20

Référence : 2021 CF 213

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2021

En présence de l'honorable monsieur le juge Mosley

ENTRE :

CECILIA CONSTANTINESCU

Partie demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Partie défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’un appel de l’ordonnance d’un protonotaire émise le 12 février 2021 radiant la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse d’une décision interlocutoire du Tribunal canadien des droits de la personne.

[2] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

II. Contexte

[3] La demanderesse a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) contre le Service correctionnel du Canada (SCC) en octobre 2015. La Commission a transmis la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) le 31 mai 2017.

[4] Depuis juillet 2017, le dossier demeure à l’étape de la divulgation puisque celui-ci est miné par de nombreuses requêtes de la part de la demanderesse visant entre autres la divulgation de documents, la suspension des procédures et l’élargissement de la plainte, de sorte que plusieurs décisions interlocutoires ont déjà été rendues par le membre instructeur.

[5] Depuis le dépôt de sa plainte, la demanderesse a introduit huit instances en Cour fédérale, , et deux instances en Cour d’appel fédérale. Les demandes en contrôle judiciaire de la demanderesse dans les dossiers T-976-18, T-1571-18 et T-102-19 ont été radiées au motif qu’elles étaient prématurées et que la demanderesse n’avait pas démontré de circonstances exceptionnelles justifiant l’intervention de la Cour.

[6] Le 17 janvier 2020, la demanderesse a demandé au membre instructeur de se récuser, invoquant une crainte raisonnable de partialité à son égard. Cette crainte de partialité découle des recherches jurisprudentielles que la demanderesse a effectuées.

[7] Le 27 juillet 2020, le défendeur a introduit une requête en radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire au motif que la demande est prématurée. Le 10 décembre 2020, bien que la requête du défendeur n’eût pas encore été déterminée, la Cour a fixé une audience sur la demande de contrôle judiciaire. Le défendeur en a informé la Cour le 20 janvier 2021.

[8] Le 26 janvier 2021, le membre instructeur du Tribunal a décidé qu’il avait l’obligation, en tant que décideur d’un processus quasi-judiciaire de réexaminer la question de l’abus de procédure dans le dossier, ce qui pourrait avoir pour potentielle conséquence le rejet de la plainte et la fermeture du dossier.

[9] Le 12 février 2021, Madame la protonotaire Molgat a accueilli la requête en radiation et a ordonné que l’avis de demande de contrôle judiciaire soit radié sans possibilité d’amendement au motif que la demande de contrôle judiciaire est prématurée.

[10] La demanderesse cherche maintenant à faire annuler l’ordonnance du 12 février 2021. Les parties ont été entendues par vidéoconférence le mercredi 3 mars. La demanderesse se représente elle-même, sans avocat.

III. Question en litige

[11] En l’espèce, la Cour est appelée à déterminer si la protonotaire Molgat a erré en ordonnant la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire.

IV. Norme de contrôle

[12] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires est celle de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit, et celle de l’erreur manifeste et dominante relativement aux conclusions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il n’existe aucune question de droit isolable : Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux paras 8, 10, 36 et 83 [Housen].

[13] Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans Rodney Brass c Papequash, 2019 CAF 245, « l’erreur manifeste et dominante est une norme élevée et difficile à respecter ». Cela a été expliqué par la Cour dans Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au para 46 [South Yukon Forest Corporation]:

Par erreur “ manifeste ”, on entend une erreur évidente, et par erreur “ dominante ”, une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

V. Analyse

[14] La demanderesse conteste le rejet de sa demande d’audience sur la base que la protonotaire aurait erré en indiquant que « faire valoir ses droits et arguments » n’est pas un motif qui justifierait qu’une audience soit fixée alors que l’administratrice judiciaire avait déjà fixé l’audience suivant les directives du juge en chef.

[15] Il semble que lorsque le dossier a été transféré au bureau du juge en chef pour déterminer une date d’audience, le greffe a ignoré le fait que le 27 juillet 2020, le défendeur avait introduit une requête en radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire qui n’avait pas encore été décidé. Il était approprié pour le défendeur d’en informer la Cour le 20 janvier 2021. En effet, c’était une erreur administrative qui n’a pas donné à la demanderesse un droit d’une audience.

[16] À défaut de circonstances exceptionnelles, la Cour ne peut intervenir dans un processus administratif tant que le processus n’a pas été mené à terme ou que les recours efficaces qui sont ouverts n’ont pas été épuisés. Le seuil pour reconnaître une circonstance comme étant exceptionnelle est très élevé (voir Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux paras 31-33; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 aux paras 35-36; Black c Canada (Procureur général), 2013 CAF 201 aux para 7-10 [Black]; Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 aux paras 37-38 [Dugré]).

[17] En l’espèce, la demanderesse n’a soulevé aucune circonstance exceptionnelle justifiant l’intervention de cette Cour dans le processus du Tribunal et il était donc correct de radier la demande de façon préliminaire. Les allégations de partialité d’un membre du tribunal ne constituent pas une circonstance exceptionnelle : Black aux paras 9-10 et Air Canada c Lorenz, [2000] 1 CF 494.

[18] Contrairement à ce que la demanderesse soutient, les requêtes en récusation n’ont pas un statut différent des requêtes interlocutoires. Elles sont des requêtes interlocutoires : Francis v Canada (Citizenship and Immigration), 2012 FC 1141 au para 23.

[19] La Cour a la compétence de radier une demande avant d’entendre une cause au fond. Non seulement la Cour peut radier une demande avant d’entendre la cause sur le fond, mais elle peut également le faire de sa propre initiative : Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux paras 31-33; Dugré à para 38.

[20] La Cour d’appel a précisé plusieurs fois que le rejet d’un appel pour cause de prématurité ne portait pas atteinte au droit de l’appelant de s’attaquer à toute décision interlocutoire rendue par le Tribunal une fois le processus administratif terminé. Il en est de même pour les demandes de contrôle judiciaire.

[21] La demanderesse a raison de soutenir que la protonotaire a commis une erreur factuelle lorsqu’elle a mentionné qu’une décision est attendue pour six requêtes en divulgation déposées par la demanderesse dans le dossier de plainte alors que le membre instructeur avait rendu une décision pour les six requêtes le 6 mars 2020. Mais cette erreur n’est pas manifeste et dominante comme définie dans South Yukon Forest Corporation, précité. C’est une erreur mineure qui n’affecte d’aucune façon la décision rendue par la protonotaire.

[22] Également, le fait que la protonotaire ait noté que la divulgation se poursuit n’est pas une erreur simplement parce que le Tribunal considère présentement le rejet de la plainte pour abus de procédure. Mais, en adressant sa demande à cette Cour, il semble que la demanderesse tente de court-circuiter les conséquences auxquelles elle s’expose si le membre instructeur conclut, en raison des comportements qu’elle a choisi d’adopter, qu’elle a abusé de la procédure dans le cadre de l’instruction de sa plainte.

VI. Conclusion

[23] La demanderesse n’a pas démontré d’erreur manifeste et dominante commise par la protonotaire ou d’erreur de droit. Pour les raisons énoncées ci-dessus, la requête est rejetée.

[24] Le présent appel s’agit de l’une des dix demandes de contrôle judiciaire ou appels que la demanderesse a déposées auprès de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale depuis 2018. Toutes ont exigé l’utilisation de fonds publics et de ressources judiciaires et ont nui à l’instruction de la plainte de la demanderesse.

[25] L’appel de la décision de la protonotaire en l’espèce n’a eu aucune chance de succès. Dans les circonstances, la demande du défendeur d’obtenir ses dépens au montant de 1500 $ est raisonnable.


ORDONNANCE DANS T-471-20

LA COUR ORDONNE que :

1. La présente demande soit rejetée;

2. Des dépens fixés à 1500 $ soient payés au défendeur par la demanderesse.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-471-20

INTITULÉ :

CECELIA CONSTANTINESCU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 mars 2021

ORDONNANCE et motifs :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 9 Mars 2021

COMPARUTIONS :

Cecilia Constantinescu

Pour la partie demanderesse

(demanderesse pour elle-même)

Me Paul Deschênes

Me Nadia Hudon

Pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

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