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Date : 20030826

Dossier : IMM-4708-02

Référence : 2003 CF 999

OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 26 AOÛT 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGEJUDITH SNIDER                               

ENTRE :

                                                                 SERGIY CHORNY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Monsieur Sergiy Chorny (le demandeur), un citoyen de l'Ukraine, est arrivé au Canada en mars 2000 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en alléguant craindre avec raison d'être persécuté en raison de sa race par des groupes antisémites et par des criminels. Plus précisément, le demandeur allègue avoir été victime de mauvais traitements et de harcèlement du fait qu'il est juif, et il prétend donc être une personne exposée au risque d'être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités. Dans une décision rendue le 12 septembre 2002, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les allégations du demandeur. Ce dernier demande le contrôle judiciaire de cette décision.

La décision de la Commission

[2]                 Voici les principales conclusions auxquelles est arrivée la Commission :

·            le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce que sa demande n'avait pas de lien avec la définition de réfugié qu'on trouve dans la Convention;

·            le demandeur avait raison de craindre d'être persécuté s'il retournait dans la région de Sukholimanskaya et d'Odessa compte tenu des incidents de harcèlement de la part de Sergey Shevchuk (Shevchuk) qui, pris cumulativement, équivalaient à la persécution;

·            l'origine juive du demandeur était un élément accessoire dans le harcèlement qu'il avait subi de la part de Shevchuk, le problème principal étant sa relation avec Natasha, une fille non juive, qui était à l'origine d'une antipathie personnelle profonde et d'un désir de vengeance;

·            le demandeur disposait d'une véritable possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Kiev;


·            il n'était pas objectivement déraisonnable que le demandeur trouve refuge à Kiev;

·            le demandeur ne risquait pas de subir un préjudice de la part de la mafia ukrainienne à Kiev;

·            il n'existait pas de possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté en raison de son origine juive à Kiev.

Points litigieux

[3]                 Les parties ont soulevé une question préliminaire concernant la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer en l'espèce. À l'exception de cette question, la seule question soulevée par le demandeur est de savoir si la Commission a eu tort de conclure qu'il disposait d'une possibilité de refuge intérieur (la PRI) véritable. Cette question est liée aux deux questions incidentes qui suivent :

1.          La Commission a-t-elle eu tort de conclure que les Juifs n'étaient pas, en règle générale, menacés à Kiev?

2.          La Commission a-t-elle eu tort de ne pas tenir compte de la façon dont l'appartenance ethnique du demandeur était perçue par les présumés agents de persécution?


Analyse

[4]                 Pour les motifs énoncés ci-dessous, je suis d'avis que la présente demande doit être rejetée.

Question préliminaire : Quelle est la norme de contrôle applicable en l'espèce?

[5]                 Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle que l'on doit appliquer en l'espèce est celle de la décision correcte. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique à la question de la PRI.

[6]                 Je conviens avec le demandeur que, lorsqu'elle procède au contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif, la Cour doit effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle selon une méthode établie de longue date pour définir la norme de contrôle applicable (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] A.C.S. no 18 (QL)). Toutefois, je ne peux pas accepter la prétention selon laquelle si cette démarche a été faite à l'égard d'une question, on doit la reprendre depuis le début. Comme on peut le constater à la lecture des décisions portant sur la norme de contrôle relative à la PRI qui suit, une analyse pragmatique et fonctionnelle et la jurisprudence débouchent sur la conclusion qu'il faut retenir la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[7]                 La Cour d'appel fédérale a traité du concept de la PRI dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), dans lequel le juge Linden, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré, au deuxième paragraphe de ses motifs, que la notion de la PRI était :

[...] simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays. Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention [...]; il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d'être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d'origine. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays.

[8]                 Comme c'est le cas pour les autres éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention, il appartient au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans tout le pays, y compris dans la région qui est censée lui offrir une PRI. Par conséquent, la conclusion à laquelle la Commission est arrivée concernant la PRI ne constitue qu'une partie de sa conclusion quant à l'absence d'une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté. Je ne vois pas pourquoi la norme de la décision correcte, qui suppose un moindre degré de retenue, devrait s'appliquer à une partie de cette conclusion (par exemple, celle touchant la PRI) et pas à l'autre (par exemple, celle ayant trait au caractère adéquat de la protection de l'État ou à la question de savoir si la discrimination équivaut à la persécution).

[9]                 Quelle norme la Cour a-t-elle appliquée dans des situations semblables? Bien qu'elle n'y ait pas procédé expressément à une analyse pragmatique et fonctionnelle, la présente cour a conclu dans deux décisions récentes que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission relatives à la PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 193, [2001] A.C.F. no 361 (QL); Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 673, [2003] A.C.F. no 878 (QL)).

[10]            Je constate également que dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (C.F. 1re inst.) (QL), Madame la juge Tremblay-Lamer a effectué une analyse basée sur l'approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à la décision de la Commission concernant la question de savoir si le demandeur allait être persécuté s'il retournait en Inde. La juge a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle du caractère manifestement déraisonnable. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la notion de PRI est inhérente à cette décision.


[11]            Compte tenu de la jurisprudence et de l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée dans la décision Singh, précitée, je suis d'avis que la norme de contrôle qu'il convient de retenir est celle de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, je souligne que la Commission se doit d'appliquer le critère approprié pour déterminer s'il existe une PRI (voir l'arrêt Thirunavukkarasu, précité), à défaut de quoi elle commet une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

Question no 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur?

[12]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Commission a conclu que le demandeur disposait d'une PRI à Kiev.

[13]            Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur de droit dans sa conclusion relative à la PRI parce qu'elle a omis de se pencher sur la question de savoir s'il risquait d'être persécuté par Shevchuk et sa bande à Kiev. De plus, la Commission aurait reconnu que le problème de l'absence de la protection de l'État s'inscrivait dans une tendance générale en Ukraine, ce qui était suffisant pour prouver l'absence de la protection de l'État (Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 3 (1re inst.)). La Commission a omis de trancher la question de savoir si la protection de l'État que le demandeur pouvait obtenir à Kiev, dans l'hypothèse où la vengeance serait accomplie dans cette ville, était différente de celle dont il bénéficiait dans la région d'Odessa.


Principes relatifs à la possibilité de se réclamer de la protection de l'État et à l'existence d'une PRI

[14]            Selon l'alinéa 97(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), pour être considéré comme une personne à protéger, le demandeur doit prouver qu'il est exposé à la menace ou au risque dans toutes les régions de l'Ukraine :



97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

[...]

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[...]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[non souligné dans l'original]

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.



[15]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses ressortissants. À cause de cette présomption, « il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (Ward, précité, au paragraphe 50).


[16]            La notion de PRI désigne une situation de fait dans laquelle « une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays » (Thirunavukkarasu, précité, paragraphe 2). Si le demandeur est en mesure de trouver refuge en Ukraine, il n'y a aucune raison de conclure qu'il ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

La protection de l'État à Kiev

[17]            La Commission a reconnu que le demandeur n'était pas en mesure d'obtenir une protection efficace de l'État de la part de la police de son village. Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR énonce clairement que la Commission doit également déterminer si la personne peut se réclamer de la protection de l'État dans les autres régions du pays. C'est précisément ce qu'a fait la Commission en étudiant soigneusement ce qui pourrait arriver au demandeur s'il déménageait à Kiev et en se demandant s'il s'agissait là d'une solution de remplacement raisonnable dans les circonstances.


[18]            Bien que la Commission ait conclu à l'absence de la protection de l'État dans le village du demandeur, elle n'a pas conclu que cette absence s'inscrivait dans une tendance générale en Ukraine. Pour ce qui est de Kiev, la Commission a déclaré que le demandeur pouvait se réclamer de la protection offerte à tous les citoyens dans cette ville. Elle a poursuivi son raisonnement en affirmant que le manque de ressources de la police ukrainienne était un problème économique qui n'était pas lié à l'antisémitisme et qu'il s'agissait d'un problème dont tous les Ukrainiens souffraient.

[19]            Le demandeur conteste cette affirmation. À mon avis, la déclaration de la Commission concernant le manque de ressources ne constitue pas une reconnaissance du fait que la protection de l'État était inexistante à Kiev, comme c'était le cas dans le village du demandeur. Il s'agit plutôt d'une explication du caractère restreint (et non pas de l'absence) de la protection de l'État existante. Dans cette partie de ses motifs, la Commission semble aborder à la fois la question du caractère restreint de la protection de l'État et la question de savoir si ce caractère restreint peut être considéré comme étant lié à la race ou à l'origine ethnique. Même si le passage n'est pas formulé d'une façon parfaitement claire, il n'y a pas d'erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[20]            Il est reconnu de longue date que le défaut, par les autorités locales, d'assurer un service de police efficace n'équivaut pas à une absence de protection étatique. Monsieur le juge Pelletier énonce, au paragraphe 31 de la décision Zhuravlvev, précitée, que le « refus de fournir une protection à l'échelle locale ne constitue pas un refus de l'État en l'absence d'une preuve de l'existence d'une politique plus générale selon laquelle la protection de l'État ne s'étend pas au groupe visé » .


Défaut d'étudier la question de savoir si Shevchuk allait suivre le demandeur à Kiev

[21]            Le demandeur s'est également dit préoccupé par le fait que la Commission ne s'était pas penchée sur la question de savoir si Shevchuk allait le suivre à Kiev, ce qui constituerait une continuation de la persécution.

[22]            Même si aucune de ses conclusions ne traite expressément de Shevchuk, je constate que la Commission était d'avis que les problèmes du demandeur liés à Shevchuk et à sa bande étaient de nature très personnelle et locale. Cette conclusion implique selon moi la conclusion que le risque que Shevchuk suive le demandeur à Kiev pour poursuivre sa vengeance était très faible.

[23]            De plus, il n'était pas manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure que les problèmes du demandeur étaient de nature locale. La preuve a démontré que les accrochages du demandeur avec Shevchuk avaient eu lieu dans un petit village d'environ mille cinq cents habitants, situé à environ sept kilomètres d'Odessa. Les incidents de harcèlement ont pour la plupart eu lieu lorsque le demandeur a rencontré Shevchuk. Il ne semble pas que Shevchuk ait activement cherché le demandeur dans le but de le harceler.


[24]       Kiev, où se trouve la PRI proposée, est située à environ cinq cent cinquante kilomètres d'Odessa. Le demandeur y avait travaillé pendant une période d'environ six mois pour son oncle et auprès d'une autre entreprise entre 1998 et 2000. Même s'il était arrivé une fois que Shevchuk suive le demandeur sur une distance de soixante ou soixante-dix kilomètres sur la route menant à Kiev, il ne s'était jamais rendu à Kiev pour y poursuivre sa vengeance. Compte tenu du fait que le demandeur ne fréquentait plus Natasha et que seize mois s'étaient écoulés depuis son départ de l'Ukraine au moment où elle a rendu sa décision, il était loisible à la Commission d'écarter la possibilité que Shevchuk suive le demandeur à Kiev pour y poursuivre sa vengeance, si ce dernier retournait en Ukraine.

Risque de persécution de la part de la mafia ukrainienne

[25]            Il était également loisible à la Commission de conclure qu'il n'était pas probable que le demandeur soit persécuté par des connaissances de Shevchuk à Kiev, compte tenu de la nature personnelle de la vengeance et du fait que Shevchuk figurait au bas de la hiérarchie de la bande. Selon le demandeur, Shevchuk et son groupe faisaient partie du crime organisé; ce groupe, composé de huit à dix personnes, contrôlait la petite entreprise et extorquait de l'argent aux propriétaires d'entreprise dans les banlieues sud d'Odessa. Je conviens avec la Commission qu'il n'est pas plausible qu'une personne comme Shevchuk puisse avoir une influence sur les membres d'une bande de Kiev, ou que les membres de cette dernière soient intéressés à s'immiscer dans ce conflit personnel.


Le caractère raisonnable d'un déménagement à Kiev

[26]            La Commission commettrait une erreur si elle omettait d'examiner la question de savoir si le demandeur pouvait raisonnablement s'installer dans la région où il disposait de la PRI. Ainsi, en terminant son analyse, la Commission a également conclu qu'il n'était pas objectivement déraisonnable que le demandeur, qui avait habité et travaillé à Kiev dans le passé, y trouve refuge. Le demandeur reconnaît que telle n'est pas ici la question.

Conclusion

[27]            Par conséquent, la conclusion de la Commission relative à la PRI n'est pas entachée d'erreur. Il apparaît clairement à la lecture des motifs de la Commission que cette dernière a tenu compte du témoignage du demandeur, de la situation qui prévalait à Kiev et de toutes les circonstances de l'affaire pour en arriver à la conclusion qu'il n'était pas objectivement déraisonnable que le demandeur trouve refuge à Kiev. Les deux questions énoncées ci-dessous constituent en fait des questions incidentes par rapport à cette question plus générale. J'ai décidé d'y répondre séparément.


Question no 2 : La Commission a-t-elle eu tort de conclure que les Juifs n'étaient pas, en règle générale, menacés à Kiev?

[28]            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en adoptant une optique trop étroite et en omettant de tenir compte de la nature du risque auquel les Juifs étaient en réalité exposés en Ukraine. Dans ses motifs, la Commission passe sous silence certaines preuves documentaires que le demandeur avait présentées, et plus particulièrement les documents démontrant que la menace à laquelle étaient exposés les Juifs en Ukraine émanait de groupes marginaux néonazis extrêmement violents et contre lesquels l'État n'offrait pas de protection. Le demandeur soutient que cette menace n'a pas été mentionnée dans les motifs de la décision. De plus, il renvoie à deux décisions, Kraitman c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1063 (C.F. 1 re inst.) (QL) et Katkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 549 (C.F. 1re inst.) (QL), touchant des litiges dont avait été saisie la Commission et dans lesquelles la présente cour a remis en doute la capacité de l'État ukrainien de protéger ses citoyens juifs.

[29]            Même si elle était déjà arrivée à la conclusion que le demandeur n'était pas persécuté du fait qu'il était juif, la Commission a adopté une approche prudente et s'est demandée si le demandeur allait être en danger à Kiev dans l'hypothèse où « l'origine ethnique du demandeur refaisait surface » . Dans son analyse, la Commission a examiné la preuve documentaire touchant la protection offerte aux Juifs par l'État ukrainien.


[30]            Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents démontrant que l'État ukrainien ne protégeait pas ses citoyens juifs contre les groupes antisémites violents. Plus particulièrement, il renvoie à quelques extraits de la preuve documentaire, dont la plupart ont été cités dans les arguments que son avocat a soumis à la Commission. Même si son appréciation de cette preuve a été très brève, je suis convaincue que la Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Certains de ces éléments de preuve n'étaient tout simplement pas aussi convaincants que l'aurait désiré le demandeur. Par exemple, une des deux décisions de la Cour fédérale à laquelle renvoyait l'avocat dans ses arguments avait trait à une question complètement différente (Katkova, précitée), et l'autre (Kraitman, précitée) était antérieure de plusieurs années à la plupart des éléments de preuve documentaire.


[31]            La preuve documentaire la plus récente présentée à la Commission démontrait que le gouvernement central de l'Ukraine avait pris des mesures concrètes pour protéger ses citoyens juifs contre la violence, que la menace à l'endroit des Juifs persistait dans certaines localités ou régions où des fonctionnaires antisémites de l'ère soviétique maintenaient leur emprise et que l'antisémitisme empreint de violence n'était pas un problème en Ukraine. Parmi les éléments de preuve documentaire, on retrouvait par exemple un document publié par la Direction des recherches en janvier 1999, intitulé Ukraine : la situation des Juifs, selon lequel les citoyens ukrainiens semblaient pouvoir obtenir réparation en justice plus facilement à Kiev que dans les villes en province. D'autres documents mentionnaient le fait que le gouvernement ukrainien s'était engagé à combattre l'antisémitisme et que la population juive jouissait d'une liberté croissante d'expression religieuse et culturelle depuis l'accession de l'Ukraine à l'indépendance. Par conséquent, même si elle aurait pu effectuer une analyse plus approfondie de la preuve, et même si j'aurais pu en arriver à une décision différente de la sienne, la conclusion de la Commission n'est pas, à mon avis, abusive.

[32]            De plus, je ne vois pas en quoi l'omission de la Commission de mentionner expressément la menace que représentaient pour les Juifs les groupes marginaux néonazis violents constitue une erreur tirant à conséquence. Dans la décision, on mentionne expressément les mesures prises par le gouvernement central de l'Ukraine pour « protéger les citoyens [...] contre la violence et les instigateurs de la violence » . Je suis convaincue qu'en affirmant ceci, la Commission avait à l'esprit les sources possibles de violence et d'incitation à la violence dont il était question dans la preuve documentaire, y compris les groupes néonazis mentionnés par le demandeur. Par conséquent, les conclusions de la Commission concernant les risques auxquels étaient exposés, en règle générale, les Juifs en Ukraine étaient étayées par la preuve dont elle disposait et n'étaient pas manifestement déraisonnables.


Question no 3 : La Commission a-t-elle eu tort de ne pas tenir compte de la façon dont l'appartenance ethnique du demandeur était perçue?

[33]            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en omettant d'étudier la question de savoir s'il allait être perçu comme un Juif par des antisémites agressifs et violents (Ward, précité).

[34]            Contrairement à ce qu'allègue le demandeur, les motifs de la Commission démontrent que cette dernière a tenu compte de la possibilité qu'il soit perçu comme un Juif en raison du fait qu'il respectait des croyances ou des traditions juives ou des renseignements figurant dans son passeport ou dans ses pièces d'identité. À mon avis, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, y compris du fait que le demandeur ne pratiquait pas sa religion et de la preuve documentaire, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle. La Commission a conclu qu'il n'existait pas de possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté en raison du fait qu'il était juif par des groupes antisémites violents, les présumés agents de persécution, à Kiev. Il ne s'agit pas d'une conclusion abusive ou manifestement déraisonnable.        


Question à certifier

[35]            Le demandeur propose la certification de la question suivante :

[traduction] « Lorsqu'on est en présence d'une crainte fondée de persécution de la part de personnes qui ne sont pas des représentants de l'État pour des motifs visés par la Convention, la possibilité de se réclamer de la protection de l'État doit-elle être liée à un motif visé par la Convention? »

Je ne crois pas que qu'il s'agisse d'une question déterminante en l'espèce, et je refuse donc de la certifier.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                    _ Judith A. Snider _             

                                                                                                             Juge                               

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-4708-02

INTITULÉ :                                 Sergiy Chorny

                                                                                                  demandeur

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :         Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :       le mercredi 6 août 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE : MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :              le mardi 26 août 2003            

COMPARUTIONS :

David Matas                                                                                                

POUR LE DEMANDEUR

Penny Piper                                                                                                 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVID MATAS                                            POUR LE DEMANDEUR

AVOCAT

225, RUE VAUGHAN, BUREAU 602

WINNIPEG (MANITOBA)

R3C 1T7

MORRIS ROSENBERG                                POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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