Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040520

Dossier : IMM-3248-03

Référence : 2004 CF 735

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGEGAUTHIER

ENTRE :

MUTOBOLA VALENTIN KAMULETE

BRIGITTE MUTOBOLA

HAROLD MUTOBOLA

YANNICK MUTOBOLA

et

MUTOBOLA KAMULETE

                                                                             

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Attendu que les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 27 mars 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté les demandes qu'ils ont présentées en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


[2]                Après avoir examiné les observations écrites des parties, y compris leur correspondance postérieure à l'audience, la preuve que renferme le dossier certifié, y compris la transcription de l'audience, et après avoir pris en considération les observations orales des parties, y compris les observations qu'elles ont présentées au cours de la téléconférence du 13 avril 2004.

[3]                Après avoir pris note du fait que Yannick Mutobola est âgé de 20 ans. Il allègue que sa mère était une Tutsie qui a marié un citoyen congolais, que ses deux parents ont été arrêtés à des dates différentes par les autorités congolaises et qu'il n'en a jamais eu de nouvelles depuis. Sa demande est fondée sur sa crainte d'être persécuté du fait de son origine ethnique. Valentin Mutobola et sa soeur Brigitte sont le frère et la soeur du père de Yannick. Harold et Kamulete sont les fils de Valentin Mutobola. Ils craignent d'être persécutés en raison de leurs liens avec les Tutsis. M. Mutobola affirme qu'outre le lien de parenté qui l'unit à la mère de Yannick, il était perçu par les autorités congolaises comme [traduction] _ un sympathisant des Tutsis ou des Rwandais _. Brigitte Mutobola allègue qu'elle a été harcelée par les autorités à cause de ses frères. Valentin Mutobola affirme également avoir été détenu pendant plusieurs mois dans une caverne, d'où un ami l'a aidé à s'échapper en octobre 2001. Il est venu tout seul au Canada le 27 mars 2002. Au moment de son arrivée, Brigitte, Harold et Yannick se trouvaient déjà au Canada depuis le 24 novembre 2001. Kamulete Mutobola est venu tout seul au Canada au début du mois d'avril 2002. La femme de M. Mutobola, ses autres enfants, les autres enfants de Brigitte et les soeurs de Yannick sont toujours au Congo;


[4]                Après avoir conclu que les principaux arguments avancés par les demandeurs étaient les suivants :

i)          La SPR a enfreint le principe de l'équité procédurale lorsqu'elle a omis de leur donner la possibilité de formuler des commentaires sur les réserves concernant l'authenticité du permis de conduire national de Valentin Mutobola qu'a suscitées chez elle l'examen de l'original de ce document, original qui a été saisi par un agent d'immigration à la frontière au moment de l'arrivée de Valentin Mutobola et qui n'a pas été mis à la disposition de leur avocat. Les demandeurs ont invoqué le principe énoncé dans Lawal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 404 (C.A.), appliqué dans Afzal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 708 (1re inst.), Sorogin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 630 (1re inst.) (QL), Kuslitsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 787 (1re inst.) (QL) et Zas Garcia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 209 (1re inst.) (QL);


ii)         La SPR a commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas réussi à démontrer qu'ils se trouvaient réellement au Congo entre 1998 et 2001. À cet égard, les demandeurs soutiennent que la SPR n'avait aucune raison d'écarter les témoignages de Valentin, de Brigitte et de Yannick, et qu'elle a commis une erreur de droit lorsqu'elle a exigé qu'ils produisent une preuve documentaire pour prouver ce fait. De plus, en arrivant à cette conclusion, la SPR a omis de tenir compte du dossier scolaire de Yannick Mutobola et du certificat de naissance d'un enfant de Valentin Mutobola délivré en juillet 2001 (la date de naissance de l'enfant est le 20 avril 1998).

[5]                La SPR a omis de prendre en considération le fait que Yannick avait la constitution morphologique d'un Tutsi. Il n'est pas nécessaire d'examiner les autres questions qui ont été soulevées par les demandeurs concernant les conclusions touchant la crédibilité et l'invraisemblance, et ce, parce que la Cour est convaincue que la décision doit être annulée pour le motif qu'elle est entachée d'autres erreurs susceptibles de contrôle.


[6]                Après avoir constaté, à l'instar de la SPR, que Yannick Mutobola avait fourni des éléments de preuve démontrant qu'il se trouvait au Congo au cours de la période en cause. Sa demande a été rejetée pour le motif que la SPR n'était pas en mesure de conclure qu'il était un Tutsi en se fondant sur son apparence et qu'il n'avait pas présenté d'éléments de preuve démontrant qu'on le considérerait comme étant lié aux Tutsis ou qu'on le tiendrait pour un Tutsi. La Cour reconnaît que la SPR ne pouvait pas prendre connaissance d'office des caractéristiques morphologiques de M. Mutobola mais qu'elle devait tenir compte des éléments de preuve qu'il avait fournis pour démontrer qu'il possédait ce genre de caractéristiques physiques et qu'il avait été considéré comme un Tutsi au Congo, par exemple à l'école (voir le paragraphe 6 de son FRP). La SPR n'a pas remis en cause la crédibilité de Yannick Mutobola, et il est difficile d'imaginer quels autres éléments de preuve celui-ci aurait pu présenter pour prouver son origine ethnique. La SPR n'a pas fourni d'exemples d'éléments de preuve documentaire qu'il aurait pu présenter, et l'avocat du défendeur n'a pas été en mesure de donner de tels exemples à l'audience.

[7]                De plus, la SPR ne traite pas de la preuve documentaire qui corrobore formellement le témoignage du demandeur, comme :

[traduction] Dans les régions contrôlées par le gouvernement de Kinshasa, la plupart des membres du groupe ethnique des Tutsis et les personnes qui leur sont apparentées (parce qu'elles ont un parent ou un grand-parent d'origine tutsie) ont été évacuées vers d'autres pays.

[...]

Le représentant de HRW a expliqué que les caractéristiques morphologiques, le lieu de résidence, la langue et la tradition orale sont les principales méthodes permettant de reconnaître les Tutsis et les personnes apparentées à des personnes d'origine tutsie.

Pour ce qui est de leur apparence physique, les membres du groupe ethnique des Tutsis sont en règle générale décrits, entre autres, comme étant minces et ayant des nez pointus.


Je suis conclus que la demande de Yannick n'a tout simplement pas été évaluée sur le fond, et ce, malgré le fait qu'elle se distingue nettement des demandes des autres demandeurs, surtout si l'on tient compte des exigences de l'article 97 de la Loi. En fait, elle semble avoir été rejetée parce que la demande de sa tante n'était pas crédible. Ce n'est pas logique. Cette partie de la décision est manifestement déraisonnable, et la demande de Yannick Mutobola devra être examinée à nouveau par un autre membre de la SPR à la suite d'une nouvelle audition, de façon que son bien-fondé soit correctement évalué.

[8]                Après avoir conclu que pour ce qui est des demandes des autres demandeurs je suis également convaincue que la décision est entachée d'une erreur susceptible de contrôle.

Dans sa décision, la SPR énonce clairement les raisons pour lesquelles elle a conclu qu'elle ne pouvait accorder aucun poids au permis de conduire national de M. Kamulete. Sa date de naissance n'était pas exacte. À la page 2 du document, les derniers chiffres des années 1998 et 2003 avaient manifestement été modifiés, et la date de renouvellement qui figurait à la page 4 du document était le 2 novembre 2001, malgré que M. Kamulete ait témoigné qu'il avait quitté le Congo le 12 octobre 2001 pour se réfugier à Brazzaville. Chacune de ces questions a été soulevée au cours de l'audience, et les demandeurs ont eu la possibilité de formuler leurs commentaires, et ce, même après l'audience pendant laquelle il a été question des problèmes relatifs à ce document. Dans la décision, on dit que le problème touchant les chiffres de la page 2 était très apparent sur la copie du document utilisée lors de l'audience, même si on affirme également qu'il était encore plus apparent sur l'original.


La Cour convient avec le demandeur qu'en principe aucun renseignement ou document nouveau ne doit être demandé ou utilisé par la SPR à moins qu'il ne soit dûment produit en preuve en présence des parties dans le cadre d'une audience dûment reconvoquée ou, exceptionnellement, sans qu'il n'y ait d'audience à la condition que les parties y consentent et qu'une possibilité réelle d'examiner la nouvelle preuve et de formuler leurs commentaires ait été donnée aux parties au préalable.

Cela étant dit, dans les circonstances très particulières de la présente affaire, circonstances qui diffèrent de celles dont il était question dans les décisions invoquées par le demandeur, s'il s'agissait-là de la seule erreur soulevée par les demandeurs, je n'aurais pas accueilli la demande. Cependant, compte tenu du fait que la SPR a commis une autre erreur importante, je profiterai de cette occasion pour souligner que la SPR se doit de faire preuve de prudence dans la façon dont elle mène les enquêtes officieuses. À moins qu'elles n'existent déjà, une politique et des lignes directrices claires doivent être élaborées sur le sujet, et elles doivent traiter de la question de la consultation de documents originaux qui n'ont pas été présentés à l'audience.


La SPR a consacré une partie importante de sa décision au fait que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils se trouvaient au Congo au cours de la période pendant laquelle la persécution se serait produite, plus particulièrement entre 1998 et 2003. Elle a manifestement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs à cet égard, et ce, parce que ces derniers n'avaient pas présenté de preuve documentaire plus probante. Ayant écarté le permis de conduire national pour les raisons énoncées ci-dessus, elle a mentionné qu'aucun relevé de notes récent de Harold et de Kamulete n'a été présenté, et qu'elle se serait attendue à ce que Valentin Kamulete et sa soeur présentent des éléments de preuve documentaire concernant leur travail pour le compte du gouvernement congolais. La SPR a dit que ces éléments de preuve revêtaient une grande importance, et elle a ensuite expliqué pourquoi elle n'acceptait pas les raisons avancées par Valentin Kamulete pour expliquer pourquoi il n'avait pas pu les obtenir d'un gouvernement auquel il cherchait à se dérober et contre lequel il voulait être protégé. La SPR a affirmé que ceci n'expliquait pas pourquoi M. Kamulete n'avait pas fourni des bordereaux de paye ou d'autres documents officiels concernant sa nomination. Rien n'indique qu'un document officiel de ce genre ait existé mais, quoi qu'il en soit, le défaut de produire des pièces à l'appui ne saurait avoir d'incidences négatives sur la crédibilité des demandeurs en l'absence, dans le dossier, de preuve contredisant leurs témoignages à ce sujet (Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.), Selvakumaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 623, [2002] A.C.F. no 842 (1re inst.) (QL)).

Il n'existe pas de preuve contradictoire en l'espèce, et je suis convaincue que cette conclusion centrale renferme une erreur importante qui entache la validité de l'ensemble de la décision. De plus, je constate que la SPR a également conclu, à la page 12 de la décision, que l'absence d'un aussi grand nombre de documents (par exemple d'un rapport médical corroborant la prétention selon laquelle Valentin Kamulete a été torturé au cours de sa détention) prouvait que l'histoire avait été inventée de toutes pièces. Là encore, la SPR a attaché trop d'importance à l'absence de pièces à l'appui.


Les demandeurs ont soumis une question aux fins de certification concernant l'examen officieux de l'original du permis de conduire national. La Cour conclut qu'il ne s'agit pas là d'une question de portée générale parce que, entre autres, cet aspect de la décision repose sur les faits particuliers de la présente affaire.

                                                    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision en date du 27 mars 2003 est annulée, et les demandes sont renvoyées à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à un nouvel examen.

                _ Johanne Gauthier _                  

    Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3248-03

INTITULÉ :                                                    MUTOBOLA VALENTIN KAMULETE

BRIGITTE MUTOBOLA

HAROLD MUTOBOLA

YANNICK MUTOBOLA et

MUTOBOLA KAMULETE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 MAI 2004

COMPARUTIONS:

Raoul Boulakia                                      POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Raoul Boulakia                                      POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris A. Rosenberg                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.