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Date : 20030328

Dossier : IMM-2090-02

Référence neutre : 2003 CFPI 374

Toronto (Ontario), le vendredi 28 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                        HUGO FERNANDO ROBLES

                                                 HILDA SUSANA LODI DE ROBLES

                                                                ILDA LEO DE LODI

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

        M. Hugo Fernando Robles, Mme Hilda Susana Lodi de Robles et Mme Ilda Leo de Lodi (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, en date du 19 avril 2002, de leur reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.


EXPOSÉ DES FAITS

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens de l'Argentine. M. Robles (le demandeur principal) est le mari de Mme Hilda Susana Lodi de Robles. Mme Ilda Leo de Lodi est la belle-mère du demandeur principal.

[3]                 Le demandeur principal et son épouse sont arrivés au Canada le 31 mai 2000 et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de l'expérience vécue par le demandeur principal qui a témoigné devant la Commission. Les demandeurs affirment craindre avec raison d'être persécutés en Argentine en raison des activités politiques et de l'implication sociale du demandeur principal qui dit avoir été persécuté à la suite de sa participation aux activités du Parti Justicialista.

[4]                 Le 2 octobre 2000, Mme Ilda Leo de Lodi est venue au Canada et a revendiqué le statut de réfugiée. La fille du demandeur principal, Silvana Ruth Robles, a initialement revendiqué elle aussi le statut de réfugiée au Canada. Elle s'est présentée avec ses parents à une audience relative au statut de réfugié le 23 octobre 2000. Leur revendication a alors été rejetée par la Commission dans une décision rendue le 18 janvier 2001 et une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision a été présentée le 13 février 2001.

[5]                 Le 10 avril 2001, la Commission a accepté de reprendre l'audition en raison d'un manquement aux principes de justice naturelle. Les motifs de la décision de la Commission rendue le 18 janvier 2001 ont été déclarés nuls ab initio et une nouvelle audition a été ordonnée.

[6]                 Le 2 novembre 2001, Silvana Ruth Robles s'est, par avis écrit, désistée et elle est retournée en Argentine.

[7]                 La nouvelle audition de la revendication des demandeurs a eu lieu le 18 février 2002 devant une formation différente composée de deux commissaires. Les demandeurs étaient représentés par un avocat à cette deuxième audition. La preuve présentée à la Commission comprenait la décision antérieure ainsi qu'une transcription de l'audience tenue le 23 octobre 2000.

[8]                 Dans la décision qu'elle a rendue le 19 avril 2002, la Commission a estimé que les demandeurs n'avaient pas réussi à démontrer qu'ils craignaient avec raison d'être persécutés en Argentine pour un motif précisé dans la Convention. La Commission n'a pas cru le demandeur principal parce qu'il a ajouté certains détails dans son témoignage de vive voix, à savoir qu'il avait été roué de coups en 1998, que son nom avait figuré sur une liste noire et qu'il avait reçu des menaces par téléphone, détails dont il n'avait pas fait mention dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[9]                 En outre, la Commission n'a pas accepté les explications fournies par le demandeur principal à propos de ces omissions dans le FRP, à savoir particulièrement qu'il avait été mal informé par son ancien conseiller. Le demandeur principal affirme que son ancien conseiller lui avait dit que l'exposé circonstancié du FRP devait être concis et qu'on ne lui en a pas fait la lecture une fois cet exposé traduit en anglais avant qu'il signe le document.

[10]            La Commission a également conclu qu'il était peu vraisemblable que le demandeur principal ne connaisse pas la nature des difficultés auxquelles sa fille Silvana était soi-disant confrontée en Argentine, depuis qu'elle avait laissé tomber sa revendication du statut de réfugiée au Canada et était retournée dans son pays natal.

ARGUMENTS DES DEMANDEURS

[11]            Les demandeurs allèguent maintenant s'être vu priver d'un aspect de la justice naturelle en raison de l'incompétence de leur ancien conseiller, particulièrement en ce qui a trait à la préparation de l'exposé circonstancié contenu dans leur FRP. De plus, ils font valoir que la Commission a commis une erreur de droit en tirant des conclusions défavorables quant à leur crédibilité, lesquelles étaient fondées sur un exposé circonstancié incomplet dont les manques étaient attribuables à l'incompétence de leur avocat.

[12]            Les demandeurs reconnaissent que la démonstration du manquement aux principes de justice naturelle créé par leur ancien conseiller est un lourd fardeau. À cet égard, les demandeurs font référence aux décisions Shirwa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (1re inst.) et Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.).

[13]            Lorsque les demandeurs ont entrepris de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, ils étaient représentés par un pasteur du nom de McLeod, consultant en immigration. Les demandeurs ont déposé deux affidavits avec leur demande de contrôle judiciaire, l'un du demandeur principal et l'autre d'une avocate chevronnée oeuvrant dans les affaires d'immigration, Mme Barbara Jackman. Ce dernier affidavit confirmait les problèmes graves touchant les consultants en immigration de la région de Toronto et révélait que le gouvernement n'avait pris aucune mesure pour faire des règlements visant les consultants en immigration, malgré le fait qu'il était au courant de ces problèmes.

[14]            Les demandeurs allèguent que les conclusions défavorables de la Commission sont attribuables au défaut du consultant de conseiller convenablement le demandeur principal dans la préparation de son FRP. Les demandeurs soutiennent également que le défaut du gouvernement canadien de faire des règlements visant les consultants et la gravité de l'erreur du consultant qui ne les a pas convenablement conseillés amènent à conclure que les principes de justice naturelle ont été violés dans la présente affaire.


[15]            Dans son affidavit, le demandeur principal affirme qu'il n'avait aucune connaissance du régime applicable aux réfugiés au Canada lorsqu'il est arrivé et qu'il n'a reçu aucun conseil du consultant avec lequel il a eu un entretien de cinq minutes seulement. La définition de réfugié au sens de la Convention ne lui a pas été expliquée et il n'a pas non plus été avisé des éléments devant être inclus dans son FRP. Son exposé circonstancié a été traduit en anglais par un employé du consultant et personne ne lui en a fait la lecture. Le demandeur principal a signé le FRP le 2 août 2000. L'interprète a signé une déclaration attestant que le demandeur principal [traduction] « lui avait assuré qu'il comprenait entièrement la traduction de l'exposé circonstancié du FRP et des documents joints » .

[16]            En ce qui a trait aux conclusions défavorables tirées par la Commission relativement aux points soulevés dans le témoignage de vive voix, lesquels n'avaient pas été abordés dans le FRP, les demandeurs prétendent que le demandeur principal a fourni des explications pour ces omissions. Les demandeurs affirment maintenant que la Commission n'a pas pris en compte les explications fournies par le demandeur principal, ce qui va à l'encontre des décisions Toro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.), Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), et Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.F.).

[17]            Finalement, les demandeurs allèguent que la Commission a fait une inférence défavorable déraisonnable à propos du retour en Argentine de la fille du demandeur principal. La preuve présentée devant la Commission ne révèle pas la nature de la revendication de la fille du demandeur principal ni dans quelle mesure cette revendication peut avoir eu un lien avec les revendications des demandeurs (voir Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[18]            Le défendeur allègue, en premier lieu, qu'aucune importance ne devrait être accordée à l'affidavit de Mme Jackman puisqu'il se rapporte à l'opinion et aux idées de son auteure, plutôt qu'à des faits ayant été portés à sa connaissance personnelle. La simple opinion de l'auteure de l'affidavit quant à l'incompétence des consultants en immigration n'offre aucune pertinence dans la présente instance, laquelle consiste à déterminer si la Commission a commis une erreur de droit, écarté des éléments de preuve ou fondé ses conclusions sur des considérations non pertinentes, tel qu'il a été discuté dans Motaharynia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 142.


[19]            Le défendeur soutient également que la Commission a raisonnablement examiné et soupesé toute la preuve avant de trancher qu'elle manquait de crédibilité. S'appuyant sur Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (1re inst.)(QL), le défendeur affirme que la Cour ne peut substituer sa décision à celle de la Commission si cette décision est fondée sur une appréciation de la crédibilité.

[20]            Selon le défendeur, la Commission peut faire des inférences défavorables à propos de la crédibilité d'un revendicateur en se fondant sur des contradictions et des incohérences entre le témoignage du revendicateur et d'autres éléments de preuve. Les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance qui sont tirées de manière raisonnable sont à l'abri de l'intervention judiciaire (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[21]            Le défendeur s'appuie également sur Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (1re inst.)(QL), pour alléguer que la Commission peut légitimement considérer que le défaut de faire mention de faits importants dans le FRP a une incidence négative sur la crédibilité d'un revendicateur.


[22]            Le défendeur fait valoir que les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer qu'un manquement aux principes de justice naturelle s'est produit en l'espèce. Il a été établi dans les décisions antérieures de la Cour que l'omission de détails importants dans l'exposé circonstancié du FRP avait une incidence sur la crédibilité du revendicateur et non sur la compétence du conseiller. À cet égard, le défendeur fait référence à Grinevich, précité, Lobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 597 (1re inst.)(QL), et Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 332 (1re inst.)(QL).

[23]            Le défendeur soutient que la Commission n'est pas tenue d'apprécier la qualité du choix d'un conseiller par le revendicateur dans son analyse de la revendication. À cet égard, le défendeur invoque le paragraphe 69(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications (la Loi), et la décision Aseervatham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 183 F.T.R. 254.

[24]            Finalement, le défendeur allègue que l'incompétence d'un conseiller ne soulèvera une question de justice naturelle que dans des cas extraordinaires (voir Cove c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 482 (1re inst.)(QL), et Fatima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 308 (1re inst.)(QL).

ANALYSE

[25]            La première question à examiner est l'admissibilité de l'affidavit de Mme Jackman dans la mesure où cet affidavit est supposé être une preuve sous forme d'opinion, par une personne experte en droit de l'immigration.

[26]            Mme Jackman, l'auteure de l'affidavit, se présente comme une personne expérimentée dans le domaine du droit de l'immigration. Elle a été contre-interrogée sur son affidavit. Dans la mesure où elle atteste les questions ayant été portées à sa connaissance personnelle, à savoir les réunions avec les représentants du gouvernement auxquelles elle a pris part et où il était question de l'existence et de l'étendue du problème touchant les consultants en immigration qui offrent une représentation et des conseils douteux aux demandeurs, l'affidavit est admissible. Lorsque Mme Jackman prétend offrir une preuve relativement à ce qui s'est produit entre les demandeurs et M. McLeod, concernant la rédaction de leur FRP, les parties correspondantes de l'affidavit ne sont pas admissibles.

[27]            Quoi qu'il en soit, l'admissibilité de l'affidavit est une question et sa pertinence en est une autre. Je ne suis pas convaincue que l'opinion de Mme Jackman à propos des consultants indépendants en immigration, dont le gouvernement fédéral sait qu'ils offrent des services dans ce secteur, créera l'obligation pour celui-ci d'imposer un régime de réglementation. Dans la décision Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113 de la Cour suprême du Canada, il a été établi que la participation de ces consultants est une question qui relève de la compétence fédérale et non de la compétence provinciale. Toutefois, le fait que le gouvernement fédéral ait compétence pour établir une réglementation en la matière ne crée pas nécessairement l'obligation de le faire.

[28]            J'aborde maintenant la question du fondement de l'argument du demandeur qui allègue un manquement aux principes de justice naturelle découlant de la participation d'un consultant en immigration incompétent.

[29]            Le paragraphe 69(1) de l'ancienne Loi reconnaissait que les personnes demandant le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada pouvaient être représentées par un conseil non juriste devant la Commission. Le paragraphe 69(1) était rédigé comme suit :


Dans le cadre de toute affaire dont connaît la section du statut, le ministre peut se faire représenter par un avocat ou un mandataire et l'intéressé, à ses frais, par un avocat ou autre conseil.

In any proceedings before the Refugee Division, the Minister may be represented at the proceedings by counsel or an agent and the person who is the subject of the proceedings may, at that person's own expense, be represented by a barrister or solicitor or other counsel.


[30]            Cette disposition est reprise dans la loi actuelle, à savoir la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, au paragraphe 167(1) lequel est rédigé comme suit :


L'intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

Both a person who is the subject of Board proceedings and the Minister may, at their own expense, be represented by a barrister or solicitor or other counsel.



[31]            Il est bien établi que les personnes doivent accepter les conséquences du choix de leur conseiller. À cet égard, je fais référence à Cove, précité et Williams c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 74 F.T.R. 34. C'est seulement lorsque l'incompétence d'un représentant atteint le niveau décrit dans Sheikh, précité, Shirwa, précité, et R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, qu'il est possible de conclure à l'erreur judiciaire découlant d'un préjudice sérieux causé par un conseiller incompétent.

[32]            En outre, dans la décision Fatima, précitée,M. le juge Gibson a examiné la question relative à l'incompétence d'un avocat et il a écrit ce qui suit au paragraphe 21 :

Selon la jurisprudence de la Cour, l'incompétence d'un représentant, qu'il s'agisse d'un avocat ou d'une autre personne, ne donne pas droit au contrôle judiciaire en l'absence d'indication claire que l'incompétence dont il est fait preuve devant le tribunal cause un préjudice important au demandeur.

[33]            Dans Sheikh, précité, la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit aux paragraphes 14 et 15 à propos d'une demande fondée sur la conduite incompétente d'un avocat :

[¼] Dans l'arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), la Cour suprême des États-Unis a statué qu'un défendeur au criminel avait droit à une assistance raisonnablement efficace de la part de son avocat. Le juge O'Connor a dit ce qui suit pour la majorité (à la page 694) :

[traduction] Le défendeur doit démontrer qu'il est raisonnablement probable que n'était-ce des erreurs commises par son avocat par manque de professionnalisme, l'issue de l'instance aurait été différente. Une probabilité raisonnable est celle qui suffit à enlever confiance dans l'issue de l'action.

L'arrêt Strickland a été adopté par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Garofoli (1988), 41 C.C.C. (3d) 97, à la page 152.

Le demandeur a soutenu que dans le cas particulier d'un avocat endormi, la personne touchée n'a pas à prouver qu'elle a subi un préjudice; voir l'arrêt Javor c. U.S., 724 F. 2d 831 (9th Circ., 1984). Le juge Ferguson, de la Circuit Court, a statué comme suit au nom de la Cour (à la page 833) :

[traduction] Aujourd'hui nous concluons que lorsque l'avocat d'un défendeur au criminel dort pendant une partie considérable du procès, sa conduite est de ce fait même préjudiciable à son client, qui n'a pas à faire une autre preuve du préjudice subi.

Je serais disposé à adopter cette conclusion, mais je soulignerais que dans tous les cas où elle sera appliquée, elle devrait avoir pour fondement des faits très précis. [¼]

[Renvois omis.]


[34]            Dans Sheikh, précité, la Cour a souligné qu'il doit exister un fondement des faits très précis pour qu'elle conclue que le préjudice subi par une personne est le résultat de l'incompétence d'un conseiller. Dans cette affaire, le demandeur s'était appuyé seulement sur la transcription de l'audience sans produire d'affidavit démontrant comment « la prévarication de son avocat avait considérablement nui » à la présentation de sa cause.

[35]            Dans G.D.B., précité, le juge Major de la Cour suprême du Canada, a fait les observations suivantes aux paragraphes 26 à 29, à propos de l'approche à prendre, quoique dans un contexte de droit criminel, pour contester une décision d'un tribunal inférieur en invoquant l'inefficacité du conseiller :

La façon d'envisager les allégations de représentation non effective est expliquée dans l'arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), le juge O'Connor. Cette étude comporte un volet examen du travail de l'avocat et un volet appréciation du préjudice. Pour qu'un appel soit accueilli, il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l'avocat relevaient de l'incompétence, et, dans un deuxième temps, qu'une erreur judiciaire en a résulté.

L'incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l'analyse est la forte présomption que la conduite de l'avocat se situe à l'intérieur du large éventail de l'assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l'appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l'avocat ne découlaient pas de l'exercice d'un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n'a pas sa place dans cette appréciation.

Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l'avocat peut avoir compromis l'équité procédurale, alors que dans d'autres, c'est la fiabilité de l'issue du procès qui peut avoir été compromise.

Dans les cas où il est clair qu'aucun préjudice n'a été causé, il n'est généralement pas souhaitable que les cours d'appel s'arrêtent à l'examen du travail de l'avocat. [¼]

[36]            Dans la présente affaire, le demandeur principal a déposé un affidavit dans lequel il aborde la question alléguée du travail incompétent du consultant en immigration. Il a décrit la manière superficielle avec laquelle les renseignements ont été recueillis pour la rédaction de son exposé circonstancié et comment cet exposé a été traduit par un employé du consultant. L'affidavit fournit du contexte factuel pour les arguments maintenant soulevés par les demandeurs.

[37]            Les demandeurs allèguent maintenant qu'il a été satisfait aux volets « travail » et « préjudice » du critère établi par la Cour suprême du Canada dans G.D.B., précité. Les demandeurs s'appuient sur l'affidavit du demandeur principal et, dans une certaine mesure, sur son témoignage à l'audience devant la Commission dont la décision fait maintenant l'objet du présent contrôle judiciaire. À cet égard, je fais référence aux passages de l'audition des demandeurs que l'on trouve à la page 448 du dossier certifié du tribunal :

[TRADUCTION]

AGENT :                                   Du point de vue physique? Les pires sévices physiques que vous ayez subis?

DEMANDEUR 1: Au milieu de 1998, j'ai été roué de coups.

AGENT :                                   D'accord et c'est l'incident - cet incident particulier n'a pas été mentionné dans votre FRP. Vous y avez indiqué seulement des généralités, est-ce exact?

DEMANDEUR 1 : Exactement.

AGENT :                                   Existe-t-il des raisons pour lesquelles vous n'avez pas dans votre exposé écrit - si ce sont les pires sévices physiques que vous avez subis, existe-t-il des raisons pour lesquelles vous ne les avez pas spécifiquement mentionnés dans votre exposé écrit?

DEMANDEUR 1 : Je n'en ai pas parlé spécifiquement, mais j'en ai bel et bien parlé.


AGENT :                                   Et bien non, voilà pourquoi je veux savoir pourquoi vous n'en avez pas parlé spécifiquement si ce sont les pires sévices que vous aviez subis? Pourquoi n'avez-vous pas expliqué qu'au milieu de 1988, vous aviez été battu par des personnes inconnues?

DEMANDEUR 1 : Peut-être parce que - peut-être qu'il en est ainsi parce que je n'ai pas été bien conseillé sur le plan juridique et que je n'avais pas l'expérience. Je n'avais pas acquis l'expérience que j'ai maintenant dans la présente affaire.

[38]            Les demandeurs allèguent avoir été lésé par les mauvais conseils de leur ancien conseiller. Puisque les motifs de la Commission étaient largement fondés sur des conclusions défavorables de crédibilité, lesquelles tenaient compte des inférences négatives tirées à partir des omissions dans l'exposé circonstancié du FRP du demandeur principal, les demandeurs disent que le préjudice allégué était suffisamment important pour entraîner le rejet de leur demande du statut de réfugié.

[39]            À mon avis, bien que les demandeurs aient présenté des arguments solides relativement à cette question, la preuve est insuffisante pour conclure à un manquement aux principes de justice naturelle en raison de l'incompétence du conseiller. Comme la Cour suprême l'a précisé dans l'arrêt G.D.B., précité, il incombe aux demandeurs de démontrer que la conduite du conseiller était en deçà de la compétence raisonnable. De plus, la démonstration de l'argument selon lequel l'incompétence du conseiller a causé un préjudice aux demandeurs doit avoir pour fondement des faits très précis, tel qu'il a été mentionné dans les décisions Fatima et Shiekh, précitées.

[40]            Dans la présente affaire, la Commission a noté que le FRP du demandeur principal comportait trois pages dactylographiées et portait sur les allégations de persécution du demandeur principal. La Commission a conclu que le demandeur principal était une personne éloquente et éduquée qui avait une certaine expérience du fonctionnement des tribunaux argentins. La Commission n'a pas cru les explications fournies par le demandeur principal, suivant lesquelles les omissions dans l'exposé circonstancié du FRP étaient attribuables au fait qu'il s'était fié à un conseiller incompétent. À mon avis, la conclusion de la Commission à cet égard est raisonnable et je ne vois aucune raison de modifier sa décision.

[41]            Quoi qu'il en soit, la Commission peut faire des inférences défavorables à propos de la crédibilité du demandeur en se fondant sur des incohérences entre son témoignage et d'autres éléments de preuve, pourvu que les conclusions qu'elle tire ne soient pas « déraisonnables » au point de justifier l'intervention de la Cour (voir Aguebor, précité, au paragraphe 4).

[42]            Dans Grinevich, précité, et Akhigbe, précité, la Cour a estimé que la Commission est en droit de tirer des conclusions défavorables relativement à la crédibilité du demandeur et, en fait, qu'elle est en droit de fonder une telle conclusion sur l'omission de faits importants dans le FRP du demandeur. Dans Akhigbe, précité, le juge Dawson a déclaré ce qui suit aux paragraphes 15 et 16 :

Pour ce qui est des omissions dans le FRP de M. Akhigbe, la SSR est en droit, comme je l'ai mentionné, de tirer une inférence défavorable du fait qu'un demandeur n'a pas mentionné dans son FRP des faits importants. Ce principe est compatible avec la question 37 du FRP, selon laquelle un demandeur a l'obligation de relater dans l'ordre chronologique « tous les incidents importants » qui ont amené le demandeur à chercher protection.


La SSR n'a toutefois pas le droit de tirer une inférence défavorable au motif que le demandeur n'a pas mentionné des détails mineurs ou donné toutes les précisions.

[43]            Les omissions dans l'exposé circonstancié du FRP du demandeur principal ne correspondaient pas à des détails mineurs ou des précisions, à mon sens. Il s'agissait de détails cruciaux en ce qui a trait à la revendication du demandeur. La Commission était en droit, comme il a été mentionné dans les décisions précédentes, de tirer des conclusions de crédibilité défavorables à partir de ces omissions.

[44]            En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[45]            L'avocat des demandeurs a présenté les deux questions suivantes pour la certification :

1.          Le défaut du gouvernement du Canada de faire des règlements visant les consultants non juristes en matière d'immigration constitue-t-il un facteur pertinent à prendre en compte par un tribunal lorsqu'un demandeur sollicitant le contrôle judiciaire d'une décision allègue un manquement aux principes de justice naturelle découlant d'une représentation incompétente et préjudiciable par un non-juriste?

2.          Existe-t-il une distinction, dans le contexte d'un manquement aux principes de justice naturelle, entre la norme de compétence requise pour les avocats et celle requise pour les non-juristes?


[46]            L'avocat du défendeur s'oppose à la certification des questions.

[47]            À mon avis, les questions soumises par les demandeurs ne satisfont pas au critère établi dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.). En ce qui a trait à la première question proposée, je répète les observations que j'ai faites précédemment : le fait que le Parlement canadien ait compétence pour faire des règlements visant les consultants non juristes en matière d'immigration ne signifie pas qu'il doive exercer cette compétence. Il n'appartient certainement pas à la Cour d'ordonner au Parlement d'agir à cet égard.

[48]            La deuxième question proposée a déjà été tranchée par la Cour dans Cove, précité.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                         « E. Heneghan »                

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :           IMM-2090-02

INTITULÉ :          HUGO FERNANDO ROBLES,

HILDA SUSANA LODI DE ROBLES

et ILDA LEO DE LODI

                                                                                                                   

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MERCREDI 12 MARS 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                     LE VENDREDI 28 MARS 2003

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman                                              Pour les demandeurs

M. Marcel Larouche                                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIATES Pour les demandeurs

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                                                 Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030328

                     Dossier : IMM-2090-02

ENTRE :

HUGO FERNANDO ROBLES,

HILDA SUSANA LODI DE ROBLES,

ILDA LEO DE LODI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                

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