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Date : 20210324

Dossier : T-767-18

Référence : 2021 CF 250

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

NUWAVE INDUSTRIES INC.

demanderesse

et

TRENNEN INDUSTRIES LTD.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

VU LA REQUÊTE de la demanderesse présentée en application de l’article 210 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, visant l’obtention d’une ordonnance déclarant que son brevet portant le numéro 2,757,675 est valide et qu’il a été contrefait, et lui octroyant des dommages‑intérêt de 234 506 $ en perte de profits et des dépens de 5 000 $;

ET VU que la présente affaire a trait à un brevet portant sur un outil actionnant un jet d’eau rotatif à pression ultra‑haute pour couper de l’intérieur les multiples couches de l’enveloppe d’un puits de forage afin de procéder à la remise en état de puits de pétrole et de gaz abandonnés, remise en état qui devrait autrement se faire en excavant autour du puits de forage, en coupant le puits de l’extérieur à l’aide d’un chalumeau, d’un marteau-piqueur ou d’une masse pour retirer le puits et en remettant ensuite le terrain en état;

ET VU qu’il est allégué que l’outil de la défenderesse fonctionne de la même façon et a les mêmes usages que l’outil breveté, et qu’on peut inférer qu’il lui est identique sur le plan mécanique;

ET VU que l’action en contrefaçon de brevet sous-jacente a été intentée par le dépôt d’une déclaration le 25 avril 2018, qu’une défense a été présentée le 15 juin 2018, et qu’il y a eu échange d’affidavits de documents le 10 octobre 2018; que la défense a par la suite été radiée par notre Cour le 28 octobre 2019 en raison de la non-désignation d’un représentant pour comparaître pour le compte de la société défenderesse à l’interrogatoire préalable conformément à l’ordonnance rendue par notre Cour le 5 septembre 2019;

ET VU qu’une requête en jugement par défaut a été rejetée le 28 août 2020, sous réserve de la possibilité pour la demanderesse de présenter une nouvelle requête en ce sens, les problèmes suivants ayant alors été soulevés :

  1. La Cour a conclu que la preuve par affidavit de l’inventeur était insuffisante pour appuyer les arguments concernant l’interprétation des revendications et l’invalidité et qu’un rapport d’expert était nécessaire.

  2. 2. La preuve concernant l’état comptable des profits n’a pas touché la question de savoir s’il existait une autre méthode que celle de coupe et de coiffage au chalumeau coupeur.

  3. La preuve relative au montant des profits ne permettait pas de savoir avec certitude si les sommes réclamées sur le fondement des factures de la défenderesse visaient des travaux effectués sur des puits au moyen de l’outil de la défenderesse.

ET APRÈS LECTURE ET EXAMEN du dossier de la demanderesse présenté à l’appui de la requête en jugement par défaut, ainsi que des deux affidavits souscrits par l’un des trois inventeurs de l’outil breveté et du rapport d’expert rédigé par Michael T. Rees, ingénieur;

ET AYANT CONCLU que M. Rees, qui cumule une douzaine d’années d’expérience de travail dans le domaine, a les qualités requises pour agir comme expert pour ce qui concerne les outils de fond de puits utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière; qu’il est compétent pour donner un avis sur la personne versée dans l’art, l’interprétation des revendications et la contrefaçon causée par l’outil de la défenderesse; et qu’il était qualifié pour faire la déposition qu’il a présentée à notre Cour;

ET AYANT PRIS ACTE du fait que, dans une requête en jugement par défaut comme celle qui a été présentée, le breveté a le fardeau de « produire des éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, les allégations énoncées dans sa demande ainsi que son droit à la réparation sollicitée » (Teavana Corporation c Teayama Inc, 2014 CF 372 au para 4);

ET AYANT CONCLU que la demanderesses a un brevet valide et en vigueur, à savoir qu’elle est la cessionnaire et propriétaire du brevet canadien numéro 2,757,675, délivré le 18 septembre 2012, en vertu duquel elle s’est vu octroyer le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre, pendant vingt ans, l’invention revendiquée dans les revendications 1 à 18 du brevet; et que le brevet sera considéré comme valide dans les circonstances conformément à l’article 43 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c‑4, étant donné qu’aucune preuve contraire n’a été présentée;

ET QUE la technologie décrite dans le brevet numéro 2,757,675 vise la remise en état de puits pétroliers et gaziers, et que l’outil breveté fonctionne au moyen d’un jet d’eau rotatif à pression ultra-haute pour couper de l’intérieur les multiples couches de l’enveloppe du puits de forage;

ET VU que la première étape de l’analyse portant sur la contrefaçon est l’interprétation de la revendication, avec l’aide d’un lecteur versé dans l’art, pour déterminer ce que l’inventeur considérait comme étant les éléments essentiels du brevet, comme la Cour l’énonce dans Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc, 2010 CF 361 au para 110;

ET VU que la personne versée dans l’art est décrite comme suit dans le rapport d’expert :

[traduction]

[L]a personne versée dans l’art à laquelle le brevet s’adresse a une expérience de trois à cinq ans dans le domaine pétrolier et gazier, notamment en coupe et démantèlement de puits de forage ou de conduites. Cette personne peut être un ingénieur ayant de l’expérience dans l’industrie pétrolière et gazière, plus précisément dans les processus en fond de puits. Subsidiairement, elle pourrait avoir une éducation moins formelle, mais avoir plus d’expérience pratique, notamment sur le terrain.

[On s’attendrait à ce que] la personne versée dans l’art [connaisse] bien les techniques de coupe et de coiffage et les diverses méthodes utilisées pour couper les enveloppes des puits pétroliers et gaziers. Elle serait aussi bien au courant des dangers associés à la coupe et au coiffage de puits.

ET que le rapport d’expert précise aussi que la majorité des termes utilisés dans le brevet sont des mots courants;

ET VU que la revendication 1 du brevet en cause est une revendication indépendante qui revendique un outil de coupe à pression ultra-haute (UHP) inséré dans un puits de forage pour découper l’enveloppe du puits de forage de l’intérieur de celui-ci, l’outil comprenant ce qui suit :

  1. un raccord pour tuyau flexible UHP relié à une source de fluide;

  2. un tube UHP rotatif avec une extrémité supérieure en communication fluidique avec le raccord de tuyau UHP et une extrémité inférieure à l’opposé de l’extrémité supérieure;

  3. un dispositif de rotation en communication fonctionnelle avec le tube UHP pour faire tourner ce dernier lors du fonctionnement de l’outil de coupe;

  4. une tête de coupe en communication fluidique avec l’extrémité inférieure du tube UHP, la tête de coupe comprenant :

  5. un coude UHP pour changer le sens d’écoulement du fluide UHP d’une direction essentiellement parallèle au puits de forage à une direction vers la surface intérieure du puits de forage;

  6. un orifice d’alimentation abrasif raccordé à une canalisation d’alimentation pour recevoir l’agent abrasif à mélanger avec le fluide UHP;

  7. un tube de focalisation pour diriger le mélange de fluide UHP et d’abrasif hors de la tête de coupe et vers la surface intérieure du puits de forage à couper.

ET ADMETTANT la conclusion du rapport d’expert selon laquelle les éléments énumérés ci‑dessus sont présents dans l’outil de la défenderesse, ce qui entraîne la contrefaçon du brevet en cause;

ET VU que le breveté a le droit de recevoir une indemnisation pour la contrefaçon, calculée sur le fondement de l’état comptable des profits réalisés par la contrefactrice selon la méthode du profit différentiel adoptée par notre Cour dans Monsanto Canada Inc c Rivett, 2009 CF 317 au para 29;

ET ÉTANT CONVAINCUE qu’il existe un lien causal entre les profits réalisés, dont font foi les factures de la défenderesse, et la contrefaçon, dans la mesure où les factures produites précédemment dans l’affidavit de documents de la défenderesse, affidavit dans lequel cette dernière a expliqué qu’il s’agissait des documents pertinents et que les factures se rapportant [traduction] « clairement à des travaux exécutés sans recourir à l’outil de coupe » avaient été exclues; et que les factures ont été passées au crible une autre fois par la suite et qu’il n’a pas été tenu compte des factures qui n’étaient pas directement liées à l’utilisation de l’outil breveté ni des montants liés à la fourniture de l’équipement et au nettoyage des sites; et en l’absence de preuve directe de la défenderesse qui compléterait les motifs de la Cour;

ET ADMETTANT que les profits bruts réalisés par la défenderesse en raison de la contrefaçon, calculés à partir des factures décrites ci‑dessus, s’élèvent à 670 018,75 $, montant qui comprend, selon l’estimation conservatrice faite par le souscripteur d’affidavit de la demanderesse sur le fondement de son expérience dans l’industrie et la période d’utilisation de l’outil breveté, une marge bénéficiaire de 35 %, donc 234 506 $, pour une entreprise comme celle de la défenderesse;

ET AYANT CONCLU, conformément aux principes énoncés dans Apotext Inc c Merck & Co, Inc, 2015 CAF 171 au para 73, que la défenderesse n’a pas établi l’existence d’une solution non contrefaisante à laquelle elle aurait pu recourir et qui aurait pu avoir une incidence sur le calcul des profits; le fardeau incombait en effet à la défenderesse et cette dernière n’a pas avancé un tel argument dans l’acte de procédure radié; quoi qu’il en soit, la méthode de coupe à l’aide d’un chalumeau ne constitue pas une solution de rechange non contrefaisante étant donné qu’il s’agit d’un processus différent qui n’est pas une solution viable ou un véritable produit de substitution de l’outil breveté; par ailleurs, la méthode est considérée comme non sécuritaire en présence de vapeurs de pétrole et de gaz et elle nécessite en outre des travaux importants d’excavation, ce qui entraîne des échéances plus longues et un accroissement des coûts;

LA COUR CONCLUT que le brevet portant le numéro 2,757, 675 est valide et qu’il a été contrefait par la défenderesse, et que la demanderesse a droit à des dommages‑intérêts d’un montant de 234 506 $ pour perte de profits ainsi qu’à des dépens de 5 000 $.

ORDONNANCE ET MOTIFS dans le dossier T-767-18

LA COUR ORDONNE PAR CONSÉQUENT que la requête en jugement par défaut contre la défenderesse est accueillie et :

  1. déclare que le brevet numéro 2,757,675 est valide;

  2. déclare que la défenderesse a contrefait ce brevet;

  3. ordonne à la défenderesse de verser à la demanderesse 234 506 $ en dommages‑intérêts;

  4. ordonne à la défenderesse de payer à la demanderesse des dépens de 5 000 $.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-767-18

INTITULÉ :

NUWAVE INDUSTRIES INC. c TRENNEN INDUSTRIES LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

REQUÊTE examinée sur dossier

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Robert Martz

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sander R. Gelsing

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Martz

Burnet, Duckworth & Palmer LLP

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

Sander R. Gelsing

Avocat

Warren Sinclair LLP

Red Deer (Alberta)

pour la défenderesse

 

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