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Date : 20210324


Dossier : IMM‑476‑20

Référence : 2021 CF 252

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

BISI OLUROTIMI OLAWOYIN

OLUSHOLA AMINAT OLAWOYIN

GOODNESS OLUWAD OLAWOYIN

TAIWO DAMILOLA OLAWOYIN

KEHINDE OLAMIDE OLAWOYIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Bisi Olawoyin, le demandeur principal, sa femme, Mme Olushola Olawoyin, ainsi que leurs trois enfants mineurs, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiées (SAR) le 6 janvier 2020. LA SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge interne (PRI) à Port Harcourt, au Nigéria, confirmant ainsi une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 28 janvier 2019 sur ce fondement.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La SAR s’est livrée à un examen exhaustif des arguments et des éléments de preuve présentés par les demandeurs. De plus, la SAR a correctement énoncé le critère bien établi servant à déterminer l’existence d’une PRI viable, et n’a pas imposé aux demandeurs un seuil élevé à atteindre quant à la preuve pour s’acquitter du fardeau de prouver qu’ils satisfaisaient au deuxième volet du critère.

I. Aperçu

[3] Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria, arrivés au Canada le 14 avril 2016. Ils craignent d’être persécutés au Nigéria par la famille de M. Olawoyin, laquelle insiste pour que les filles de ce dernier subissent des mutilations génitales féminines. M. Olawoyin est retourné au Nigéria en mai 2016, laissant sa femme et ses filles derrière lui au Canada. Il est revenu au Canada en mai 2017, et la famille a déposé une demande d’asile en septembre 2017.

[4] La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs après avoir conclu que leurs allégations n’étaient pas crédibles et qu’ils disposaient d’une PRI viable à Port Harcourt.

[5] Les demandeurs ont porté en appel la décision rendue par la SPR devant la SAR et présenté de nouveaux éléments de preuve au soutien de leur appel. La SAR a jugé les nouveaux éléments de preuve inadmissibles et a rejeté la demande d’audience présentée par les demandeurs.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[6] La décision de la SAR porte principalement sur les arguments avancés par les demandeurs quant à l’existence d’une PRI au Nigéria. La SAR a examiné les observations formulées en appel en fonction du critère à deux volets énoncé dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (C.A.) (Rasaratnam). S’agissant du premier volet du critère, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient confrontés à plus qu’une simple possibilité de persécution à Port Harcourt, qu’ils y seraient personnellement exposés à une menace pour leur vie ou à un risque de subir un traitement cruel et inusité ou à un danger d’être soumis à la torture de la part de leurs persécuteurs ou de Boko Haram. Les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la SAR.

[7] La SAR a mené un examen détaillé du deuxième volet du critère relatif à la PRI qui a été établi dans l’affaire Rasaratnam. Elle a souligné que ce critère requiert des éléments de preuve concrets démontrant l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur. Les observations du demandeur reposaient principalement sur le fait que celui‑ci avait occupé un poste de haut fonctionnaire au Nigéria et qu’en conséquence, il serait perçu comme étant riche et donc particulièrement susceptible d’être victime d’un enlèvement. La SAR a analysé la preuve objective dans le cartable national de documentation sur le Nigéria, de même que la fréquence et les caractéristiques des enlèvements contre rançon dans le Delta du Niger où se trouve Port Harcourt.

[8] La SAR a reconnu que M. Olawoyin appartenait à certaines catégories de personnes prises pour cibles d’enlèvements contre rançon lorsqu’il vivait et travaillait au Nigéria, mais a conclu qu’il n’avait plus le même profil depuis qu’il avait quitté son poste au sein du gouvernement en juillet 2017. La SAR a également conclu que le risque d’être victime d’un enlèvement invoqué par le demandeur était un risque auquel tous les Nigérians étaient également exposés. M. Olawoyin n’a pas fait l’objet de menaces d’enlèvement alors qu’il occupait un poste important, et le risque d’être victime d’un crime ne suffit pas, à lui seul, à satisfaire le deuxième volet du critère.

III. Question en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse du deuxième volet du critère applicable à la PRI, et je vais examiner les motifs et conclusions de la SAR selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 (Vavilov)). Aucune des situations recensées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov comme justifiant une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce.

[10] Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires donnent des indications sur l’application de la norme de la décision raisonnable par la cour de révision et soulignent l’importance du raisonnement suivi par le décideur et du résultat pour les personnes visées par la décision (Vavilov, au para 83). La Cour suprême a énoncé que la marque distinctive d’une décision raisonnable consiste en « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses de postes, 2019 CSC 67, au para 31).

IV. Analyse

[11] Le deuxième volet du critère établi dans la décision Rasaratnam fait intervenir la question de savoir s’il serait déraisonnable pour les demandeurs de chercher refuge à Port Harcourt. Les parties conviennent que le seuil applicable au deuxième volet du critère est élevé et requiert une preuve réelle et concrète ne démontrant « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr ». (Ranganathan c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2118 (CA), au para 15 (Ranganathan)).

[12] Les demandeurs soutiennent que la SAR a [traduction] « changé les règles du jeu » relatives à l’atteinte du seuil déjà élevé en exigeant une menace spécifique dirigée contre M. Olawoyin et sa famille. Ils affirment qu’une fois établie l’existence de conditions qui mettraient en péril leur vie et leur sécurité, il n’est pas nécessaire de démontrer la présence d’une menace. Les demandeurs soutiennent que la SAR a en fait procédé, à tort, à un réexamen de leur demande d’asile.

[13] La SAR reconnaît que M. Olawoyin a occupé un poste de haut fonctionnaire au Nigéria pendant 17 ans à titre de secrétaire des services de santé. En conséquence, pendant son mandat, il appartenait à certaines des catégories de personnes prises pour cibles par des ravisseurs, lesquelles comprennent les Nigérians bien en vue, les familles fortunées, ceux qui sont perçus comme étant riches, et les représentants du gouvernement. Toutefois, la SAR a conclu que M. Olawoyin a démissionné en juillet 2017 et qu’il n’existait pas « suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que des entités criminelles ou des groupes militants à Port Harcourt seraient au courant du poste qu’il occupait ». En outre, il n’est pas possible de savoir quel emploi il pourrait obtenir à l’avenir. Selon la SAR, il serait hypothétique de conclure qu’une fois revenu au Nigéria et installé à Port Harcourt, M. Olawoyin redeviendrait un représentant du gouvernement perçu comme étant riche.

[14] La SAR a souligné qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que M. Olawoyin a été personnellement ciblé ou qu’il a été enlevé alors qu’il occupait un poste important. Le Tribunal a conclu que tous les Nigérians étaient exposés au risque d’être enlevés par des ravisseurs d’identité inconnue à Port Harcourt et que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils seraient personnellement ciblés. La SAR a conclu que les caractéristiques personnelles du demandeur principal ne lui permettaient pas d’atteindre le seuil élevé du critère relatif au caractère déraisonnable de la PRI.

[15] Je ne trouve aucune erreur dans l’analyse menée par la SAR du second volet du critère établi dans la décision Rasaratnam. S’agissant de la crainte d’être victime d’un enlèvement, la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté de preuve suffisante pour démontrer que leur réinstallation à Port Harcourt serait déraisonnable compte tenu de leur situation. Le Tribunal n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du critère. Le désaccord des demandeurs quant à l’issue de l’analyse faite par la SAR équivaut à une demande présentée à la Cour de réévaluer la preuve et les conclusions de fait.

[16] Les documents faisant état de la situation au Nigéria qui traitent de la fréquence des enlèvements dans le Delta du Niger, y compris à Port Harcourt, ne constituent pas une preuve concrète. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, il ne leur suffit pas de démontrer l’existence de conditions indiquant un risque éventuel pour s’acquitter de leur fardeau s’ils ne peuvent établir de lien entre ces conditions et leur situation personnelle. Dans leurs observations, les demandeurs reconnaissent qu’il leur incombe de prouver qu’il serait déraisonnable pour eux de chercher refuge à Port Harcourt compte tenu de leur situation personnelle (Gallo Farias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1035, au para 34; Iyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 67, au para 42). La SAR a été attentive aux préoccupations des demandeurs et a pris en compte le rôle du risque et de leur situation personnelle dans sa décision. Elle s’est penchée sur l’argument des demandeurs voulant que l’emploi occupé antérieurement par M. Olawoyin exposerait ce dernier et sa famille à un risque accru, mais a conclu que cet argument n’était pas étayé par la preuve.

[17] Les demandeurs affirment que la SAR se livre à des conjectures lorsqu’elle conclut que les groupes criminels organisés responsables des enlèvements dans la région ne seraient pas au courant du poste qu’occupait antérieurement M. Olawoyin au sein du gouvernement. Je ne suis pas d’accord. Cette conclusion reflète l’absence de preuve réelle et concrète de l’existence de menaces dirigées contre la vie et la sécurité des demandeurs à Port Harcourt. Il en va de même de la constatation de la SAR voulant qu’aucune preuve ne démontre que M. Olawoyin reprendrait un poste au sein du gouvernement une fois installé à Port Harcourt. Enfin, si la SAR fait allusion à l’absence de menaces d’enlèvement, c’est pour mener son examen de la question consistant à savoir si le poste qu’occupait M. Olawoyin au sein du gouvernement constitue une caractéristique susceptible de le distinguer de la population générale.

[18] En résumé, je conclus que les arguments avancés par les demandeurs relativement au risque que poseraient les enlèvements contre rançon pour leur sécurité ne révèlent pas d’erreur susceptible de contrôle de la décision. Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve suggérant qu’ils satisfont au critère exigeant applicable au caractère déraisonnable, lequel constitue l’élément phare du deuxième volet du critère de la décision Rasaratnam (Ohwofasa c Canada (Citoyenneté and Immigration), 2020 CF 266, au para 20, citant Ranganathan et Thirunavukkarasu c Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (C.A.)). L’analyse menée par la SAR établit un lien logique entre la situation personnelle des demandeurs et le critère applicable, et ne laisse nullement croire qu’un critère plus exigeant a été imposé à tort. Je ne suis pas convaincue que la décision de la SAR est déraisonnable.

V. Conclusion

[19] La demande est rejetée.

[20] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑476‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Emanuelle Dubois, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑476‑20

 

INTITULÉ :

BISI OLUROTIMI OLAWOYIN ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET Montréal (QuÉbec) (LES parties)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉcembRE 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Daniel Epstein

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sean Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Epstein

Avocat

Montréal (Québec)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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