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Date : 20210219


Dossier : IMM-6337-19

Référence : 2021 CF 162

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 février 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

OSAMA HABBOOB, SUAD HABBOUB,

BARAA HABBOUB, DANA HABBOUB

ET IBRAHIM HABBOUB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Monsieur Osama Habboob, son épouse, Madame Suad Habboub, et leurs trois enfants, sollicitent le contrôle judiciaire par la Cour de la décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) en date du 2 octobre 2019. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et a rejeté leur demande d’asile.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. En premier lieu, je ne suis pas convaincue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale pendant l’audience devant la SPR. Les demandeurs n’ont pas établi que la décision de M. Habboob de ne pas faire appel aux services d’interprétation n’était pas éclairée ou avait diminué sa capacité à s’exprimer adéquatement, ou que le témoignage de Mme Habboub avait souffert parce qu’elle n’avait pas parfaitement compris le témoignage de son époux. En second lieu, la prise en compte par la SPR de la crainte éprouvée par les demandeurs au regard des risques et de l’instabilité généraux propres à la vie à Gaza ne révèle pas d’erreur susceptible de contrôle. Le tribunal a examiné les éléments de preuve fournis par les demandeurs, y compris leur vie à Gaza et leur association continue à Gaza au cours des onze années pendant lesquelles ils étaient établis aux Émirats arabes unis (ÉAU). La SPR a expliqué ses conclusions en renvoyant aux éléments de preuve de façon logique. Son refus des demandes d’asile des demandeurs était justifié à la lumière de leurs récits personnels et des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays sur Gaza. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

I. Contexte

[3] Les demandeurs adultes et deux de leurs trois enfants mineurs sont des Palestiniens apatrides originaires de Gaza. Le benjamin est un citoyen des États‑Unis (É.‑U.).

[4] M. Habboob est né à Gaza en 1977. Il a déménagé en Turquie en 1995 pour faire des études d’ingénieur et est demeuré dans ce pays jusqu’en 2007. Il a déménagé aux ÉAU pour le travail en 2007 et a résidé dans ce pays pendant les onze années qui suivirent. Pendant qu’il résidait en Turquie et aux ÉAU, M. Habboob est retourné à de nombreuses occasions à Gaza.

[5] Mme Habboub est née au Koweït en 1984. Elle n’est pas une citoyenne du Koweït puisque ce pays n’accorde pas la citoyenneté à la naissance. Sa famille a été expulsée et a déménagé en Jordanie en 1991, où Mme Habboub a résidé jusqu’en 2000. En 2000, la famille a déménagé à Gaza. Mme Habboub a fréquenté l’école secondaire et l’université à Gaza.

[6] M. Habboob et Mme Habboub se sont rencontrés à Gaza et se sont mariés en 2008, après quoi ils ont déménagé aux ÉAU, où sont nés leurs deux premiers enfants. Ils ont tous les deux une famille élargie à Gaza. En 2017, les demandeurs adultes et leurs deux enfants ont rendu visite au frère de M. Habboob aux É.‑U. M. Habboob et les enfants sont rentrés aux ÉAU au début de 2018, mais Mme Habboub est demeurée aux É.‑U. jusqu’à la naissance de leur troisième enfant, après quoi elle est rentrée aux ÉAU avec le bébé.

[7] Le permis de séjour aux ÉAU de M. Habboob a été révoqué en juin 2018. Le motif de l’annulation est en cause dans la présente demande, mais n’était pas déterminant dans la décision de la SPR de rejeter les demandes d’asile des demandeurs. Quoi qu’il en soit, il est important de noter que les demandeurs ne peuvent pas retourner aux ÉAU à cause de la révocation du permis.

[8] Les demandeurs se sont rendus aux É.‑U. en juillet 2018 et ils sont entrés peu après au Canada, où ils ont demandé l’asile. La SPR a entendu les demandes d’asile de la famille le 9 septembre 2019.

[9] La SPR a conclu que Gaza était un pays de résidence habituelle antérieure pour les demandeurs adultes et les deux premiers enfants et que les demandeurs avaient le droit de retourner à Gaza puisqu’ils ont chacun un passeport délivré par l’Autorité palestinienne. Le tribunal a rejeté les demandes d’asile des demandeurs essentiellement parce qu’il a conclu que leur crainte de retourner à Gaza reposait sur des conditions de vie défavorables générales dans le pays et la menace d’intervention militaire posée par Israël. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas établi une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu dans la Convention ou qu’il était plus probable que le contraire qu’ils avaient qualité de personne à protéger. De plus, la SPR a conclu que Mme Habboub n’avait pas fait valoir de mauvais traitements subis précédemment en raison de son sexe pendant qu’elle résidait à Gaza ni exprimé une crainte de persécution future fondée sur son sexe. Le tribunal a conclu que les demandeurs n’avaient pas une crainte fondée de persécution de Mme Habboub ou de leur fille mineure à Gaza. Enfin, la SPR a reconnu l’existence d’une discrimination contre les ressortissants étrangers aux ÉAU, mais a soutenu que la discrimination n’équivalait pas à de la persécution. Elle a aussi reconnu que les demandeurs ne pouvaient pas, au moment de l’audience, retourner aux ÉAU.

II. Questions en litige

[10] Les questions en litige déterminantes dans la présente demande sont les suivantes :

  1. La SPR a-t-elle manqué au droit à l’équité procédurale des demandeurs en ne s’assurant pas que ceux-ci avaient parfaitement compris qu’ils avaient accès à des services d’interprétation pendant l’audience?

  2. La décision est-elle déraisonnable parce que la SPR a omis d’appliquer les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives concernant la persécution en raison du sexe) et a commis des erreurs dans son analyse aux termes des articles 96 et 97?

[11] Les demandeurs formulent un certain nombre d’observations accessoires au sujet d’erreurs contenues dans la décision qui sont à mon avis sans importance et que j’aborderai brièvement à la fin de mon analyse.

III. Norme de contrôle

[12] En ce qui concerne l’allégation d’absence d’équité pendant l’audience devant la SPR formulée par les demandeurs, la Cour est tenue d’adopter une approche qui se décrit au mieux comme un examen du processus de la SPR selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34 à 56 (Canadien Pacifique)). J’apprécierai la question de savoir si la SPR a traité le droit de M. Habboob et de Mme Habboub à l’interprétation pendant l’audience de manière juste et équitable « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne » du processus d’audience (Canadien Pacifique au para 54).

[13] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que les observations formulées par les demandeurs pour contester le bien-fondé de la décision doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 10 et 25 (Vavilov)).

[14] Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 au para 32). Ainsi, il faut entreprendre le contrôle selon la norme de la décision raisonnable en examinant la décision rendue par le décideur et évaluer si le décideur a appliqué le droit pertinent aux faits de l’affaire et si le raisonnement est intrinsèquement cohérent. La norme de la décision raisonnable suppose respect et déférence à l’égard du rôle joué et des conclusions de fait tirées par le décideur, mais demeure un type de contrôle rigoureux. Par conséquent, la personne qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

1. La SPR a-t-elle manqué au droit à l’équité procédurale des demandeurs en ne s’assurant pas que ceux-ci avaient parfaitement compris qu’ils avaient accès à des services d’interprétation pendant l’audience?

[15] Les demandeurs soutiennent que, bien que M. Habboob ait renoncé à l’interprétation lors de l’audience devant la SPR, sa renonciation n’était pas irrévocable, et la SPR aurait dû mieux expliquer le fait que l’interprète arabe était toujours à sa disposition. M. Habboob affirme qu’il n’a pas compris que l’interprète était en disponibilité et qu’il sait maintenant qu’il aurait dû témoigner en arabe. De plus, les demandeurs affirment que le témoignage de Mme Habboub lui a porté préjudice parce qu’elle n’avait pas parfaitement compris le témoignage de M. Habboob et que la première partie de son témoignage a été faite en anglais jusqu’à ce qu’elle commence à parler à l’interprète en arabe.

[16] Je conclus que la SPR n’a pas manqué au droit à l’équité procédurale des demandeurs, plus particulièrement leur droit à une audience équitable à laquelle ils pouvaient participer pleinement.

[17] En ce qui concerne le témoignage de M. Habboob, la SPR s’est assuré au début de l’audience que l’interprète s’était entretenue avec les demandeurs et que tous s’étaient compris. L’interprète a fait savoir au tribunal que M. Habboob préférait s’exprimer en anglais, tandis que Mme Habboub voulait s’exprimer en arabe. La SPR a demandé si Mme Habboub comprenait l’anglais et si elle pouvait comprendre M. Habboob lorsqu’il parlait en anglais, ce à quoi Mme Habboub a répondu par l’affirmative. Le tribunal a alors déclaré [traduction] « Oui, c’est parce que c’est important que vous compreniez son témoignage aussi. » La SPR a fait savoir à l’interprète qu’elle n’avait pas à interpréter en simultané, et qu’elle pouvait rester en disponibilité. Lorsque l’interprète a demandé si la déclaration du tribunal s’appliquait à Mme Habboub, le tribunal a confirmé que c’était le cas, sauf si Mme Habboub témoignait en arabe.

[18] Les demandeurs étaient représentés par un conseil à l’audience devant la SPR. Aucune plainte n’a été formulée au sujet de la compétence du conseil. Les demandeurs adultes ont étudié à l’université et ont voyagé à maintes reprises, et M. Habboob a occupé un emploi. Ils sont des gens éclairés. Après avoir examiné la transcription de l’audience, je conclus qu’ils se sont exprimés clairement devant la SPR pour ce qui était du choix de la langue et de leur compréhension de l’anglais. Je souligne que la SPR a demandé à Mme Habboub si elle pouvait comprendre son époux quand il parlait en anglais et a expliqué l’importance de la question. La SPR s’est raisonnablement fondée sur sa réponse.

[19] Je ne suis pas convaincue par la déclaration de M. Habboob selon laquelle il sait maintenant qu’il aurait dû faire appel à l’interprète arabe. M. Habboob a voulu que l’audience se déroule en anglais (Abeer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1424 au para 8 (Abeer)). Il affirme devant la Cour qu’il aurait pu mieux faire son témoignage par l’intermédiaire de l’interprète, mais cette observation ne suffit pas pour établir un manquement par la SPR à son droit à une interprétation conforme à la « norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l'impartialité et de la concomitance » et à une audience équitable (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191 au para 4).

[20] J’ai examiné la transcription de l’audience en fonction des sources de préoccupation particulières soulignées dans le témoignage de M. Habboob. Les demandeurs qualifient les difficultés qu’il a éprouvées de [traduction] « manifestes ». J’ai pris en compte les exemples donnés par M. Habboob dans l’affidavit qu’il a produit à l’appui de sa demande soulignant les passages où il aurait pu exprimer ses positions plus clairement. En tout respect, je ne crois pas que M. Habboob a eu de la difficulté à livrer son témoignage. M. Habboob a pu fournir des réponses détaillées à la SPR et l’interaction entre les questions posées et les réponses données ne révèle aucun problème de compréhension. Surtout, la SPR a reproduit fidèlement le témoignage de M. Habboob dans la décision.

[21] Les demandeurs soutiennent que le président de l’audience a affirmé, sans les consulter, que Mme Habboub n’avait pas besoin d’interprète. La transcription contredit cette affirmation. Mme Habboub prétend qu’elle n’aurait pas confirmé en début d’audience qu’elle comprenait son époux quand il parlait en anglais si elle avait été plus consciente de la nature de la procédure. Toutefois, la SPR lui a expliqué les raisons pour lesquelles c’était une question importante et a souligné qu’elle devait comprendre le témoignage de M. Habboob. Au début du témoignage de Mme Habboub plus tard au cours de l’audience, la SPR lui a demandé si elle avait compris le témoignage de son époux, et elle a confirmé que c’était le cas. De plus, j’ai examiné la transcription en ce qui concerne le témoignage de Mme Habboub. Mme Habboub a répondu aux questions préliminaires de la SPR en anglais sans difficulté, et le tribunal lui a plus tard fait savoir qu’elle devrait poursuivre en arabe lorsqu’elle a commencé à répondre à une question en arabe. Le résumé des éléments de preuve de Mme Habboub produit par la SPR dans la décision reflète son témoignage.

[22] Les demandeurs invoquent la décision du juge Rennie dans l’affaire Abeer mais, dans ce cas, le demandeur avait demandé les services d’un interprète en dari, la Commission avait retenu les services d’une interprète parlant le farsi et il avait finalement témoigné en anglais. Le résultat a eu « une incidence directe et considérable » sur l’affaire (Abeer aux para 17 et 18). En l’espèce, M. Habboob a fait savoir, sans y être incité par la SPR, qu’il voulait témoigner en anglais. Mme Habboub a voulu témoigner en arabe, et une interprète en arabe lui a été fournie. La SPR a pris des mesures raisonnables pour s’assurer que Mme Habboub était en mesure de participer pleinement à l’audience et est intervenue dès que Mme Habboub a semblé éprouver des difficultés en anglais.

[23] La transcription de l’audience révèle que le langage et la grammaire utilisés par les demandeurs adultes n’étaient pas parfaits, mais que leur témoignage était clair. Les demandeurs adultes ont tous les deux pu communiquer l’essentiel de leurs réponses à la SPR avec suffisamment de détails. Je n’ai relevé aucun signe de gêne ou d’incapacité à participer qui aurait dû alerter la SPR sauf lorsque Mme Habboub a commencé à parler à l’interprète en arabe, et à ce moment, le tribunal l’a encouragée à poursuivre avec l’interprète traduisant ses propos.

2. La décision est-elle déraisonnable parce que la SPR a omis d’appliquer les Directives concernant la persécution en raison du sexe et a commis des erreurs dans son analyse aux termes des articles 96 et 97?

[24] Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas appliqué les Directives concernant la persécution en raison du sexe et a omis d’être attentive et sensible au fait que Mme Habboub était une femme vulnérable issue d’une société conservatrice. Je conviens avec les demandeurs que la SPR était tenue d’appliquer les Directives concernant la persécution en raison du sexe et ne pouvait pas se contenter de répéter les principes importants que celles-ci incarnent (Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663 aux para 9 et 18). J’estime toutefois que la SPR a traité Mme Habboub avec respect et a écouté attentivement son témoignage. Il n’y a rien dans la transcription qui montre que Mme Habboub a semblé vulnérable ou confuse pendant son témoignage. Les observations formulées par les demandeurs, quand elles sont examinées au regard des éléments de preuve, de la transcription de l’audience et de l’attention qu’a accordée la SPR aux déclarations de Mme Habboub dans la décision, ne sont pas convaincantes.

[25] Les demandeurs soulignent la prétendue renonciation à l’interprétation de la SPR pour Mme Habboub et contestent l’appréciation faite par le tribunal de son témoignage et les conclusions de celui-ci. J’ai examiné la question de l’interprétation. Les arguments formulés par les demandeurs au sujet du poids qui aurait dû être accordé à la possibilité que Mme Habboub et sa fille subissent de la discrimination à leur retour à Gaza ne justifient pas l’intervention de la Cour.

[26] Les demandeurs invoquent le témoignage de Mme Habboub au sujet des [traduction] « mauvais traitements » subis par les femmes à Gaza à l’appui de leur argument selon lequel la SPR a omis d’appliquer les Directives concernant la persécution en raison du sexe. Ils soulignent son témoignage selon lequel les femmes sont tenues de porter des vêtements longs et de se couvrir le visage, et qu’il leur est interdit de se déplacer librement à Gaza ou d’entrer à l’intérieur des immeubles gouvernementaux. La SPR a examiné ces préoccupations pendant l’audience et a demandé à Mme Habboub si ces restrictions avaient eu une incidence défavorable sur elle par le passé. Mme Habboub a répondu par la négative. La SPR a demandé à Mme Habboub pourquoi elle n’avait pas mentionné les préoccupations fondées sur le sexe dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, et Mme Habboub a répondu que son attention se portait alors sur des questions plus importantes. Les demandeurs contestent la déclaration du tribunal selon laquelle Mme Habboub n’a pas [traduction] « exprimé la moindre crainte que les restrictions puissent avoir un effet négatif sur elle à l’avenir ». Ils estiment que si elle avait décrit les restrictions, c’était parce qu’elle devait les craindre. Le témoignage de Mme Habboub ne corrobore pas cette observation. Je conclus que la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Habboub n’a pas décrit une crainte subjective de persécution en raison de son sexe représentait une issue rationnelle et ne traduisait pas une omission d’appliquer les Directives concernant la persécution en raison du sexe.

[27] La SPR a souligné dans ses motifs que M. Habboob n’a pas mentionné la moindre préoccupation quant à la façon dont les femmes sont traitées lorsqu’elle lui a demandé de faire part de ses craintes relativement à un retour à Gaza. Les demandeurs contestent cette affirmation en renvoyant à l’affidavit que M. Habboob a produit à l’appui de la présente demande. Dans l’affidavit, M. Habboob affirme qu’il voulait expliquer plus en détail les mauvais traitements infligés aux femmes à Gaza, mais qu’il lui avait été difficile de le faire en raison de l’absence d’interprétation pour lui. L’affidavit suivant de M. Habboob ne soulève pas de préoccupation quant à l’appréciation par la SPR des éléments de preuve dont elle disposait. De plus, les demandeurs contestent l’affirmation de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas renvoyé à des éléments de preuve de la persécution des femmes figurant dans le Cartable national de documentation (le CND) sur Gaza. Je conviens avec les demandeurs que le CND renferme des éléments de preuve sur le sujet du traitement des femmes. La SPR a affirmé dans la décision qu’elle avait consulté le CND, et elle a expliqué qu’elle avait trouvé des éléments de preuve de discrimination, et non pas de persécution. Je ne décèle aucune incohérence dans les affirmations de la SPR.

[28] M. Habboob affirme dans son affidavit qu’il a des inquiétudes au sujet de leur fille qui est malentendante. Les demandeurs prétendent que la SPR aurait dû prendre en compte cette déficience en dépit du fait qu’ils n’ont pas énoncé leur crainte quant à sa vulnérabilité croissante dans une zone de conflit en raison de sa déficience. Ils soutiennent que la SPR était tenue d’apprécier la vulnérabilité de leur fille parce qu’il y avait des éléments de preuve médicaux relatifs à la déficience dans le dossier. Les éléments de preuve médicaux en question consistent en une déclaration d’un médecin en avril 2013 sur l’otorrhée prolongée de leur fille qui a été traitée par des cycles d’antibiotiques et de gouttes otiques. Le médecin conclut son rapport en mentionnant la nécessité de consulter un neuro-otologue pédiatrique pour d’autres soins. Il y avait aussi une attestation de congé de l’hôpital Mafraq en 2013 selon laquelle le tympan de leur fille avait été perforé et une chirurgie avait été pratiquée. Il n’y a pas d’autres éléments de preuve d’autres traitements médicaux. Je conclus que la SPR n’a pas commis d’erreur en omettant de soulever une déficience possible en tant que préoccupation en l’absence d’observations de la part des demandeurs et d’éléments de preuve médicaux récents étayant une déficience toujours présente (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 624 au para 19).

[29] De plus, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur dans son analyse aux termes de l’article 96. Ils prétendent qu’il serait dangereux pour la famille de retourner à Gaza en raison de l’instabilité générale, de considérations humanitaires et de l’emplacement de la résidence de leur parent à la frontière, une cible facile pour les tanks en cas d’intensification du conflit avec Israël. Les demandeurs invoquent cette proximité et leur allégation selon laquelle le tribunal a omis d’apprécier comme il se devait l’arrestation et la détention pendant cinq ans du cousin de M. Habboob en raison d’un lien avec le Fatah, pour contester l’analyse effectuée par la SPR aux termes de l’article 97.

[30] La SPR a analysé la crainte des demandeurs de retourner à Gaza en raison de l’insécurité générale, des conditions humanitaires et du risque d’être victime d’une attaque par les factions belligérantes. Le tribunal a cité les éléments de preuve de M. Habboob pendant son entrevue à son entrée au Canada, soulignant qu’il n’avait pas vécu personnellement le type d’incidents qu’il craint à Gaza. En fait, ses craintes découlent de la guerre et des conflits frontaliers qui persistent dans la région.

[31] Les demandeurs ont raison de soutenir qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’ils ont été ciblés personnellement ou persécutés antérieurement pour établir l’existence d’un risque au sens de l’article 96 de la LIPR (Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921 au para 14). Cependant, il ne suffit pas de simplement mentionner la situation générale ayant cours au pays sans établir de liens avec sa situation personnelle (Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 au para 52). Les demandeurs ont limité leur description des risques auxquels ils seraient exposés à une description générale de la situation à Gaza sans plus de précisions. Je conclus que la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas établi une crainte subjective de persécution fondée sur un motif prévu dans la Convention.

[32] La SPR a pris en compte les allégations formulées par les demandeurs aux termes de l’article 97 et a conclu que leurs éléments de preuve n’établissaient pas un risque personnalisé à Gaza. Le tribunal a examiné les éléments de preuve de M. Habboob au sujet de la proximité de la frontière et de l’arrestation de son cousin par les Israéliens en 1989 en raison d’un lien présumé avec le Fatah. M. Habboob a affirmé que ni son cousin ni sa famille n’avaient eu d’ennuis après la mise en liberté du cousin en 1993. Par conséquent, l’observation du conseil selon laquelle Israël pourrait prendre pour cible la résidence du cousin, qui jouxte la résidence des demandeurs, est hypothétique.

[33] Selon mon examen des éléments de preuve et du témoignage de M. Habboob, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans le résumé de la SPR des éléments de preuve ni dans ses conclusions au regard des articles 96 et 97 de la LIPR. Les motifs de la SPR pour chacune de ses conclusions sont énoncés de manière intelligible dans la décision, offrant aux demandeurs une feuille de route de son appréciation de leurs demandes d’asile.

[34] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SPR a mal interprété certains éléments de preuve, par exemple, le mariage des demandeurs adultes à Gaza, lequel, affirment-ils, a eu lieu aux ÉAU, la brève déclaration de la SPR sur la capacité des enfants d’avoir accès à des soins médicaux à Gaza, et la date à laquelle M. Habboob a été contacté par les autorités des ÉAU. Les prétendues erreurs ne sont pas des erreurs importantes susceptibles d’avoir une incidence sur la conclusion du tribunal concernant l’omission des demandeurs d’établir le bien-fondé de leurs demandes d’asile. De même, l’appréciation par la SPR de la situation aux ÉAU, lorsqu’elle est interprétée avec la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient aucun droit de retourner aux ÉAU, n’était pas déterminante dans leur cadre de leurs demandes d’asile.

[35] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[36] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6337-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6337-19

 

INTITULÉ :

OSAMA HABBOOB, SUAD HABBOUB, BARAA HABBOUB, DANA HABBOUB ET IBRAHIM HABBOUB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE Ottawa (Ontario) (la cour) ET TORONTO (ONTARIO) (les parties)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SeptembrE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

POUR LeS demandeurs

 

Christopher Araujo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LeS demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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