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Date : 20210211


Dossier : IMM-424-20

Référence : 2021 CF 142

Ottawa (Ontario), le 11 février 2021

En présence de l’honorable monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MIGUEL ANGEL SUJIA RODRIGUEZ, FABIOLA MARIBEL HERNANDEZ PALMA, ANGEL HAZIEL SUJIA HERNANDEZ, EMMANUEL SUJIA HERNANDEZ

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal est Miguel Angel Sujia Rodriguez. M. Rodriguez, sa femme Fabiola Maribel Hernandez Palma, et leurs deux enfants mineurs sont citoyens du Mexique. M. Rodriguez rapporte qu’il est la cible d’extorsion de la part des membres d’un cartel mexicain.

[2] La Section de la protection des réfugiés [SPR] a trouvé que le témoignage de M. Rodriguez n’était pas crédible et a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La Section d’appel des réfugiés [SAR] a confirmé la décision de la SPR. Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3] Le 9 décembre 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR car elle a trouvé que le témoignage du demandeur principal n’était pas crédible. Les demandeurs contestent que la décision de la SAR est déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’en suis venu à la conclusion que la présente demande doit être rejetée.

II. Le contexte

[5] M. Rodriguez déclare qu’il travaillait à un hôtel familial à la mi-décembre 2016 lorsqu’il a constaté que certains individus surveillaient l’hôtel. Ces individus se sont identifiés comme étant membres d’un cartel et ils l’ont informé que les employés de l’hôtel allaient devenir victimes d’extorsion.

[6] M. Rodriguez rapporte que les membres du cartel ont tenté d’obtenir les fonds extorqués lors d’une visite à l’hôtel le 6 janvier 2017. M. Rodriguez dit avoir été menacé par ces individus après les avoir informés qu’il n’avait pas l’argent exigé. Le 10 janvier 2017, les membres du cartel ont visité l’hôtel de nouveau. Encore une fois, M. Rodriguez n’avait pas l’argent demandé. M. Rodriguez rapporte que les membres du cartel l’ont physiquement agressé et ont augmenté le montant d’argent qu’ils lui demandaient.

[7] Après cet incident, M. Rodriguez a acheté des billets d’avion pour son épouse et son fils cadet. Ces deux ont quitté le Mexique pour le Canada le 14 janvier 2017. M. Rodriguez est arrivé au Canada avec son autre fils le 28 janvier 2017.

[8] En février 2017, M. Rodriguez a été avisé que la police mexicaine avait appréhendé des membres d’un groupe criminel. Il est donc retourné au Mexique le 17 février 2017 avec son fils aîné. Néanmoins, l’extorsion s’est poursuivie. M. Rodriguez a déposé une plainte à la police malgré sa croyance que les membres du cartel avaient infiltré le service de police. Il rapporte qu’après avoir porté plainte à la police, lui et sa famille ont été menacés de mort et ils se sont enfui dans une autre ville où les membres du cartel ont été capables de les retrouver. En mai 2017, pour une deuxième fois, M. Rodriguez et son fils aîné ont quitté le Mexique pour le Canada, où ils ont demandé l’asile.

III. La décision visée par le contrôle judiciaire

[9] La SAR a identifié la crédibilité comme la question déterminante. La SAR a détaillé de nombreuses incohérences découlant du récit de M. Rodriguez et a détaillé ses préoccupations concernant ces incohérences, notamment :

  1. l’incohérence que le demandeur principal soit parti du Mexique deux semaines après sa femme. La SAR a noté que l’explication de M. Rodriguez lors de l’audience devant la SPR était différente de celle dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile. La SAR a conclu que l’explication offerte lors de l’audience—qu’il a voulu vérifier si les menaces étaient sérieuses—était déraisonnable à la lumière du fait qu’il avait déjà été battu;

  2. l’incohérence de retourner au Mexique le 17 février 2017 malgré le fait que les membres du groupe criminel qui ont été appréhendés par la police n’étaient pas membres du même cartel qui le menaçait. La SAR a reconnu l’allégation de M. Rodriguez selon laquelle le groupe criminel était une cellule du cartel, mais a néanmoins noté que « l’identification de cette cellule n’apparaît nulle part »; et

  3. l’incohérence entre le fait de n’avoir porté aucune plainte à la police pour une agression physique importante, mais d’avoir porté plainte à la police pour un crime moins grave malgré le fait qu’il doutait que les individus responsables auraient infiltré le service de police.

[10] La SAR a conclu que la concordance de plusieurs faits dans le témoignage avec la preuve documentaire n’était pas suffisante pour surmonter les autres contradictions identifiées.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[11] Il n’y a qu’une question en litige à résoudre dans cette demande : en confirmant la décision de la SPR et en rejetant l’appel des demandeurs, la SAR a-t-elle rendu une décision déraisonnable?

[12] La norme de contrôle applicable pour une décision de la SAR par rapport à la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 33, 53 [Vavilov]; Keqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 563 aux para 13-15).

[13] La décision sera raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

V. Question préliminaire

[14] Dans la demande d’autorisation et la demande de contrôle judiciaire, l’intitulé nomme les demandeurs: « Miguel Angel Suija Rodriguez, Fabiola Maribel Hernandez Palma, Angel Haziel Suija Hernandez, Emmanuel Suija Hernandez ». Les noms indiqués comportent des fautes d’orthographe. Il faut donc modifier l’intitulé pour que les noms des demandeurs soient écrits correctement, comme suit : « Miguel Angel Sujia Rodriguez, Fabiola Maribel Hernandez Palma, Angel Haziel Sujia Hernandez, Emmanuel Sujia Hernandez ».

VI. Analyse

[15] Les demandeurs allèguent que la SAR a déraisonnablement évalué leur crédibilité dans trois instances.

[16] Premièrement, les demandeurs soumettent qu’il était déraisonnable de conclure que le fait que M. Rodriguez a quitté le Mexique deux semaines après sa femme a endommagé la crédibilité des demandeurs parce ce que durant ces deux semaines, il a travaillé à distance et a changé son itinéraire.

[17] Les demandeurs s’appuient sur la décision du juge James Russell dans Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547 [Gebremichael] pour faire valoir cet argument. Cependant, dans ce cas, Gebremichael est d’une utilité limitée. Bien qu’un délai pour fuir la persécution soit souvent justifié lorsqu’un demandeur d’asile se cache, un décideur peut expliquer pourquoi une inférence négative est néanmoins tirée (Gebremichael au para 44). Dans ce cas, la SAR a expliqué en détail ses raisons pour avoir tiré une inférence négative. La SAR a cité la preuve documentaire qui démontrait clairement le danger que représentaient les prétendus agents de persécution et a noté que, face à cette preuve, l’explication de M. Rodriguez de rester au Mexique—de s’assurer que ces agents de persécution souhaitaient sérieusement lui faire du mal—était incompatible avec cette preuve. La conclusion négative de crédibilité de la SAR dans ce cas n’était pas déraisonnable.

[18] Deuxièmement, les demandeurs avancent la notion qu’il était déraisonnable de conclure que leur retour au Mexique le 17 février 2017 a miné leur crédibilité. Les demandeurs soumettent que la SAR n’a pas considéré le fait que M. Rodriguez s’occupait toujours de ses affaires au Mexique lorsqu’il était au Canada et qu’il croyait, à bon droit, que les agents de persécution avaient été arrêtés par la police. Les demandeurs allèguent que le retour de M. Rodriguez, dans ces circonstances, n’était pas incompatible avec la crainte subjective.

[19] Cependant, la loi est claire : le retour volontaire au pays d’origine est incompatible avec la crainte subjective (Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273 au para 20; Milovic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1008 au para 11). La SAR a bien expliqué pourquoi elle n’a pas accepté l’explication de M. Rodriguez quant à son retour au Mexique—une croyance que les agents de persécution avaient été arrêtés. M. Rodriguez peut être en désaccord avec cette conclusion, mais elle n’est pas incompatible avec la preuve. La conclusion de la SAR à cet égard en est une dont il était raisonnablement possible de tirer.

[20] Finalement les demandeurs soumettent que le dépôt tardif d’une plainte à la police n’est pas incompatible avec la crainte subjective car le demandeur principal pensait que les extorsions s’arrêteraient suite aux arrestations.

[21] Il est bien établi dans la jurisprudence que le délai pour demander la protection de la police donne le tribunal une cause pour douter de la crédibilité d’une allégation de crainte subjective (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 134 au para 10). Sans savoir pourquoi M. Rodriguez n’a pas déposé une plainte à la police suite à l’incident du 10 janvier 2017, lors duquel il a été physiquement agressé, je n’observe aucune faute à la conclusion de la SAR.

[22] Les divergences et contradictions dans les éléments de preuve soumis et le délai à avoir demandé la protection de la police sont des éléments pertinents pouvant fonder une conclusion d’absence de crédibilité. La décision de la SAR est raisonnable en ce qu’elle est basée sur une méthode d’analyse rationnelle et cohérente, justifiée au regard des faits et du droit.

VII. Conclusion

[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question d’importance générale pour la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-424-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est modifié pour corriger les noms appropriés suivants : MIGUEL ANGEL SUJIA RODRIGUEZ, ANGEL HAZIEL SUJIA HERNANDEZ et EMMANUEL SUJIA HERNANDEZ; et

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-424-20

 

INTITULÉ :

MIGUEL ANGEL SUJIA RODRIGUEZ, FABIOLA MARIBEL HERNANDEZ PALMA, ANGEL HAZIEL SUJIA HERNANDEZ, EMMANUEL SUJIA HERNANDEZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE entre ottawa (ontario) et Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 décembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 fÉvrier

 

COMPARUTIONS :

Sophie Touchette

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Lisa Maziade

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barraza & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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