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Date : 20210325


Dossier : IMM-115-20

Référence : 2021 CF 260

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2021

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

JOHN ADEKUNLE LAWLAD

CHRISTIANA MODUPEOLUWA LAWLAD, ENOCH TOLUWALASE LAWLAD

EZEKIEL OLUWATIMILEHIN LAWLAD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience par vidéoconférence

à Ottawa (Ontario) le 12 janvier 2021)

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 18 décembre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a rejeté l’appel des demandeurs au motif qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [une PRI] viable à Port Harcourt ou à Abuja, au Nigéria.

[2] Les demandeurs sont les quatre membres d’une famille originaire du Nigéria composée du mari [le demandeur principal], de sa femme et de leurs deux enfants mineurs. Ils ont tous la citoyenneté nigérienne.

[3] Avant de quitter le Nigéria, la famille vivait à Lagos, où le demandeur principal et sa femme exploitaient une usine de transformation de la viande.

[4] Les demandeurs ont quitté le Nigéria à la suite d’un incident qui a entraîné la destruction de leur usine. Un groupe sectaire violent, la secte Badoo, terrorisait la population en commettant des meurtres dans le quartier de Lagos où les demandeurs habitaient. Le 20 août 2017, un groupe de justiciers, qui cherchaient à se venger, a aspergé d’essence plusieurs membres de la secte et les a mis en feu. Les membres de la secte Badoo, toujours en feu, se sont réfugiés dans l’usine des demandeurs, ce qui a déclenché un incendie dans l’immeuble, qui fut réduit en cendres.

[5] Par la suite, le demandeur principal a signalé à la police les noms des personnes qui, selon les rumeurs qu’il avait entendues, commanditaient la secte. Pour cette raison, il a reçu des menaces de mort.

[6] En novembre 2017, en raison des menaces, les demandeurs ont déménagé dans l’État d’Osun, où la famille du demandeur principal se trouvait. L’État d’Osun est situé à cinq heures de route de Lagos. Bien que les menaces aient continué, il n’est rien arrivé à la famille dans l’État d’Osun pendant les trois mois où ils y étaient.

[7] Les demandeurs ont quitté le Nigéria pour les États‑Unis en janvier 2018. Ils sont restés un mois à Philadelphie où résidaient des amis qui fréquentaient leur église au Nigéria. Ils se sont rendus au Canada et ils ont demandé l’asile le 19 février 2018. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leurs demandes en raison d’un manque de crédibilité.

I. Décision de la SAR

[8] Cependant, la membre de la SAR a rejeté l’évaluation défavorable de la SPR quant à la crédibilité et elle a plutôt conclu que, bien que la secte Badoo puisse représenter une menace pour les demandeurs dans la région de Lagos, ceux‑ci disposaient d’une PRI à Port Harcourt ou à Abuja.

[9] La membre de la SAR ne croyait pas que la secte Badoo ou ses commanditaires avaient une raison de vouloir retrouver les demandeurs dans les PRI proposées ou la capacité de le faire. La membre a conclu que la preuve documentaire était « très générale » et qu’elle ne permettait pas d’établir que la secte Badoo était active à l’extérieur de Lagos. Par ailleurs, le fait que l’usine des demandeurs ait été détruite par hasard et non parce qu’elle était ciblée par la secte laissait entendre à la membre de la SAR qu’il était peu probable que les demandeurs continuent d’être attaqués à l’extérieur de Lagos.

[10] La membre de la SAR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir que les circonstances ayant cours dans les villes proposées comme PRI étaient objectivement déraisonnables ou trop sévères. La membre a signalé diverses préoccupations soulevées par les demandeurs, y compris le coût de la vie, la capacité de trouver du logement et les perspectives d’emploi. Les demandeurs ont également soulevé la question de l’absence de filets de sécurité sociale et le fait qu’ils n’ont pas de famille dans les villes proposées comme PRI. Ils ont soulevé les questions de l’identité autochtone et de l’accessibilité des soins de santé. Toutes ces préoccupations ont été rejetées.

[11] En concluant que les PRI étaient raisonnables, la membre a tenu compte du guide jurisprudentiel [le guide] pour le Nigéria, qui a depuis été révoqué. Elle a conclu que la langue et la religion ne constituaient pas un obstacle et, lorsqu’elle a examiné les perspectives d’emploi, elle a souligné que les niveaux de scolarité du demandeur principal et de sa femme sont supérieurs à la moyenne et qu’ils possèdent les compétences nécessaires pour s’adapter et trouver de nouveaux emplois. L’observation concernant l’accès du mari à une médication adéquate a été rejetée, puisque l’article 97 de la LIPR ne permet pas d’invoquer la question de l’accès aux soins de santé.

II. Questions en litige

[12] Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. Le recours au guide : La SAR aurait‑elle dû s’appuyer sur le guide?

  2. La SAR a‑t‑elle demandé que soit corroborée la preuve relative aux menaces proférées dans l’État d’Osun?

  3. Le caractère raisonnable de l’analyse de la PRI. En particulier, l’analyse était‑elle raisonnable compte tenu de l’état de santé du mari et de l’absence d’analyse quant à la capacité des commanditaires à retrouver les demandeurs?

[13] Le guide sur lequel s’est appuyée la membre de la SAR a été révoqué en avril 2020. Les demandeurs ont reproché à la SAR d’y avoir recouru, mais ils n’ont pas signalé de renseignements désuets ou contredits par les documents relatifs à la situation au pays au moment où la membre l’a examiné. Dans ces circonstances, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable pour la membre de s’appuyer sur le guide dans son évaluation des circonstances propres aux demandeurs.

[14] La membre de la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que la secte Badoo ou ses commanditaires avaient la motivation ou la capacité de les retrouver à Port Harbour ou à Abuja. Elle s’est appuyée sur le fait que la secte était seulement active à Lagos, et qu’elle l’a principalement été en 2017. De plus, ce n’était pas les demandeurs qui étaient ciblés lorsque leur usine a été détruite; il s’agissait d’un accident. La SAR a établi que la preuve relative aux menaces proférées dans l’État d’Osun ne constituait pas une indication particulièrement importante quant à l’influence de la secte, puisque cet État se trouve à seulement cinq heures de route de Lagos et que la famille du mari s’y trouvait. Par conséquent, il était évident qu’ils choisissent d’y déménager. De plus, les demandeurs n’ont subi aucun préjudice au cours des trois mois qu’ils ont passés dans l’État d’Osun et la secte n’a communiqué avec aucun membre de leur famille depuis leur départ. Cette situation laisse croire qu’ils ne sont pas recherchés.

[15] Les demandeurs reprochent à la SAR d’avoir laissé entendre qu’ils devaient corroborer la preuve relative aux menaces qu’ils ont reçues dans l’État d’Osun. Je conclus que la fin du paragraphe 43 de la décision de la membre de la SAR manque de clarté. Une exigence de corroboration, si c’est de cela qu’il est question dans ce passage, semble déraisonnable en l’absence de conclusion défavorable quant à la crédibilité. Cependant, j’ai conclu que ce passage ambigu n’était pas déterminant, puisque la membre de la SAR a aussi examiné la question de savoir si d’autres membres de la famille dans l’État d’Osun avaient reçu des menaces à la suite du départ des demandeurs. Cela laisse entendre qu’elle a admis la preuve relative aux menaces.

[16] En raison de ses problèmes de santé, le mari pourrait être incapable de travailler à cause de l’indisponibilité des médicaments dont il a besoin. Les demandeurs affirment que la SAR aurait dû tenir compte de ce facteur lorsqu’elle a examiné le caractère raisonnable de la PRI. Je ne suis pas convaincue par cette observation, puisque je conclus que la nature du problème de santé était trop hypothétique pour être véritablement prise en compte.

[17] Le problème entourant les conjonctures a aussi un effet sur le rôle potentiel des commanditaires. La SAR ne disposait d’aucune information relative à leurs noms, à leurs postes ou à leurs réseaux, et elle n’était pas en mesure de déterminer s’ils pourraient retrouver les demandeurs dans les PRI.

[18] À mon avis, l’analyse approfondie de la SAR visant à établir si Port Harcourt et Abuja constituaient des PRI raisonnables était raisonnable. L’ensemble des facteurs pertinents pouvant être pris en compte ont été examinés.

III. Certification

[19] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.

IV. Conclusion

[20] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-115-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-115-20

INTITULÉ :

JOHN ADEKUNLE LAWLAD, CHRISTIANA MODUPEOLUWA LAWLAD, ENOCH TOLUWALASE LAWLAD, EZEKIEL OLUWATIMILEHIN LAWLAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2021

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

POUR LES DEMANDEURS

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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