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Date : 20020723

Dossier : T-1672-01

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2002.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN (membre de droit)

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

                                                                              - et -

                                                                                   

                                                       INDRA PRASHAR GAUTAMA

                                                                                                                                                            intimée

                                                                     ORDONNANCE

L'appel est accueilli, la décision du juge de la citoyenneté est annulée et la demande de citoyenneté de l'intimée est rejetée.

                                                                                                                                    « Marshall Rothstein »             

                                                                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 20020723

Dossier : T-1672-01

Référence neutre : 2002 CFPI 813

ENTRE :                                  

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

     

- et -

                                                                                   

                                                       INDRA PRASHAR GAUTAMA

                                                                                                                                               intimée

                                                                                   

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN (membre de droit)

[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration d'une décision rendue par un juge de la citoyenneté par laquelle l'intimée s'est vu décerner la citoyenneté canadienne. L'appel se fonde sur l'omission du juge de la citoyenneté d'appliquer le critère énoncé dans l'affaire Koo (Re) (1re inst.), [1993] 1 C.F. 286, aux faits de la présente instance.


[2]                 La norme de contrôle applicable aux décisions rendues par un juge de la citoyenneté est énoncée dans l'affaire Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177. Le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint) y déclarait, au paragraphe 33 :

La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyennetédurant la période de transition. [Caractères gras dans l'original.]

[3]                 Les motifs qu'a donnés le juge de la citoyenneté sont consignés sur ce qui paraît être un formulaire préimprimé sur lequel figurent les questions énoncées dans l'affaire Koo (Re), alors que les réponses du juge à ces questions sont inscrites à la main dans l'espace prévu sous chacune des questions. Ce type de décision est pour le moins inhabituel.

[4]                 La première des six questions est la suivante :

(1)           la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

La réponse du juge de la citoyenneté est formulée comme suit :

[TRADUCTION] Oui. Était au Canada quelque temps avant de déposer une demande de citoyenneté. 296 jours en 4 ans.


[5]                 Aucun des avocats n'a pu s'expliquer pourquoi le juge de la citoyenneté avait fait allusion à « 296 jours en 4 ans » . En fait, selon la preuve versée au dossier, l'intimée était présente au Canada pendant 518 jours au cours des quatre ans précédant sa demande de citoyenneté. Cependant, ses absences du pays se chiffraient à 942 jours.

[6]                 La réponse du juge de la citoyenneté semble indiquer qu'elle a mal interprété la question. Il est vrai que l'intimée s'est établie au Canada en 1990, environ 9 ans avant de présenter une demande de citoyenneté. Cependant, il s'agit de savoir si l'intimée est demeurée au Canada pendant une longue période de temps avant ses absences récentes du pays. Les éléments de preuve démontrent que, depuis 1990, l'intimée s'est absentée du Canada pendant de longs intervalles de temps à six occasions, soit pendant 358, 213, 170, 266, 345 et de 331 jours. Ce fut en 1992, 1993, 1994, 1996, 1998, 1999, 2000 et 2001. Ces données ne démontrent pas que l'intimée maintenait une présence physique continue au Canada avant son absence récente du pays. Elles établissent plutôt qu'au cours des neuf années précédant sa demande, l'intimée s'est absentée périodiquement du pays près de la moitié du temps. Il ne s'agit pas de la situation d'une personne physiquement présente au Canada pendant une longue période de temps avant les absences récentes qui ont immédiatement précédé le dépôt de sa demande de citoyenneté, et le juge a commis une erreur en répondant par l'affirmative à la question.

[7]                 Voici la deuxième question énoncée dans l'affaire Koo (Re) :

(2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

Le juge de la citoyenneté y a répondu de la cette façon :

[TRADUCTION] Oui. Époux & 2 fils - tous citoyens canadiens.


Le ministre ne conteste pas cette réponse.

[8]                 La troisième question est exposée comme suit :

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

Le juge de la citoyenneté a donné la réponse suivante :

[TRADUCTION] Elle et son époux vivent avec leur fils à Calgary - y reviennent toujours après leurs voyages en Inde    absente 942 jours, présente 518 jours.

[9]                 La réponse du juge ne semble pas dénoter qu'elle ait porté une attention particulière au coeur de la question, savoir l'examen de la forme de la présence physique au Canada. Dans les quatre ans précédant sa demande, l'intimée était présente pendant 518 jours, alors que ses absences se chiffraient à 942 jours. Les absences s'étalaient sur des périodes beaucoup plus longues que ses présences intermittentes. Il n'est pas raisonnable à mon avis d'affirmer que les présences intermittentes intercalées entre les longues périodes d'absence dénotent que l'intimée revient dans son pays, plutôt que n'être qu'en visite.

[10]            La quatrième question de l'affaire Koo (Re) est formulée en ces termes :

(4)           quelle est l'étendue des absences physiques (les jours d'absence du Canada en rapport avec les jours de présence au Canada)?

Le juge y a répondu en ces termes :

[TRADUCTION] Présente 518 jours. Absente 942 jours.


[11]            En fait, la quatrième question de l'affaire Koo (Re), énoncée au paragraphe 10, aurait dû être la suivante :

(4)           quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

[12]            Le juge de la citoyenneté a simplement inscrit dans sa réponse les jours de présence et les jours d'absence. Elle a fait fi de l'importance de l'étendue des absences, ce à quoi la question faisait référence. Il va de soi qu'il ne manque pas à l'intimée seulement quelques jours pour atteindre le seuil requis.

[13]            Voici la cinquième question :

(5)           l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

À en juger des mots introductifs de la réponse du juge, les absences étaient temporaires, mais le reste de la réponse indique que les absences physiques ne relevaient pas d'une situation temporaire. Voici sa réponse :

[TRADUCTION] Oui. Absence temporaire. Elle et son époux sont retournés en Inde pour reprendre possession de leur biens. Tous les voyages en Inde visaient cet objectif. Ils ont été payés pour certains biens, mais la question n'a pas encore été réglée en ce qui concerne d'autres biens.


[14]            La raison pour les absences de l'intimée tient apparemment à la difficulté de disposer des biens de son époux. Ces difficultés subsistent encore. C'est pour cette raison que l'intimée s'est absentée à six occasions pendant de longues périodes de temps en neuf ans et, encore aujourd'hui, ces difficultés existent toujours. On ne peut prétendre que les absences physiques en l'espèce soient manifestement à caractère temporaire.

[15]            La sixième question est énoncée comme suit :

(6)           quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

Voici la réponse qu'a donnée le juge :

[TRADUCTION] Les membres de sa famille immédiate sont tous citoyens canadiens.

[16]            La réponse comme telle se fonde sur les éléments de preuve. Cependant, l'intimée n'a produit aucun élément de preuve pour démontrer qu'elle se soit efforcée de quelque façon que ce soit de se canadianiser. Elle possède une carte d'assurance-santé et de bibliothèque mais, comme le prétend le ministre, ces cartes ne témoignent que d'un rôle tout au plus passif. Aucun élément de preuve n'établit que l'intimée ait activement participé à une organisation canadienne, pas plus qu'elle se soit efforcée d'apprendre l'anglais ou le français.


[17]            En l'occurrence, il appert que le juge de la citoyenneté ait accordé une très grande importance au fait que les membres de la famille immédiate de l'intimée étaient citoyens canadiens. Je conviens qu'il s'agit là d'une considération pertinente. Cependant, il s'agit de savoir si l'intimée a centralisé son mode de vie au Canada. Ses absences prolongées et récurrentes, leur caractère continu ainsi que l'absence de tout autre élément de preuve de l'intégration de l'intimée à la communauté canadienne doivent militer fortement à l'encontre de l'octroi de la citoyenneté canadienne. Le juge de la citoyenneté ne paraît pas avoir tenu compte de ces considérations.

[18]            En toute déférence pour l'opinion contraire, je suis d'avis que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l'application des critères énoncés dans l'affaire Koo (Re). Si elle les avait bien appliqués, elle aurait conclu que l'intimée ne satisfaisait pas au critère en matière de présence physique au Canada.

[19]            Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler la décision du juge de la citoyenneté et de rejeter la demande de citoyenneté de l'intimée, sans qu'il ne soit porté atteinte à son droit de présenter une nouvelle demande.

                                                                                 « Marshall Rothstein »            

                                                                                                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                 T-1672-01

INTITULÉ :              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION       

appelant

- et -

INDRA PRASHAR GAUTAMA

intimée

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 11 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :LE JUGE ROTHSTEIN (membre de droit)

DATE DES MOTIFS :                                     Le 23 juillet 2002

COMPARUTIONS :                                        Mme Kerry A. Franklin

                                                                             Pour l'appelant

M. Ravinder (Rob) Bagga                        Pour l'intimée

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  Pour l'appelant

M. Ravinder (Rob) Bagga                                                

Calgary (Alberta)                                                  Pour l'intimée

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