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Date : 20030124

Dossier : T-192-98

Référence neutre : 2003 CFPI 79

ENTRE :

RADIL BROS. FISHING CO. LTD.

                                                                                                                        demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

représentée par le DIRECTEUR GÉNÉRAL

DU MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, RÉGION

DU PACIFIQUE et BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED

et TITAN FISHING LTD.

                                                                                                                              défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                La présente action vise l'obtention d'un jugement déclaratoire à l'égard du transfert d'un permis de pêche qui serait censément allé de travers, de sorte que la demanderesse a perdu son contingent de poisson de fond.

[2]                La Couronne défenderesse, représentée par le ministère des Pêches et des Océans, cherche à faire radier la déclaration dans son ensemble pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable, qu'elle constitue autrement un abus de procédure, que la réparation demandée ne relève pas de la compétence de la Cour et que, de toute façon, cette réparation n'a plus qu'un intérêt théorique. Titan Fishing Ltd., qui a un intérêt dévolu quant au résultat, a pleinement appuyé la Couronne et a soumis de nombreux arguments additionnels. Le fait qu'il s'agit de la troisième contestation du document introductif d'instance de la demanderesse vient compliquer les choses : il convient d'exposer dans une certaine mesure les faits.

HISTORIQUE

[3]                La présente instance a commencé le 4 février 1998 en tant que demande de contrôle judiciaire visant l'obtention d'une ordonnance de mandamus et d'un jugement déclaratoire, la demanderesse ayant relativement récemment été mise au courant des ramifications découlant de la façon dont un permis avait été transféré par le service responsable de la délivrance des permis au sein du ministère des Pêches et des Océans, que j'appellerai le MPO.


[4]                Titan Fishing Ltd. (Titan Fishing), à un stade antérieur, avait cherché à faire radier la procédure de contrôle judiciaire pour le motif qu'elle constituait un abus de procédure, la demande étant qualifiée de contestation accessoire relative au transfert d'un permis effectué par le MPO. Même si la procédure se rapportait à une opération conclue en 1993, M. le juge Campbell a refusé de radier cette procédure en se fondant sur le fait qu'il y avait abus de procédure, mais il a transformé la demande en une action. J'aimerais ici faire remarquer que l'avocat de la Couronne était présent. Selon les procès-verbaux établis par le greffier, des arguments ont été soumis au sujet de la question de l'abus de procédure, mais l'avocat de la Couronne n'a pas pris position si ce n'est pour dire que, si la procédure n'était pas radiée pour le motif qu'il y avait abus, il lui serait loisible de présenter une nouvelle demande portant sur le même point. À coup sûr, l'argument fondé sur l'abus n'a eu aucun succès. De plus, il n'était certes pas question de permettre à la Couronne de tenter encore une fois de convaincre la Cour que la procédure constituait un abus.


[5]                La contestation d'actes de procédure ne devrait pas être faite de façon fragmentée, de sorte qu'une partie ferait face avec le temps à un certain nombre de contestations essentiellement similaires. Si, avec une diligence raisonnable, l'argument fondé sur l'abus, ou de fait toute autre contestation des actes de procédure, pouvait être avancé par la Couronne à l'audience du mois de février 1998, ce qui était clairement ici le cas, la Couronne ne devrait pas pouvoir invoquer l'argument dans le cadre d'une audience subséquente : voir d'une façon générale le principe de l'irrecevabilité pour cause de chose jugée (estoppel by record) énoncé dans la décision Borley c. Commission du port de Fraser (1995), 92 F.T.R. 275, à la page 279 et aux pages suivantes, ainsi que les décisions Ruby Trading et Windsurfing, sur lesquelles je reviendrai bientôt. Bien sûr, cela ne s'appliquerait pas uniquement aux arguments fondés sur l'abus et sur l'absence d'une cause d'action valable qui seraient invoqués à la suite d'une modification subséquente de la demande.

[6]                La déclaration, qui découle de la transformation de l'instance en une action, a été déposée le 24 mars 1998. Dans la défense qu'elle a déposée le 1er mai 1998, la Couronne conclut en disant que l'action [TRADUCTION] « [...] ne révèle aucune cause d'action valable, [qu']elle est frivole ou vexatoire ou [qu']elle constitue autrement un abus de procédure et [qu']elle devrait être radiée » . Il s'agissait donc d'un cas dans lequel l'instance engagée par la demanderesse, qui avait survécu à une requête en radiation fondée sur un abus, était de nouveau qualifiée d'abus par un défendeur.


[7]                Le 30 novembre 1998, M. le juge Rouleau a examiné une requête présentée par Titan Fishing en vue de l'obtention d'un jugement sommaire rejetant les parties de la demande la concernant et concernant la Couronne dans lesquelles un jugement déclaratoire était demandé. Cela n'allait pas nécessairement à l'encontre du principe voulant qu'une partie ne devrait avoir qu'une seule possibilité de faire radier les actes de procédure de la partie adverse, principe mentionné dans la décision Ruby Trading S.A. c. Parsons (2000), 194 F.T.R. 103, à la page 107; voir également Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc. (1987), 15 F.T.R. 302, aux pages 305 et 306, où M. le juge en chef adjoint Jerome a mentionné la règle générale voulant qu'une partie ne devrait avoir qu'une seule possibilité de contester les actes de procédure de la partie adverse à moins qu'il n'existe des circonstances spéciales, notamment une modification. Cette deuxième approche adoptée par Titan Fishing à l'égard de la contestation de la demande était tout à fait différente. En passant, je tiens également à faire remarquer qu'en plaidant l'avis initial de demande en tant que déclaration, la demanderesse avait ajouté une demande en vue d'obtenir des dommages-intérêts à l'encontre de la Couronne. En 1998, Titan Fishing n'a pas réussi à obtenir un jugement sommaire, mais elle a réussi à faire radier toute la demande de réparation, avec autorisation de la modifier.


[8]                Sont pertinents, aux fins de la présente requête, les arguments que la Couronne a invoqués à l'appui de la requête en jugement sommaire présentée en 1998 par Titan Fishing, lesquels portaient notamment sur l'absence de droit de renouvellement, les permis de pêche étant uniquement valides pour un an; sur le fait que le pouvoir discrétionnaire ministériel ne peut pas être exercé au moyen d'un jugement déclaratoire de la Cour; et que la réparation demandée par la demanderesse, puisqu'il ne s'agissait pas d'un jugement déclaratoire portant sur un droit, mais d'un jugement déclaratoire portant sur le caractère licite d'une conduite passée, ne pouvait pas être accordée et qu'il ne convenait pas de l'accorder. La Couronne a ensuite résumé la situation en disant que la demande visant l'obtention d'un jugement déclaratoire n'était pas défendable et qu'il n'y avait donc pas de question réelle à trancher. En refusant d'accorder les réparations demandées dans la requête dans leur ensemble et en concluant qu'il existait une véritable question à trancher, le juge Rouleau a également dit qu'il ne souscrivait pas à l'avis selon lequel la réparation demandée était prescrite. La seule réparation que le juge a accordée se rapportait à la radiation de la demande de réparation pour le motif que le fait qu'une demande de contrôle judiciaire était transformée en une action ne permettait pas à une partie de demander une nouvelle réparation ou une réparation additionnelle. La décision Bande indienne de Shubenacadia c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2001), 202 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.), a peut-être supplanté l'avis exprimé au sujet de la réparation additionnelle, mais telle n'est pas la question qui se pose en l'espèce. Par conséquent, la déclaration modifiée, qui a subséquemment été déposée, se rapportait à une réparation de la nature d'un jugement déclaratoire, réparation qui était clairement en cause, puisque le juge Rouleau n'était pas prêt à radier cette réparation.

[9]                De toute évidence, le juge Rouleau a implicitement conclu que la déclaration, telle qu'elle était libellée, sans la demande de dommages-intérêts toutefois, renfermait une question réelle à trancher. En d'autres termes, un jugement sommaire sera rendu lorsque le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée plus à fond et je mentionnerai ici la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A. (1996), 111 F.T.R. 189, à la page 193 (C.F. 1re inst.), approuvée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd. (2001), 199 F.T.R. 319. Une demande qui survit à une demande de jugement sommaire n'est certes pas une demande qui sera nettement, manifestement et indubitablement rejetée. Pareille demande n'est pas susceptible d'être radiée, d'autant plus lorsque la partie qui demande la radiation ne peut invoquer contre la demande rien de plus que les arguments et la jurisprudence sur lesquels elle s'est fondée dans une demande antérieure de jugement sommaire.


[10]            Comme il en a été fait mention, une déclaration qui a été modifiée de façon à être conforme à l'ordonnance rendue par le juge Rouleau le 30 novembre 1998 a été déposée le 18 décembre 1998. Deux ans plus tard, le 29 janvier 2000, la Couronne a demandé la radiation de la déclaration modifiée, requête qui a été entendue aux mois de mars et d'avril 2001.

ANALYSE

La requête ici en cause

[11]            La requête de la Couronne, telle qu'il en est fait mention dans l'avis de requête, vise la radiation de l'avis initial de demande du 4 février 1998 et de la déclaration modifiée déposée le 18 décembre 1998, cette dernière comportant une modification de la réparation, de façon à être conforme à l'ordonnance du juge Rouleau. Toutefois, l'avocat a également traité d'une gamme de modifications proposées qui, si elles n'avaient pas été prises en considération dans le cadre de la requête en radiation auraient été prises en considération dans le cadre d'une requête subséquente visant à faire modifier encore une fois la déclaration. Par conséquent, pour des raisons pratiques, j'examinerai avec les avocats le projet de déclaration modifiée encore une fois qui a été présenté à la Cour au moyen de la requête en modification que la demanderesse a présentée le 21 février 2001.


Portée de la requête ici en cause

[12]            La requête en radiation de la Couronne est fondée sur les moyens ci-après énoncés :

a)              l'acte de procédure est clairement inapproprié et dépourvu de toute possibilité de succès, il ne révèle aucune cause d'action valable et il constitue autrement un abus de procédure étant donné qu'il ne conviendrait pas que la Cour accorde la réparation sollicitée par la demanderesse, car cela équivaudrait :

(i)             à l'exercice irrégulier par la Cour d'une compétence qu'elle ne possède pas;

(ii)            à l'usurpation illégitime par la Cour de la compétence conférée au ministre des Pêches et des Océans par le législateur fédéral; et

(iii)           à l'absence de question justiciable dans les actes de procédure.

[...]

b)              la réparation demandée n'est pas un jugement déclaratoire portant sur un droit, mais un jugement déclaratoire relatif à une conduite passée, réparation qui ne peut être accordée et qu'il ne convient pas d'accorder; et

c)              la réparation sollicitée n'a de toute façon qu'un intérêt théorique.


En lisant les moyens énoncés dans l'avis de requête, je remarque immédiatement qu'ils sont semblables à ce qui est énoncé dans les arguments écrits présentés devant le juge Rouleau en 1998. La Couronne a alors présenté divers arguments qui ont mené à la conclusion selon laquelle, puisque le ministre des Pêches et des Océans avait exercé une compétence purement discrétionnaire, la Cour ne pouvait pas y substituer une autre décision au moyen d'un jugement déclaratoire; que le jugement déclaratoire sollicité par la demanderesse soulevait des questions qui n'étaient pas justiciables; qu'aucun jugement déclaratoire ne pouvait être accordé pour une conduite passée; et qu'aucune réparation ne pouvait se rapporter à un permis de pêche qui était expiré puisque la doctrine de la question purement théorique s'appliquait. Fait intéressant, l'article et toutes les décisions, sauf une, sur lesquelles la Couronne s'est fondée dans la requête de 1998 sont encore une fois invoqués par la Couronne dans la présente requête, qui a été entendue aux mois de mars et d'avril 2001. Toutefois, à vrai dire, la liste de décisions actuelle est plus longue; cependant, sauf dans deux cas, les décisions ajoutées existaient déjà en 1998. La Couronne fait également mention du décès de son principal témoin, qui était chef du service de délivrance des permis pour le MPO en Colombie-Britannique, M. Brownlee. Toutefois, cette personne est décédée en 1993, bien avant l'introduction de l'action ici en cause; en outre, la perte de ce témoin semble également constituer une perte pour la demanderesse.

[13]            Dans ses documents, la Couronne ne présente aucune excuse lorsqu'il s'agit de revenir sur la question de la radiation de la procédure fondée sur les mêmes moyens que ceux que le juge Rouleau a rejetés.


[14]            La Couronne concède qu'en général, compte tenu des chefs énoncés aux alinéas 221(1)b) à f), portant d'une façon générale sur les actes de procédure abusifs, aucune demande de radiation ne peut être présentée une fois qu'un acte de procédure a été déposé en réponse : Proctor and Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364 (C.A.F.), à la page 366. Bien sûr, l'arrêt Nabisco permet encore de demander la radiation d'une modification et la radiation d'une déclaration qui, comme la défenderesse le soutient dans sa défense, constitue autrement un abus en violation de l'article 221 des Règles.

Contestations multiples d'un acte de procédure

[15]            La Couronne soutient que c'est la première fois que les actes de procédure ont été contestés. Cela va à l'encontre des requêtes présentées par Titan Fishing à l'égard desquelles la Couronne, du moins dans un cas, a soumis un argument pertinent qui a entraîné la radiation de la demande de réparation seulement. Je ne suis pas prêt à couper les cheveux en quatre pour le motif que Titan Fishing a tenté d'obtenir un jugement sommaire, quoiqu'en invoquant des moyens similaires, et qu'elle a peut-être uniquement réussi à faire radier la demande de réparation parce qu'il s'agissait en fait de la substance d'une requête. Comme je l'ai souligné, on ne peut pas faire radier la demande qui survit à une demande de jugement sommaire et a fortiori on ne saurait la faire radier en se fondant sur des décisions et arguments similaires.


[16]            Étant donné les contestations antérieures dont ont fait l'objet les actes de procédure, auxquelles la Couronne a pleinement participé au moins une fois, la Couronne présentant maintenant une contestation similaire, et compte tenu des ordonnances rendues par le juge Campbell et par le juge Rouleau ainsi que du droit énoncé dans les décisions Borley, Ruby Trading et Windsurfing, précitées, je puis uniquement à juste titre envisager de rejeter, dans le contexte de la radiation, les modifications les plus récentes apportées à la déclaration, telles qu'elles sont jointes à la requête du 20 février 2001 de la demanderesse, que j'appellerai la déclaration de 2001.

Modifications mentionnées dans la déclaration de 2001

[17]            La déclaration de 2001 ajoute le ministre des Pêches et des Océans, à titre d'autorité chargée de délivrer les permis de pêche ou d'autoriser la délivrance des permis de pêche. C'est ce qui est énoncé au paragraphe 2 de la déclaration, ce à quoi le MPO ne s'oppose pas.

[18]            Le paragraphe 10 traite du rôle de BC Packers, en sa qualité d'agent de la demanderesse. BC Packers est déjà mentionnée dans la déclaration. En effet, le paragraphe 10 ajoute certaines précisions, en traitant du rôle de BC Packers, mais ne renferme rien d'incompatible avec ce qui s'est déjà passé dans la présente instance, notamment en ce qui concerne le résultat des audiences tenues par les juges Campbell et Rouleau. Le paragraphe 10 est également maintenu.


[19]            À un moment donné, la demanderesse possédait un droit à l'égard du permis qui est à l'origine de la présente instance, puisqu'elle en était titulaire. La demanderesse affirme que la défenderesse lui a enlevé ce droit par l'entremise du représentant du ministre, qui disait quelque chose tout en faisant une chose tout à fait différente. Les paragraphes 16 à 20 renferment d'autres modifications se rapportant à cette allégation. Il y est énoncé que le MPO, et notamment le chef du service de délivrance des permis, M. Brownlee, a dit à BC Packers qu'il dérogerait à sa politique ou la modifierait et qu'on a permis l'échange de permis entre le navire de la demanderesse, le Seacrest, et un navire plus long, le Pacific Eagle; il est également énoncé que tous les intéressés savaient qu'un régime de pêche contingentée de poisson de fond fondé sur les prises antérieures devait être mis sur pied et que l'échange de permis n'aurait aucun effet sur les prises antérieures plus volumineuses du Seacrest. Je ne doute aucunement que quelles qu'aient été les déclarations de M. Brownlee, celui-ci parlait au nom du ministre en ce sens qu'on lui avait délégué ou transmis des pouvoirs ministériels en sa qualité de fonctionnaire responsable du ministère : voir par exemple Comeau's Sea Foods c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1977] 1 R.C.S. 12, à la page 22. Au paragraphe 21 de la déclaration de 2001, il est ensuite conclu que l'agent de la demanderesse, BC Packers, se fondait sur la garantie qui lui avait été donnée, à savoir que l'on pourrait continuer à se prévaloir des prises antérieures.


[20]            Les paragraphes 42 et 43 se rapportent également à cette série de modifications, à savoir celles dont il est question aux paragraphes 16 à 20. Des précisions y sont données au sujet de ce qui serait censément arrivé à la suite de la présentation des documents relatifs au transfert de permis compte tenu des déclarations du MPO. Au paragraphe 42, il est dit qu'au mois de mai 1998, le ministre des Pêches et des Océans a été informé que le transfert de permis avait été soumis, compte tenu de la garantie donnée par M. Brownlee, du MPO, à savoir que les prises antérieures du Seacrest continueraient à s'appliquer au navire et ne seraient pas transférées avec le permis. Le paragraphe 43 dit que le ministre des Pêches et des Océans et le directeur général du MPO, région du Pacifique, étaient au courant des circonstances dans lesquelles le transfert avait été effectué en 1993, mais qu'en 1998, en 1999 et en l'an 2000, on avait continué à calculer le contingent en fonction des prises du Pacific Eagle plutôt que des prises antérieures du Seacrest.

[21]            Cette plaidoirie relative à la modification convenue de la politique habituelle est nouvelle. Auparavant, la demanderesse avait invoqué, dans sa déclaration, un genre de droit propriétal ou un droit sur un permis de catégorie « T » ou afférent à un permis de catégorie « T » , ce qui était peut-être une idée malheureuse, mais une idée qui a néanmoins survécu à la contestation antérieure des actes de procédure. La nouvelle approche ici en cause est une approche qui, compte tenu des éléments de preuve appropriés, pourrait bien réussir, car la plaidoirie ne dépend pas d'un droit de propriété sur le permis. Il ne s'agit pas d'une plaidoirie qui peut être radiée sommairement.


[22]            En ce qui concerne la plaidoirie relative au fait que des permis ont été échangés à cause des garanties fournies par le MPO, il ne s'agit pas d'une plaidoirie qui, comme l'a soutenu l'avocat du MPO, dépend d'un certain genre d'obligation légale ou de droit légal pour ce qui est de la délivrance d'un permis. De fait, comme l'a souligné l'avocat de la Couronne, on peut chercher en vain l'existence de pareille obligation ou d'un droit légal à un permis dans la législation sur les pêches et dans la jurisprudence connexe. La plaidoirie est fondée sur une déclaration inexacte faite par négligence dans le cadre des opérations par un préposé de la Couronne, laquelle est raisonnablement défendable et, cela étant, elle est visée par la décision Hedley Byrne & Co. Ltd. c. Heller & Partners Ltd. (1964), A.C. 465 (C.L.), comme l'a expliqué M. le juge Iacobucci, de la Cour suprême, dans l'arrêt La Reine c. Cognos Inc. (1993), 99 D.L.R. (4th) 626, à la page 643 :

Les éléments requis, pour qu'il soit fait droit à une demande fondée sur l'arrêt Hedley Byrne ont été énoncés dans de nombreux arrêts, parfois sous diverses formes. Les arrêts précités de notre Cour donnent à penser qu'il existe cinq conditions générales: (1) il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l'auteur et le destinataire de la déclaration; (2) la déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse; (3) l'auteur doit avoir agi d'une manière négligente; (4) le destinataire doit s'être fié d'une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence, et (5) le fait que le destinataire s'est fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu'il doit avoir subi un préjudice.

De fait, la Couronne est peut-être fautive et la demanderesse peut avoir droit à une réparation, indiquant l'existence d'un droit, par suite de la conclusion d'une opération relative à des permis qui a mal tourné en raison d'une fausse déclaration, et je mentionnerai ici la décision Keleher c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1989), 26 F.T.R. 161, rendue par Mme le juge Reed.


[23]            Compte tenu de ce qui est énoncé dans les nouveaux paragraphes 2 et 16 à 20, de la modification apportée au paragraphe 21 et des nouveaux paragraphes 42 et 43, que je dois considérer comme étant établis en déterminant s'il existe une cause d'action valable, il est certes possible, compte tenu de la décision Hedley Byrne, précitée, de conclure qu'un préposé de la Couronne a fait une déclaration inexacte par négligence dans le cadre des opérations, laquelle pourrait donner lieu à un jugement déclaratoire, et ce, indépendamment de la loi. Par conséquent, sur cette base, ces neuf paragraphes, qui sont nouveaux ou ont été modifiés, devraient être maintenus. Toutefois, le MPO soumet des arguments qui portent sur cette conclusion.

La position de la Couronne

[24]            L'argument de la Couronne est principalement axé sur ce que, premièrement, puisque la déclaration ne vise que l'obtention d'un jugement déclaratoire, cela usurpe le rôle du ministre car, comme le soutient la défenderesse, on demande à la Cour d'agir comme si elle était le ministre; deuxièmement, il est soutenu que l'affaire n'a plus qu'un intérêt théorique puisqu'un nouveau permis est délivré chaque année de sorte que, si un demandeur ne peut mener à bonne fin une action dans l'année qui suit la date de délivrance du permis, ou l'omission de délivrer un permis, il ne peut y avoir aucune demande, l'affaire n'ayant en pratique aucune importance à cause de son caractère hypothétique et théorique. Ce dernier point, à savoir qu'un nouveau permis de pêche est délivré chaque année, est bien établi devant la Cour, mais peut-être uniquement en ne faisant aucun cas de la réalité, à savoir que les permis de pêche sont toujours de nouveau délivrés à l'ancien titulaire, à moins qu'il ne se conduise d'une façon infâme, qu'ils sont achetés et vendus sur le marché libre à des prix fort élevés et apparemment que, selon le type de permis, le contingent, établi en fonction des prises antérieures du titulaire de permis, continue à s'appliquer.


Examen de la position fondamentale de la Couronne

[25]            Le premier point, à savoir que la Cour ne peut pas ordonner au ministre de délivrer un permis de pêche, est exact. Toutefois, la Cour peut rendre des jugements déclaratoires portant sur les droits en cause, que le ministre peut suivre à son gré. Le type de jugement déclaratoire demandé est donc, sur cette base, parfaitement défendable. Toutefois, la question comporte un autre aspect.


[26]            Aux fins de la radiation d'une action, je dois considérer les faits comme s'ils étaient établis. Il se peut bien que Titan Fishing ait acquis le permis d'une façon illicite et que le ministre et le MPO n'aient pas su ce qui se passait et n'aient pas tenu compte des déclarations de M. Brownlee, du MPO, de sorte que le permis a été transféré d'une façon irrégulière. Cette analyse nous amène à l'idée selon laquelle la Cour peut rendre des jugements déclaratoires, un recours pouvant être exercé par suite de la délivrance erronée d'un permis, l'erreur se répétant pendant un certain nombre d'années. La question a fait l'objet d'une décision, rendue par M. le juge Joyal, dans l'affaire Johnson c. Ramsay Fishing Co. Ltd. (1987), 47 D.L.R. (4th) 544 (C.F. 1re inst.). À la page 565, le juge Joyal s'est fondé sur l'arrêt Kelso c. La Reine [1981] 1 R.C.S. 199, à la page 210, en établissant une distinction entre l'atteinte par le tribunal à un pouvoir discrétionnaire ministériel et un jugement déclaratoire portant sur ce qui aurait pu constituer l'exercice régulier de ce pouvoir discrétionnaire, soit en fait une invitation au ministre à faire ce qu'il convient de faire. Les modifications, selon ce point de vue, devraient être maintenues, car on ne peut pas dire qu'elles ne seront pas nettement, manifestement et indubitablement écartées; d'autant plus que le juge Rouleau a fait face à un argument similaire invoqué par la Couronne, à la suite de la présentation d'une demande de jugement sommaire, et qu'il a refusé d'accorder un jugement sommaire contre la demanderesse, en croyant clairement qu'il existait une question à trancher. Les défenderesses, la Couronne et Titan Fishing Ltd., ont toutes deux dit leur dernier mot et ne peuvent pas plaider de nouveau ce qui a été invoqué devant le juge Rouleau.

[27]            L'argument selon lequel tout droit que la demanderesse possédait, à l'égard d'un permis régulièrement délivré, s'est éteint à la fin de l'année visée par le permis, a également, comme je l'ai dit, été examiné par le juge Joyal dans la décision Johnson. Le juge a fait remarquer que le même permis de pêche avait été délivré chaque année, mais il n'a pas statué sur la question du caractère théorique, car la Cour pouvait également procéder par voie de jugement déclaratoire. Je dois donc examiner la question du caractère théorique.


[28]            La question du caractère théorique peut également être abordée du point de vue selon lequel c'est le transfert initial, le transfert en faveur de Titan Fishing, qui serait censément irrégulier, donnant ainsi lieu à la demande de jugement déclaratoire de la part de la demanderesse. Pareil transfert initial invalide ne peut pas acquérir un caractère théorique par suite de l'écoulement du temps, d'autant plus que, si aucun permis de pêche n'avait été transféré ou si le transfert avait été effectué compte tenu des présumées déclarations du MPO, la demanderesse aurait certes obtenu le permis auquel était rattaché le plus gros contingent, à condition qu'elle ne se livre pas à une conduite injustifiable, et ce, d'une année à l'autre, et, bien sûr, sous réserve de la possibilité qu'aucun permis ne soit délivré pour une année donnée, par exemple, pour des raisons liées à la conservation. Même si la doctrine du caractère théorique s'appliquait et, je reconnais ici que la question du caractère théorique est un motif justifiant la radiation d'une action, un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire.

[29]            Plus précisément, en ce qui concerne le caractère théorique, un concept, à savoir l'absence de litige actuel entre les parties, est énoncé dans un passage tiré de la décision Shoulders c. Canada (1999), 165 F.T.R. 125 :

Une instance devient théorique quand les circonstances ont tellement changé qu'il n'existe plus entre les parties de litige actuel qui puisse être réglé par une décision.

                                                                                                              (Page 127)

Il s'agit d'une brève conclusion que Mme le juge Sharlow (tel était alors son titre) a tirée, après avoir examiné plusieurs arrêts faisant autorité, et notamment Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. Un passage de l'arrêt Borowski qui est souvent cité figure à la page 353 :


La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique générale s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

Le point à retenir en l'espèce est que la décision doit avoir un effet pratique sur les droits des parties, tant lorsque l'instance est engagée que lorsque la Cour entend l'affaire.

[30]            Dans l'arrêt Borowski, M. le juge Sopinka a ensuite examiné des cas dans lesquels certaines dispositions législatives contestées avaient été abrogées au cours d'une instance, de sorte que l'affaire n'avait plus qu'un intérêt théorique. C'est peut-être à peu près ce qui est ici arrivé, le permis initial en question étant remplacé par un nouveau permis d'une année à l'autre. Dans l'arrêt Borowski, l'analyse est faite en deux étapes. En premier lieu, on détermine si l'affaire n'a plus qu'un intérêt théorique et, en second lieu, le tribunal se demande s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire même si elle ne présente plus qu'un intérêt théorique.


[31]            En parlant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, le juge Sopinka fait remarquer, dans l'arrêt Borowski, qu'il n'existe aucun ensemble précis de critères permettant de déterminer les circonstances dans lesquelles un pouvoir discrétionnaire devrait être exercé et, de fait, « [...] qu'il n'est pas souhaitable d'aller au-delà d'une généralisation convaincante parce qu'une liste exhaustive aurait comme conséquence d'entraver indûment, pour l'avenir, le pouvoir discrétionnaire de la Cour » (page 358). Indépendamment du fait qu'il n'existe aucun critère précis, certains principes sont néanmoins établis. Premièrement, pour qu'une affaire qui ne présente plus qu'un intérêt théorique puisse être entendue et tranchée d'une façon régulière, il doit exister un rapport contradictoire; en effet, pareille relation cesse souvent d'exister si la question n'a plus qu'un intérêt théorique. Deuxièmement, il peut y avoir des circonstances spéciales ou uniques en leur genre qui justifient l'utilisation de ressources judiciaires limitées dans un cas où la question n'a qu'un intérêt théorique. Enfin, il peut être nécessaire de démontrer la fonction d'élaboration du droit que remplit à juste titre le tribunal. Ces critères doivent être soupesés, car il ne s'agit pas d'appliquer le principe d'une façon mécanique :

En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l'égard d'un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune des trois raisons d'être de la doctrine du caractère théorique. Cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un processus mécanique. Il se peut que les principes examinés ici ne tendent pas tous vers la même conclusion. L'absence d'un facteur peut prévaloir malgré la présence de l'un ou des deux autres, ou inversement.

                                                                                                                              (Borowski, page 363)


[32]            En l'espèce, je ne doute aucunement que le rapport contradictoire nécessaire existe encore; en effet, le transfert initial censément fautif du permis cause encore du ressentiment à la demanderesse et lui cause des difficultés financières; de plus, le rapport contradictoire est reconsidéré et renforcé chaque année lorsque la demanderesse n'obtient pas ce qui, selon elle, constitue un contingent acceptable. Deuxièmement, l'utilité, pour la demanderesse, d'un jugement déclaratoire portant que le permis n'a pas initialement été régulièrement transféré, étant donné les déclarations que le MPO avait faites, déclarations sur lesquelles la demanderesse s'est fondée, peut bien constituer une circonstance spéciale justifiant l'utilisation de ressources judiciaires limitées aux fins du règlement de l'affaire. Le troisième élément, à savoir la nécessité de démontrer que le tribunal remplit à juste titre une fonction d'élaboration de la loi, peut être assimilé à la nécessité pour le tribunal de démontrer qu'il est dans une certaine mesure au courant de sa fonction législative. En l'espèce, la Cour n'a pas de fonction législative en tant que telle, mais elle pourrait bien considérer que la fonction légitime qui lui incombe, la fonction qu'elle doit démontrer, consiste à rendre un jugement déclaratoire donnant à entendre au MPO et au ministre qu'en agissant de la sorte, on a omis de tenir compte d'un droit, selon l'arrêt Hedley Byrne, c'est-à-dire qu'un préposé de la Couronne a fait une déclaration inexacte par négligence dans le cadre des opérations sur laquelle la demanderesse s'est fondée à son détriment.

[33]            Comme il en a été fait mention, le caractère théorique peut bien constituer un motif de radiation d'une action, mais dans ce cas-ci, il existait maints indices tendant à démontrer que la Cour pourrait bien entendre l'affaire même si elle ne présente plus qu'un intérêt théorique. Je refuse donc de radier les modifications effectuées par la demanderesse telles qu'elles sont énoncées aux paragraphes 16 à 21 ainsi qu'aux paragraphes 42 et 43, en me fondant sur le caractère théorique de la question.

Réparation possible


[34]            Comme nous le verrons, j'ai radié les paragraphes 39 à 41, qui renferment des modifications. Toutefois, avant d'examiner ces paragraphes, je tiens à signaler une question intéressante soulevée par la Couronne, à savoir si la demanderesse peut obtenir un jugement déclaratoire dans ce cas-ci. Les défenderesses prennent ici la position ci-après énoncée :

[TRADUCTION] En outre, le jugement déclaratoire sollicité par la demanderesse n'est pas un jugement déclaratoire portant sur des droits. La demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant sur la légalité d'une conduite passée liée à la délivrance antérieure d'un permis maintenant expiré. Par conséquent, le jugement déclaratoire ne peut pas être accordé et il ne convient pas non plus de l'accorder.

                                                                                                               (Paragraphe 31 du mémoire)

L'avocat mentionne la décision Rusche c. Insurance Corp. of British Columbia (1992), 4 C.P.C. (3d) 12, rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans laquelle une thèse plutôt simple est avancée dans une action pour trouble de jouissance :

[TRADUCTION] En l'espèce, le jury a conclu, en répondant à la première question qui lui a été posée, qu'il y avait eu trouble de jouissance. Je croyais initialement que la chose pourrait constituer le fondement d'un jugement déclaratoire. En effet, le paragraphe 5(22) des Règles permet à la cour de rendre un jugement déclaratoire portant sur un droit qui lie les parties à l'instance, et ce, peu importe qu'une réparation soit ou puisse être demandée en conséquence. Toutefois, le jugement déclaratoire doit se rapporter à un droit et ne peut pas être fondé sur le fait qu' « une certaine conduite passée [était] mauvaise » (Architectural Institute of British Columbia c. Lee's Design and Engineering (1979), 96 D.L.R. (3d) 385 (C.S.C.-B.) à la page 430). À mon avis, cela veut dire que je ne pourrais pas transformer en un jugement déclaratoire la conclusion du jury selon laquelle il y avait eu trouble de jouissance.

                                                                                                                                                (page 16)

La décision Architectural Institute (British Columbia), mentionnée à l'appui de cette thèse, est plus révélatrice.


[35]            Dans la décision Architectural Institute, publiée à (1979), 96 D.L.R. (3d) 385, la loi en question prévoyait une procédure de déclaration sommaire de culpabilité et un recours civil par voie d'injonction. Dans cette affaire-là, M. le juge Trainor a fait remarquer que, lorsqu'une loi prévoyait une procédure de déclaration sommaire de culpabilité, la Cour suprême de la Colombie-Britannique n'avait pas compétence pour rendre une ordonnance déclaratoire énonçant des droits, mais que par contre, lorsque la loi prévoyait également un recours civil par voie d'injonction, la cour était compétente pour rendre également une ordonnance déclaratoire (page 393). Par la suite, il s'est agi de savoir si la cour pouvait rendre un jugement déclaratoire, compte tenu en particulier du paragraphe 5(22) des Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui prévoyait que la cour pouvait faire une déclaration de droit liant les parties à l'instance. Cette disposition est semblable à l'article 64 des Règles de la Cour fédérale, qui prévoit également qu'une déclaration de droit liant les parties à l'instance peut être faite. Bien sûr, le jugement déclaratoire peut être sollicité dans une action intentée contre la Couronne conformément à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale et, dans ce cas-ci, puisque la présente instance a été engagée en tant que demande de contrôle judiciaire, mais qu'elle a été transformée en une action, un jugement déclaratoire peut être obtenu en vertu de l'alinéa 18(1)a), qui confère compétence à la Cour :

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour :

18. (1) Subject to section 28, the Trial Division has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; ...

J'aimerais ici faire remarquer que le jugement déclaratoire prévu à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale n'est pas limité aux jugements portant sur un droit. Cela en soi est suffisant pour établir une distinction entre les principes énoncés dans les décisions Rusche et Architectural Institute et le cas qui nous occupe.


[36]            Dans la décision Architectural Institute, le juge Trainor a également signalé qu'il était dangereux de rendre une ordonnance déclaratoire qui pourrait régir des actions futures :

[TRADUCTION] L'avocat de la demanderesse m'a reporté à certains passages dont j'ai fait mention en examinant la question de savoir s'il s'agit ici d'une « cause type » . Il a soutenu que, cela étant, il fallait absolument que l'ordonnance déclaratoire « vise à établir des lignes directrices efficaces destinées à régir les actions futures » . Étant donné qu'on ne saurait préjuger de causes futures, il faut bien sûr faire preuve d'énormément de prudence. En ce qui concerne le défendeur Lee, une injonction est tout aussi efficace. Étant donné qu'on ne saurait préjuger d'autres causes, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire et refuser de rendre une ordonnance déclaratoire [...]

                                                                                                                                              (page 430)

Encore une fois, l'idée selon laquelle on exerce un pouvoir discrétionnaire en vue de refuser d'accorder un jugement déclaratoire de façon à ne pas nuire à des décisions futures justifie l'établissement d'une distinction entre les décisions Rusche et Architectural Institute d'une part et la présente affaire d'autre part. Je tiens également à faire remarquer que ni la décision Rusche ni la décision Architectural Institute n'ont une portée suffisamment étendue pour qu'il soit possible de refuser d'accorder un jugement déclaratoire, dans une procédure de contrôle judiciaire, y compris dans le cas d'une procédure qui a été engagée en tant que demande de contrôle judiciaire, simplement parce que le jugement déclaratoire demandé ne porte pas sur un droit. Toutefois, comme j'en ai également fait mention, la demanderesse peut bien posséder, selon la décision Hedley Byrne, un droit, un droit qui n'a pas simplement un intérêt théorique.


Modifications apportées aux paragraphes 39 à 41

[37]            Selon les paragraphes 39 à 41, qui renferment également des modifications, les documents relatifs au transfert de permis soumis par le MPO n'ont pas été signés par la demanderesse, mais après enquête, le ministre a fait savoir que le MPO avait toujours traité avec BC Packers et que la demanderesse devrait donc s'adresser à BC Packers.


[38]            À mon avis, les paragraphes 39 à 41 ne mènent à aucune réparation utile à l'encontre du MPO. Ces paragraphes ne sont pas pertinents, mais je me suis demandé s'ils constituent des renseignements généraux utiles faisant état des actions de la demanderesse entre le 18 mars 1997, date à laquelle la demanderesse affirme avoir appris la nature réelle du transfert de permis, et le 11 décembre 1997, date à laquelle le MPO a fait savoir à la demanderesse qu'elle devrait s'adresser à son agent, BC Packers, pour obtenir une réparation. Même si l'on reconnaît que le formulaire de transfert de permis a été signé par quelqu'un pour le compte de la demanderesse, le MPO et la demanderesse ont continué à agir, pendant un certain nombre d'années, comme s'il y avait eu transfert régulier et comme si les deux parties avaient eu l'intention de transférer les permis. Le fait que le résultat final du transfert n'a pas été celui qu'avaient prévu les parties est une question tout à fait différente. Je tiens ici à faire remarquer que, même s'il se pose peut-être une question au sujet de la signature du formulaire de transfert soumis par BC Packers en sa qualité d'agent reconnu de la demanderesse, il existait une intention objective de transférer le permis. Un observateur raisonnable peut constater l'existence de pareille intention objective en examinant les actions des parties. Je mentionnerai par analogie une série de décisions, notamment Brogden c. Metropolitan Railway Co. (1877), 2 A.C. 666 (C.L.); Dr. T. Torfason Inc. c. 338058 BC Ltd. (1994), 1 B.C.L.R. (3d) 370 (C.A.C.-B.) et Schiff Food Products Inc. c. Naber Seed & Grain Co. Ltd., [1997] 1 W.W.R. 124 (B.R. Sask.), dans lesquelles à la suite d'un examen objectif, il a dans chaque cas été conclu à l'existence d'une relation contractuelle et d'une intention compte tenu d'un document qui n'avait pas été signé de la façon appropriée et des actions des parties. Un tribunal ne radiera pas nécessairement un passage excédentaire, mais je ne puis constater dans les trois paragraphes en question rien qui les rachète. Étant donné qu'il est clair et évident que ces paragraphes ne seront pas retenus, ils seront radiés.

Nouvelle réparation de rechange demandée

[39]            Au moyen de la dernière modification, la demanderesse sollicite, en tant que réparation de rechange, un jugement déclaratoire portant qu'elle a droit à un contingent de navire établi en fonction des prises antérieures du Seacrest. Cette réparation pourrait raisonnablement être accordée si la demanderesse avait gain de cause pour ce qui est de la fausse déclaration faite par négligence.


Radiation fondée sur d'autres motifs

[40]            Puisque j'ai refusé de radier les principaux paragraphes des modifications proposées, ayant donné lieu à la déclaration de 2001, pour le motif qu'il n'existe aucune cause d'action valable, je ne les radierai pas en me fondant sur les autres chefs prévus à l'alinéa 221(1) des Règles.

CONCLUSION

[41]            Les arguments et documents qui ont été présentés dans le cadre de la requête ici en cause pour le compte de la demanderesse, du MPO et de Titan Fishing Ltd., lesquels étaient composés d'observations, de plaidoiries écrites, de pièces documentaires et de décisions, étaient fort nombreux et fort longs. Un bon nombre d'entre eux étaient intéressants. Toutefois, s'il en est tenu compte dans le contexte de la radiation de la déclaration modifiée et de la déclaration proposée de 2001, une bonne partie d'entre eux n'avaient rien à voir avec la question, ou n'étaient pas manifestement pertinents, ou encore avaient peu de poids lorsqu'il s'est agi de me convaincre que toute la déclaration de 2001, ou même toutes les modifications proposées qui ont donné lieu au dépôt de la déclaration de 2001, devraient être radiées. Par conséquent, la demanderesse peut déposer une autre déclaration modifiée, à savoir la déclaration de 2001, qu'elle aura révisée en supprimant les paragraphes 39, 40 et 41.

[42]            Puisque la demanderesse a dans l'ensemble eu gain de cause, les dépens lui sont adjugés à l'encontre de la Couronne. Titan Fishing Ltd. a participé avec ardeur à une cause perdue, mais il ne servirait rien d'accorder un autre mémoire de frais, entre Titan Fishing Ltd. et la demanderesse.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 24 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-192-98

INTITULÉ :                                              Radil Bros. Fishing Co. Ltd. c.

Sa Majesté la Reine, représentée par le directeur général du ministère des Pêches et des Océans, région du Pacifique, et British Columbia Packers Limited et Titan Fishing Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 5 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Monsieur le protonotaire P. Hargrave

DATE DES MOTIFS :                             le 24 janvier 2003

COMPARUTIONS :

M. J. Raymond Pollard                                                  POUR LA DEMANDERESSE

M. Paul F. Partridge                                                      POUR LA DÉFENDERESSE,

R.S. Whittaker                                                              Sa Majesté la Reine

M. David Brown                                                           POUR LA DÉFENDERESSE,

Titan Fishing Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Buell Sutton, avocats                                         POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LA DÉFENDERESSE,

Sous-procureur général du Canada                                Sa Majesté la Reine

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. David Brown                                                           POUR LA DÉFENDERESSE,

Stikeman Elliott, avocats                                                Titan Fishing Ltd.

Vancouver (Colombie-Britannique)

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