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Date : 20210322


Dossiers : IMM-2967-19

IMM-5570-19

Référence : 2021 CF 248

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

Dossier : IMM-2969-19

ENTRE :

ATTILA KISS et ANDREA KISS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-5570-19

ENTRE :

 

LÁSZLÓ SZÉP-SZÖGI

JUDIT SZÉP-SZÖGI

LAURA SZÉP-SZÖGI

LÉNA SZÉP-SZÖGI

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le procureur général du Canada a présenté des requêtes par écrit, en application de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, (les Règles), en vue d’obtenir les mesures de redressement suivantes :

a. Une injonction permanente restreignant l’utilisation, la diffusion et la publication des renseignements sensibles qui ont été communiqués par inadvertance et par erreur par le défendeur, le 5 février 2021.

b. Une injonction mandatoire enjoignant aux demandeurs, à l’avocat des demandeurs, à Gabor Lukacs, ainsi qu’à tout mis en cause ou autre destinataire des renseignements de détruire les renseignements visés au paragraphe a, notamment tout imprimé, toute copie, toute note ou tout résumé qu’ils auraient pu faire de ces renseignements, et de confirmer au défendeur que cela a été fait.

c. Une injonction mandatoire exigeant l’identification de toute personne à qui les demandeurs, Gabor Lukacs et tout mis en cause, ou d’autres destinataires des renseignements, auraient pu transmettre ultérieurement les renseignements.

d. Toute autre réparation que notre honorable Cour estimera juste.

[2] La requête en injonction dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19 vise à désigner M. Gabor Lukacs à titre de mis en cause. En réponse aux objections formulées par les demandeurs et M. Lukacs, le procureur général du Canada demande la modification des requêtes, afin que le nom de M. Lukacs soit supprimé de l’intitulé, mais que ce dernier soit ensuite ajouté à titre de mis en cause sur ordonnance de la Cour. Le procureur général du Canada demande également que soient supprimés les renvois aux affidavits secrets dans les deux requêtes en injonction.

[3] Les motifs à l’appui des requêtes en injonction sont exposés en ces termes dans les avis de requête du procureur général du Canada :

a. Le défendeur a transmis un dossier du tribunal complémentaire qui contenait des documents sensibles et confidentiels caviardés.

b. Le défendeur ignorait qu’il était possible de supprimer le caviardage de manière à révéler des renseignements sensibles et confidentiels qui avaient été masqués.

c. L’avocat des demandeurs a informé la Cour et le défendeur que les renseignements occultés pouvaient être visionnés à l’aide d’un logiciel PDF Reader ordinaire.

d. L’avocat des demandeurs a également indiqué que le dossier du tribunal complémentaire avait été communiqué aux demandeurs et à M. Lukacs.

e. À la suite de la découverte de la communication accidentelle d’information, des demandes ont immédiatement été faites en vue de récupérer les documents.

f. Le défendeur a communiqué immédiatement avec la Cour afin que des mesures soient prises pour remédier au problème et faire avancer la requête.

g. Le maintien du privilège de non-divulgation revendiqué à l’égard des documents sensibles et confidentiels ne porte nullement préjudice aux demandeurs ni ne leur cause quelque injustice.

h. Ces documents font actuellement l’objet d’une demande présentée en application de l’article 87 [de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR)], dans l’intérêt de la sécurité nationale.

i. Aucune iniquité procédurale ne résultera des mesures de redressement demandées.

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, les requêtes en modification et les requêtes en injonction sont accueillies en partie.

II. Faits

[5] Les demandeurs dans les deux instances sont des citoyens de la Hongrie. Ils ont obtenu des autorisations de voyage électroniques [AVE] qui les autorisaient à prendre un vol de Budapest à Toronto. Cependant, à la suite d’entretiens avec le personnel de sécurité de l’aéroport de Budapest, il leur a été interdit de monter à bord de l’avion, et leurs autorisations de voyage électroniques ont été annulées.

[6] Les demandeurs ont présenté des demandes de contrôle judiciaire des décisions d’annuler leurs AVE. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] reconnaît que les demandes devraient être accueillies sur la base de l’équité procédurale. Cependant, les demandeurs soutiennent que les « indicateurs » [les indicateurs], sur lesquels le ministre et son personnel se fondent pour déterminer les personnes susceptibles de faire de fausses déclarations quant au motif de leur voyage au Canada, sont discriminatoires. Ils demandent que soient rendus des jugements déclaratoires à cet effet.

[7] M. Lukacs est un défenseur des droits des voyageurs aériens, et il conseille les demandeurs dans les deux instances. Le 12 novembre 2019, il a demandé à la Cour l’autorisation de présenter des arguments verbaux au nom des demandeurs dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19, mais cette demande a été rejetée. M. Lukacs continue de suivre les deux affaires de près et de défendre les intérêts des demandeurs en coulisse.

[8] Le 16 octobre 2019, le procureur général du Canada a présenté une requête en application de l’article 87 de la LIPR visant à interdire la divulgation de certains indicateurs contenus dans le dossier certifié du tribunal [DCT] qui avait été communiqué par le décideur dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19. Le 5 mai 2020, cette requête a été accueillie en partie (Kiss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 584).

[9] Le 5 novembre 2020 ou vers cette date, les demandeurs dans les deux instances ont retenu les services de M. Benjamin Perryman, un avocat, pour les représenter. Les demandeurs dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19 ont ensuite présenté une requête demandant la production d’un DCT amélioré et plus étoffé, requête qui a été accueillie le 15 janvier 2021. Notre Cour a également ordonné que les dossiers de la Cour nos IMM-2967-19 et IMM-5570-19 soient instruits conjointement.

[10] La production d’un DCT plus étoffé dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19, et la production du DCT dans le dossier de la Cour no IMM-5570-19, ont donné lieu, dans les deux instances, à la présentation de requêtes supplémentaires visant à interdire la divulgation de renseignements, en application de l’article 87 de la LIPR. La requête présentée conformément à l’article 87, dans le dossier de la Cour no IMM-5570-19, est actuellement en suspens, en attendant qu’une décision soit rendue concernant la requête présentée au titre de l’article 87 dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19.

[11] Le 5 février 2021, des DCT caviardés dans les deux instances ont été transmis à M. Perryman. M. Perryman a immédiatement retransmis les DCT sous forme électronique à M. Lukacs.

[12] Selon M. Lukacs :

Après examen des DCT caviardés, M. Lukacs a découvert que certains renseignements n’avaient pas été traités au moyen des outils de caviardage normalement utilisés pour les documents électroniques; ils avaient plutôt été mis en évidence en utilisant le mode de surbrillance habituel en format PDF, bien qu’en utilisant la couleur noire, de sorte que le texte qui figurait en dessous demeurait lisible [faux caviardage].

Les faux caviardages dans les DCT modifiés étaient manifestes à première vue, et aucune connaissance ou compétence particulière, ni aucun logiciel spécial, n’a été nécessaire pour les découvrir. Le texte figurant sous les faux caviardages pouvait être sélectionné et être copié-collé.

[13] Le 5 février 2021, M. Lukacs a transmis à son avocat au Canada et à son père en Hongrie les DCT électroniques qui, il le savait, comportaient des erreurs de caviardage. Il a aussi informé M. Perryman de ces erreurs de caviardage. M. Perryman a ensuite informé le procureur général du Canada.

[14] À la suite de communications entre la Cour et les parties et M. Lukacs, la Cour a rendu l’ordonnance suivante le 6 février 2021 :

LA COUR ORDONNE :

1. L’avocat des demandeurs doit conserver les renseignements en litige dans un dossier distinct sécurisé. Personne, y compris l’avocat des demandeurs, ne peut consulter les renseignements en litige contenus dans le dossier distinct sécurisé jusqu’à ce que la Cour rende une autre ordonnance ou directive.

2. Tout mis en cause à qui les renseignements en litige ont été communiqués par l’avocat des demandeurs doit immédiatement détruire ces renseignements, et l’avocat des demandeurs doit confirmer à la Cour que cela a été fait.

3. Les renseignements en litige doivent être conservés dans leur format électronique d’origine et être mis sous scellé par le greffe jusqu’à ce que la Cour rende une autre ordonnance ou directive.

4. Les avocats des parties doivent informer le greffe de leur disponibilité respective en vue de la tenue, pour les deux instances, d’une conférence de gestion des instances durant la semaine du 8 février 2021.

[15] M. Perryman a par la suite confirmé qu’il s’était conformé à l’ordonnance rendue par la Cour le 6 février 2021, tout comme M. Lukacs et le père de M. Lukacs. M. Lukacs n’a pas indiqué le nom de son avocat au Canada et on ne sait pas si cet avocat, ou d’autres personnes, sont actuellement en possession des DCT comportant les erreurs de caviardage. M. Lukacs a interjeté appel auprès de la Cour d’appel fédérale de l’ordonnance rendue par notre Cour le 6 février 2021.

[16] Bien que notre Cour ait exhorté les parties et M. Lukacs à collaborer au règlement de la question de la divulgation accidentelle des renseignements qui font actuellement l’objet de requêtes aux termes de l’article 87 de la LIPR, ils refusent, ou il leur est impossible, de le faire.

III. Questions en litige

[17] La Cour doit trancher les questions suivantes :

  1. Les requêtes en injonction du procureur général du Canada devraient-elles être modifiées?

  2. Les requêtes en injonction du procureur général du Canada devraient-elles être accueillies?

IV. Analyse

A. Les requêtes en injonction du procureur général du Canada devraient-elles être modifiées?

[18] Le procureur général du Canada reconnaît que M. Lukacs est désigné de manière inappropriée comme mis en cause dans la requête en injonction présentée dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19. Il demande donc que M. Lukacs soit ajouté comme mis en cause sur ordonnance de la Cour. Il demande également que soient supprimés les renvois aux affidavits secrets dans les deux requêtes en injonction.

[19] Comme M. Lukacs a été nommé, peut-être de manière inappropriée, dans la requête en injonction présentée par le procureur général du Canada dans le dossier de la Cour nIMM-2967-19, il devrait obtenir qualité limitée pour agir afin de pouvoir répondre à cette requête. M. Lukacs a déposé un dossier de réponse à la requête le 15 mars 2021.

[20] La décision d’autoriser une modification est une question qui relève de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite (article 75 des Règles; Janssen Inc. c AbbVie Corporation, 2014 CAF 242 au para 3; McCain Foods Limited c J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4 au para 20).

[21] Les demandeurs consentent à la demande du procureur général du Canada visant à supprimer les renvois aux affidavits secrets dans les requêtes en injonction. M. Lukacs et les demandeurs dans le dossier de la Cour no IMM-2976-19 maintiennent toutefois que la demande du procureur général du Canada d’ajouter M. Lukacs à titre de mis en cause est inappropriée.

[22] L’article 301 des Règles utilise les termes « demandeur » et « défendeur » pour désigner les parties à une demande. L’alinéa 104(1)b) des Règles autorise la jonction de parties supplémentaires sur ordonnance de la cour, mais dispose que nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement. Les articles 193 à 199 des Règles s’appliquent uniquement aux mis en cause dans une action.

[23] Aucune disposition des Règles n’autoriserait la désignation de M. Lukacs à titre de mis en cause dans les demandes de contrôle judiciaire. Et comme nous l’expliquons ci-après, il n’est pas non plus nécessaire que M. Lukacs, ou quiconque d’autre, soit une partie désignée dans les instances pour être lié aux mesures de redressement par voie d’injonction.

[24] Les requêtes du procureur général du Canada visant à modifier les requêtes en injonction, afin de supprimer le nom de M. Lukacs de l’intitulé et de supprimer les renvois aux affidavits secrets, devraient être accueillies. Sous tous les autres aspects, les requêtes en modification doivent être rejetées.

B. Les requêtes en injonction du procureur général du Canada devraient-elles être accueillies?

[25] Notre Cour a compétence plénière pour instruire et trancher les requêtes en injonction découlant de la divulgation par inadvertance de renseignements confidentiels dans le cadre de procédures judiciaires. La source de cette compétence est l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7, ainsi que la compétence plénière de la Cour en matière de divulgation dans les affaires d’immigration (Sellathurai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 223 [Sellathurai] au para 38).

[26] La compétence de notre Cour n’est pas fondée directement ou indirectement sur l’article 87 de la LIPR et elle existe, qu’une demande de contrôle judiciaire connexe soit pendante ou non devant notre Cour. Peu importe qu’une instance connexe ait ou non déjà été introduite, la procédure appropriée à suivre consiste en le dépôt d’un avis de demande de redressement par voie d’injonction (Sellathurai au para 39, invoquant l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626).

[27] Cependant, le défaut de se conformer à cette procédure ne rend pas irrecevable une requête en injonction. L’inobservation des Règles des Cours fédérales n’entache pas de nullité une instance ou une mesure prise dans l’instance (article 56 des Règles; Sellathurai au para 40). Tout comme dans Sellathurai, le procureur général du Canada a déposé des avis de requête dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire pendantes à l’encontre des décisions du ministre d’annuler les autorisations de voyage électroniques des demandeurs. Les avis de requête exposent intégralement les motifs invoqués par le ministre.

[28] Dans Abi-Mansour v Canadian Human Rights Commission et al, dossier de la Cour no T-924-11 (le 23 août 2013), le juge Richard Mosley a ordonné la restitution d’un document à première vue protégé par le secret professionnel, que la Commission canadienne des droits de la personne avait communiqué par inadvertance au demandeur en réponse à une demande présentée au titre de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1. Le juge Mosley a ordonné au demandeur de ne conserver aucune copie du document ni de le transmettre de quelque autre manière, de détruire toutes les copies qu’il avait en sa possession et de s’abstenir de discuter directement ou indirectement du document ou de tout renseignement qu’il contenait, de les commenter ou d’en faire quelque usage.

[29] La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du juge Mosley, en déclarant ce qui suit (Abi-Mansour c Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CAF 74 [Abi-Mansour] au para 3) :

Il importe peu que la Commission ait eu raison ou non de présenter une demande en bonne et due forme en vue d’être constituée partie dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente pour présenter sa requête au juge Mosley : dans les circonstances de la présente instance, aucun préjudice ou aucune injustice n’en a découlé. Annuler l’ordonnance du juge Mosley à cause de telles formalités procédurales constituerait un abus du processus judiciaire.

[30] Il ne fait aucun doute, à la lecture des décisions de la Cour d’appel fédérale dans Sellathurai et Abi-Mansour, que notre Cour a compétence plénière pour accorder un redressement par voie d’injonction afin de corriger la divulgation par inadvertance de renseignements confidentiels dans le cadre d’instances judiciaires. La bonne procédure à suivre pour une partie qui souhaite récupérer et protéger des renseignements qui ont été divulgués par inadvertance consiste à présenter une demande. La présentation d’une requête dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire pendante ne prive toutefois pas la Cour de sa compétence d’accorder l’injonction, à condition que les motifs soient intégralement divulgués et qu’aucun préjudice ne soit causé à autrui.

[31] En l’espèce, M. Perryman et M. Lukacs savent très bien tous les deux que les renseignements caviardés dans les DCT qu’ils ont reçus ont été divulgués par inadvertance. M. Lukacs a dû manipuler les documents électroniques pour consulter les renseignements que le procureur général du Canada cherche à protéger. M. Lukacs a aggravé le problème en distribuant sciemment les renseignements à d’autres personnes.

[32] Les demandeurs et M. Lukacs se plaignent tous les deux du fait que les requêtes du procureur général du Canada ne sont pas étayées par des déclarations sous serment expliquant le préjudice résultant de la divulgation accidentelle et d’une diffusion publique plus large des renseignements en litige. Cependant, l’intégralité des renseignements qui ont été divulgués par inadvertance sont l’objet des requêtes en non-divulgation qui ont été présentées en application de l’article 87 de la LIPR et dont notre Cour est actuellement saisie.

[33] Selon l’article 87 et l’alinéa 83d) de la LIPR, la Cour doit garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre si, de l’avis du juge, leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Tant que la Cour n’aura pas déterminé que la divulgation des renseignements ne sera pas préjudiciable, la Cour doit en garantir la confidentialité pour s’acquitter des fonctions qui lui sont conférées par la loi.


[34] Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Basi, 2009 CSC 52 (au para 44) :

Il demeure donc vrai en l’espèce, comme ce l’était dans Personne désignée [c Vancouver Sun, 2007, CSC 43], que, « [a]lors que le juge détermine si le privilège s’applique, la plus grande prudence s’impose en supposant que le privilège s’applique » (au para 47). Nul en dehors du cercle du privilège ne peut accéder aux renseignements à l’égard desquels le privilège est revendiqué tant qu’un juge n’a pas déterminé que le privilège n’existe pas ou qu’une exception s’applique.

[35] Une mesure de redressement peut être ordonnée par injonction à l’égard d’une personne qui n’est pas partie à l’instance sous-jacente (Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 28). Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c Aliments FBI Ltée, [1999] 1 RCS 142 (aux para 19 et 20) :

L’equity, qui fait appel à la conscience, s’intéresse au comportement de la personne entrée en possession de renseignements qui sont en réalité confidentiels, et qu’elle a acceptés comme tels, expressément ou par déduction. L’equity continue de s’appliquer aux renseignements qui sont entre les mains d’un tiers qui les reçoit en sachant qu’ils ont été communiqués par suite d’un abus de confiance (ou qui prend connaissance de ce fait ultérieurement) et prescrit certaines mesures de redressement.

[36] M. Lukacs demande que la décision à l’égard des requêtes ne soit pas rendue sur la base d’observations écrites, comme le prévoit l’article 369 des Règles, et qu’il ait la possibilité de présenter des arguments lors d’une audience. Malgré les efforts de M. Lukacs de caractériser les requêtes comme étant complexes en fait et en droit, elles ne le sont sur aucun de ces deux aspects. Il ne fait aucun doute que les renseignements que le procureur général du Canada cherche à protéger aux termes de l’article 87 de la LIPR ont été divulgués par inadvertance aux demandeurs, puis à M. Lukacs et à d’autres personnes. De même, il est évident que les mesures de redressement par voie d’injonction demandées par le procureur général du Canada sont nécessaires pour préserver l’intégrité du processus judiciaire, ainsi que la capacité de la Cour de s’acquitter des fonctions qui lui sont conférées au titre de l’article 87 de la LIPR. La décision à l’égard des requêtes peut être rendue sur la base des observations écrites, conformément à l’article 369 des Règles.

[37] Les demandeurs et M. Lukacs demandent tous les deux des frais judiciaires. M. Lukacs fait valoir que des dépens devraient être adjugés contre l’avocat du procureur général du Canada personnellement. Conformément à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, des dépens ne sont habituellement pas adjugés dans les instances liées à l’immigration. Même si la divulgation par inadvertance de renseignements par le procureur général du Canada pourrait être considérée comme une raison spéciale, les requêtes ne sont accueillies qu’en partie. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. Les requêtes en injonction du procureur général du Canada, et celles visant à modifier les requêtes en injonction, sont accueillies en partie.

  2. M. Gabor Lukacs obtient qualité limitée pour agir, afin de répondre à la requête présentée par le procureur général du Canada en vue d’obtenir une mesure de redressement par voie d’injonction dans le cadre du dossier de la Cour no IMM-2967-19.

  3. Les requêtes en injonction sont modifiées afin de supprimer le nom de M. Gabor Lukacs de l’intitulé dans le dossier de la Cour no IMM-2967-19, ainsi que les renvois aux affidavits secrets dans les requêtes en injonction des deux instances.

  4. Il est interdit en permanence aux demandeurs et à toute autre personne qui est, ou qui a été, en possession non autorisée des renseignements qui font actuellement l’objet des requêtes déposées dans le cadre des présentes instances en application de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [les renseignements en litige], d’utiliser, de diffuser ou de publier les renseignements en litige jusqu’à ce que notre Cour rende une autre ordonnance.

  5. Les demandeurs et toute autre personne qui est, ou qui a été, en possession non autorisée des renseignements en litige doivent détruire immédiatement ces renseignements, qu’ils soient sous forme électronique ou imprimée, ainsi que toute note ou tout résumé qui auraient pu être faits de ces renseignements.

  6. Toute personne qui est, ou qui a été, en possession non autorisée des renseignements en litige, et qui est informée de la présente ordonnance, doit immédiatement en informer toute autre personne à qui elle a communiqué ces renseignements.

  7. Les renseignements en litige doivent continuer d’être conservés dans leur format électronique d’origine et être mis sous scellé par le greffe jusqu’à ce que la Cour rende une autre ordonnance ou directive.

  8. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-2967-19

IMM-5570-19

 

INTITULÉ :

ATTILA KISS et ANDREA KISS c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LÁSZLÓ SZÉP-SZÖGI, JUDIT SZÉP-SZÖGI, LAURA SZÉP-SZÖGI et LÉNA SZÉP-SZÖGI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mars 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Benjamin Perryman

Pour les demandeurs

Patricia MacPhee

Pour le défendeur

 

Gabor Lukacs

PARTIE PROPOSÉE DANS IMM-2967-19

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benjamin Perryman

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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