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Date : 20030425

Dossier : IMM-2912-02

Référence neutre : 2003 CFPI 513

ENTRE :

                          VERONICA DEL CHAVERO (alias Veronica Del Va Chavero)

                                  ESTEFANIA VALAZQUEZ (alias Estefania Velazquez)

                          PASCUAL ABEL VELAQUEZ (alias Pascual Abel Velazquez) et

                          SERGIO DAVID VELAZQUEZ (alias Sergio David Velazquez)

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]                 Veronica Del Chavero (la demanderesse) et ses trois enfants d'âge mineur, tous ressortissants argentins, demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié voulant qu'ils ne soient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]                 La demanderesse et ses enfants disent appartenir au groupe social des victimes de graves menaces de violence familiale. Le prétendu agent de persécution, Gustavo Arias, est l'ancien conjoint de fait de Norma Beatriz Chavero, la soeur de la demanderesse. La relation de fait entre Gustavo et Norma a pris fin en 1993. Un an plus tard, Gustavo a été condamné à huit ans de prison pour vol qualifié, voies de fait et autres crimes connexes. Les mauvais traitements qu'il infligeait à Norma et aux membres de sa famille ont repris les trois fois qu'il s'est échappé de prison.

[3]                 En 2001, un tribunal de la Section du statut de réfugié a conclu que Norma Chavero était crédible et il lui a accordé le statut de réfugiée au sens de la Convention pour des raisons de violence familiale infligée par M. Arias.

[4]                 En 2002, la demanderesse et sa soeur ont témoigné à l'audience de revendication du statut de réfugié de l'espèce. Les éléments de preuve documentaire incluaient le Formulaire de renseignements personnels de Norma et la décision confirmant son statut de réfugiée au sens de la Convention.

[5]                 Pour arriver à la décision défavorable qui fait l'objet du présent examen, le tribunal s'est basé sur deux prémisses : (a) « l'insuffisance [d'une] preuve digne de foi » indiquant que l'agent de persécution de Norma Chavero avait un intérêt réel à s'en prendre aux présents demandeurs; et (b) il était invraisemblable ( « il n'est pas vraisemblable » ) que la demanderesse attende quatre ans pour déposer une plainte auprès de la police après avoir présumément reçu des menaces de violence.

[6]                 Les avocats des deux parties s'entendent pour dire que le tribunal n'a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité du témoignage des deux témoins.


[7]                 Il est également admis que la réticence du tribunal, exprimée dans ses motifs de décision, est basée en grande partie sur les réponses que la demanderesse a données à l'agent chargé de la revendication quand il lui a demandé à quelle époque la violence familiale a commencé.

[8]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels de deux pages, la demanderesse a écrit ce qui suit :

[traduction]

Pendant qu'il était en prison, Gustavo appelait souvent à la maison et il nous faisait des menaces. Il m'a fait des menaces, il en a fait à ma mère ainsi qu'à Norma. Il m'a souvent dit qu'il me tuerait, moi et le reste de ma famille et qu'il avait les moyens de le faire. Il a dit la même chose à ma soeur et à ma mère. Nous avons changé de numéro de téléphone, mais il a continué d'appeler.

[9]                 L'agent chargé de la revendication (ACR) a posé des questions à la demanderesse au sujet de ce passage de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) :

[traduction]

ACR :                  Environ à quel mois et en quelle année avez-vous commencé à recevoir directement des menaces de Gustavo?

DEMANDERESSE :                    

Autour du 7 mars 2001.

ACR :                  Je me reporte à la ligne 29 de votre FRP où vous avez dit ce qui suit : « ... eh bien, Gustavo venait souvent chez nous et il nous faisait des menaces. Il m'a menacée personnellement, il a menacé ma mère ainsi que Norma » .

Et, au paragraphe suivant, vous dites que Norma a finalement décidé de fuir l'Argentine.


Donc, dans votre FRP, il semble que Gustavo vous faisait des menaces même avant que Norma quitte l'Argentine, est-ce exact?

DEMANDERESSE :       

Oui, c'est exact.

ACR :                  Alors, les menaces proférées directement contre vous n'ont pas commencé en mars 2001, mais beaucoup plus tôt, est-ce vrai?

DEMANDERESSE :       

Oui.

ACR :                  Et Norma est venue au Canada en juillet 2000. Alors, à quel moment environ Gustavo a-t-il commencé à vous faire des menaces par téléphone?

DEMANDERESSE :       

En 1997 à peu près.

ACR :                  Donc, depuis 1997, Gustavo vous menace personnellement, pour vous faire du tort d'une certaine façon.

DEMANDERESSE :       

Oui, mais pas autant, parce que ma soeur était là-bas, alors il ne me touchait pas directement.

ACR :                  Ce n'est pas ce que j'ai demandé. Mes questions ne portent que sur les menaces. Je ne demande pas si vous, personnellement, avez été blessée ou s'il vous a fait mal, mais bien quand il a vraiment commencé à vous menacer.

DEMANDERESSE :       

Et c'est en 1997 que tout a commencé. Mais il a commencé à s'en prendre à moi personnellement seulement après le départ de ma soeur de l'Argentine.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :            

Mais pourquoi vous a-t-il menacé pendant deux ans, peut-être trois, alors que Norma était encore là?

DEMANDERESSE :       

Oui, il adressait des menaces, mais comme je l'ai dit plut tôt, ce n'était pas à mon endroit, c'est Norma qu'il menaçait.

[10]            C'est en raison de ce témoignage qu'il a qualifié d' « indécis » que le tribunal a conclu « ...à l'insuffisance de preuve digne de foi qui me permettrait d'établir que l'agent de persécution manifeste, à l'endroit des revendicateurs, un intérêt de la nature et de la gravité alléguées » .

[11]            La demanderesse soutient que le tribunal a commis un erreur en basant sa décision uniquement sur une divergence quelconque, à savoir si les menaces de violence avaient commencé en 1997 ou en 2001, sans procéder à une analyse plus approfondie des autres aspects de la preuve. Après avoir examiné le dossier, je souscris à cet argument pour les motifs suivants.

[12]            À mon avis, il est fort possible que la divergence provienne du fait que l'agent chargé de la réclamation s'est servi du mot « directement » dans sa première question. La demanderesse a répondu qu'elle avait commencé à recevoir des menaces en mars 2001. Quand l'ACR lui a rappelé le paragraphe du Formulaire de renseignements personnels qui donnait à penser différemment, la demanderesse a admis qu'il était possible qu'elle ait commencé à recevoir des menaces en 1997 mais elle a immédiatement ajouté qu'elle n'avait été la cible de menaces directes qu'après que sa soeur eut quitté l'Argentine.


[13]            Il est de droit constant qu'une cour siégeant en révision ne doit pas substituer son opinion à celle du tribunal quant à l'évaluation des éléments de preuve. Cependant, à mon avis, il y a d'autres éléments de preuve pertinents dont le tribunal n'a pas tenu compte. Je pense en particulier au témoignage de la soeur de la demanderesse et aux éléments de preuve documentaire qu'elle a déposés.

[14]            La soeur de la demanderesse a affirmé que son ancien conjoint de fait essayait toujours de la joindre et que, pas plus tard qu'en 2001, environ huit ans après la fin de leur relation, il avait écrit aux autorités gouvernementales de l'Ontario au sujet d'un de leurs enfants.

[15]            De plus, la soeur de la demanderesse a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels : [traduction] « ... [mon conjoint de fait] a menacé de me tuer, moi et ma famille, si je ne me réconciliais pas avec lui » . Cette déclaration semble corroborer la version de la demanderesse voulant que les membres de la famille étaient menacés de façon générale avant que sa soeur quitte l'Argentine.

[16]            De même, quand il a conclu qu'il était invraisemblable que la demanderesse attende quatre ans avant de signaler les menaces de violence à la police, le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve déposée par la soeur de la demanderesse selon laquelle elle avait porté plainte à la police dès novembre 1999.


[17]            Il était loisible au tribunal d'interpréter comme un « témoignage indécis » les réponses de la demanderesse aux questions de l'agent chargé de la revendication. Il ne lui était toutefois pas loisible de limiter la portée de son examen à cet unique aspect de la question et d'y baser sa conclusion défavorable sans inclure dans ses motifs une analyse du témoignage de la soeur de la demanderesse, de son Formulaire de renseignements personnels et de la conclusion de crédibilité rendue par un autre tribunal. Dans sa décision, le tribunal dans la présente affaire n'a même pas mentionné qu'il a entendu le témoignage de la soeur de la demanderesse.

[18]            À mon avis, la décision doit être annulée parce qu'elle a été rendue sans égard aux documents dont disposait le tribunal. L'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen. Aucune partie n'a suggéré la certification d'une question grave et aucune question ne sera certifiée.

                                                                                                                                               « Allan Lutfy »                          

                                                                                                                                        Juge en chef adjoint                      

Ottawa (Ontario)

Le 25 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-2912-02

INTITULÉ :                                                        Veronica Del Chavero et al.

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 8 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Le juge Lutfy

DATE :                                                                Le 25 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. Daniel Kingwell                                               POUR LA DEMANDERESSE

M. Lorne McClenaghan                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Daniel Kingwell                                               POUR LA DEMANDERESSE

Mamann & Associates

303 - 74, rue Victoria

Toronto (Ontario)

M5C 2A5

M. Lorne McClenaghan                                       POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice                                          

130, rue King Ouest

3400 - Exchange Tower, boîte 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6


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