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Date : 20030425

Dossier : ITA-691-02

Référence : 2003 CFPI 511

Ottawa, Ontario, ce 25ième jour d'avril 2003

En présence de :         L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                          Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu

et

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies

par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou

plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu,

le Régime de pensions du Canada, la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE

                                 LA SUCCESSION DE FEU LAWRENCE CORRIVEAU

Débitrice-saisie

et

BENOÎT PROULX

                                                                                                                                                      Tiers-saisi

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une requête du tiers-saisi, monsieur Benoît Proulx, demandant la nullité de l'ordonnance définitive de saisie-arrêt du protonotaire Morneau en date du 4 février 2003 dans laquelle il ordonnait, entre autres, que 30% des sommes reçues du gouvernement du Québec par le tiers-saisi soient définitivement saisies arrêtées dans le but de répondre aux certificats déposés contre la débitrice-saisie, la succession de Feu Lawrence Corriveau (la « succession » ) par Sa Majesté la Reine du chef du Canada ( « Sa Majesté » ).

LES FAITS

[2]                 Deux certificats certifiant que la succession était endettée envers Sa Majesté pour la somme de 58 524,89 $ et 447 673,21 $ furent émis le 19 novembre 1994 et le 19 décembre 2001 avec intérêts composés en vertu de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c.1.

[3]                 Sa Majesté est créancière du tiers-saisi des honoraires et déboursés extrajudiciaires à payer à la succession de son avocat, feu Laurent Corriveau, ayant fait affaires sous le nom Corriveau, Avocats et/ou Corriveau et associés, pour services rendus dans le cadre d'une poursuite intentée en 1993 en dommages et intérêts contre le Procureur général du Québec dans laquelle le tiers-saisi a obtenu gain de cause par jugement de la Cour suprême du Canada en date du 18 octobre 2001.


[4]                 L'effet du jugement de la Cour suprême fut d'annuler le jugement de la Cour d'appel en date de février 1999 et de rétablir le jugement de l'honorable Claude Rioux de la Cour supérieure, en date du 7 août 1997, concluant à la responsabilité de la Couronne provinciale et à des dommages de 1 179 747,86 $ ainsi que les intérêts et l'indemnité additionnelle payables à compter de l'institution des procédures, accordés par l'honorable René Letarte de la Cour supérieure (jugement sur le quantum) en date du 18 août 1997. Le montant final incluant le capital, les intérêts et indemnité additionnelle payés au tiers-saisi par la Couronne provinciale fut de 2 126 196.55$.

[5]                 Le tiers-saisi a remis à Sa Majesté trois conventions d'honoraires concernant le dossier de poursuite en dommages contre la Couronne provinciale :

a)          La convention en date du 20 mars 1993 fixant les honoraires à verser à l'avocat Corriveau à 10% de toute somme d'argent qui sera obtenue ( « la Convention du 20 mars 1993 » );

b)         La convention en date du 6 août 1997 fixant les honoraires à verser à l'avocat Corriveau à 30% de toute somme d'argent qui sera obtenue ( « la convention du 6 août 1997 » );

c)         La convention en date du 28 novembre 2000 fixant les honoraires à verser à Me Christian Trépanier de l'étude Fasken, Martineau, DuMoulin, à un tarif horaire de 110 $ pour agir à titre d'avocat-conseil lors de l'audition devant la Cour suprême du Canada, ladite convention étant signée par le tiers-saisi et l'étude Fasken, Martineau, DuMoulin;

[6]                 Lors d'un interrogatoire, le tiers-saisi témoigna à l'effet que :


-           suite à la décision de la Cour d'appel, la convention du 20 mars 1993 fut dans les faits signée en 1999 et avait pour but de réduire les honoraires de Me Corriveau de 30% à 10%, le tiers-saisi, n'étant pas satisfait des services légaux et qu'il voulait changer d'avocat. Me Corriveau aurait insisté pour continuer d'assurer le travail légal et de diminuer ses honoraires en conséquence.

-           Les honoraires de Me Christian Trépanier au montant de 22 630,07 $ devaient être déduits du 10% de toute somme à être obtenue.

[7]                 Le ou vers le 30 septembre 2002, sous réserve de ne pas avoir reçu de facture de la succession, le tiers-saisi faisait parvenir aux ministères concernés la somme de 189 989,58 $ plus TPS et TVQ représentant ainsi approximativement le 10% d'honoraires de la convention du 20 mars 1993 moins les honoraires de Me Christian Trépanier que ce dernier avait déjà acquittés.

LES QUESTIONS

[8]                 La présente requête soulève les questions suivantes :

a)         Le protonotaire a-t-il erré en droit en considérant qu'il n'y avait pas de commencement de preuve pouvant rendre vraisemblable le fait que la convention du 20 mars 1993 avait été signée en 1999 selon le témoignage du tiers-saisi?


b)         Le protonotaire a-t-il erré en droit en concluant que les conventions d'honoraires en elles-mêmes suffisaient pour imposer au tiers-saisi l'obligation de payer les honoraires dus et qu'une facture n'était pas nécessaire?

c)         Le protonotaire a-t-il erré en droit en concluant que les honoraires de Me Christian Trépanier ne devaient pas être déduits des honoraires dus à l'avocat du tiers-saisi?

d)         Le protonotaire a-t-il erré en droit en concluant qu'il n'y avait pas de preuve pouvant démontrer que le 30% d'honoraires donnait un caractère de lucre et de commercialité à la profession d'avocat étant donné que le 30% d'honoraires n'est pas proportionnel aux services rendus?

LA NORME DE RÉVISION APPLICABLE DES DÉCISIONS NON- DISCRÉTIONNAIRES DU PROTONOTAIRE

[9]                 L'ordonnance du protonotaire soulève des questions de droit et de faits qui ne font pas appel à son pouvoir discrétionnaire. Dans un tel cas, ce sont les critères reconnus d'appel qui s'appliquent. Ainsi, le juge ne doit pas intervenir dans des conclusions de droit et de faits en autant qu'aucune erreur de droit n'a été commise ou encore que les conclusions de faits ne sont pas considérées comme ayant été faites de façon abusive ou arbitraire ou encore qu'elles soient le résultat d'une erreur fatale. [Voir Reading and Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.), J. Létourneau.]


ANALYSE

[10]            A)         Le protonotaire a-t-il erré en droit en considérant qu'il n'y avait pas de commencement de preuve pouvant rendre vraisemblable le fait que la convention du 20 mars 1993 avait été signée en 1999 selon le témoignage du tiers-saisi?

[11]            Selon le tiers-saisi, la convention du 20 mars 1993 n'indique pas la bonne année car on devrait y lire 1999 et en conséquence cette convention de 10% devrait être celle recevant plein effet étant donné qu'elle est la plus récente.

[12]            L'article 2863 du Code civil du Québec stipule qu'un acte juridique ne peut pas être contredit ou encore changé par témoignage en autant qu'il n'y ait pas de commencement de preuve.

[13]            Le tiers-saisi prétend que le "S.E.N.C." apparaissant au bas du côté gauche de la convention du 20 mars 1993, est un élément matériel qui donne ouverture à un commencement de preuve. En effet, l'exigence de l'inscription "S.E.N.C." est entrée en vigueur le 1er janvier 1994 donc, le document ne pouvait pas être signé le 20 mars 1993.

[14]            Selon l'article 2865 du Code civil du Québec, un fait matériel peut donner ouverture à un commencement de preuve en autant qu'il rend vraisemblable le changement d'année de 1993 à 1999 sur la convention.

[15]            Le protonotaire a conclu que l'inscription "S.E.N.C." ne rendait pas vraisemblable l'année 1999 comme étant l'année de signature.

[16]            Il y a toute une différence entre les années 1993 et 1999 et je ne crois pas que l'inscription "S.E.N.C." en vigueur le 1er janvier 1994 sur la papeterie d'étude légale, permet de rendre vraisemblable l'année 1999. Le "S.E.N.C." rend vraisemblable que la convention n'a pas été signée en 1993 mais après le 1er janvier 1994. Il faut plus que cela pour valider l'année 1999 car il est essentiel que le commencement de preuve par écrit la rendre non seulement possible mais, probable. À cet effet, la Cour du Banc du Roi de la Province du Québec écrivait:

"le commencement de preuve par écrit est l'adhésion logique de l'esprit à l'existence d'un fait qui a une relation telle avec le fait allégué que ce dernier acquiert le caractère de vraisemblance et de plausibilité. (Sirois c. Parent [1954] B.R. 91).

[17]            En ce qui concerne le témoignage intéressé du tiers-saisi, je constate que trois personnes ont vu la convention du 20 mars 1993 et n'ont pas identifié la présumée erreur, Me Corriveau, sa secrétaire et le tiers-saisi. Si la convention a été signée en 1999, je ne m'explique pas que les signataires et la secrétaire n'ont pas vu l'année 1993 plutôt que 1999.


[18]            De plus, l'explication donnée par le tiers-saisi pour expliquer la diminution de pourcentage d'honoraires de 30% à 10% à l'effet qu'il n'était pas satisfait des services de Me Corriveau suite à un jugement de la Cour d'appel m'apparaît surprenante. Pourquoi un avocat renoncerait à 20% d'honoraires pour empêcher un client d'aller chez un autre avocat lorsque l'entente est acquise?

[19]            Pour répondre à la question A, je conclus que le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit pouvant justifier l'intervention de la Cour.

[20]            B)        Le protonotaire a-t-il erré en droit en concluant que les conventions d'honoraires en elles-mêmes suffisaient pour imposer au tiers-saisi l'obligation de payer les honoraires dus et qu'une facture n'était pas nécessaire ?

[21]            Pour des raisons inconnues, la succession n'a pas envoyé de facture au tiers-saisi.

[22]            La position du tiers-saisi est que l'envoi d'une facture par la succession était essentiel pour rendre le paiement exigible et que celui-ci ne pouvait pas avoir recours à la procédure d'arbitrage prévue par la Loi sur le Barreau, L.R.Q. c. B-1, et sa réglementation. Le tiers-saisi ajoute qu'étant donné que la succession n'avait pas envoyé de facture, Sa Majesté aurait dû


déposer une pétition en faillite, en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985 c. B-3, contre la succession et le syndic aurait pu envoyer la facture ou encore céder ses droits dans ladite facture à Sa Majesté.

[23]            Sa Majesté argumente que la réception des argents découlant de la poursuite par le tiers-saisi suffisait à créer l'obligation de payer à la succession.

[24]            Selon les articles 1497, 1506 et 1507 du Code civil du Québec, il est reconnu qu'une obligation peut être conditionnelle à un événement futur et incertain et que l'accomplissement de la condition a un effet rétroactif et oblige le débiteur à l'exécuter.

[25]            Les conventions du 20 mars 1993 et 6 août 1997 (qui sont semblables à tous les égards sauf pour le pourcentage d'honoraires et la dernière partie avant les signatures) créent une condition de payer en autant qu'une somme d'argent est obtenue. Suite à un jugement final de la Cour suprême du Canada, la Couronne provinciale se voyait condamnée à payer 1 179 747,86$ plus intérêts et indemnité additionnelle. Dès ce moment, la condition était exécutée et les honoraires étaient dus à la succession.


[26]            En ce qui concerne l'argument du tiers-saisi et la nécessité de la facturation, je crois que celui-ci aurait pu soumettre à un comité d'arbitrage du Barreau la demande de 30% d'honoraires et leur demander de statuer sur la validité d'exiger ce pourcentage.    Il ne l'a pas fait et ceci n'est pas une raison pour ne pas considérer les honoraires comme étant payables.

[27]            Le protonotaire, en réponse à la question B, n'a pas commis d'erreur de droit en concluant que les conventions d'honoraires suffisaient pour rendre exigible le paiement d'honoraires lorsque la somme d'argent était obtenue.

C)        Le protonotaire a-t-il erré en droit en concluant que les honoraires de Me Christian Trépanier ne devaient pas être déduits des honoraires donnés à son avocat par le tiers-saisi?

[28]            Bien que je sois d'accord avec le protonotaire qu'aucune des conventions d'honoraires appuie la thèse du tiers-saisi, j'ajoute que la convention d'honoraires du 28 novembre 2000 sur laquelle apparaît la signature du tiers-saisi et de Fasken, Martineau, DuMoulin, n'inclut pas la signature de Feu Lawrence Corriveau et ce, même si un espace était réservé pour sa signature.

[29]            La succession n'est donc pas responsable des honoraires de Me Christian Trépanier et le protonotaire n'a pas erré en droit en concluant que ces honoraires ne devaient pas être déduits des honoraires dus à la succession par le tiers-saisi.


D)        Le protonotaire a-t-il erré en droit en concluant qu'il n'y avait pas de preuve pouvant démontrer que le 30% d'honoraires donnait un caractère de lucre et de commercialité à la profession d'avocats étant donné que le 30% d'honoraires n'est pas proportionnel aux services rendus?

[30]            Comme le protonotaire l'a bien indiqué, il n'y a pas de preuve pouvant appuyer la prétention du tiers-saisi.

[31]            Au contraire, le tiers-saisi a signé une entente dans laquelle il n'assumait aucune responsabilité à l'égard des honoraires pouvant découler du litige avec la Couronne provinciale à l'exception des honoraires de Me Christian Trépanier.    Me Corriveau assumait toutes les conséquences monétaires sans assurance d'un résultat positif. Me Corriveau mettait de l'avant tout son savoir juridique tout en assumant les frais judiciaires et les déboursés afférents si le tiers-saisi avait gain de cause.

[32]            Donc, en réponse à la question D, le protonotaire n'a pas erré en droit.

[33]            Ayant révisé la décision du protonotaire et chacun des arguments du tiers-saisi, je ne peux que conclure que le protonotaire n'a pas commis d'erreurs de droit ni de faits pouvant justifier l'intervention de la Cour.

ORDONNANCE


LA COUR ORDONNE QUE:

La requête du tiers-saisi demandant la nullité de l'ordonnance définitive de saisie-arrêt du protonotaire Morneau en date du 4 février 2003 est rejetée avec dépens.

                                                          

                       Juge


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                            

DOSSIER :    ITA-691-02

INTITULÉ : Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu

et

La succession de feu Lawrence Corriveau

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 31 mars 2003

MOTIFS :      L'Honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                        25 avril 2003


COMPARUTIONS :

Me Nadine Dupuis                                               POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Me Pierre Fournier                                               POUR LE TIERS-SAISI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario                                                   POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Me William Noonan

Sillery, Québec                                                     POUR LA DÉBITRICE JUDICIAIRE


Fournier Associés s.e.n.c.

Montréal, Québec                                                POUR LE TIERS-SAISI

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