Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030123

Dossier : T-1177-01

Ottawa (Ontario), le mercredi 23 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                      KENNETH LANGILLE et MALCOLM GIVENS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                     (MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE) et NINO CERULLO

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                     ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision sous examen du comité d'appel de la Commission de la fonction publique du Canada est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de ce comité pour qu'il procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

Aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                                                               « Frederick E. Gibson »             

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030123

Dossier : T-1177-00

Référence neutre : 2003 CFPI 65

ENTRE :

                                      KENNETH LANGILLE et MALCOLM GIVENS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                 (ministère de la Défense nationale) et NINO CERULLO

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 25 mai 2001, par laquelle le comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le comité d'appel) a confirmé la sélection du défendeur Nino Cerullo au poste de chef de section, Génie aéronautique (EN-ENG-06), ministère de la Défense nationale, Région de la capitale nationale. Les demandeurs demandent à notre Cour de rendre une ordonnance ayant pour effet d'annuler la décision sous examen et de renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué du comité d'appel pour qu'il procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.


[2]                 Pour leur part, les demandeurs sollicitent une ordonnance prévoyant le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.

CONTEXTE

[3]                 Le contexte dans lequel s'inscrit la présente demande de contrôle judiciaire est brièvement résumé comme suit, au paragraphe [2] des motifs de la décision sous examen :

Le ministère [de la Défense nationale] a publié un avis de concours dont la date de clôture était le 2 août 2000 relativement au poste de chef de section dans les spécialités : génie aéronautique, propulsion des aéronefs et systèmes mécaniques, et avionique, génie électrique et génie logiciel. Le jury de présélection, composé du président George Graham, directeur, Navigabilité technique et du colonel Terry Leversedge, directeur, Chasseurs/avion-école ont tenu compte des demandes et des curriculum vitae, de leur connaissance personnelle des candidats, des vérifications de références, de même que des résultats d'un exercice de simulation pour cadres supérieurs [...] et de l'exercice de la corbeille [...] afin de déterminer que deux candidats possédaient toutes les qualités requises pour le poste de chef de section, Génie aéronautique. Le nom de ces personnes a été inscrit sur une liste d'admissibilité établie selon le mérite :

                                                               1. Nino Cerullo

                                                                2. Ken Langille

Le candidat dont le nom apparaît en premier sur la liste a été nommé au poste. Le deuxième candidat, M. Langille, a interjeté appel de la nomination du candidat choisi, M. Cerullo. Le jury a déterminé que M. Givins n'était pas qualifié puisqu'il n'avait pas obtenu la note de passage à l'exercice de simulation pour cadres supérieurs [...] M. Givins a interjeté appel des nominations réelles ou proposées.                                                                                                                     [Citations omises.]

[4]                 Le comité d'appel a écrit ce qui suit, plus loin dans ses motifs :


[12] Les appelants [les demandeurs en l'espèce] ont ensuite allégué qu'après la date de clôture du processus de sélection, le jury de présélection avait enlevé le critère des connaissances de l'énoncé de qualités. L'énoncé original des qualités énumère diverses exigences pour tous les postes, notamment les critères de connaissance suivants :

[traduction]

Connaissance des principes de gestion et de leadership.

Connaissance des principes et pratiques du génie aéronautique appliqués au développement, à la conception et à la navigabilité des aéronefs.

                Connaissance de l'organisation, des objectifs, priorités et procédures administratives et de soutien, notamment la dotation du personnel civil et militaire, la gestion financière, les prévisions budgétaires, l'approvisionnement et la comptabilité du MDN et du gouvernement.

                Connaissance de l'industrie aéronautique civile et militaire du Canada en particulier.

Connaissance de l'industrie aéronautique internationale en général.

Une version modifiée de l'énoncé de qualités, datée du 8 novembre 2000, révèle que le poste n'exigeait aucune connaissance.

[5]                 Il n'a pas été contesté devant moi que le critère des connaissances a été enlevé de l'énoncé de qualités après la date de clôture du processus de sélection. On n'a pas contesté non plus le fait que ce critère a été supprimé par le président du jury de présélection, George Graham, un fonctionnaire du ministère de la Défense nationale et la personne de qui relèverait le candidat reçu. Ce qui était en litige, c'était la question de savoir si M. Graham a procédé à cette suppression à titre de président du jury de présélection ou à titre de fonctionnaire du ministère de la Défense nationale.


LES QUESTIONS SOUMISES AU COMITÉ D'APPEL ET LES CONCLUSIONS DE CELUI-CI

[6]                 Le comité d'appel a décrit comme suit les questions qui lui étaient soumises :

La représentante des appelants a présenté les allégations communes suivantes au nom des appelants (Reproduites telles quelles, avec les erreurs et omissions) :

[traduction]           1. Le candidat qui occupe le premier rang, M. Nino Cerullo, ne possède pas l'expérience requise pour le poste et sa candidature n'aurait pas dû être retenue à la présélection. Sa nomination proposée ne respecte pas le principe du mérite.

                2. Le jury de présélection a irrégulièrement modifié les critères d'expérience après la clôture du concours. Cette modification a eu pour effet d'élargir les exigences et le nombre de candidats potentiels. Le comité d'appel doit intervenir.

                3. Le jury de présélection a irrégulièrement éliminé le critère des connaissances de l'énoncé de qualités après la clôture du concours. Cette modification a eu pour effet d'élargir les exigences et le nombre de candidats potentiels. Le comité d'appel doit intervenir.

                4. Subsidiairement, si le comité d'appel détermine que les actions du jury de sélection étaient appropriées en rapport avec l'allégation 3 :

                Le jury de présélection n'a pas jugé nécessaire d'évaluer les connaissances parce que, comme il l'a mentionné à la communication de la preuve, il « savait que tous les candidats posséderaient les connaissances requises » . En omettant d'effectuer une évaluation comparative de la connaissance des candidats, le jury de présélection ne s'est pas assuré que la nomination proposée serait fondée sur le mérite.                                                                                                                                           [Non souligné dans l'original.]

[7]                 En regard de la première question en litige, le comité d'appel a cité l'extrait suivant des motifs du juge Rothstein, alors au sein de la Section de première instance de notre Cour, dans Scarizzi c. Marinaki[1]:

[6] Il est évident que l'une des fonctions du Comité d'appel consiste à s'assurer, autant que possible, que les jurys de sélection respectent le principe du mérite dans la sélection de candidats pour des postes au sein de la fonction publique conformément à l'article 10 de la Loi. Il n'est toutefois pas autorisé à substituer son opinion à celle du jury de sélection en ce qui concerne l'évaluation ou l'examen d'un candidat. Ce n'est que lorsqu'un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu'un comité d'appel peut modifier sa décision.

[...]

[14] [...] un comité d'appel ne devrait modifier la décision d'un jury de sélection que lorsque la décision de ce dernier est manifestement déraisonnable. [...] les circonstances de l'espèce doivent être telles que l'attribution de points par le jury de sélection est manifestement déraisonnable [...]

Je considère que la déclaration qui précède du juge Rothstein correspond, en relation avec des circonstances comme celles entourant les première et deuxième questions soumises au comité d'appel en l'espèce, au critère de la décision manifestement déraisonnable. Le comité d'appel a ensuite conclu comme suit relativement à la première question en litige :

[21] Les appelants ne m'ont pas convaincu qu'il s'agit de circonstances telles que la décision du jury de présélection est manifestement déraisonnable. Je reconnais le bien-fondé de l'opinion de la représentante du ministère qui a dit que le jury de présélection n'exigeait une grande spécialisation dans l'un ou l'autre des trois domaines mentionnés - structures d'aéronefs, sciences aéronautiques ou charges extérieures. À mon avis, en décidant que l'expérience de M. Cerullo comme chargé de cours en structures et les fonctions qu'il avait exercées auparavant comme ingénieur spécialiste indiquaient qu'il possédait des connaissances spécialisées en structures d'aéronefs, le jury n'a pas pris une décision manifestement déraisonnable. Le jury a pris, par consensus, une décision qu'une personne raisonnable aurait pu prendre compte tenu des renseignements dont il disposait, y compris la connaissance personnelle du candidat qu'avait le président du jury. Il n'y a aucune raison pour laquelle je devrais modifier sa décision.

[8]                 Le comité d'appel en est arrivé à une conclusion semblable à l'égard de la seconde question dont il était saisi.

[9]                 Le comité d'appel a traité ensemble des troisième et quatrième questions qu'on lui avait soumises. Il a conclu comme suit à l'égard de ces questions, aux paragraphes [24] et [25] de ses motifs :

Les appelants ont soutenu que le jury de présélection avait irrégulièrement retiré les exigences relatives aux connaissances de l'énoncé de qualités. Selon le ministère, M. Graham était compétent, comme gestionnaire du ministère, pour apporter un tel changement. Dans le cours normal des choses, il ne faut pas modifier l'énoncé de qualités après la fermeture du concours et une fois entamé le processus de sélection. Toutefois, le ministère a affirmé que tous les candidats qui satisfaisaient aux critères en matière d'études et d'expérience avaient été avisés de la modification et qu'ils avaient reçu une version modifiée de l'énoncé de qualités. Par conséquent, je suis convaincu que l'énoncé de qualités a été régulièrement modifié par une autorité compétente et que les candidats concernés avaient été avisés du changement.

Lorsque l'autorité compétente a retranché les critères relatifs aux connaissances de l'énoncé de qualités, le jury de présélection n'avait aucune obligation d'évaluer les connaissances des candidats ni d'effectuer un examen comparatif des connaissances en se fondant sur le mérite. Je suis convaincu que le jury de présélection en l'espèce a fait son choix selon le mérite, après une évaluation des études, de l'expérience, des capacités et des qualités personnelles des candidats.                                                                                                                                           [Non souligné dans l'original.]                                                                    

LES QUESTIONS SOUMISES À LA COUR


[10]            Les questions soumises à la Cour étaient essentiellement les mêmes que celles soumises au comité d'appel, sauf que cette fois-ci, bien sûr, il fallait se demander si ce comité lui-même, et non plus le jury de présélection, avait commis une erreur en concluant comme il l'a fait. Devant moi, les avocats ont essentiellement traité ensemble des deux premières questions soumises au comité d'appel puis, comme celui-ci l'a fait, ensemble des deux dernières questions. La brève analyse que voici suivra en leur forme les observations qui m'ont été présentées.

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

[11]            Le mandat du comité d'appel dans des circonstances telles que celles de la présente affaire découle de l'article 21, reproduit ci-après, de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique[2] :


21. (1) Tout candidat non reçu à un concours interne ou, s'il n'y a pas eu concours, toute personne dont les chances d'avancement sont, selon la commission, amoindries par une nomination interne, déjà effective ou en instance, peut, dans le délai imparti par la Commission, en appeler devant un comité chargé par celle-ci de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made from within the Public Service, every unsuccessful candidate, in the case of selection by closed competition, or, in the case of selection without competition, every person whose opportunity for advancement, in the opinion of the Commission, has been prejudicially affected, may, within such period as the Commission prescribes, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

(2) Après notification de la décision du comité, la Commission, en fonction de cette dernière :

a) confirme ou révoque la nomination;

b) procède ou non à la nomination.

(2) The Commission, on being notified of the decision of the board on an inquiry into an appointment conducted pursuant to subsection (1), shall, in accordance with the decision,

(a) if the appointment has been made, confirm or revoke the appointment; or

(b) if the appointment has not been made, make or not make the appointment.


[12]            Comme il était déjà mentionné dans des extraits cités des motifs du comité d'appel, ce dernier a essentiellement pour rôle, en vertu de l'article 21, de s'assurer du respect du principe de la sélection au mérite. Ce principe est énoncé comme suit à l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique :


10. Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.


ANALYSE

[13]            Pour ce qui est des deux premières questions en litige soumises au comité d'appel, je suis convaincu que celui-ci a fait preuve d'une retenue appropriée et non excessive face aux conclusions du jury de présélection, compte tenu particulièrement du fait qu'en l'espèce la sélection était effectuée par un comité d'appel constitué de personnes ayant les compétences techniques requises, en relation avec un domaine d'emploi très spécialisé et technique. Je suis convaincu, en regard d'une norme de contrôle judiciaire de la décision manifestement déraisonnable, qu'il était raisonnable pour le comité d'appel de conclure comme il l'a fait à l'égard des deux premières questions en litige et qu'une intervention de notre Cour n'est pas justifiée.

[14]            Cependant, la norme de contrôle de la décision d'un comité d'appel n'a pas dans tous les cas à être aussi élevée. Dans Barbeau c. Canada (Procureur général)[3], mon collègue le juge Blais a écrit ce qui suit au paragraphe [18] de ses motifs :

La Cour d'appel fédérale a confirmé que le comité d'appel ne possède pas suffisamment de connaissances lui permettant d'interpréter la Loi pour justifier que la Cour fasse preuve de retenue, sauf dans des circonstances particulières. En conséquence, les erreurs de droit, les erreurs de compétence et les exigences du principe du mérite qui soulèvent une question de droit sont toutes susceptibles d'un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte [...]

Pour étayer ce principe, le juge Blais a cité les décisions Boucher c. Canada (Procureur général)[4] et Buttar c. Canada (Procureur général)[5].

[15]            En regard cette fois de la norme de la décision correcte, je conclus relativement à la décision concernant la troisième et la quatrième questions en litige, soit la suppression de l'énoncé de qualités du critère des connaissances, que le comité d'appel a commis une erreur sujette à révision.

[16]            Dans Tiefenbrunner c. Canada (Procureur général)[6], le juge Hugessen a écrit ce qui suit au nom de la Cour :


La preuve démontre clairement que la description de poste [...] et l'énoncé de qualités [...] contiennent tous deux des exigences importantes en matière de connaissances. En outre, le jury de sélection (ou de « promotion » ) n'a manifestement pas considéré le facteur des connaissances : son rapport est ainsi rédigé :

[traduction] « Le facteur des connaissances n'a pas été considéré au cours de la présente procédure de promotion » .

[...]

Le comité d'appel a tout de même écrit ceci :

[traduction] Les explications fournies par le ministère m'ont convaincue que le facteur des connaissances a été pris en considération et qu'en raison des circonstances particulières, il ne justifiait pas une méthode formelle d'évaluation. Une grande partie des tâches exigent des connaissances qui seront acquises sur place. D'autres exigent des connaissances que les CR-04 possèdent déjà. Puisque tous les candidats occupent des postes de CR-4 depuis un assez long moment, je crois que, dans ces circonstances, il aurait été superflu d'apprécier ce facteur. Par conséquent, je ne peux être d'accord avec le représentant des appelants qui laisse entendre que le ministère n'a pas tenu compte des exigences du poste.

[...]

Si, comme l'a laissé entendre l'avocat de l'intimé, la première phrase citée est censée être une conclusion que les connaissances ont effectivement été considérées, elle est contraire à la preuve. Si, au contraire, elle signifie, selon une interprétation littérale, que les connaissances ont été simplement considérées sans être évaluées, le comité d'appel a de toute évidence commis une erreur de droit. Compte tenu des fonctions et de l'énoncé de qualités de ces postes, il incombait clairement au jury de sélection d'évaluer les connaissances de façon à ce que le mérite respectif des candidats soit apprécié [...]                                                                                                                                                                                                           [Citations omises.]

[17]            Dans Boucher[7], le juge Strayer a écrit ce qui suit au nom de la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 8 de ses motifs :


Selon cette norme [de la décision correcte], nous concluons que le comité de sélection a commis une erreur de droit en ce qu'il n'a pas exigé que les candidats possèdent chacune des qualifications annoncées pour ce poste. Cela correspondait effectivement à un défaut d'évaluer le facteur des connaissances. Nous suivons l'arrêt de la Cour dans Tiefenbrunner [...] et nous concluons qu'un tel défaut constituait une erreur de droit de la part du comité de sélection. De fait, cela a eu pour effet d'éliminer le facteur des connaissances des qualifications malgré les exigences annoncées pour le poste. Comme la Cour l'a décidé en d'autres occasions, un comité de sélection ne peut changer les qualifications annoncées en éliminant une ou plusieurs d'entre elles : agir de la sorte est inéquitable pour ceux qui autrement, auraient peut-être posé leur candidature mais ne l'ont pas fait parce qu'ils reconnaissaient ne pas posséder toutes les qualifications annoncées.                  [Citations omises; Tiefenbrunner est citée précédemment, à la note 6. Non souligné dans l'original.]

[18]            Dans ses motifs sur cette question, le comité d'appel a reconnu, tel qu'il a déjà été cité, que dans « le cours normal des choses, il ne faut pas modifier l'énoncé de qualités après la fermeture du concours et une fois entamé le processus de sélection » . Il a néanmoins justifié l'élimination du critère des connaissances en l'espèce en se disant assuré que « [...] tous les candidats qui satisfaisaient aux critères en matière d'études et d'expérience avaient été avisés de la modification et qu'ils avaient reçu une version modifiée de l'énoncé de qualités » . Cela est tout simplement insuffisant. Tel que le juge Strayer l'a fait remarquer dans le passage précité de Boucher, l'élimination du critère des connaissances était inéquitable « [...] pour ceux qui autrement, auraient peut-être posé leur candidature mais ne l'ont pas fait parce qu'ils reconnaissaient ne pas posséder toutes les qualifications énoncées » . Aviser tous les participants au concours ne permet tout simplement pas de corriger l'injustice à l'égard de ceux qui se seraient sinon portés candidats mais ne l'ont pas fait.

[19]            L'avocat des défendeurs a insisté sur le fait qu'en raison de la nature du concours concerné, personne d'autre ne serait porté candidat en tout état de cause, peu importe assurément la suppression du critère des connaissances, alors que d'autres critères de nature très technique demeuraient prévus. Il a en outre insisté sur le fait que M. Graham avait enlevé le critère des connaissances à titre de fonctionnaire du ministère de la Défense nationale et non à titre de président du jury de présélection.


[20]            Je rejette ces prétentions. Pour ce qui est de la première, on n'a présenté au comité d'appel aucune preuve solide démontrant que personne d'autre n'aurait posé sa candidature s'il y avait eu réouverture du concours en recourant à un énoncé de qualités amputé du critère des connaissances. De même, aucune preuve solide n'a été présentée au comité d'appel établissant que M. Graham avait agi à titre de fonctionnaire du ministère de la Défense nationale et non de président du jury de présélection lorsqu'il a supprimé ce critère.

[21]            Dans Canada (Procureur général) c. Blashford[8], le juge Décary a écrit ce qui suit à la page 59 de ses motifs :

Il n'y a aucune preuve établissant que les représentants du Ministère qui participaient au jury de sélection agissaient vraiment au nom du ministère lorsqu'ils définissaient ces critères, et, à mon avis, il faudrait des preuves très concluantes pour réfuter la présomption que les membres du jury de sélection constitué par la Commission agissaient au nom de la Commission, et non de leur propre ministère, quand ils établissaient des critères équivalant à des exigences supplémentaires.

[22]            Je suis convaincu qu'on pourrait dire exactement la même chose quant à la suppression par M. Graham du critère des connaissances. Comme je l'ai déjà mentionné, d'après le dossier, aucune preuve solide au contraire n'a été présentée au comité d'appel sur ce point.


[23]            Bien que la citation qui précède soit d'application plus restreinte pour ce qui est de savoir si toute autre personne eût posé ou non sa candidature, je suis convaincu que le raisonnement sous-tendant la citation est également applicable à cette prétention. Il n'incombait pas aux demandeurs de faire la preuve en l'espèce que d'autres personnes se seraient portées candidates.

[24]            Je suis par conséquent convaincu, en regard de la norme de la décision correcte, que le comité d'appel a commis une erreur de droit contraire au principe de la sélection au mérite lorsqu'il a conclu que le jury de présélection n'avait pas commis une erreur révisable en recourant à un énoncé de qualités d'où le critère des connaissances avait été éliminé après la clôture du concours.

CONCLUSION

[25]            Compte tenu de la brève analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sous examen du comité d'appel sera annulée et la présente affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de ce comité pour qu'il procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

[26]            Les demandeurs n'ont pas demandé de dépens. Aucuns dépens ne seront adjugés.

                                                                            « Frederick E. Gibson »             

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 23 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION D'APPEL

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                T-1177-01

INTITULÉ :                                               Kenneth Langille et Malcolm Givens

c.

Le Procureur général du Canada (ministère de la Défense nationale) et Nino Cerullo

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 9 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       Le juge Gibson

DATE :                                                        Le 23 janvier 2003

COMPARUTIONS :

M. Christopher Rootham                                              POUR LES DEMANDEURS

M. Geoffrey S. Lester                                                   POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP                                        POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada



[1]         (1994), 87 F.T.R. 66.

[2]         L.R.C. (1985), ch. P-33.

[3]         [2002] A.C.F. n ° 582 (en ligne sur QL) (1re inst).

[4]         [1998] A.C.F. n ° 1557 (en ligne sur QL) (1re inst), confirmé en appel, [2000] A.C.F. n ° 86 (en ligne sur QL) (C.A.).

[5]         [2000] A.C.F. n ° 437 (en ligne sur QL) (C.A.).

[6]         [1992] A.C.F. n ° 1021, (en ligne sur QL) (C.A.).

[7]         Précitée, note 4.

[8]         [1991] 2 C.F. 44 (C.A.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.