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                                                                                                                                           Date : 20030715

                                                                                                                             Dossier : IMM-5459-02

                                                                                                                           Référence : 2003 CF 878

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                           JAMES EVGENY MEYER

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision négative prononcée le 17 octobre 2002 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission).


Les faits

[2]                 Le demandeur, M. James Meyer, est un citoyen israélien de 23 ans. Il revendique le statut de réfugié pour le motif qu'il est persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, à savoir les homosexuels. Il prétend également être « une personne à protéger » au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[3]                 Le demandeur affirme qu'il a découvert qu'il était homosexuel à son adolescence et qu'en 1995, il a été harcelé et battu dans une discothèque, parce qu'il avait embrassé un autre homme. Il a rencontré des policiers à deux reprises au sujet de cet incident mais n'a pas été informé que quelqu'un ait été arrêté et le demandeur affirme que les policiers n'ont pas pris sa plainte au sérieux.

[4]                 En avril 2000, le demandeur est entré dans un collège technique et a commencé sa formation militaire en août 2000. Le demandeur affirme qu'un ancien condisciple l'a reconnu et qu'il a été battu par quatre militaires à cause de son orientation sexuelle. Il n'a pas rapporté cet incident. Quelques mois plus tard, il a été à nouveau agressé par les mêmes militaires et un des assaillants l'a délibérément brûlé avec une cigarette. Le demandeur n'a pas rapporté non plus cet incident aux autorités.


[5]                 Il s'est produit un troisième incident au cours duquel les mêmes quatre militaires ont attaqué le demandeur et ont uriné sur lui. Le lendemain, le demandeur s'est présenté devant son commandant; il lui a rapporté ces incidents et lui a déclaré qu'il était harcelé à cause de son orientation sexuelle. L'officier lui a fixé un rendez-vous avec le psychiatre militaire. Le demandeur a obtenu un certificat déclarant qu'il souffrait de troubles d'ajustement, qualifiés de « démence psychiatrique » . Le demandeur affirme qu'après avoir terminé son service militaire, on lui a refusé du travail à cause de ce certificat. Il a été libéré prématurément de ses obligations militaires en octobre 2001.

[6]                 Quelques mois plus tard, le demandeur a reçu une lettre anonyme dont l'auteur l'insultait et le menaçait de mort à cause de son homosexualité. Il affirme que sa vie était menacée.

La décision de la Commission

[7]                 La Commission a résumé le témoignage du demandeur, tel que rapporté ci-dessus. La Commission a déclaré qu'après avoir analysé le témoignage et la preuve documentaire, elle a conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il était persécuté, ni qu'il était une personne à protéger.

[8]                 La Commission déclare ne pas croire à l'histoire du demandeur et que sa crédibilité est entachée par l'omission de faits importants, par des invraisemblances et parce que sa version des faits n'est pas compatible avec la preuve documentaire concernant Israël. La Commission note que le demandeur n'a pas mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) le fait qu'il avait été harcelé entre 1995 et 2000, pendant ses études secondaires. Le demandeur a répliqué qu'il avait été uniquement harcelé verbalement à cette époque. La Commission déclare trouver curieux que le demandeur n'ait pas mentionné ces incidents alors qu'il a fourni le nom de ses partenaires sexuels correspondant à la même période. La Commission a cité la jurisprudence qui indique que tous les faits importants et pertinents doivent être divulgués dans le FRP et repris de façon plus détaillée au cours du témoignage du revendicateur.


[9]                 La Commission déclare n'accorder aucune crédibilité à l'histoire du demandeur selon laquelle il aurait été victime d'agression à trois reprises durant son service militaire et ne se serait pas rendu à l'infirmerie après avoir reçu des brûlures de cigarette. Interrogé à ce sujet, le demandeur a déclaré qu'il craignait d'être renvoyé par son supérieur. La Commission a déclaré qu'elle n'acceptait pas cette explication.

[10]            La Commission ne croit pas que le demandeur ait été renvoyé du service militaire à cause de son orientation sexuelle parce que la preuve documentaire montre qu'Israël est un pays très progressiste pour ce qui est de protéger les droits des homosexuels. La Commission cite plusieurs sources documentaires indiquant que la société israélienne est ouverte à l'homosexualité et que les autorités militaires ne font pas de discrimination en fonction de cette orientation. La Commission conclut que, si certaines personnes des milieux politiques et religieux n'acceptent pas l'homosexualité et que certains homosexuels sont victimes de discrimination en Israël, il n'en demeure pas moins que l'homosexualité n'est pas un crime dans ce pays et qu'elle est acceptée par les autorités tant civiles que militaires. Dans ces circonstances, la Commission déclare préférer s'en remettre à la preuve documentaire qu'à la version du demandeur et conclut que la crainte de persécution du demandeur n'est pas fondée.

[11]            La Commission déclare ne pas avoir accordé de force probante au rapport médical qui précisait que les cicatrices du demandeur avaient été causées par des brûlures de cigarettes parce qu'elle n'avait pas cru à l'histoire relatée par le demandeur.

[12]            La Commission a jugé que le demandeur n'avait pas démontré qu'il avait subi un préjudice dans sa recherche d'emploi en raison de son homosexualité ou du fait qu'il n'avait pas terminé son service militaire. La Commission a estimé que le certificat d'évaluation remis par les autorités militaires était positif et ne pensait pas que le demandeur subirait un préjudice s'il cherchait du travail, compte tenu de cette référence positive.


[13]            La Commission déclare également qu'elle n'est pas convaincue que l'État d'Israël ne serait pas en mesure de protéger le demandeur si celui-ci retournait dans ce pays. La Commission se demande pourquoi il n'a pas porté plainte auprès des autorités militaires s'il n'était pas d'accord avec le diagnostic psychiatrique et elle n'a pas accepté l'explication fournie par le demandeur selon laquelle il a agit de cette façon parce que le diagnostic était définitif. La Commission note que, selon la preuve documentaire, il existe un « ombudsman » pour les militaires en Israël. La Commission note que le demandeur n'a pas porté officiellement plainte à la police après avoir reçu la lettre anonyme en 2001 et note également qu'il existe une organisation (l'Unité nationale) qui examine les plaintes portées contre des policiers et à laquelle le demandeur aurait pu s'adresser.

[14]            La Commission déclare ne pas croire que le demandeur ait démontré l'existence d'une crainte subjective, étant donné qu'il a demandé d'immigrer au Canada en décembre 2001 et, qu'il n'a pas quitté Israël avant le 31 décembre 2001 et n'a demandé le statut de réfugié au Canada que le 5 mars 2002. La Commission conclut que le comportement du demandeur est incompatible avec celui d'une personne ayant une crainte subjective d'être persécutée et a décidé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

Question en litige

[15]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur parce qu'elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait à laquelle elle est arrivée de façon arbitraire et abusive et sans égard aux documents présentés. Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur parce qu'elle a évalué de façon négative la crédibilité du demandeur, en écartant son témoignage alors que celui-ci, fourni sous serment, est présumé vrai.


La norme de contrôle

[16]            Le demandeur conteste les conclusions de fait de la Commission, notamment l'évaluation qu'elle a faite de sa crédibilité. La norme de contrôle applicable aux questions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable : Dhindsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 2011 (QL) QL, paragr. 41.

Analyse

[17]            Dans ses observations écrites, le demandeur soutient que la Commission n'a pas respecté le principe énoncé dans l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302, selon lequel les allégations faites sous serment sont présumées vraies, à moins qu'il n'existe une raison de douter de leur véracité. Le demandeur soutient que la Commission n'a pas donné foi à son témoignage, malgré le fait que certaines preuves documentaires corroborent sa version des faits. Par exemple, le demandeur fait remarquer que la preuve documentaire citée par la Commission énonce : « En pratique, les homosexuels sont encore parfois exemptés du service militaire ou sont congédiés de l'armée pour des raisons médicales » . Le demandeur soutient que le raisonnement qu'a utilisé la Commission pour évaluer la crédibilité du défendeur est hypothétique et a débouché sur une décision manifestement déraisonnable.

[18]            Le défendeur soutient que la preuve documentaire, prise dans son ensemble, appuie la conclusion de la Commission selon laquelle les droits civils des homosexuels sont, d'une façon générale, respectés en Israël. En outre, le défendeur soutient que la Commission reconnaît que les homosexuels font parfois l'objet de discrimination mais qu'elle a finalement préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur. Le défendeur note qu'il appartient à la Commission d'évaluer la crédibilité du revendicateur et d'apprécier la preuve en conséquence.


[19]            En outre, le défendeur note que la Commission a jugé que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État et que, par conséquent, le demandeur n'aurait pu de toute façon se faire reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.


[20]            À mon avis, la Commission pouvait fort bien conclure que le retard qu'a mis le demandeur à quitter Israël et à demander le statut de réfugié au Canada n'est pas compatible avec une crainte subjective de persécution. J'estime également que le demandeur n'a pas montré en quoi les conclusions de la Commission étaient arbitraires ou abusives ou faites sans tenir compte de la preuve. Dans ses observations écrites, le demandeur n'a pas contesté les conclusions suivantes de la Commission. La Commission a jugé que le demandeur avait omis d'inclure des événements importants dans son FRP. En outre, la Commission n'a pas accepté les déclarations du demandeur selon lesquelles il n'avait pas rapporté les agressions aux autorités militaires, ni demandé une aide médicale après avoir été brûlé par ses collègues avec une cigarette. En outre, la Commission n'a pas retenu les déclarations du demandeur selon lesquelles il avait été involontairement empêché de terminer son service militaire à cause de son orientation sexuelle. Le demandeur soutient, pour l'essentiel, que la Commission a accordé beaucoup trop d'importance à la preuve documentaire et n'a pas suffisamment tenu compte du témoignage du demandeur. Je ne peux retenir cet argument. Rien n'indique que la Commission n'ait pas tenu compte des preuves présentées. Il est possible que le demandeur n'accepte pas les conclusions de la Commission mais il n'appartient pas à notre Cour d'apprécier à nouveau la preuve dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire. Il est également bien établi que la Commission, un tribunal spécialisé, a toute liberté pour préférer la preuve documentaire au témoignage d'un demandeur, lorsqu'elle apprécie la preuve. [Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] A.C.F. n ° 1087 (QL)]. Compte tenu de la preuve présentée à la Commission, je ne pense pas que ses évaluations en matière de crédibilité et de vraisemblance soient manifestement déraisonnables. Il ressort de la preuve documentaire citée par la Commission que l'armée israélienne ne limite aucunement le recrutement, le placement et la promotion des homosexuels au sein de l'armée. Cette preuve conforte les conclusions de la Commission.

[21]            De toute façon, je note que la Commission a mentionné que le demandeur n'avait pas demandé la protection de l'État d'Israël avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada. La Commission a jugé que le demandeur n'avait pas porté officiellement plainte à la police, ni devant l' « ombudsman » prévu pour le personnel militaire après avoir reçu une menace de mort. Le demandeur n'a pas non plus saisi « l'Unité nationale » , un organisme chargé d'examiner les plaintes contre la police. La Commission a également noté que le demandeur n'avait pas tenté de contester le diagnostic médical en utilisant les recours militaires. Il existe des preuves documentaires abondantes qui indiquent que les droits des homosexuels sont généralement respectés en Israël et que la police répond aux plaintes logées par les homosexuels. Même si les allégations du demandeur concernant les difficultés qu'il a rencontrées avec les autorités étaient exactes, il n'est pas possible d'affirmer qu'il a démontré, selon des preuves claires et convaincantes, que l'État d'Israël n'était pas en mesure de le protéger. Je suis convaincu que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'a pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État, n'est pas erronée. Par conséquent, j'estime que la décision de la Commission n'est pas susceptible d'être révisée.

Conclusion

[22]            Pour les motifs décrits ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[23]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale, comme l'envisage l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27, et elles ne l'ont pas fait. Je ne me propose donc pas de certifier une question grave de portée générale.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), prononcée le 17 octobre 2002, est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                                 Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5459-02

INTITULÉ :                                              Meyer c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 8 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                           le 15 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Me Roman B. Karpishka                                                                POUR LE DEMANDEUR

Me Claudia Gagnon                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Roman B. Karpishka                                                                POUR LE DEMANDEUR

101-935, 44e avenue

Lachine (Québec) H8T 2L3

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)


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