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Date : 20210326


Dossier : IMM‑7680‑19

Référence : 2021 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

TIANHUI OU

HAOMING LIU

HORAN LIU

FENG LIU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, des citoyens de la Chine, ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignent d’être persécutés du fait qu’ils ont enfreint la politique des deux enfants de la Chine et qu’ils se sont convertis au christianisme après leur arrivée au Canada.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Cette décision a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) le 18 novembre 2019. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3] Les demandeurs affirment principalement que la conclusion de la SAR selon laquelle ils ne risquaient pas d’être persécutés pour avoir enfreint la politique des deux enfants (pour avoir eu un troisième enfant né au Canada) est déraisonnable, car cette dernière a effectué un examen sélectif de la preuve et a fait abstraction de renseignements au dossier qui contredisaient ses conclusions. En outre, les demandeurs soutiennent que l’analyse effectuée par la SAR de leur crainte de persécution découlant de leur conversion au christianisme pendant leur séjour au Canada était déraisonnable.

[4] Pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la demande de contrôle judiciaire. La décision de la SAR est raisonnable, car cette dernière a examiné la preuve en fonction des principes juridiques applicables et a expliqué le fondement de sa conclusion d’une manière qui satisfait aux exigences de la norme de la décision raisonnable.

I. Contexte

[5] La demanderesse principale, Tianhui Ou (la DP), a donné naissance à deux enfants en Chine. Après la naissance de ses deux enfants, elle a connu des problèmes de santé qui l’ont empêchée de porter un dispositif intra-utérin (DIU), comme l’exigeaient les autorités locales en vertu de la politique sur la planification familiale de la Chine. Suivant la recommandation de son médecin, la DP a utilisé d’autres formes de contraception et devait se présenter à des examens de grossesse périodiques.

[6] La DP affirme que, en avril 2016, elle a découvert qu’elle était tombée enceinte pour une troisième fois. Craignant d’être forcée de subir un avortement, elle est allée se cacher chez sa tante. Cependant, elle dit avoir été appréhendée par des agents de protection de la famille en juillet 2016 et forcée de subir un avortement et une ligature des trompes. La DP dit avoir eu des complications après cette intervention chirurgicale et être allée à une clinique privée en mai 2017 pour faire rattacher ses trompes. Elle affirme que des agents de planification familiale se sont présentés à son domicile en mars 2018, ont informé ses parents qu’elle avait enfreint la politique sur la planification familiale de la Chine en faisant rattacher ses trompes et ont laissé un avis qui obligeait la DP et son mari à prendre rendez‑vous pour subir une procédure de stérilisation.

[7] Le 28 mars 2018, les demandeurs ont fui la Chine et sont entrés au Canada. La DP et ses deux enfants ont présenté des demandes d’asile en mai 2018. Le demandeur est retourné en Chine en août 2018 pour aider à prendre soin de son père, qui avait subi une crise cardiaque. Il affirme que les autorités de planification familiale se sont présentées au domicile de ses parents en novembre 2018 et ont laissé un avis les obligeant, lui ou sa femme, à prendre rendez‑vous pour subir une procédure de stérilisation. Il est revenu au Canada le 29 novembre 2018 et a présenté une demande d’asile.

[8] La DP et le demandeur ont affirmé que, après leur arrivée au Canada, ils ont commencé à fréquenter une église pentecôtiste et y ont été baptisés en tant que chrétiens. De plus, la DP est tombée enceinte, et leur troisième enfant est né au Canada. Le troisième enfant est un citoyen canadien et il ne fait donc pas partie de la demande.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR est déraisonnable. Les demandeurs soutiennent qu’elle n’est pas raisonnable, invoquant les conclusions de la SAR concernant le risque qu’ils soient persécutés s’ils retournent en Chine du fait qu’ils ont contrevenu à la politique des deux enfants et se sont convertis au christianisme.

[10] Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Vavilov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CSC 65 [Vavilov]. Je suis du même avis.

[11] Selon le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au para 2 [Société canadienne des postes]). Il incombe aux demandeurs de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité et approuvé dans Société canadienne des postes, au para 33).

III. Analyse

[12] Les demandeurs contestent la décision de la SAR pour deux motifs : (A) la SAR a évalué de façon déraisonnable le risque qu’ils soient persécutés pour avoir enfreint la politique sur la planification familiale de la Chine, et (B) la SAR a aussi analysé de façon déraisonnable leur allégation fondée sur la religion. À l’audience, l’argumentation des demandeurs portait sur le premier motif, bien qu’ils n’aient pas abandonné le deuxième motif. J’analyserai donc les deux motifs.

A. Le risque de persécution pour avoir enfreint la politique sur la planification familiale

[13] Devant la SAR, les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle leur allégation de mauvais traitement par les autorités de planification familiale n’était pas crédible et que les documents qu’ils ont présentés à l’appui de cette allégation était frauduleux. Ils ont plutôt soutenu que, peu importe ce qui s’était produit en Chine, ils risquaient d’être persécutés, car ils étaient sur le point d’avoir leur troisième enfant et qu’ils contreviendraient donc à la politique des deux enfants de la Chine. La SAR a effectué sa propre analyse avant de conclure que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque de stérilisation forcée en tant que famille ayant trois enfants.

[14] Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est déraisonnable. Ils affirment essentiellement que la SAR a procédé à un examen sélectif de la preuve et qu’elle a fait fi d’éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions, contrairement aux lignes directrices énoncées dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), [1999] 1 CF 53, [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst) [Cepeda‑Gutierrez]. De plus, les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en minimisant les répercussions que pourrait avoir la politique sur la planification familiale de la Chine sur eux s’ils sont forcés de retourner en Chine.

[15] Les demandeurs ont reconnu que la DP ne serait pas obligée de subir un avortement si elle était forcée de retourner en Chine, parce qu’elle devait accoucher peu après l’audience de la SAR et que l’enfant serait probablement né au moment de la publication de la décision. Par conséquent, l’analyse de la SAR portait principalement sur les répercussions de la naissance du troisième enfant sur la demande d’asile des demandeurs.

[16] La SAR a indiqué que la preuve documentaire révélait que les enfants nés à l’extérieur de la Chine pouvaient être enregistrés dans le livret de ménage de leurs parents sans pénalité ou après l’imposition d’une amende. La SAR a en outre souligné que la stérilisation forcée était interdite en Chine et que, même si la pratique avait toujours cours en dépit de la loi, elle se produisait moins souvent que par le passé.

[17] La SAR a pris en considération un article présenté par les demandeurs qui relatait l’expérience d’une femme en Chine qui avait récemment subi une stérilisation forcée, mais a souligné que l’article ne précisait pas à quel endroit en Chine cet incident était survenu. La SAR a examiné : a) les éléments de preuve démontrant que la politique de planification familiale est appliquée de manière inégale dans différentes régions de la Chine, b) le fait que les demandeurs retourneraient dans la province du Guangdong, qui a adopté par le passé une approche plus souple en ce qui concerne l’application de la politique sur la planification familiale, et c) l’absence de preuve montrant que les demandeurs étaient actuellement des personnes d’intérêt pour les autorités de planification familiale en Chine.

[18] Au vu de ces éléments, la SAR a conclu qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que la DP ou son mari soient soumis à la stérilisation forcée malgré la naissance de leur troisième enfant. La SAR a plutôt conclu que, selon toute vraisemblance, ils seraient tenus de payer des frais de compensation sociale.

[19] En ce qui concerne la question des frais de compensation sociale, la SAR a jugé qu’ils ne constitueraient pas de la persécution à l’égard des demandeurs. Les demandeurs se sont payé plusieurs voyages prolongés à l’étranger, et la DP et son mari avaient déjà occupé un emploi en Chine. Par conséquent, la SAR a conclu que le paiement des frais ne leur imposerait pas un fardeau excessif.

[20] Enfin, la SAR a rejeté l’allégation des demandeurs selon laquelle le fait de devoir se soumettre à la contraception forcée constituerait de la persécution de la part de l’État. La preuve démontrait que les demandeurs seraient en mesure de choisir leur propre moyen de contraception dans la province du Guangdong et que, s’ils décidaient de ne pas en utiliser, ils seraient assujettis à une légère amende. La DP avait déclaré avoir eu des problèmes de santé lorsqu’elle avait été forcée de porter un DIU, mais elle n’avait jamais indiqué qu’elle n’était pas disposée à utiliser d’autres moyens de contraception, pas plus qu’elle ne s’était opposée à l’utilisation de toute forme de contraception. La SAR a conclu que les demandeurs pouvaient choisir le type de contraception qu’ils préféraient et que cela ne constituait pas de la persécution.

[21] Au vu de l’ensemble des conclusions, la SAR a donc confirmé la décision de la SPR de rejeter ce motif de la demande d’asile des demandeurs.

[22] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR va à l’encontre des éléments de preuve objectifs au dossier, ainsi que du bon sens. Les demandeurs retourneraient en Chine en tant que famille de cinq personnes, dont trois enfants, ce qui fait en sorte qu’ils contreviennent à la politique des deux enfants de la Chine. Ils soutiennent que la SAR a appliqué le mauvais critère dans son évaluation du risque de préjudice auquel ils seraient exposés à l’avenir lorsqu’elle les a obligés à démontrer que la stérilisation forcée était imposée à des familles qui retournaient au pays avec des enfants nés à l’étranger. Le critère consiste à savoir s’ils sont exposés à une possibilité sérieuse qu’un tel événement se produise, et non pas s’ils pouvaient prouver qu’il surviendrait. Par conséquent, la SAR a imposé un fardeau trop élevé lorsqu’elle a affirmé que « l’effet le plus probable […] de la naissance d’un troisième enfant, à l’étranger, serait l’imposition de frais de compensation sociale » (décision de la SAR, au para 28).

[23] La preuve au dossier contient des rapports montrant que la stérilisation et l’insertion forcée de DIU continuent d’être imposées lorsqu’il y a contravention à la politique sur la planification familiale, mais les demandeurs indiquent qu’aucun de ces éléments de preuve n’a été abordé par la SAR. La SAR a simplement souligné que la stérilisation forcée est interdite en Chine, mais qu’elle continue d’être pratiquée, bien que moins fréquemment que par le passé. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une lecture sélective de la preuve, qui ne tient pas compte des éléments de preuve qui contredisent directement la conclusion de la SAR et qui est contraire à la décision Cepeda‑Gutierrez.

[24] De plus, les demandeurs font valoir que la SAR est passée à côté de la question dans son traitement de l’article qu’ils ont présenté au sujet de la femme qui a été forcée de subir la stérilisation. En concentrant son analyse sur le fait que l’article ne précisait pas à quel endroit cet incident avait eu lieu et que la mise en œuvre de la politique sur la planification familiale était inégale dans l’ensemble du pays, la SAR a fait fi de la conclusion principale qu’elle devait tirer à partir de cet élément de preuve, c’est‑à‑dire que la stérilisation forcée continue d’être pratiquée.

[25] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en s’attardant sur le traitement qui leur serait probablement réservé dans la province du Guangdong, parce que le critère prévoit une évaluation du risque de persécution en Chine, et non pas une évaluation comparative des risques dans différentes parties du pays. En outre, la SAR a commis une erreur en n’appliquant pas le critère du risque prospectif de persécution, à la lumière du fait que les demandeurs retourneraient en Chine avec un troisième enfant. Les conclusions concernant leur traitement précédent n’étaient pas une indication fiable pour établir les risques auxquels ils seraient exposés s’ils retournaient en Chine, et la SAR a commis une erreur en n’établissant pas cette distinction.

[26] Qui plus est, les demandeurs soutiennent que l’évaluation effectuée par la SAR des répercussions des frais de compensation sociale était déraisonnable. Même si les frais minimums leur étaient imposés, les répercussions seraient énormes, et la SAR a commis une erreur en concluant que, comme ils avaient connu une bonne situation financière par le passé, ils seraient en mesure de se rétablir. La SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve montrant qu’une contravention à la politique sur la planification familiale pourrait compliquer la recherche d’un emploi. La SAR a aussi fait fi de la réalité, à savoir que leurs dépenses en tant que famille de cinq seraient supérieures à celles qu’ils avaient lorsqu’ils vivaient précédemment en Chine.

[27] Cet argument ne me convainc pas.

[28] Le point de départ de l’analyse est le cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov, qui porte sur les motifs et examine s’ils justifient le résultat au moyen d’un raisonnement cohérent qui est ancré dans la matrice juridique et factuelle qui fixe les limites de la décision.

[29] En l’espèce, l’analyse de la SAR est attentive et approfondie, et elle tient expressément compte des éléments de preuve présentés par les demandeurs. La SAR reconnaît, par exemple, que les éléments de preuve montrent que la politique sur la planification familiale est appliquée inégalement dans différentes parties de la Chine. Toutefois, elle signale aussi que la province du Guangdong, dans laquelle les demandeurs retourneraient, n’avait pas historiquement appliqué la politique de façon rigoureuse.

[30] La SAR a aussi explicitement tenu compte de l’article présenté par les demandeurs qui relatait qu’une femme avait subi une stérilisation forcée, mais elle a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une preuve convaincante des risques prospectifs auxquels les demandeurs seraient exposés dans le Guangdong, parce que l’article ne précisait pas à quel endroit l’incident s’était produit. L’appréciation de cet élément de preuve a été réalisée et expliquée à la lumière des caractéristiques précises de la publication lorsqu’elle a été examinée dans le contexte de l’affaire. C’est tout ce que requiert l’examen du caractère raisonnable.

[31] Dans l’ensemble, je suis d’avis que l’analyse qu’a faite la SAR de toutes ces questions repose sur la preuve et sur une compréhension des principes juridiques applicables. Ce n’est pas le rôle d’une cour de révision d’apprécier de nouveau la preuve (Vavilov, au para 125).

[32] Je ne suis pas non plus d’accord pour dire que la SAR a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’elle a examiné les risques auxquels seraient exposés les demandeurs à leur retour en Chine. La SAR a affirmé que l’évaluation du risque au cœur de la demande d’asile est axée sur l’avenir (décision de la SAR, au para 26), puis a procédé à l’analyse de la preuve avant de conclure qu’« il n’existe pas de possibilité sérieuse que les [demandeurs] soient soumis à la stérilisation, malgré la naissance de leur troisième enfant. Selon toute vraisemblance, les [demandeurs] se voient plutôt imposer des frais de compensation sociale pour leur enfant né à l’étranger » (décision de la SAR, au para 30). L’utilisation de l’expression « selon toute vraisemblance » ne veut pas dire que la SAR a appliqué la mauvaise norme de preuve. Si l’on prend cette expression en contexte, on comprend que la SAR a simplement décrit son évaluation de ce que la preuve a démontré. La SAR a expressément appliqué le critère selon lequel il n’existe « aucune possibilité sérieuse » à son évaluation du risque.

[33] En ce qui concerne la question de la contraception forcée, les demandeurs se fondent sur les décisions de la Cour dans lesquelles il a été conclu que cette pratique correspond à une violation fondamentale des droits d’une femme (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 327 [Zheng]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ye, 2013 CF 634 [Ye]). Dans ces décisions, la Cour a conclu qu’une ingérence coercitive et physiquement intrusive dans la liberté de procréation d’une femme, comme l’insertion forcée d’un DIU, peut constituer de la persécution (Zheng, au para 14; Ye, au para 16). Il ne fait aucun doute que ces conclusions sont exactes.

[34] Cependant, en l’espèce, l’allégation de la DP selon laquelle elle a été forcée de subir la stérilisation a été rejetée par la SPR, et cette conclusion n’a pas été portée en appel. Les éléments de preuve examinés par la SAR ne permettaient pas de conclure qu’elle serait exposée à une possibilité sérieuse d’être forcée de subir une violation de son intégrité physique si elle retournait en Chine. La SAR a plutôt conclu que la DP pouvait choisir son propre moyen de contraception ou verser une légère amende si elle choisissait de ne pas en utiliser. Il était loisible à la SAR de tirer ces conclusions au vu des éléments de preuve dont elle disposait.

[35] En ce qui concerne le paiement par les demandeurs de frais de compensation sociale ou d’une légère amende pour ne pas avoir utilisé de moyen de contraception, les conclusions de la SAR ont été étayées par le dossier, sur la foi des éléments de preuve abondants au sujet des antécédents de voyages internationaux des demandeurs et de leur emploi précédent en Chine. Il était loisible à la SAR de tirer ces conclusions au vu des éléments de preuve, et l’explication qu’elle a donnée pour les justifier résiste à un examen minutieux.

[36] Pour tous ces motifs, je conclus que l’analyse qu’a effectuée la SAR du risque de persécution auquel les demandeurs seraient exposés pour avoir enfreint la politique des deux enfants en Chine n’est pas déraisonnable.

B. Risque de persécution fondée sur la religion

[37] Les demandeurs ont témoigné qu’ils s’étaient convertis au christianisme après leur arrivée au Canada. Le demandeur a expliqué que leur conversion religieuse était principalement liée aux difficultés que leur avait causées le comité de planification familiale. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi ils avaient décidé d’être baptisés à l’église, il a « expliqué que, en raison de l’avortement forcé et de la perte de leur enfant, ils avaient maintenant lavé leur péché et qu’ils avaient la foi, et qu’ils croyaient qu’un troisième enfant leur avait été donné » (décision de la SAR, au para 15).

[38] La SPR a rejeté l’allégation des demandeurs selon laquelle ils étaient exposés à un risque sérieux de persécution en raison de leur religion. Elle avait déjà conclu qu’ils n’étaient pas crédibles en affirmant qu’ils seraient persécutés en raison de la politique sur la planification familiale de la Chine. La SPR a appliqué ces conclusions défavorables en matière de crédibilité à leur allégation fondée sur la crainte de persécution religieuse et a conclu qu’ils s’étaient convertis uniquement pour renforcer leur demande d’asile.

[39] La SAR a retenu l’argument des demandeurs selon lequel la SPR avait commis une erreur dans son analyse et a effectué son propre examen indépendant de cet aspect de la demande. Elle a conclu que la conversion des demandeurs n’avait eu lieu qu’environ un an avant l’audience de la SPR et a signalé que les connaissances de la DP au sujet de sa religion n’étaient pas exhaustives. Cependant, la SAR a aussi reconnu que « l’évaluation de l’authenticité de la foi d’une personne n’est pas censé[e] être un test sur des anecdotes, et les [demandeurs] ne sont pas tenus de réciter la doctrine et des principes religieux avec une précision absolue » (décision de la SAR, au para 14).

[40] Essentiellement, l’analyse de la SAR sur cette question concerne ses doutes au sujet de l’explication qu’ont donnée les demandeurs pour justifier leur conversion. Comme je l’ai déjà dit, ils ont affirmé durant leur témoignage qu’ils s’étaient convertis en raison de la façon dont ils avaient été traités en Chine, notamment en raison de l’avortement forcé. Or, cet argument avait été rejeté par la SPR, car elle avait conclu que les demandeurs manquaient de crédibilité, et ces derniers n’avaient pas interjeté appel de cette conclusion. La SAR a effectué sa propre analyse de la preuve et a conclu que la conclusion de la SPR sur ce point était correcte. Par conséquent, elle a conclu que l’explication des demandeurs concernant la raison de leur conversion n’était pas crédible.

[41] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur, car elle avait une obligation positive de tenir compte de chacun des motifs distincts de leur demande d’asile, et le simple fait qu’ils n’ont pas été jugés crédibles pour un motif n’est pas suffisant pour conclure qu’ils mentent à propos d’autres aspects de leur demande d’asile.

[42] Les demandeurs soutiennent en outre que la SAR avait l’obligation de tenir compte de leur demande d’asile sur place, et même si elle a jugé que leurs témoignages au sujet de leur expérience en Chine manquaient de crédibilité, la SAR devait prendre en considération les risques qui ont découlé de leur conversion au christianisme au Canada. Il était erroné d’exiger que ce motif de leur demande d’asile « dissip[e] » les préoccupations de la SAR en matière de crédibilité. En fait, la SAR aurait dû examiner si les demandeurs étaient des chrétiens pratiquants au Canada (Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, aux para 89‑94 [Yin]).

[43] La SAR a rejeté une lettre provenant du pasteur des demandeurs, au motif qu’elle était brève et très générale. Elle a souligné que la lettre ne fournissait aucun détail sur la façon dont leur conversion avait eu lieu ou sur la raison pour laquelle ils s’étaient convertis, et qu’elle ne contenait aucun commentaire sur l’authenticité de leur foi. Les demandeurs font valoir que l’analyse de la SAR était peu réaliste, car elle obligeait les demandeurs et le pasteur à anticiper les préoccupations de la SAR et à adapter la lettre pour répondre à ces questions. Selon eux, la lettre montre qu’ils ont assisté régulièrement aux services religieux pendant huit mois, qu’ils ont donné de l’argent à l’église et qu’ils souhaitent continuer de pratiquer librement et ouvertement leur foi.

[44] Selon les demandeurs, le fait que la SAR n’ait pas analysé ces faits cruciaux est déraisonnable, tout comme la façon dont elle a traité leur témoignage au sujet de leurs craintes de pratiquer leur religion en Chine. Ils affirment que la SAR a exigé qu’ils démontrent des connaissances détaillées des pratiques chinoises concernant l’exercice de la religion et que, d’après eux, la loi n’exige pas qu’ils aient de telles connaissances.

[45] Je ne suis pas de cet avis. L’analyse de la SAR est approfondie, sensible et étayée par la preuve.

[46] L’analyse de la SAR sur cet aspect de la demande d’asile des demandeurs reposait sur la preuve, y compris sur le fait que ces derniers n’ont pas contesté la décision de la SPR de rejeter leur exposé circonstancié au sujet du mauvais traitement que leur a fait subir le comité de planification familiale et au sujet de l’avortement forcé. Le fait que cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel, combiné à sa propre analyse de la preuve, n’a laissé d’autres choix à la SAR que de douter du témoignage qu’ont fourni les demandeurs pour expliquer pourquoi ils se sont convertis. Les raisons de la conversion des demandeurs au christianisme étaient un facteur pertinent (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 417).

[47] De même, la SAR a examiné la lettre du pasteur des demandeurs, mais, ce faisant, elle a raisonnablement tenu compte de l’absence de détails concernant leur cheminement spirituel, leur participation aux activités de l’église et l’authenticité de leur foi. Les faits en l’espèce sont différents de ceux énoncés dans la décision Yin sur laquelle les demandeurs se sont fondés. Dans cette affaire, le demandeur avait présenté des éléments de preuve au soutien de sa demande sur place, mais ces éléments de preuve n’avaient tout simplement pas été examinés (Yin, au para 90).

[48] En ce qui concerne l’allégation des demandeurs selon laquelle ils ne seraient pas en mesure de pratiquer leur religion en Chine, la SAR a examiné leur témoignage et a conclu qu’il était vague et appris par cœur. Sa conclusion selon laquelle leur crainte n’était pas authentique repose sur son appréciation de la preuve, et rien ne permet de modifier cette conclusion.

[49] Le paragraphe suivant saisit l’essence de l’analyse de la SAR sur cette question :

[21] La SPR a déjà conclu que la moitié de la demande d’asile des appelants n’est pas crédible, et la SAR a confirmé ces conclusions, étant donné qu’il a été conclu que les allégations concernant la planification familiale sont sans fondement et que les documents que les appelants ont présentés étaient frauduleux. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la SAR estime que le motif de conversion des appelants et leur refus de fréquenter une église dirigée par l’État ne sont pas authentiques. La SAR est d’avis que la lettre du pasteur et le certificat de baptême manquent de valeur probante. Bien que les appelants aient fait preuve d’une certaine connaissance religieuse, la SAR estime que leurs connaissances ne dissipent pas les préoccupations en matière de crédibilité quant à ce qui a motivé les appelants à devenir membres d’une église et leur sincérité sur ce plan. Après avoir examiné attentivement l’ensemble de la preuve, la SAR est d’avis que la SPR a eu raison de conclure que les appelants ne sont pas de véritables chrétiens et que leur fréquentation d’une église vise à étayer leur demande d’asile, selon la prépondérance des probabilités.

[50] Le passage cité ci‑dessus démontre que les conclusions de la SAR sont amplement étayées par la preuve, et la Cour n’a pas à apprécier de nouveau la preuve. De plus, le mode d’analyse de la SAR est clair et convaincant.

[51] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la SAR a appliqué à tort les conclusions relatives à la crédibilité qu’elle a tirées sur d’autres questions à son appréciation de l’allégation fondée sur la religion. Je suis plutôt d’avis que la SAR a tenu compte des conclusions non contestées de la SPR dans son appréciation de la demande d’asile et qu’elle a effectué sa propre analyse indépendante de chacun des motifs de la demande, comme elle devait le faire. Elle a également évalué les autres éléments de preuve présentés à l’appui de ce motif et a conclu qu’ils étaient insuffisants.

[52] Dans l’ensemble, j’estime que l’analyse qu’a effectuée la SAR de ce motif de la demande d’asile est raisonnable. Il n’y a pas lieu d’intervenir.

IV. Conclusion

[53] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[54] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7680-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7680‑19

INTITULÉ :

TIANHUI OU, HAOMING LIU, HORAN LIU, FENG LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO) ET À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 novembre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 mars 2021

COMPARUTIONS :

Gavin MacLean

POUR LES DEMANDEURS

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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