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Date : 20031219

Dossier : IMM-2038-03

Référence : 2003 CF 1502

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                    RAJNI SINGH alias RAJNI SODDY

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 En 1995, Rajni Singh a épousé son neveu, Narinder Pal Soddy, en Inde dans le but d'obtenir un visa lui permettant d'entrer au Canada à titre de conjointe qui accompagne son mari. Une fois au Canada, elle a divorcé d'avec M. Soddy et elle s'est remariée. Elle a parrainé son second mari, M. Sukhvinder Singh, afin qu'il obtienne le statut de résident permanent en 2000. Ils ont un enfant, Gunndeep, né en 1999.


[2]                 Par la suite, un agent d'immigration a pris une mesure d'expulsion contre Mme Singh au motif qu'elle avait fait des présentations erronées sur des faits importants dans ses demandes. Elle avait affirmé que son mariage avec M. Soddy était légitime et véritable alors qu'en réalité, il n'était ni l'un, ni l'autre. C'était un mariage interdit et opportuniste célébré uniquement dans le but d'obtenir l'admission au Canada. Elle a également omis de divulguer qu'elle avait déjà demandé d'immigrer au Canada et elle n'a pas donné le nom de tous ses frères et soeurs.

[3]                 Mme Singh a, sans succès, interjeté appel de la mesure d'expulsion. Elle prétend maintenant que la Section d'appel a commis deux erreurs graves en rejetant son appel et elle me demande de lui accorder une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Selon moi, la Section d'appel n'a commis aucune erreur et je dois, par conséquent, rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Singh.

Questions en litige

[4]                 Mme Singh a soulevé les deux questions suivantes :

1.          La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Singh savait que son second mari avait également fait des présentations erronées dans le but d'obtenir le statut de résident permanent au Canada?

2.          La Section d'appel a-t-elle omis de tenir suffisamment compte de l'intérêt supérieur de son fils?


1. La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Singh savait que son second mari avait également fait des présentations erronées dans le but d'obtenir le statut de résident permanent au Canada?

[5]                 La Section d'appel a examiné plusieurs facteurs pour décider si elle allait ou non accueillir l'appel interjeté par Mme Singh et elle s'est fondée sur la décision de la Commission d'appel de l'immigration dans Ribic c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4, no T84-9623 (QL). La Commission a examiné en détail les facteurs les plus importants : la gravité des présentations erronées de la demanderesse et les circonstances les entourant. Mme Singh conteste deux des commentaires de la Section d'appel qui a dit :

·            « Le témoignage de l'appelante montre sans équivoque que celle-ci était au courant des faits relativement à l'immigration de son mari et il semble qu'elle ait été au courant du fait qu'il manque des renseignements pertinents dans les documents relatifs au parrainage de son mari. »

·            « Elle n'a pas fourni de fausses indications par inadvertance, mais de façon délibérée, afin de faciliter son admission et celle de son deuxième mari au Canada. »

[6]                 Mme Singh prétend que ces commentaires ne sont pas corroborés par la preuve et, comme tels, qu'ils indiquent que la décision de la Section d'appel était manifestement déraisonnable.


[7]                 Il est clair, selon la preuve, que Mme Singh a réellement et délibérément fait des présentations erronées au sujet des circonstances entourant son premier mariage et, quant au parrainage de son second mari, elle a réellement omis de divulguer des renseignements pertinents aux autorités de l'immigration. Certes, il n'y avait aucune preuve directe qu'elle savait vraiment que son second mari avait fait des présentations erronées, ce sur quoi il a fourni une explication détaillée dans son témoignage. Mais je n'interprète pas les commentaires de la Section d'appel qui ont été contestés comme voulant nécessairement accuser Mme Singh d'avoir participé activement aux tromperies de son mari. En tout état de cause, certains faits pouvaient au moins laisser croire à la Section d'appel que Mme Singh connaissait quelque peu le dossier d'immigration de son mari.

[8]                 Je ne puis trouver quelque erreur que ce soit dans les conclusions de fait de la Section d'appel. Au surcroît, la Section d'appel pouvait conclure, en se fondant sur la preuve, que les présentations erronées de Mme Singh étaient graves.

2. La Section d'appel a-t-elle omis de tenir suffisamment compte de l'intérêt supérieur de son fils?

[9]                 Il est certain que la Section d'appel a pris en considération la situation du fils de Mme Singh né au Canada. Voici ce que la Section d'appel a écrit :

·            il serait dans l'intérêt supérieur de l'enfant que sa famille forme une cellule unie;


·            le père du garçon fera vraisemblablement l'objet d'une procédure de renvoi dans un avenir proche;

·            la famille élargie du garçon vit en Inde;

·            un bon système d'éducation est disponible en Inde;

·            même si le garçon est tombé malade pendant son séjour en Inde, il n'y a aucune preuve qu'il souffrait d'une maladie en particulier ou qu'il éprouverait des problèmes de santé s'il retournait en Inde.

[10]            Mme Singh allègue que la Section d'appel, dans son analyse, n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur de son fils et qu'elle n'a certainement pas respecté le critère établi par la Cour suprême du Canada voulant que le décideur doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (QL), au paragraphe 75. En particulier, Mme Singh fait valoir que la Section d'appel n'a pas précisément tenu compte des avantages dont pourrait bénéficier son fils si on lui permettait de rester au Canada et d'y grandir - après tout, il est citoyen canadien et il a le droit de rester au Canada, même si elle ne l'a pas.


[11]            Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 475, [2002] A.C.F. no 1687 (QL), le juge Décary a analysé un argument semblable. Il a déclaré qu'un décideur qui tient compte de l'intérêt supérieur d'un enfant « peut être réput[é] savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu'un enfant vivant au Canada sans son parent » (au paragraphe 5). Comme tel, l'intérêt supérieur de l'enfant sera habituellement favorable au non-renvoi du parent. Il n'est pas nécessaire qu'un décideur tire une conclusion en particulier à ce sujet car « c'est un fait qu'on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels » (au paragraphe 6). Le décideur doit, cependant, déterminer le « degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent » (au paragraphe 6).

[12]            La Section d'appel a-t-elle agi de la sorte en l'espèce?

[13]            La Section d'appel en est arrivée à la conclusion que si Mme Singh avait la permission de rester au Canada avec son fils, il y aurait vraisemblablement éclatement de la cellule familiale car des preuves concrètes portaient à croire que le père du garçon serait renvoyé du Canada. Mme Singh laisse à entendre que ce n'était que pure hypothèse de la part de la Section d'appel. Je ne suis pas d'accord. La Section d'appel a entendu une preuve établissant que son mari faisait l'objet d'une enquête depuis quelque temps. La Section d'appel a pris en compte, à bon escient, la situation du père en déterminant l'intérêt supérieur de l'enfant.

[14]            Finalement, la Section d'appel a jugé que l'intérêt supérieur de l'enfant ne serait pas gravement compromis par le renvoi de Mme Singh en Inde puisque son fils bénéficierait d'une cellule familiale intacte, d'un réseau familial élargi et de bonnes conditions d'accès à l'éducation.

[15]            Je conclus que, que dans les circonstances, l'analyse de l'intérêt supérieur de l'enfant faite par la Section d'appel était adéquate. Elle a tenu compte des divers avantages et inconvénients pour le fils de Mme Singh, que cette dernière fasse l'objet d'une mesure de renvoi ou non. Je ne saurais affirmer que cette décision ne tient pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[16]            L'avocat de Mme Singh a demandé de pouvoir présenter des arguments au sujet d'une question de portée générale concernant l'intérêt supérieur de l'enfant. J'examinerai ces arguments s'ils sont déposés dans les cinq jours ouvrables de la date de ce jugement. Le défendeur aura trois jours ouvrables additionnels pour donner sa réponse.

                                                                        JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

1.          la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;


2.          l'avocat de la demanderesse ait l'occasion de proposer une question de portée générale à certifier en ce qui concerne l'intérêt supérieur de l'enfant. Ladite question devra être déposée dans les cinq (5) jours ouvrables de ce jugement;

3.          l'avocate du défendeur ait trois (3) jours ouvrables pour donner sa réponse.

                                                                                                                                 « James W. O'Reilly »            

                                                                                                                                                                 Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               IMM-2038-03

INTITULÉ :                                                              RAJNI SINGH alias RAJNI SODDY

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 4 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                            LE 19 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

William J. Macintosh                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Sandra E. Weafer                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William Macintosh Associates                                    POUR LA DEMANDERESSE

12732, 80e Avenue, pièce 210

Surrey (Colombie-Britannique)

V3W 3A7

Tél. : (604) 502-9875

Fax : (604) 502-9895

Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice


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