Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031209

Dossier : IMM-3414-02

Référence : 2003 CF 1436

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                    ZOLTAN BALLA

ZOLTANNE BALLA

KRISZTIAN BALLA

TAMAS BALLA

ZOLTAN BALLA

RENATA PALINKAS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui vise la décision datée du 28 mai 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]                 Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision de la Commission.

Les faits

Introduction

[3]                 Les demandeurs sont Zoltanne Balla (la demanderesse), son époux Zoltan Balla (le demandeur), leur fils, Zoltan Balla, sa conjointe de fait, Renata Palinkas, et les fils jumeaux mineurs de la demanderesse et du demandeur, Krisztian Balla et Tamas Balla. Ils sont tous citoyens de la Hongrie. La demanderesse et ses trois fils prétendent être des personnes qui craignent avec raison d'être persécutées du fait de leur origine rom. Le demandeur et Renata Palinkas sont d'origine hongroise et ils prétendent être des personnes qui craignent avec raison d'être persécutées du fait de leur appartenance à un groupe social, soit celui de la famille compte tenu de leurs liens avec leur conjoint rom.


[4]                 La demanderesse prétend qu'elle a subi de la discrimination par des Hongrois pendant qu'elle était étudiante et qu'elle subissait constamment des insultes et des humiliations. En octobre 1999, des Hongrois qui avaient organisé un festival en ont refusé l'accès à la demanderesse et aux membres de sa famille. On a dit à la demanderesse que l'événement était réservé à des Hongrois et une dispute entre le frère de la demanderesse, son ami et des Hongrois a suivi. Au cours de la bagarre, le frère de la demanderesse et son ami ont été battus et insultés. La demanderesse et les membres de sa famille n'ont pas appelé les policiers parce qu'ils ne connaissaient pas l'identité des agresseurs. Selon eux, les policiers auraient refusé d'entreprendre une enquête à moins d'avoir des détails et des descriptions appropriées à l'égard des agresseurs. De plus, ils avaient peur de déposer une plainte auprès des policiers.

[5]                 Le lendemain de l'agression, la demanderesse et les membres de sa famille ont eu recours au représentant rom et ils se sont plaints de l'agression. Le représentant rom les a assurés que de tels événements ne se reproduiraient pas. Les demandeurs n'ont pas fait de suivi à cet égard.

[6]                 À l'école, les professeurs battaient souvent les enfants de la demanderesse et cette dernière n'était pas autorisée à assister aux rencontres entre les parents et les professeurs. La demanderesse n'était pas admise dans les lieux offrant des divertissements. Incapable de tolérer plus longtemps la situation, la demanderesse a quitté le pays pour venir au Canada avec sa famille. L'époux de la demanderesse et ses enfants ont adopté l'exposé narratif de la demanderesse. Renata Palinkas prétend, en plus des renseignements contenus dans le Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) de la demanderesse, que ses parents l'ont menacée de la renier si elle continuait à fréquenter Zoltan Balla, le fils. Dans son FRP, elle déclare qu'elle ne s'est rendu compte à quel point la collectivité rom était maltraitée que lorsqu'elle a commencé à vivre avec la famille de son ami.


Motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié)

[7]                 Une audience a eu lieu le 12 mars 2002. Dans ses motifs datés du 28 mai 2002, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[8]                 La Commission a examiné les incidents de discrimination auxquels les demandeurs avaient été exposés en Hongrie. La Commission a conclu que les demandeurs avaient subi de mauvais traitements équivalant à de la discrimination, mais que ces actes de discrimination n'équivalaient pas à de la persécution, qu'ils soient pris séparément ou dans leur ensemble.

[9]                 La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas réussi à fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de la Hongrie à les protéger lorsque cela était nécessaire, que ce soit par la police directement ou par le réseau d'organismes gouvernementaux ou d'organismes subventionnés par le gouvernement présents dans tout le pays.


[10]            La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient jamais essayé d'obtenir de l'aide du bureau du protecteur du citoyen, ou de diverses organisations non gouvernementales, et qu'ils n'avaient eu recours au représentant rom de leur village qu'à une seule reprise. Les demandeurs connaissent maintenant d'autres sources d'aide et la Commission a conclu que rien ne démontrait qu'il y avait des obstacles qui les empêcheraient d'utiliser de telles sources à leur retour en Hongrie. À l'égard des mauvais traitements infligés par les policiers et par les autorités de l'école des enfants, des périodes de chômage et du harcèlement du public en général, la Commission a conclu que l'État offrirait une protection adéquate.

[11]            En résumé, la Commission a conclu, même si elle estimait qu'il y avait une possibilité sérieuse de discrimination à l'égard des emplois et de l'école, qu'il n'existait pas une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés pour l'un des motifs de la Convention s'ils retournaient en Hongrie. La Commission a en outre conclu que l'État offrirait une protection adéquate aux demandeurs. À cet égard, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[12]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Les prétentions des demandeurs

[13]            Les demandeurs prétendent que la Commission, étant donné qu'elle a conclu qu'ils étaient victimes de discrimination, a commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis d'évaluer la question de savoir si de la discrimination subie de façon répétée équivalait à de la persécution. Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de tenir compte de l'effet qu'avaient d'autres actes de persécution documentés, commis à l'égard d'autre Rom, lorsqu'elle a évalué leur crainte de persécution.

[14]            Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de reconnaître le rôle essentiel que jouent l'emploi et l'éducation dans le monde moderne et qu'elle a par conséquent minimisé les conséquences que leur négation systématique a sur les droits fondamentaux des individus.

[15]            Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le budget du gouvernement à l'égard du financement des mesures d'amélioration de la situation des Rom était important. Ils prétendent que ce financement est inadéquat et qu'il ne permet pas qu'il y ait un impact convaincant. Les demandeurs prétendent en outre que la plupart des programmes mentionnés par la Commission étaient des propositions budgétaires et qu'il n'y a pas eu d'évaluations permettant de savoir si ces programmes avaient été mis en oeuvre.    

[16]            Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a appliqué à leur endroit un fardeau trop élevé à l'égard de la protection de l'État en Hongrie. Ils prétendent que si la Commission reconnaît que cela peut prendre des années avant qu'une aide soit fournie, dans les cas où elle est fournie, elle aurait alors dû conclure qu'en pratique divers organismes n'offrent pas la protection de l'État.

[17]            Les demandeurs prétendent qu'ils ont établi la présence de tous les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention qui suivent :

1.          Ils ne sont citoyens que de la Hongrie et d'aucun autre pays et la Commission a accepté leur nationalité et leur origine;


2.          Ils ne peuvent demander la protection des autorités hongroises étant donné que, comme la preuve dont dispose la Commission le mentionne largement, les policiers commettent des actes de persécution contre les Rom en raison de leur origine et refusent souvent de les aider.

3.          Ils ont une crainte subjective et cette crainte est corroborée par des éléments de preuve qui fournissent un fondement objectif pour cette crainte.

4.          Leur crainte est liée à leur origine et à leur appartenance à un groupe social.        5.          Leur crainte est bien fondée dans toute la Hongrie selon la documentation sur la situation dans le pays dont dispose la Commission et les risques auxquels les demandeurs sont exposés n'ont pas cessé.

Les prétentions du défendeur

[18]            Le défendeur prétend que la Commission pouvait conclure que les actes reprochés n'équivalaient pas à de la persécution, que ces actes soient pris séparément ou dans leur ensemble. Le défendeur prétend que la Commission pouvait conclure qu'il était possible que les demandeurs aient subi de la discrimination, mais non de la persécution. Il prétend que cette conclusion tirée par la Commission doit faire l'objet de retenue considérable.


[19]            Le défendeur prétend que la Commission pouvait conclure que les demandeurs n'avaient pas fourni de preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État à les protéger. Il prétend que la Commission a procédé à un examen approfondi de la preuve documentaire touchant la protection de l'État.

[20]            Le défendeur prétend que les demandeurs n'ont pas démontré que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables.

Les questions en litige

[21]            Les demandeurs énoncent les questions en litige de la façon suivante :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de toute la preuve dont elle disposait et en tirant des conclusions de fait erronées de façon abusive ou arbitraire? En particulier, la Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion de fait erronée de façon abusive ou arbitraire sans qu'elle ait tenu compte de l'ensemble de la preuve en :

(a)         omettant de tenir compte de tous les éléments de preuve importants dont elle disposait;

(b)         ne prenant pas en compte les risques auxquels les demandeurs seraient exposés s'ils restaient en Hongrie ou s'ils y retournaient;

(c)         ne prenant pas en compte le témoignage des demandeurs à l'égard de leur crainte de rester en Hongrie ou d'y retourner ou en interprétant de façon erronée ce témoignage;

(d)         interprétant de façon erronée la jurisprudence et la définition de réfugié au sens de la Convention;


(e)         interprétant de façon erronée les documents soumis à l'égard de la situation dans le pays et en appliquant de façon erronée le contenu de ces documents à la situation des demandeurs;

(f)          se fondant sur des considérations non pertinentes et en interprétant de façon erronée des éléments de preuve pertinents;

(g)         omettant de tenir compte de la documentation sur la situation dans le pays dont elle disposait à l'égard des violations des droits de la personne commises en Hongrie. Notamment, la Commission a-t-elle omis d'évaluer correctement les risques auxquels les demandeurs seraient exposés en Hongrie?

[22]            Le défendeur énonce la question en litige de la façon suivante :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des personnes qui craignaient avec raison d'être persécutées?

La disposition législative pertinente

[23]            Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, prévoit ce qui suit :

"réfugié au sens de la Convention" Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

Analyse et décision

[24]            Bien que dans les présents motifs je traiterai de la question en litige comme elle a été énoncée par le défendeur, je traiterai des prétentions des demandeurs au regard de cette question.

[25]            La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des personnes qui craignaient avec raison d'être persécutées?

Comme le défendeur l'a mentionné, la Commission a examiné les incidents auxquels les demandeurs avaient été exposés en Hongrie :


1.          La Commission a conclu que le fait qu'on ait refusé aux demandeurs l'accès au festival équivalait à de la discrimination et non à de la persécution. La Commission a conclu que l'incident au cours duquel trois hommes ont battu le frère de la demanderesse et son ami avec des morceaux de bois était un incident isolé « puisqu'il n'existe aucun témoignage portant sur des incidents similaires d'agressions physiques » .

2.          La Commission a mentionné que l'incapacité des demandeurs à trouver un logement était en partie due à de la discrimination, mais était aussi due aux loyers élevés et à l'afflux de gens dans le village où la demanderesse et sa famille vivaient.

3.          « Lorsqu'on l'a interrogée sur la nature de la relation entre la police et les Roms, la [demanderesse] a déclaré qu'elle n'avait jamais eu de problème avec la police et que les policiers ne punissaient que les personnes qui volaient ou entraient par effraction dans les maisons. » La demanderesse a en outre déclaré que les policiers ne les ont jamais persécutés, elle et les membres de sa famille, et qu'ils n'ont jamais eu affaire à eux.

[26]            La Commission a écrit ce qui suit à la page 4 de ses motifs :

[...] Il n'existe aucune preuve convaincante de persécution commise contre les revendicateurs. Le tribunal reconnaît qu'il n'est pas nécessaire d'avoir subi de la persécution pour craindre avec raison d'être persécuté. Le tribunal estime que les revendicateurs ont subi de mauvais traitements qui équivalent à de la discrimination. De l'avis du tribunal, ces actes de discrimination n'équivalent pas à de la persécution, qu'ils soient pris séparément ou dans l'ensemble.

La Commission a effectivement traité des incidents séparés de discrimination et elle a alors conclu que les incidents pris dans leur ensemble n'équivalaient pas à de la persécution.

[27]            Je suis d'avis, après avoir examiné les motifs de la décision de la Commission et la transcription, que la Commission pouvait conclure que bien que les demandeurs aient subi de la discrimination en Hongrie, ils n'étaient pas des personnes qui craignaient avec raison d'être persécutées. La décision de la Commission à l'égard de cette question était une décision raisonnable.

[28]            La protection de l'État

La Commission a conclu que la protection de l'État était offerte aux demandeurs en se fondant sur ce qui suit :

1.          La preuve documentaire mentionne que le gouvernement a pris des mesures pour améliorer la situation de la collectivité rom. Les sources documentaires dont la Commission disposait mentionnaient que le gouvernement hongrois respectait de façon générale les droits de la personne et les libertés civiles de ses citoyens. En outre, l'État a ratifié un certain nombre de lois internes et d'instruments internationaux à l'égard de son engagement d'appui aux droits des minorités.

2.          Il existe du financement pour des mesures qui visent l'amélioration de la situation des Rom comme des programmes éducatifs, des bourses d'études, de la formation pour les Rom qui sont sans emploi depuis longtemps, des programmes de participation des Rom aux travaux publics, des programmes pour des terrains pour le bien-être public, des subventions à des fondations publiques pour les Rom et des subventions pour l'autonomie gouvernementale rom.


3.          La preuve documentaire mentionne qu'il existe d'autres sources d'aide auxquelles les demandeurs peuvent avoir recours en cas de mauvais traitements par des racistes ou par les autorités. Ces sources incluent le bureau du protecteur des citoyens, des organismes qui défendent les droits de la personne, des organismes de protection des droits civils et des organismes non gouvernementaux.

[29]            Les demandeurs ont prétendu que de nombreuses mesures n'ont pas été appliquées. La Commission a reconnu que la situation des Rom en Hongrie est considérablement pire que celle de la population en général et que la discrimination est largement répandue en matière d'éducation, de logement, d'emploi, d'accès aux institutions publiques et de problèmes avec les policiers.

[30]            La Commission a en outre reconnu que la preuve documentaire mentionne que la situation des Rom en Hongrie est considérablement pire que celle de la population en général et que la discrimination est largement répandue en matière d'éducation, de logement, d'emploi, d'accès aux institutions publiques et de problèmes avec les policiers. La Commission a mentionné qu' « [i]l est fréquent que la police bafoue les citoyens roms » .


[31]            La Commission a en outre déclaré que « [r]ien n'indique que, dans leurs circonstances, il existe des obstacles les empêchant d'avoir recours aux diverses avenues disponibles » . Les demandeurs prétendent que la Commission n'a pas pris en compte les conséquences qu'ont le très faible niveau de scolarité et l'extrême pauvreté sur la capacité d'un individu d'utiliser les institutions de l'État. Les demandeurs prétendent que le financement des mesures qui visent l'amélioration de la situation des Rom est [TRADUCTION] « faible » et que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que ce financement était important. Les demandeurs prétendent en outre que la preuve documentaire démontre que le bureau du protecteur des citoyens ne peut s'occuper que d'un nombre restreint de questions.

[32]            La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi à Cour suprême du Canada refusée, [1993] 2 R.C.S. xi, a déclaré ce qui suit à la page 3 :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur, étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la Convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali v. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [Voir Note 2 ci-dessous], un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.


[33]            Dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit à la page 709 :

[...] Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. [...]

En outre, à la page 724 de l'arrêt Ward, précité, il est déclaré ce qui suit :

[...] Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[...]

[...] Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. [...]


[34]            Je suis d'avis, tout comme la Commission, que les demandeurs n'ont pas fourni de « confirmation claire et convaincante de l'incapacité de la Hongrie de les protéger, si une telle protection est nécessaire, si ce n'est directement par la police, alors par le réseau d'organismes gouvernementaux et d'organismes subventionnés par le gouvernement qui sont actifs dans toute la Hongrie » (motifs de la Commission à la page 9). Je ferais remarquer que les demandeurs n'ont pas fourni d'éléments de preuve précis à l'égard d'individus qui n'ont pas été protégés par l'État alors qu'ils étaient dans une situation similaire et ils n'ont pas témoigné quant à des événements qu'ils ont personnellement vécus et pour lesquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En outre, la demanderesse a déclaré qu'elle n'avait jamais eu de problèmes avec les policiers. De plus, après l'agression lors du festival, la demanderesse et les membres de sa famille ont eu recours au représentant rom à l'égard de cette agression et il les a assurés que de tels événements ne se reproduiraient pas.

[35]            Je suis d'avis que la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l'État était raisonnable et, à cet égard, la Commission n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle.

[36]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[37]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soumis aux fins de mon examen une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[38]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 _ John A. O'Keefe _            

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 9 décembre 2003

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                         

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-3414-02

INTITULÉ :                                 ZOLTAN BALLA, ZOLTANNE BALLA,

KRISZTIAN BALLA, TAMAS BALLA,

ZOLTAN BALLA, RENATA PALINKAS

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :       LE MERCREDI 11 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :              LE MARDI 9 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Robert E. Moores                         POUR LES DEMANDEURS

Kareena A. Wilding                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert E. Moores                         POUR LES DEMANDEURS

Burlington (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.