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     Date : 19971209

     Dossier : IMM-3872-96

ENTRE

     ZHAO GUANG LUN,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         [Prononcés à l'audience, à Calgary (Alberta), le mercredi 17 septembre 1997, tels que révisés]

LE JUGE CAMPBELL

[1]      L'espèce soulève beaucoup de questions factuelles et juridiques, mais ce sont surtout les questions factuelles qui me préoccupent. Je conviens avec le requérant qu'il y a eu des erreurs commises dans les conclusions de fait, et je conclus que celles-ci ont été tirées sans tenir compte des documents dont était saisi le décideur.

[2]      Je dispose d'un bon ensemble d'éléments de preuve qui me permettent de comprendre ce que le décideur estimait relativement à la décision prise. J'ai la véritable décision elle-même, qui prend la forme d'une lettre de rejet, et j'ai l'affidavit du décideur, qui est long et qui tient compte également des réponses que M. Lun avaient données au rejet initial. Je conclus que, pris ensemble, la lettre et l'affidavit exposent les motifs de décision, et la décision contient, de par sa formulation, un certain nombre d'erreurs de fait qui exigent des mesures de redressement. En conséquence, je crois qu'il doit y avoir une nouvelle audition de la question de savoir si M. Lun devrait être admis comme entrepreneur.

[3]      Comme facteur primordial, je sais qu'il ne m'appartient pas de jouer avec le processus décisionnel si cela s'est régulièrement déroulé. C'est à juste titre que l'intimé a renvoyé à l'arrêt Maple Lodge Farms, qui préconise que je devrais intervenir seulement dans la situation où il y a une manifeste erreur. Je sais également que je ne devrais pas couper les cheveux en quatre quant à un certain nombre d'erreurs pour parvenir à une conclusion qui, de par sa formulation, est généralement suffisante.

[4]      Toutefois, en parvenant à la conclusion que je tire, j'ai l'intention de tenter d'expliquer en certains détails les graves erreurs factuelles qui ont été commises dans le contexte d'un scepticisme prépondérant que Mme Barr a montré à l'égard de M. Lun. J'estime qu'il y a eu en l'espèce une négative prédisposition de la part du décideur qui a injustement influé sur le résultat.

[5]      En tant qu'agente d'immigration très expérimentée, Mme Barr a eu un nombre de cas semblables à celui de M. Lun, et de ce qu'elle a dit, je conclus qu'elle a abordé ce cas avec un bon degré de scepticisme. Malheureusement, j'estime que cette approche n'a pas donné à M. Lun la possibilité raisonnable de s'expliquer. Voici les points qui, à mon avis, constituent des erreurs dans les conclusions de fait.

[6]      Au paragraphe 7 de son affidavit, Mme Barr dit que le requérant [TRADUCTION] a prétendu avoir reçu une certaine formation commerciale au Taishan Management School. Puisque M. Lun n'a pas présenté la preuve de sa formation, je vois dans ce paragraphe une conclusion défavorable selon laquelle la déclaration n'est pas vraie. Je conclus que cette conclusion est injuste à son égard puisqu'il n'existe aucune preuve concrète pour l'étayer.

[7]      Au paragraphe 9, je trouve qu'une autre conclusion défavorable a été tirée de la déclaration selon laquelle [TRADUCTION] "de plus, les chiffres donnés par le requérant dans son entrevue différaient sensiblement de ce qu'il avait dit dans sa déclaration du 5 février 1996". Les avocats conviennent qu'en fait, il ne semble pas y avoir cet écart, et que les chiffres que M. Lun a déposés sont fondamentalement ce qu'il a dit dans son entrevue. À mon avis, cette déclaration constitue encore la preuve que Mme Barr s'est injustement méfiée de ce que M. Lun devait dire.

[8]      Au paragraphe 11 de l'affidavit de Mme Barr, M. Lun est critiqué pour n'avoir pas pris contact avec le Programme d'immigration des gens d'affaires d'Alberta. On ne m'a indiqué aucun endroit dans la preuve qui exigeait qu'il le fasse, ou en fait, qui révélait qu'il savait qu'on se serait attendu à ce qu'il le fasse. Cette omission de faire le compte rendu constitue toutefois une raison factuelle sur laquelle Mme Barr s'appuie pour dire que M. Lun n'est pas prêt à immigrer convenablement au Canada. J'estime qu'il s'agit là d'une erreur en ce que c'est une conclusion qui n'est pas étayée par les éléments de preuve.

[9]      Au paragraphe 18(4), il y a également des questions problématiques. La première consiste dans ce que Mme Barr prend un chiffre approximatif de 500 000 $ comme une somme suffisante en vue de l'établissement d'une entreprise de capitaux, par rapport à laquelle elle a jugé la demande de M. Lun. On a bien souligné à mon intention que ce chiffre, en premier lieu, repose sur une conclusion erronée parce que c'est un chiffre de Colombie-Britannique et non d'Alberta. Le second point soulevé porte sur le fait qu'il n'existe aucune preuve pour dire si M. Lun a compris qu'il devait accomplir cet objectif, et, par conséquent, il est critiqué pour n'avoir pas satisfait à une norme qui était, dans le fond, une attente.

[10]      Dans ce même paragraphe, il existe une série de déclarations que je trouve tout à fait préoccupantes parce que ces déclarations montrent ce que j'ai déjà mentionné comme une prédisposition fondée sur la propre compréhension par Mme Barr de ce qui est habituel pour les gens qui se trouvent devant elle. Elle a des avis défavorables à l'égard des requérants en général, et elle estime que certaines revendications sont exagérées, et que certaines personnes ne disent pas la vérité sur leurs intentions en ce qu'elles peuvent dire qu'elles vont vendre un bien, mais qu'elles n'ont réellement pas l'intention de le faire. Et elle dit généralement qu'elle et d'autres se trouvant dans sa situation attribuent peu de poids tant à la valeur alléguée de capitaux fixes qu'aux gestes de volonté de vendre des biens en vue de trouver des capitaux. Je trouve qu'il s'agit là de déclarations remarquablement injustes parce qu'elles ne s'adressent pas à M. Lun comme un individu. C'est une opinion que Mme Barr a dans son esprit lors de l'audition, et M. Lun n'a probablement aucune chance de lui faire changer d'avis.

[11]      Les préoccupations suivantes proviennent du paragraphe 14(5) de l'affidavit de Mme Barr concernant la question du frère de M. Lun. J'apprends de la lettre de décision initiale que Mme Barr avait une opinion très limitée, en fait, une faible opinion de la capacité du frère du requérant. Dans sa décision, Mme Barr a mentionné le frère de M. Lun comme [TRADUCTION] "aide de cuisine". Dans son affidavit, elle a tenté d'expliquer davantage ce qu'elle voulait dire par cette déclaration, mais j'attribue plus de poids à la déclaration initiale qu'à ce qu'elle a dit au paragraphe 14(5) de l'affidavit. Il ne fait pas de doute que Mme Barr a formé une opinion inexacte. En fait, il ressort de la preuve que le frère de M. Lun n'est pas un aide de cuisine, mais une personne qui a un certain nombre de responsabilités d'emploi. En fait, Mme Barr a dû, dans son affidavit, admettre qu'il était cuisiner. Toutefois, elle dit également dans son affidavit qu'elle doute que le frère ou M. Lun ait une [TRADUCTION] "formation" de cuisinier. Cela est quelque peu gênant parce que, bien que je ne sois pas certain que cela fait la différence, elle semble insister sur l'affirmation. Encore une fois, il y a preuve d'un scepticisme préjudiciable.

[12]      Une autre préoccupation est soulevée par le paragraphe 14(7), où Mme Barr dit que [TRADUCTION] "je ne suis pas convaincue qu'un autre restaurant chinois profite de façon significative à l'économie de Calgary". Je ne sais pas où elle a trouvé cet élément de preuve, et rien dans les documents dont je dispose ne dit qu'elle sait que c'est la vérité. Elle parle effectivement du fait qu'elle a mentionné les lignes directrices du gouvernement provincial albertin. Je les ai examinées. Rien dans celles-ci ne justifie cette conclusion. Il s'agit là d'une conclusion de fait erronée grave parce que ce qu'on veut dire est que la proposition commerciale fondamentale de M. Lun ne remplirait pas les conditions d'entrepreneur.

[13]      Je conclus que toutes ces conclusions, prises ensemble, soulèvent une ample préoccupation quant à l'équité de cette audition et, en fait, comme je l'ai dit, les erreurs sont des erreurs importantes.

[14]      En conséquence, cette décision est annulée en application de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, étant donné ma conclusion susmentionnée selon laquelle, en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), Mme Barr a pris sa décision sans tenir compte des documents dont elle disposait. L'affaire est renvoyée pour nouvelle audition à un autre agent des visas, à un bureau des visas choisi par le requérant. Il est convenu qu'il n'y a aucune question à certifier.

[15]      Vu la gravité des erreurs commises, je conclus qu'il existe des raisons spéciales pour accorder des frais, et je le fais en vertu de la Colonne III, Tarif B des Règles de la Cour fédérale.

                             Douglas R. Campbell

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-3872-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Zhao Guang Lun c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Calgary (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 17 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU                      9 décembre 1997

ONT COMPARU :

    Gary E. Hanson                      pour le requérant
    B. Hardstaff                      pour l'intimé
                        

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Gary E. Hanson                      pour le requérant
    Calgary (Alberta)
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour l'intimé

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