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Date : 20210414


Dossier : IMM-6878-19

Référence : 2021 CF 324

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE

MUHAMMAD FAYSAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Muhammad Faysal, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR), qui a confirmé la décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SAR a rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur n'avait pas établi son identité.

[2] L’argument central du demandeur est que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve qu’il a présentés en appel.

[3] À mon avis, la SAR a refusé sans motif raisonnable d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur, y compris l’accusé de réception de sa demande de passeport et le document de vérification des renseignements sur la naissance. Concernant la demande de passeport, la SAR n’a pas tenu compte de l’importance de l’éventuelle arrivée du passeport du demandeur, et n’a pas justifié sa décision au regard des éléments de preuve pertinents sur les conditions dans le pays. En ce qui a trait au document relatif à la vérification des renseignements sur la naissance, la SAR s’est appuyée de manière déraisonnable sur des éléments laissant croire à un manque d’authenticité et elle a fourni des motifs qui ne sont pas intrinsèquement cohérents. Par conséquent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen du Bangladesh âgé de 22 ans. Ses parents étaient des partisans du Parti nationaliste du Bangladesh, le parti d’opposition à la Ligue Awami. Le 5 juin 2014, en raison de son allégeance politique, le père du demandeur a été assassiné par des partisans de la Ligue Awami. Ces derniers ont ensuite exercé des pressions sur le demandeur pour qu’il appuie la Ligue Awami, puis l’ont battu lorsqu’il a refusé d’obtempérer. La mère du demandeur a envoyé son fils dans un village pour le protéger, mais les adeptes de la Ligue Awami l’ont retrouvé et l’ont de nouveau attaqué. Croyant que son fils n’était plus en sécurité au Bangladesh, la mère a l’envoyé aux États-Unis par l’entremise d’un passeur.

[5] Le 22 septembre 2016, le demandeur a quitté le Bangladesh. Au terme d’un long voyage, il est arrivé aux États-Unis le 26 décembre 2016, où il a été détenu par les autorités d’immigration pendant plusieurs mois. Le ou vers le 30 janvier 2018, le demandeur est entré au Canada, où il a demandé l’asile.

[6] Dans sa décision du 10 décembre 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que ce dernier n’avait pas établi son identité. Le demandeur a ensuite interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR.

B. La décision faisant l’objet d’un contrôle

[7] Dans une décision en date du 9 octobre 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel du demandeur.

[8] En appel devant la SAR, le demandeur a présenté les nouveaux éléments de preuve suivants :

1. un extrait des règles du Bangladesh Gazette sur le processus de demande d’un certificat de naissance;

2. l’accusé de réception de la demande de passeport présentée par le demandeur au haut-commissariat du Bangladesh à Ottawa;

3. la vérification des renseignements sur la naissance se trouvant sur le site Web du gouvernement du Bangladesh.

[9] La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur et par conséquent, a rejeté la demande d’audience de ce dernier.

[10] Quant au bien-fondé de la demande d’asile présentée par le demandeur, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité. Comme le demandeur n’avait pas de passeport, sa demande d’asile reposait principalement sur les documents suivants : deux certificats de naissance; deux documents fournis par un conseiller municipal; des certificats de décès du père du demandeur; et des documents provenant de l’établissement scolaire du demandeur. La SAR a conclu que ces documents n’établissaient pas l’identité du demandeur.

[11] Soulignant qu’il incombe au demandeur de fournir suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité en vertu de l’article 106 de la LIPR, la SAR a conclu que le défaut du demandeur d’établir son identité était suffisant pour justifier le rejet de sa demande d’asile.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[12] L’unique question en litige que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, tant pour l’admission par la SAR des éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, que pour sa décision de tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6), puisque les deux questions concernent l’interprétation et l’application par la SAR de sa loi habilitante (Ifogah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1139 au para 35, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov); Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1148 au para 9). Par conséquent, je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur, quant au refus de la SAR de tenir une audience, qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale devant être contrôlée selon la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35, et les décisions qui y sont citées).

[14] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle rigoureuse, mais empreinte de déférence (Vavilov, au para 13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris sa justification et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier présenté au décideur, et de l’incidence de cette décision sur les personnes qui en font l’objet (Vavilov, aux paras 88‑90, 94, 133‑135).

[15] Lorsque le décideur a fourni des motifs, ces derniers sont le point de départ du contrôle (Vavilov, au para 84). Il n’est pas nécessaire qu’ils soient parfaits; normalement, la décision sera considérée comme raisonnable si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du décideur et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Beddows c Canada (Procureur général), 2020 CAF 166 au para 25, citant Vavilov au para 91). Inversement, lorsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision sera, en règle générale, déraisonnable (Vavilov, au para 98).

[16] Pour qu’une décision soit déclarée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et elle ne doit pas modifier ses conclusions de fait à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Ainsi, les conclusions relatives à la crédibilité commandent « une grande déférence » dans le cadre de l’examen (Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6, citant N’kuly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1121 au para 21).

IV. Analyse

[17] L’article 110 de la LIPR régit les appels des décisions de la SPR entendus par la SAR. Le paragraphe 110(3) prévoit qu’en général, la SAR « procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la [SPR]. » Le paragraphe 110(4) énumère les circonstances dans lesquelles le demandeur peut présenter des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la SPR :

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Evidence that may be presented

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[18] Lorsque la SAR conclut que les nouveaux éléments de preuve répondent aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR, elle doit déterminer si la preuve est crédible, pertinente et substantielle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 aux paras 38-49, citant Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza) aux paras 13-15). Ces derniers critères d’admissibilité sont appelés « facteurs de l’arrêt Raza ».

[19] Le paragraphe 110(6) de la LIPR prévoit que la SAR peut tenir une audience si elle admet de nouveaux éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur, et si ces éléments sont essentiels et déterminants :

Audience

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois:

Hearing

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[20] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement refusé d’admettre les éléments suivants : (1) l’accusé de réception lié à une demande de passeport qu’il a présentée au haut‑commissariat du Bangladesh à Ottawa; et (2) le document relatif à la vérification des renseignements sur la naissance se trouvant sur le site Web du gouvernement du Bangladesh. Le demandeur ne prétend pas que la SAR a refusé à tort d’admettre les extraits du Bangladesh Gazette.

(1) Accusé de réception d’une demande de passeport

[21] La SAR a conclu que l’accusé de réception lié à la demande de passeport répondait aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, mais qu’il était irrecevable selon les facteurs de l’arrêt Raza. Les motifs fournis par la SAR à l’appui de cette conclusion sont de deux ordres : le demandeur n’a pas récupéré son passeport avant l’échéance de cueillette, et la demande ne prouve pas à elle seule l’identité du demandeur. En particulier, la SAR a affirmé ceci :

Je fais observer qu’il est mentionné dans ce document que la date à laquelle le document demandé pouvait être récupéré était le 17 février 2019. Rien ne permet de conclure que l’appelant a bel et bien récupéré le document demandé. Une demande ne prouve pas à elle seule l’identité de l’appelant.

[22] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de s’appuyer sur le défaut de récupérer son passeport pour refuser d’admettre l’accusé de réception lié à la demande de passeport. Le demandeur fait remarquer que la mention du 17 février sur l’accusé est une [TRADUCTION] « date de cueillette provisoire » et qu’elle [TRADUCTION] « est susceptible de vérification policière ». Par ailleurs, le demandeur affirme que, selon le point 3.11 du Cartable national de documentation [CND] pour le Bangladesh du 29 mars 2019, le processus de vérification policière peut durer de six à douze mois.

[23] Je conviens avec le défendeur que le facteur Raza applicable en l’espèce consiste à déterminer si l’accusé de réception lié à la demande de passeport était un élément de preuve substantiel. La conclusion de la SAR selon laquelle l’accusé de réception ne peut à lui seul constituer une preuve d’identité du demandeur est révélatrice.

[24] Un élément de preuve est substantiel si l’on peut raisonnablement penser qu’il aurait influé sur la décision de la SPR (Yurtsever c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 312 au para 15). La SAR doit adopter une [TRADUCTION] « approche libérale » à l’égard de la notion de caractère substantiel; si la SAR refuse un nouvel élément preuve qui est directement lié aux éléments centraux d'une demande d'asile, elle doit expliquer adéquatement les raisons de son refus (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 438 au para 34).

[25] Selon moi, la SAR a déraisonnablement conclu que l’accusé de réception de la demande de passeport n’était pas un élément substantiel. Le passeport du demandeur, s’il l’obtient, est peut‑être l’élément le plus susceptible d’influer sur la conclusion de la SPR que le demandeur n’a pas établi son identité. Je conviens avec le défendeur que l’accusé de réception ne constitue pas à lui seul un élément de preuve substantiel, mais j’estime qu’il est substantiel au regard de l’éventuelle arrivée du passeport — éventualité de la plus haute importance quant à la décision de la SPR. Par exemple, il aurait probablement été raisonnable pour la SAR de conclure que la demande ne constitue pas un élément substantiel s’il avait été établi que la demande n’aboutirait pas à la délivrance d’un passeport, car l’élément substantiel de la demande aurait été perdu.

[26] En l’espèce, la SAR n’a pas tenu compte du caractère substantiel que représente l’accusé de réception, et a plutôt blâmé le demandeur pour ne pas avoir récupéré le passeport. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que cette approche est injustifiée au regard des éléments de preuve pertinents sur les conditions dans le pays (Vavilov, au para 85).

[27] La date d’inscription sur la demande de passeport du demandeur est le 11 janvier 2019. Selon le CND, il est possible que le passeport du demandeur ne soit pas vérifié avant le 11 janvier 2020. Or, la SAR a rendu sa décision le 9 octobre 2019, soit bien avant la fin du délai de six à douze mois prévu pour le processus de vérification décrit dans le CND. Je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur selon lequel la SAR était tenue de vérifier le processus de demande (Barre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1091 au para 20, et les décisions qui y sont citées); néanmoins, la SAR avait le pouvoir d’examiner les résultats de la demande après que le processus eut dûment suivi son cours. J’estime que le défaut de la SAR de le faire, au vu du caractère substantiel du passeport, rend sa décision déraisonnable.

(2) Vérification des informations sur la naissance

[28] La SAR a conclu que le « document original » lié à la vérification des informations sur la naissance du demandeur respectait les conditions prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR, mais elle a néanmoins jugé cet élément de preuve irrecevable. Là encore, les motifs de la SAR sont de deux ordres : il n’y a rien dans le document qui fournit sa source ou qui démontre son authenticité, et le demandeur n’a pas raisonnablement expliqué pourquoi les renseignements contenus dans le document n’ont pas été présentés à la SPR. En particulier, la SAR a déclaré ceci :

Je souligne que, à première vue, il n’y a rien dans le document qui fournit sa source ou qui démontre son authenticité, que ce soit un en‑tête, un logo ou une signature. Les renseignements se trouvant dans ce document auraient pu être présentés à la SPR avant sa décision. L’appelant n’a pas raisonnablement expliqué pourquoi ces renseignements n’ont pas été présentés avant la décision de la SPR.

[29] En ce qui a trait à la conclusion de la SAR selon laquelle il manquait des éléments d’authenticité au document relatif à la vérification des renseignements sur la naissance, j’estime que le raisonnement de la SAR n’est pas justifié, transparent et intelligible (Vavilov, au para 99). Je crois comprendre que c’est parce qu’il n’est pas crédible que la SAR a jugé cet élément irrecevable selon les facteurs de l’arrêt Raza. Toutefois, la SAR n’a tiré aucune conclusion claire en ce sens — elle ne mentionne même pas le mot « crédible » dans ses motifs.

[30] Hormis l’absence de transparence, la conclusion de la SAR est également injustifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 85). Je conviens avec le demandeur que l’affaire Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182 (Denis), est semblable à la présente affaire. Dans cette décision, le juge Martineau a conclu de manière déraisonnable que la SAR avait rejeté les pièces d’identité des demandeurs, en raison de l’absence de caractéristiques de sécurité :

[40] […] Les documents délivrés par une autorité étrangère sont présumés valides et, afin de réfuter cette présomption, des éléments de preuve contraires doivent être présentés au décideur. J’estime que de tels éléments de preuve n’ont pas été présentés à la SAR.

[41] La SAR n’a pas accepté les certificats de naissance nigérians des demandeurs mineurs comme preuve d’identité en raison de l’absence de [traduction] « caractéristiques de sécurité vérifiables » et de sa préférence pour les éléments de preuve présentés par le ministre. Cependant, aucun élément de preuve ni passage du CND n’indique que des caractéristiques de sécurité de quelque nature que ce soit doivent figurer sur les certificats de naissance nigérians. D’ailleurs, ni l’une ni l’autre décision ne fournissent d’explication à savoir pourquoi des caractéristiques de sécurité devraient être exigées ni en quoi devraient consister précisément les caractéristiques de sécurité. En l’absence d’éléments de preuve exigeant la présence de caractéristiques de sécurité particulières, [TRADUCTION] « l’absence de caractéristiques de sécurité vérifiables » n’est pas un motif raisonnable pour réfuter la présomption selon laquelle un document délivré à l’étranger est valide. Même si la SAR n’avait pas en sa possession les certificats de naissance originaux, lesquels ont été présentés à la SPR, des photocopies avaient été versées au dossier. D’après ces copies, il semble que chacun des certificats de naissance avait été officiellement estampillé. Toutefois, ni la SPR ni la SAR n’ont fait mention de l’estampille, laquelle pourrait très bien correspondre à une caractéristique de sécurité permettant d’identifier l’autorité de délivrance au Nigéria .

[non souligné dans l’original, renvois omis]

[31] De la même manière, en l’espèce, la SAR n’a pas expliqué pourquoi elle s’attendait à ce que le document de vérification des renseignements sur la naissance comprenne un en‑tête, un logo ou une signature; elle ne s’est pas non plus appuyée sur la preuve pour justifier ses attentes. Comme le demandeur l’a souligné, le point 3.2 du CND pour le Bangladesh du 29 mars 2019 explique que l’on peut trouver des renseignements sur la manière d’obtenir un certificat de naissance du Bangladesh sur un site Web semblable à celui mentionné sur le document de vérification des renseignements sur la naissance : br.lgd.gov.bd. Or, la SAR ne s’est pas demandé comment la présence de cette adresse pourrait permettre d’établir l’authenticité du document.

[32] En reprochant le fait que le document ne présentait pas ces caractéristiques, la SAR a implicitement conclu que le document était frauduleux. La conclusion de fraude est sérieuse et doit être fondée sur la preuve (Balyokwabwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 623 au para 45, citant Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 au para 24). La conclusion de la SAR en l’espèce ne repose sur aucune preuve et est seulement fondée sur l’hypothèse que le document de vérification des renseignements sur la naissance devrait présenter certaines caractéristiques. J’estime donc que la conclusion de la SAR à cet égard est déraisonnable.

[33] À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle le document de vérification des renseignements sur la naissance aurait pu être présenté avant que la SPR rende sa décision est également déraisonnable. Au début de ses motifs, la SAR affirme que le document de vérification des renseignements sur la naissance est conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, ce qui sous‑entend qu’il n’était pas raisonnablement accessible au demandeur avant que la SPR rende sa décision. Toutefois, la SAR a ensuite déterminé que les renseignements contenus dans le document auraient pu avoir été fournis à la SPR avant sa décision, et elle reproche au demandeur de ne pas les avoir fournis.

[34] Il est difficile de savoir si la SAR a conclu à l’inadmissibilité du document de vérification des renseignements sur la naissance dans son ensemble, en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, ou si elle a conclu que seuls les renseignements contenus dans le document le sont. Quoiqu’il en soit, les deux conclusions sont déraisonnables, à mon avis.

[35] La première conclusion n’est pas intrinsèquement cohérente puisqu’elle contredit clairement la conclusion précédemment tirée par la SAR selon laquelle l’élément de preuve est conforme aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR (Vavilov, au para 85). La dernière conclusion est déraisonnable en ce qu’elle entremêle la preuve, d’une part en disant que le document en soi est admissible en vertu des exigences prévues par la loi, mais que les renseignements qu’il contient ne le sont pas. Soit le document de vérification des renseignements sur la naissance est admissible en vertu du paragraphe 110(4), soit il ne l’est pas; en ne tirant pas de conclusion sur l’élément de preuve dans son ensemble, la SAR a rendu une décision qui n’est pas justifiée, transparente ou intelligible (Vavilov, au para 99).

V. Conclusion

[36] Je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable. Par conséquent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6878-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6878-19

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD FAYSAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À ottawa ET À toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 FÉVRIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Subodh Bharati

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles Julian Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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