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Date : 20011212

Dossier :T-2202-96

Référence neutre :2001 CFPI 1369

                                                                                                                                

ENTRE :                                                                                                                                          

CLIFT'S MARINE SALES (1992) LTD.

et 706930 ONTARIO LTD.

demanderesses

- et -

MOORCO INCORPORATED, LESLIE SUTHERLAND,

KERI ALLEN, alias KERI CALLEN,

alias KERI-LYNN CALLEN,

SEAN ALLEN, alias SEAN CALLEN,

1037542 ONTARIO LIMITED, ANGELO SANTANGELO,

CLIFT'S MARINE SALES INC., les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le bateau « STRICTLY BUSINESS »

et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le produit de la vente du bateau « STRICTLY BUSINESS »

défendeurs

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE


[1]                 Un courtier maritime, qui a présenté un acheteur potentiel au propriétaire d'un bateau, prétend avoir droit à une commission sur la vente ultérieure par le propriétaire dudit bateau à un associé de la personne qu'il lui avait présentée. La principale question en litige dans la présente action est de savoir si le propriétaire du bateau est tenu contractuellement de verser au courtier une commission sur sa vente à l'associé.

[2]                 Au début de l'instruction, les demanderesses ont indiqué qu'elles se désistaient sans dépens de leur action à l'égard des défendeurs Keri et Sean Allen, 1037542 Ontario Limited et Angelo Santangelo. Elles ont également renoncé à alléguer un complot et le recours à des moyens illégaux. Dans les circonstances, les défendeurs en cause, Moorco Incorporated (Moorco) et Leslie Sutherland (Sutherland), ont indiqué qu'ils ne donneraient pas suite à leur demande reconventionnelle contre leurs codéfendeurs.

[3]                 L'instruction de l'action s'est déroulée suivant la procédure prévue pour une action simplifiée par l'article 299 des Règles de la Cour fédérale (1998) qui exige que la preuve de chaque partie soit établie par affidavit et que chaque auteur d'un affidavit soit disponible pour contre-interrogatoire à l'audience. Les parties ont déposé huit affidavits et cinq souscripteurs d'affidavit ont été contre-interrogés à l'instruction. La déposition d'un témoin, Sean Callen, a été obtenue par commission rogatoire et la transcription de son témoignage a été admise sur consentement et versée comme pièce dans la présente affaire.

  


[4]                 Voici maintenant le résumé des éléments de preuve qui ont été produits par les parties. Les questions qui concernent la crédibilité des témoins sont abordées dans la section intitulée analyse.

I - LES FAITS

Contexte

[5]                 Pendant de nombreuses années, diverses compagnies ont exploité une entreprise de courtage maritime appelée Clift's Marine Sales à partir des mêmes locaux situés au 1, Port Street East, Port Credit (Ontario). Avant 1989, un certain George Clift a exploité une entreprise constituée en Ontario, Clift's Marine Sales Ltd. (CMS Ltd.). En 1989, Rene Blanchet (Blanchet) et Donald Robertson (Robertson), deux courtiers maritimes de profession, ont entrepris d'acheter les actifs, le nom et l'achalandage de CMS Ltd. Ils ont par la suite exploité leur entreprise maritime sous la dénomination sociale Clift's Marine Sales Inc. (CMS Inc.).


[6]                 Le 12 juillet 1991, la défenderesse Moorco a conclu une convention d'inscription d'un bateau avec CMS Inc., convention en vertu de laquelle cette compagnie a été nommée agent inscripteur exclusif pour la vente du bateau défendeur « STRICTLY BUSINESS » (le bateau), un yacht mixte modèle Roberts 53'. Sutherland, l'administrateur du bateau, a négocié la convention avec Robertson et a accepté de fixer le prix d'inscription à 399 000 $ et à verser la commission habituelle de 10 % sur le prix de vente.

[7]                 La convention prévoyait que CMS Inc. aurait le mandat de vendre le bateau pendant une période minimale de 90 jours, période après laquelle la convention serait automatiquement renouvelée à défaut de la réception par la compagnie d'un préavis écrit d'annulation de 15 jours. La convention accordait également à CMS Inc. une protection d'une durée de 90 jours après l'expiration de la convention à l'égard des clients qu'elle présentait.

                                                                            

[8]                 En raison des difficultés financières qu'elle a connues par suite de la récession en 1990, CMS Inc. a été incapable de s'acquitter de sa dette à l'égard de CMS Ltd., laquelle a alors changé sa dénomination pour 706930 Ontario Ltd. C'est pourquoi, aux environs de décembre 1991, CMS Inc. a transféré ses actifs, y compris les registres de son entreprise de courtage, à une compagnie nouvellement constituée par George Clift, savoir Clift's Marine Sales (1992) Ltd. (CMS 92 Ltd.). Les registres de l'entreprise de courtage comprenaient la convention d'inscription conclue relativement au bateau « STRICTLY BUSINESS » . Il semble que ni Moorco ni Sutherland n'ont été informés, que ce soit officiellement ou non, du transfert de l'inscription à la nouvelle compagnie.                                                                                                      


[9]                 Robertson a poursuivi ses activités de courtage maritime avec CMS 92 Ltd. Il a participé activement à la promotion du bateau au nom de la compagnie, notamment en faisant publier des annonces dans des revues de nautisme distribuées au Canada et aux États-Unis et en affichant des photographies du bateau au bureau de la compagnie. Malgré les efforts de la compagnie, le bateau est resté inscrit sur sa liste d'inventaire pendant une longue période.

[10]            À l'automne 1995, Blanchet, qui avait démissionné en 1990, s'est joint à la compagnie à titre de courtier indépendant et s'est rapidement occupé de la vente du bateau. Il se rappelle notamment avoir participé, en 1996, à l'exposition nautique internationale de Toronto où il a exposé une photographie du bateau. Peu de temps après l'arrivée de Blanchet, Robertson a quitté CMS 92 Ltd. pour fonder sa propre entreprise, Oxford Auto Sales.

                                     

Offre d'achat présentée par les Callen

[11]            Selon Blanchet, un homme et une femme qui se sont présentés comme Sean et Keri Allen sont venus au bureau de CMS 92 Ltd. au début du mois de juin 1996 et se sont dit intéressés aux deux yachts mixtes Roberts 53' inscrits par la compagnie, notamment le « STRICTLY BUSINESS » . Ce n'est que beaucoup plus tard que l'on a découvert que les « Allen » étaient en réalité Sean Callen (Callen) et sa femme Keri-Lynne Callen (Mme Callen).


[12]            Blanchet a répondu aux questions que lui ont posées les Callen et leur a montré des photographies des deux bateaux. Les Callen lui ont dit qu'ils allaient réfléchir et le rappeler. Après avoir fourni leurs coordonnées, les Callen sont partis. Un peu plus tard le même jour, Callen a téléphoné à Blanchet et lui a demandé d'organiser une visite du Roberts 53' près de Sarnia, en Ontario.

[13]            Blanchet n'avait jamais eu affaire au propriétaire du bateau. En fait, il y avait eu peu sinon aucun contact entre Clift's Marine et Sutherland depuis l'inscription du bateau. Blanchet a déclaré avoir composé le numéro indiqué dans le dossier de Sutherland et avoir parlé à sa femme, Alice Sutherland (Mme Sutherland). Il affirme que Mme Sutherland lui a dit que le bateau était amarré à quai derrière leur résidence à Mooretown (Ontario). Il prétend avoir convenu d'une date avec Mme Sutherland pour visiter le bateau.

[14]            Les Sutherland ne sont pas d'accord avec Blanchet lorsqu'il affirme avoir pris rendez-vous avec Mme Sutherland. Les deux affirment que c'est Sutherland qui a parlé en premier à Blanchet. Quoi qu'il en soit, il n'est pas contesté que l'un des deux Sutherland a accepté que le bateau soit inspecté au moment fixé.


[15]            Un peu plus tard en juin 1996, Blanchet a rencontré les Callen à son bureau de Port Credit afin de faire le trajet avec eux jusqu'à Mooretown pour inspecter le bateau. Blanchet a utilisé son véhicule pour conduire les Callen à la résidence des Sutherland; arrivé là-bas, il s'est présenté et il a présenté les « Allen » à Mme Sutherland.

[16]            Blanchet prétend avoir remis sa carte d'affaires à Mme Sutherland et en avoir laissé une autre dans l'habitacle de la cabine principale du bateau. Il dit que figuraient alors sur sa carte le nom de la compagnie, Clift's Marine Sales (1992) Ltd., ainsi que ses numéros de téléphone et de télécopieur, qui étaient identiques à ceux inscrits dans la convention d'inscription, sauf pour le code régional qui n'était plus 416, mais 905. Contre-interrogé, Blanchet a maintenu catégoriquement avoir laissé deux cartes pendant sa visite. Mme Sutherland nie que Blanchet lui a remis une carte d'affaires et affirme n'avoir jamais trouvé une telle carte dans le bateau.

  

[17]            Blanchet et Callen ont commencé à inspecter le bateau. Pendant qu'ils étaient ainsi occupés, Mme Sutherland a fourni spontanément à Mme Callen des détails sur l'état du bateau, la façon de le manoeuvrer et son histoire. Blanchet affirme que Mme Sutherland lui a dit que son mari déciderait à quelles conditions et à quel prix il accepterait de vendre le bateau.      


[18]            Selon Blanchet, les Callen l'ont rencontré le 19 juin 1996 afin de remplir par écrit une offre d'achat du bateau pour une somme de 208 500 $ plus 8 % de TPV (16 680 $), ce qui donne un total de 225 180 $, avec un dépôt de 5 000 $. Callen soutient ne pas avoir assisté à la signature de l'offre, mais il admet volontiers avoir chargé sa femme de faire l'offre en son nom. L'offre a été faite au nom de « Keri Allen » sur une formule portant l'en-tête de CMS Ltd. Blanchet n'a pu expliquer, lorsqu'il a été contre-interrogé sur ce point, pourquoi il aurait utilisé la formule de CMS; tout ce qu'il a pu dire, c'est qu'il n'avait probablement pas fait attention à l'en-tête.

[19]               Blanchet a transmis par télécopieur à la résidence des Sutherland une copie de l'offre, accompagnée d'une page couverture et d'une lettre, le 19 juin 1996. Le 20 juin 1996, Blanchet a reçu un appel de Sutherland qui lui a dit qu'il rejetait l'offre parce qu'elle était trop basse. Sutherland a dit à Blanchet qu'il croyait pouvoir obtenir [traduction] « un peu plus » . Blanchet a demandé à Sutherland d'écrire sur la copie de l'offre le montant qu'il serait prêt à accepter, d'y apposer ses initiales et de la lui renvoyer par télécopieur.

[20]            Le lendemain, Sutherland a chargé Blanchet de faire une contre-offre verbale aux Callen pour la somme de 225 000 $, déduction faite de la commission et de la taxe de vente. Même s'il avait des doutes sérieux, Blanchet a transmis la proposition de M. Sutherland à Callen le 22 juin 1996. Il prétend que Callen a protesté devant ce prix plus élevé et a répondu qu'il ne paierait jamais autant pour le bateau.


[21]            Il n'est pas certain que Callen a eu l'occasion de lire l'affidavit de Blanchet avant de faire sa déposition. Il maintient avoir voulu négocier un montant plus élevé avec Sutherland et avoir demandé à Blanchet d'augmenter son offre jusqu'à 249 000 $, ce qu'il croyait être le prix d'inscription complet. Il prétend que Blanchet lui a affirmé qu'il y avait eu une erreur dans l'inscription et que le prix correct était en réalité 279 000 $. Callen affirme qu'il a commencé à croire que Blanchet essayait de le duper. Il a insisté pour que Blanchet soumette son offre révisée à Sutherland; toutefois, il n'a eu des nouvelles qu'une semaine plus tard lorsque Blanchet lui a simplement indiqué que Sutherland était resté campé sur ses positions.

[22]            Callen n'était pas le seul à avoir laissé entendre que Blanchet avait fait preuve de duplicité. Sutherland affirme que Blanchet lui a téléphoné le 22 juin 1996 et lui a laissé entendre que le prix d'achat serait plus acceptable pour les « Allen » si la transaction était faite en argent comptant, ce qui permettrait de ne pas payer la TPS. Sutherland dit que Blanchet lui a confié que 70 % de ses activités se déroulaient de cette manière. Il affirme s'être senti gêné par ce que Blanchet proposait et avoir refusé de le faire.

[23]            Mis au courant de ces allégations lors du contre-interrogatoire, Blanchet a nié avec véhémence avoir agi incorrectement ou « avoir joué au plus fin » .


[24]            À la demande de Callen, Blanchet a téléphoné à Sutherland le 8 juillet 1996 pour l'informer que les « Allen » s'intéressaient toujours au bateau. Sutherland a dit à Blanchet qu'il pourrait envisager de baisser le prix « un petit peu » . Blanchet était découragé parce qu'il avait été amené à croire que les Callen n'achèteraient pas le bateau à moins que le prix ne soit considérablement réduit. Au cours de la même conversation, Sutherland a mentionné à Blanchet qu'il envisageait d'annuler la convention d'inscription. Même si Blanchet l'a pressé de réexaminer la question, Sutherland s'est contenté de dire qu'il y repenserait.

[25]            Le 9 juillet 1996, Callen a téléphoné à Blanchet et a demandé le remboursement du dépôt de 5 000 $. Blanchet affirme avoir alors considéré que les Callen ne s'intéressaient tout simplement plus au bateau. Callen prétend toutefois que la seule raison pour laquelle il avait fait marche arrière était qu'il n'avait pas confiance en Blanchet et qu'il ne voulait plus avoir à faire à lui. De toute façon, le dépôt a été remboursé peu après.

[26]            Le 11 juillet 1996, Blanchet a téléphoné à Sutherland pour lui confirmer que les « Allen » n'étaient plus intéressés par le bateau. Conscient que l'inscription était en péril, Blanchet a tenté de convaincre Sutherland de continuer à faire affaire avec sa compagnie et il lui a offert de rendre la convention non exclusive. Encore une fois, Sutherland ne s'est pas engagé.


Résiliation de la convention d'inscription du bateau

[27]            Se disant insatisfait des résultats obtenus par la compagnie, Sutherland a décidé de résilier la convention. Il affirme qu'il pensait être en mesure de vendre lui-même le bateau puisqu'il avait rencontré récemment une personne originaire d'Allemagne qui semblait intéressée à son bateau. Il croyait que cette personne serait disposée à l'acheter, mais probablement pas avant l'année suivante au plus tôt.

[28]            Le 15 juillet 1996, Sutherland a télécopié une copie de la convention d'inscription à l'avocat de Moorco, William Tennyson (Tennyson), et l'a chargé de préparer un avis de résiliation de la convention [traduction] « dès que possible » . Ce même jour, Tennyson a préparé une lettre pour notifier cette décision à CMS Inc. La secrétaire de Tennyson lui a dit avoir essayé de télécopier l'avis à la compagnie, mais que la transmission ne s'effectuait pas. Elle lui a également dit avoir tenté de joindre CMS Inc. par téléphone, mais n'avoir pas réussi à joindre qui que ce soit. Tennyson a donc décidé d'envoyer la lettre, ce même jour, par courrier de première classe à CMS Inc. à l'adresse de la boîte postale figurant dans la convention d'inscription.


[29]            Ce n'est pas Clift's Marine qui a finalement reçu la lettre de résiliation, mais plutôt Robertson à son bureau d'Oxford Auto Sales. Robertson a expliqué que la boîte postale avait été prise à son nom et qu'elle était encore à son nom. Il dit qu'après avoir quitté CMS 92 Ltd., il a continué de recevoir du courrier pour la compagnie. Il avait l'habitude de simplement télécopier toute lettre mal adressée à CMS 92 Ltd. et de jeter l'original.

[30]            Robertson se rappelle précisément avoir reçu la lettre de Tennyson le 22 juillet 1996 et l'avoir immédiatement télécopiée à CMS 92 Ltd. Il a reconnu, lors de son contre-interrogatoire, qu'il était possible que cette lettre soit arrivée quelques jours plus tôt à son bureau puisqu'il n'ouvre habituellement pas son courrier tous les jours. Robertson a commencé à se douter que quelque chose se passait lorsqu'il a lu la lettre. Selon sa propre expérience, les avis de résiliation étaient rares dans l'industrie et, même dans ces cas, la plupart des clients se contentaient de téléphoner plutôt que de prendre la peine de formaliser le tout par écrit. Il a décidé de téléphoner à Clift's Marine pour faire part de ses inquiétudes.

Vente du bateau par Moorco à Santangelo

[31]            Sutherland affirme qu'il a reçu entre le 31 juillet et le 3 août 1996 un appel d'un certain M. Angelo Santangelo (Santangelo) qui a demandé à voir le bateau. Selon Mme Sutherland, ce coup de fil était tout à fait inattendu.


[32]            Sutherland a demandé à Santangelo s'il avait entendu parler du bateau par quelqu'un chez Clift's Marine ou par quelqu'un à qui Clift's Marine l'aurait montré. D'après Sutherland, Santangelo a nié connaître qui que ce soit ayant des liens avec Clift's Marine et a affirmé avoir entendu parler du bateau par un vendeur d'automobiles de Sarnia. Satisfait de cette réponse, Sutherland a accepté de fixer un rendez-vous.

[33]            Le 4 août 1996, Santangelo s'est présenté au domicile des Sutherland. Après avoir examiné le bateau et négocié le prix, il a offert une somme de 150 000 $, plus la TPS, sous réserve d'une autre inspection à une date ultérieure.

[34]            Sutherland affirme qu'à ce moment-là, il voulait vivement vendre le bateau. Il s'inquiétait du fait que Santangelo était seulement la deuxième personne à faire une offre d'achat en cinq ans. Il était également préoccupé parce qu'il devrait payer les frais de maintenance et d'hivérisation du bateau ainsi que des frais additionnels de dragage du bassin une fois le bateau sorti de l'eau, frais qui allaient selon lui s'élever à environ 29 000 $. Se résignant au fait que l'offre de Santangelo était la meilleure qu'il pouvait obtenir à ce moment-là, Sutherland l'a acceptée.

[35]            Santangelo a remis à Sutherland un chèque de sa compagnie, Santell Sales, à titre de dépôt de 20 000 $. Il est ensuite parti, indiquant qu'il donnerait bientôt de ses nouvelles.


[36]            Très rapidement, les Sutherland ont commencé à s'inquiéter du fait qu'ils avaient reçu l'appel de Santangelo à une date rapprochée de ce qu'ils croyaient être la date d'expiration du délai d'attente de quinze jours. Ils avaient agi en présumant que l'avis de résiliation avait été communiqué à Clift's Marine le 15 juillet 1996, ignorant les problèmes de communication qu'avaient eus Tennyson. Les Sutherland ont décidé, par surcroît de prudence, de préparer à l'intention de Santangelo une déclaration dans laquelle il nierait connaître qui que ce soit chez Clift's Marine Inc. ou toute autre personne présentée par cette compagnie.

[37]            Le 11 août 1996, Santangelo est revenu à la résidence des Sutherland en compagnie d'un ami pour inspecter le bateau. Une fois l'inspection terminée à sa satisfaction, Santangelo a été invité à signer la déclaration suivante :

  • [Traduction]Je, soussigné, Angelo Santangelo, atteste par les présentes que je ne connais personne chez Clift's Marine Sales Inc. ni aucune autre personne s'étant informée de l'inscription de ce yacht mixte Roberts 53' appelé « Strictly Business » .

[38]                         Une fois que Santagelo eut accepté de signer la déclaration, Sutherland a préparé à l'intention de Santell Sales une facture pour la vente du bateau, le prix d'achat étant de 150 000 $ plus 10 500 $ de TPS, soit un total de 160 500 $. Santangelo a alors sorti un sac de papier contenant 110 500 $ comptant ainsi qu'un chèque de 30 000 $. Les Sutherland prétendent avoir été étonnés de cette méthode inhabituelle de paiement et s'être sentis très mal à l'aise. Malgré sa gêne, Sutherland a inscrit sur la facture que la somme avait été acquittée en totalité. Santangelo est ensuite parti à bord du voilier, son ami tenant la barre. Dans son affidavit, Mme Sutherland a souligné que Santangelo ne semblait pas très familier avec les bateaux.


[39]            Sutherland affirme qu'il se sentait gêné par autant d'argent comptant et qu'il souhaitait éviter les commérages. Il a expliqué que sa banque se trouvait dans une petite ville et que les gens parlaient souvent des affaires des autres. Il a donc décidé d'effectuer deux dépôts, le premier s'élevant à 80 000 $ (1 000 billets de 50 $ et le chèque de 30 000 $) le 12 août et le second, pour le reste de l'argent comptant, une semaine plus tard.

Événements postérieurs à la vente du bateau

[40]            En septembre 1996, Blanchet était de passage à Cobourg, en Ontario, pour son entreprise de courtage lorsqu'il a vu le « STRICTLY BUSINESS » amarré dans la marina. Se demandant ce que le bateau faisait à Cobourg, Blanchet s'est informé auprès du directeur de la marina. Selon Blanchet, le directeur de la marina lui a dit que le propriétaire inscrit du bateau était Les Sutherland. Il a également mentionné avoir vu le propriétaire du bateau conduire une camionnette blanche de marque Ford. Blanchet a trouvé que c'était curieux puisqu'il se rappelait que les Callen conduisaient une camionnette répondant à la même description lorsqu'ils étaient venus à son bureau en juin. Enfin, le directeur a ajouté spontanément que le propriétaire du navire lui avait confié avoir acheté le bateau récemment.

[41]            Blanchet a décidé d'en savoir plus. Grâce à son expérience dans le travail policier, il a rapidement découvert que le propriétaire inscrit de la camionnette Ford stationnée à la marina de Cobourg était Keri Callen. Faisant les liens qui s'imposaient, Blanchet a conclu que sa compagnie devait avoir été escroquée d'une façon ou d'une autre par les « Allen. » .


[42]            Le 1er octobre 1996, M. William Sharpe (Sharpe), avocat de Clift Marine Sales, a écrit à Tennyson pour lui communiquer les renseignements découverts par Blanchet et demander des comptes à Moorco. La lettre de Sharpe indiquait que des sources avaient confirmé que le navire était en la possession des Allen à Cobourg, que les Allen se faisaient passer pour les Sutherland et disaient avoir récemment acheté le bateau.

[43]            Les Sutherland prétendent avoir été outrés d'apprendre, le 2 octobre 1996, que les demanderesses réclamaient une commission pour la vente à Santangelo. Sutherland a téléphoné à Santangelo le 6 octobre 1996 pour le mettre au courant des allégations de Blanchet. Il lui a demandé s'il avait pris les dispositions pour faire enregistrer l'acte de vente au registre des navires à Toronto afin d'indiquer le changement de propriétaire. Sutherland lui a demandé de s'en occuper le plus rapidement possible s'il ne l'avait déjà fait.

[44]            Le 7 octobre 1996, Tennyson a écrit à Sharpe pour l'informer qu'il avait rencontré Sutherland. Il précisait dans sa lettre que son client n'avait vendu le bateau à Santangelo qu'après avoir reçu une confirmation écrite que ce n'était pas par Clift's Marine qu'il avait été mis au courant de la vente du bateau. La lettre indique également que les Sutherland nient avoir été au courant des actes des Allen.


[45]            Le 17 octobre 1996, Tennyson a reçu de Santangelo par télécopieur une copie de l'acte de vente indiquant que Santangelo l'avait enregistré le 11 octobre 1996 sous le nom 1037542 Ontario Limited. Sutherland affirme que certaines modifications manuscrites à l'acte de vente, notamment les initiales « LS » , n'ont été apportées ni autorisées par lui.

[46]            Sutherland a décidé au début du mois d'octobre 1996 d'enregistrer tout appel téléphonique ultérieur qu'il ferait ou recevrait au sujet du bateau. Aidé de sa femme, il a enregistré quatre conversations téléphoniques avec Santangelo entre le 6 octobre 1996 et le 13 mars 1997. Santangelo est décédé en novembre 1997. Vu cette situation, l'avocat des défendeurs a tenté de produire en preuve les déclarations de Santangelo à Sutherland, alléguant qu'elles étaient admissibles puisqu'il s'agissait d'une exception à la règle du ouï-dire. L'avocat des demanderesses s'y est opposé. Les enregistrements ont été versés comme pièces, sous réserve de l'opposition des demanderesses quant à leur admissibilité qui a été admise sous toute réserve.


[47]            Dans ses conservations téléphoniques enregistrées avec Sutherland, Santangelo affirme à maintes reprises être le propriétaire du bateau. Il nie connaître qui que ce soit chez Clift's Marine et se déclare outré qu'une personne qu'il appelle « Clift » fouine un peu partout à la recherche de renseignements et fasse des accusations abracadabrantes. Il affirme que c'était par pure coïncidence que « le dénommé Allen » avait fait une offre d'achat sur le même bateau que lui. Voici un extrait de l'un des échanges enregistrés entre Sutherland et Santangelo.

  • [traduction]                                                                                                                           Santagelo :     Écoutez, j'ai entendu dire que ce type vous cause quelques problèmes? Sutherland :    Ouais.                                                                                                         Santangelo :    Mais que veut-il?                                                                                         Sutherland :    Il veut une commission.                                                                           Santangelo : À combien s'élève cette commission?                                             Sutherland : 10 pour cent du prix d'achat du bateau.                                           Santangelo : Vraiment? Vous savez, je suis allé là-bas, j'ai parlé au type qui se trouvait à bord du bateau et à l'autre type qui est allé vous voir, celui qui a habité pendant quelques jours sur le bateau, et à sa femme. C'est lui qui a fait la première offre. Il est retourné là-bas et apparemment, il se serait disputé avec Clift, parce que la deuxième fois qu'il est allé là-bas, il leur a offert 140 ou 240 ou je ne sais plus, et il a refusé. Ensuite, 250 et ils ont discuté très fort. Et ensuite - vous savez, je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé. Je ne voulais même pas le savoir. Je ne connais pas ce type, Clift, et je ne l'ai jamais vu. Il me connaît probablement parce que j'ai eu un garage. J'ignore s'il me connaît ou non. Mais quoi qu'il en soit - je ne sais pas, comment puis-je vous aider? Je ferai ce que vous voudrez, vous savez? Je veux dire que je ramènerai même le bateau là-bas si vous le voulez, je m'en fiche. Vous me dites ce que vous voulez.                                                                                                                          Sutherland : Et bien, je...                                                                                                Santagelo :     J'irai même là-bas avec vous et vous prouverai que je ne connais pas ce type. Vous comprenez ce que je dis? Je pense que je vous l'ai déjà dit avant.              Sutherland : Et bien, vous m'avez assuré que vous n'aviez rien à faire avec les Allen. Santangelo : Non, je n'ai rien à faire avec eux. Non, je n'ai rien à faire avec eux. C'est juste une coïncidence s'ils voulaient l'acheter, apparemment depuis le début; d'accord? Ensuite, quelques semaines plus tard, environ deux semaines plus tard, j'ai découvert que le type qui avait piloté mon bateau connaissait ce type, Allen; d'accord?              Sutherland :    Mmm.                                                                                                         Santangelo :    Et ils ont utilisé ensemble le bateau pendant un bout de temps. Je m'en fichais parce que j'étais occupé à mon garage. Vous savez, ils étaient - vous savez, ce type devait l'amener à Kingston pour moi.                                                                  Sutherland :    Ouais.                                                                                                                 Santangelo :    Et ensuite - il s'amusait avec. J'ai dit « Fais ce que tu veux; je m'en fiche. » Je lui fais confiance de toute façon. Mais il semble qu'ils ont été ensemble pendant un bout de temps, donc je ne sais pas. Mais vous savez, ce qui importe c'est que je n'ai absolument rien à voir avec tout ça.
  •                                                          

[48]            Dans sa déposition, Callen reconnaît avoir été l'ami de Santangelo pendant trente ans. Il affirme que lui-même et Santangelo ont été mis au courant de la vente du bateau par un homme appelé Marcus Mitchell qu'ils avaient rencontré dans un camp naturiste. Il ajoute « nous cherchions » un type particulier de coque, faisant apparemment allusion à Santangelo, et qu' « ils » savaient où se trouvaient toutes les coques en Ontario et sur la côte orientale du Canada.

[49]            Callen affirme avoir parlé à Santangelo après avoir décidé de ne pas acheter le bateau de Sutherland. Il prétend avoir informé Santangelo de ses problèmes avec Blanchet et lui avoir dit qu'il ne voulait plus rien savoir du bateau. Il a également dit à Santangelo avoir fait affaire avec une maison de courtage à Port Credit et soutient que [traduction] « c'est là que j'ai décidé de le lui laisser » . Interrogé quant à savoir s'il avait demandé à Santangelo d'acheter le bateau pour lui, il a répondu :

[Traduction] R.    Non, je ne l'ai pas fait, non. Il était au courant au sujet du bateau et il - Nous avions acheté des choses avant et c'est là que j'ai décidé de le lui laisser. Il m'a demandé « est-ce que c'est la bonne coque? » J'ai dit «    Comme je te l'ai dit, ce sont toutes de bonnes coques » , et c'est tout.

[50]            Callen savait apparemment pourquoi Santangelo avait besoin du bateau mais il a refusé de répondre, expliquant que sa vie pourrait être en danger s'il répondait à cette question. Il a laissé entendre qu'il y avait peut-être quelqu'un d'autre derrière cette affaire, une autre personne que lui ou Santangelo, qui voulait le bateau.


[51]            En 1999, Sean Callen et Keri-Lynne Callen ont été reconnus coupable d'infractions criminelles relativement à un complot avec d'autres personnes, notamment Angelo Santangelo et 1037542 Ontario Ltd. Ces condamnations découlaient de plaidoyers de culpabilité pour lesquels la Couronne a inclus au dossier certains faits reconnus. Il y avait parmi ces faits l'aveu de Callen qu'il avait tenté d'importer 2 200 livres d'huile de cannabis au Canada, qu'il avait été impliqué dans l'importation de cannabis depuis 1980 et qu'il avait pris des dispositions pour assurer le transport de stupéfiants des Caraïbes au Canada à de nombreuses occasions. L'exposé conjoint des faits incluait l'admission suivante :

  • [Traduction]CALLEN a aussi admis avoir acheté le bateau « Strictly Business » en Ontario avec le produit d'actes criminels. CALLEN a dit que le bateau avait été enregistré au nom de 1337542 Ontario Limited, la compagnie d'un associé, Angelo SANTANGELO (décédé). CALLEN a admis être le propriétaire légitime du bateau.

[52]            Par suite de la déclaration de culpabilité, le procureur général du Canada a obtenu une ordonnance de confiscation de biens, dont le « STRICTLY BUSINESS » . Interrogé sur le fait qu'il aurait admis avoir acheté le bateau et en être le propriétaire, Callen a affirmé n'être devenu propriétaire légitime du bateau qu'après le décès de Santangelo en novembre 1997. Il dit avoir auparavant prêté une somme importante à Santangelo et, après le décès de Santangelo en 1997, la succession du défunt a accepté de lui transférer le bateau à titre de remboursement de la dette.

   

II - POSITION DES PARTIES


[53]            Les avocats des parties ont fait de vive voix des observations détaillées sur les faits et le droit. En résumé, les demanderesses soutiennent que si une transaction, peu importe la forme qu'elle a prise, a eu lieu pendant la période de protection prévue dans la convention d'inscription relative au bateau et a conféré aux Callen des droits sur le bateau, les défendeurs ont l'obligation contractuelle de leur payer la commission pour courtage. Elles soutiennent subsidiairement que les défendeurs ont fait preuve de négligence dans leurs rapports avec Santangelo et ont contrevenu à l'obligation de diligence liant un vendeur et son agent. Elles revendiquent donc des dommages-intérêts pour les actes répréhensibles des défendeurs.

[54]            Les défendeurs nient qu'une commission est due aux demanderesses. Ils affirment que les demanderesses n'ont aucune qualité, aucun droit ou aucun titre leur permettant d'intenter l'action puisqu'il n'y a aucun lien contractuel entre les parties. Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que la convention d'inscription n'empêchait pas expressément une vente par le propriétaire, même pendant la période d'exclusivité. Ils affirment en outre qu'il n'y a tout simplement aucune preuve que la vente à Santangelo a été le résultat des efforts des demanderesses. De toute façon, ils soutiennent que la vente à Santangelo a été conclue après l'expiration du préavis de quinze jours prévu dans la convention et que cette vente ne donne pas lieu au versement d'une commission. Enfin, ils soutiennent avoir pris toutes les mesures raisonnables pour s'assurer que Santangelo n'avait aucun lien que ce soit avec Clift's Marine.

III - ANALYSE


[55]            L'action intentée par les demanderesses contre les défendeurs concerne le non-paiement d'une commission que les demanderesses prétendent avoir méritée par suite de la vente du bateau « STRICTLY BUSINESS » à Santangelo. Au premier coup d'oeil, cette affaire semble plutôt simple. Les demanderesses ont présenté un acheteur éventuel aux défendeurs. L'acheteur éventuel a fait une offre, la vente ne s'est pas réalisée et le dépôt a été remboursé. La convention d'inscription a ensuite été résiliée et les défendeurs ont entrepris de vendre le bateau à un tiers sans avoir recours à l'assistance des demanderesses. Compte tenu de ces faits, la réclamation d'une commission par les demanderesses semblerait non fondée.

                                                  

[56]            Toutefois, dans certaines circonstances, un courtier peut avoir droit à la commission sur une vente même si c'est le propriétaire qui vend le bien à un tiers sans avoir recours aux services du courtier. La loi exige simplement que le courtier soit la « cause immédiate » de la vente et non qu'il intervienne dans sa conclusion finale.

[57]            Avant d'analyser les faits, il convient d'examiner deux questions d'ordre juridique. La première concerne le droit des demanderesses d'intenter l'action en se fondant sur la convention d'inscription. La plainte des demanderesses s'appuie sur un contrat intervenu entre Moorco et CMS Inc. Les défendeurs soutiennent qu'étant donné qu'aucune disposition ne confère le droit aux parties de céder les droits et obligations prévus par la convention d'inscription, les demanderesses ne peuvent pas fonder leur action sur cette convention.


[58]            Je ne suis pas d'accord avec cet argument. Une personne peut céder à une autre les droits, les avantages et les responsabilités auxquels donne lieu un contrat à la condition que la cession soit absolue et qu'il ne s'agisse pas d'un contrat de services personnels. De plus, l'autorisation de l'autre partie contractante originale n'est pas nécessaire pour qu'il y ait cession. Il n'est pas contesté que les demanderesses ont pris la relève dans la convention d'inscription lorsque les biens de CMS Inc. leur ont été transférés. Les demanderesses ont continué de représenter la défenderesse pendant une période de cinq ans, sans que personne ne s'y oppose. La prétendue rupture de contrat et le droit de poursuivre ont pris naissance bien après la cession. Dans les circonstances, je conclus que les demanderesses ont tout à fait le droit de fonder leur réclamation sur la responsabilité contractuelle.

[59]            La deuxième question d'ordre juridique concerne l'admissibilité des déclarations relatées du défunt Santangelo. Les défendeurs tentent de faire admettre les enregistrements des conversations téléphoniques entre Sutherland et Santangelo à titre d'exception à la règle du ouï-dire, malgré les objections des demanderesses. Il est généralement reconnu que les déclarations relatées peuvent être admises en preuve, mais uniquement si elles satisfont aux exigences de nécessité et de fiabilité.


[60]            Dans l'arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême du Canada a indiqué qu'une distinction doit être faite entre le seuil de fiabilité et la fiabilité absolue. Le seuil de fiabilité est crucial pour l'admissibilité tandis que la fiabilité absolue d'un élément de preuve ou le poids à lui accorder ne peuvent être déterminés qu'une fois que l'élément de preuve a été admis. Lors de l'évaluation du seuil de fiabilité, l'analyse des garanties circonstancielles de fiabilité des déclarations doit se limiter aux déclarations elles-mêmes. La déclaration doit « refléter un état d'esprit actuel et doit paraître avoir été faite de manière naturelle et non pas dans des circonstances douteuses » .

[61]            À mon avis, les déclarations de Santangelo ne satisfont pas au critère du seuil de fiabilité. Santangelo les a faites après avoir été informé que les demanderesses alléguaient que des actes répréhensibles avaient été commis. Il ne faut toutefois pas écarter la possibilité qu'il y ait eu machination ou dissimulation. Qui plus est, les déclarations de Santangelo à Sutherland au téléphone servaient pour la plupart ses propres intérêts, celui-ci n'ayant fait aucune admission jouant contre lui. Pour qu'elles soient jugées admissibles, les déclarations doivent avoir une certaine fiabilité, élément dont les défendeurs n'ont pas établi l'existence. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas convaincu que les défendeurs ont satisfait à l'exigence de nécessité. Même si le témoignage de Santangelo est perdu, les défendeurs avaient la possibilité d'établir les faits pertinents grâce aux témoignages des Sutherland et de Callen. Dans les circonstances, les enregistrements des déclarations de Santangelo sont inadmissibles et aucun compte n'en sera tenu.


[62]            Les demanderesses avaient la tâche difficile d'établir, selon la prépondérance de la preuve, qu'elles étaient la cause véritable de la vente faite par les défendeurs à Santangelo. Les déclarations parfois contradictoires et souvent contestables des témoins ont compliqué l'instruction de l'affaire. En fin de compte, la présente affaire se résume à une question de crédibilité.

[63]            Il n'est pas contesté que Callen et Santangelo étaient des amis intimes et que leurs liens ont existé jusqu'au décès de Santangelo en 1997. Il semble que Callen et Santangelo étaient tous les deux intéressés à acheter un bateau et qu'ils en ont cherché un activement en 1996. Bien que la raison pour laquelle ils avaient besoin d'un bateau n'ait pas été divulguée, je conclus que c'était probablement pour faire le trafic de stupéfiants.

[64]            Il ressort de la preuve que Callen et Santangelo ont appris en même temps que le « STRICTLY BUSINESS » était à vendre. Il est clair que l'un des deux ou les deux ont décidé que Callen essaierait d'acheter le bateau. Le fait que Callen se soit présenté sous un faux nom à Blanchet et qu'il ait chargé sa femme de faire une offre en utilisant un pseudonyme me donne à penser que Callen avait dès le départ l'intention de dissimuler sa participation à la transaction.


[65]            Callen prétend qu'il ne voulait plus rien savoir du bateau en juin 1996 parce qu'il se méfiait de Blanchet. Je ne suis pas du tout convaincu que c'était le cas. Blanchet traitait manifestement avec deux parties tenaces qui n'ont finalement pas voulu revenir sur leur position. Il n'était tout simplement pas dans l'intérêt de Blanchet de s'aliéner son client ou l'acheteur éventuel ou encore, de faire quoi que ce soit qui ferait échouer la vente. Il est plus probable que Callen a décidé de renoncer à l'achat lorsqu'il a découvert que Blanchet était un ancien policier.

[66]            Malgré les dénégations de Callen, je suis convaincu qu'il a chargé Santangelo d'utiliser son propre nom afin d'acheter le bateau pour lui. Sa réponse évasive selon laquelle il a « décidé de laisser » le bateau à Santangelo ne laisse aucun doute dans mon esprit que Callen avait délégué à son ami et associé la tâche d'acheter le bateau. Il appert également que Santangelo a obtenu de Callen le nom et les coordonnées du propriétaire, Sutherland. Aucune autre explication raisonnable n'a été fournie quant à la manière dont Santangelo aurait pu obtenir ces renseignements.

[67]            Le manque de connaissances qu'avait Santangelo des navires, la possession exclusive du bateau par Callen et l'aveu de Callen devant une cour criminelle qu'il avait « acheté » le bateau ne sert qu'à confirmer ce qui est évident - Santangelo n'était rien d'autre qu'un prête-nom pour Callen.


[68]            La question la plus difficile à trancher est celle de savoir si Sutherland était un pion innocent aux mains de ces deux escrocs ou s'il était au courant ou aurait dû être au courant de leur association lorsqu'il a amené sa compagnie à parachever la vente à Santangelo. Je conclus que Sutherland était vraisemblablement au courant des rapports existant entre Callen et Santangelo lorsque la vente a été conclue ou, à tout le moins, qu'il a fait preuve d'aveuglement volontaire à cet égard.

[69]            La crédibilité de Sutherland a été gravement ébranlée par les explications invraisemblables qu'il a fournies pour la résiliation de la convention d'inscription et la vente à Santangelo. C'est l'explication fournie par Sutherland pour justifier l'urgence de vendre le bateau en août 1997 qui m'a le plus dérangé, explication qui a été reprise par sa femme. Je ne crois pas que les circonstances ont changé si radicalement en l'espace d'un mois que Sutherland ait pu se sentir obligé de vendre le bateau à un prix inférieur de 65 000 $ à la somme qui lui avait été auparavant offerte et qu'il avait refusée.

[70]            Quelle était l'urgence de vendre à ce moment-là? Seulement trois semaines plus tôt, Sutherland se contentait d'attendre l'année suivante pour vendre le bateau à une de ses connaissances. L'obligation de faire face à des dépenses imminentes et importantes était trop commode et m'a semblé inventée de toutes pièces.


[71]            Qui plus est, pourquoi Sutherland ne s'est-il pas encore une fois adressé à Blanchet pour savoir si les Callen étaient encore intéressés par le bateau ou s'il y avait d'autres clients éventuels? Il aurait certes pu vaincre son orgueil et le demander.

[72]            Je suis également sceptique au sujet des motifs pour lesquels Sutherland a résilié la convention à la mi-juillet 1996. Sutherland prétend que l'une des raisons pour lesquelles il avait mis fin à ses rapports avec Blanchet était qu'il s'était senti mal à l'aise lorsque celui-ci avait proposé une vente au comptant. Pourtant, ironiquement, un mois plus tard, Sutherland a accepté de vendre le bateau en échange d'une somme qui lui a été remise dans un sac de papier brun. J'estime que Sutherland avait déjà décidé de vendre le bateau lui-même et d'épargner la commission lorsqu'il a résilié la convention d'inscription et que le travail de Clift's Marine et le comportement de Blanchet n'ont rien à voir avec sa décision.


[73]            Les Sutherland affirment qu'ils se sont sentis inquiets après avoir reçu un appel de Santangelo à une date aussi rapprochée de la date d'expiration de la convention d'inscription et qu'ils se sont donc arrangés pour que celui-ci signe une déclaration par laquelle il niait connaître Clift's Marine. À mon avis, les mesures prises par les Sutherland pour vérifier si Santangelo n'était pas un client de Clift's Marine étaient insuffisantes dans les circonstances. Je trouve étonnant que les Sutherland aient cru un étranger qui a affirmé avoir été mis au courant de la vente du bateau par un vendeur d'automobiles usagées. L'explication de Santangelo était si vague qu'elle aurait dû susciter des soupçons. Les défendeurs auraient dû au minimum vérifier auprès des demanderesses si Santangelo était l'un de leurs clients. De plus, les Sutherland auraient dû demander à Santangelo s'ils connaissaient les « Allen » étant donné ce qui s'était passé auparavant.

[74]            Je ne suis tout simplement pas convaincu que les Sutherland ont été francs au sujet de leur transaction avec Santangelo. J'estime qu'ils savaient que Callen était à l'origine de l'offre faite par Santangelo ou qu'ils ont fait preuve d'aveuglement volontaire à cet égard. Compte tenu de la preuve dont j'ai été saisi et des conclusions que j'ai tirées à partir de celles-ci, je conclus que les demanderesses étaient la cause immédiate de la vente du bateau par Moorco et que cette vente a été parachevée dans la période de protection de 90 jours visant les acheteurs présentés. Les défendeurs sont à mon avis conjointement et solidairement responsables à l'égard des demanderesses par suite de leurs actes répréhensibles qui étaient destinés à les priver de la commission à laquelle elles avaient droit.

[75]            Compte tenu des conclusions qui précèdent, je n'ai pas à déterminer quand l'avis de résiliation de la convention d'inscription a pris effet. Par souci d'exhaustivité, je conclus que les demanderesses ne devraient pas bénéficier de leur omission de donner un avis formel de la cession de la convention. L'avis de résiliation aurait été communiqué le 15 juillet 1996 s'il n'y avait eu une modification des codes régionaux.


[76]            Quant au montant des dommages-intérêts, les demanderesses ont droit, en vertu du contrat, à une commission représentant 10 % du prix d'achat versé à la défenderesse Moorco. Je ne suis toutefois pas convaincu que la vente effectuée à Santangelo représente la somme qui a été véritablement versée pour le bateau puisque le paiement a été fait au comptant dans des circonstances louches. J'accorderais par conséquent des dommages-intérêts équivalant à une commission représentant 10 % de la somme correspondant au lien de dépendance offerte par les Callen et refusée par les défendeurs.

Conclusion

[77]            Pour les motifs qui précèdent, l'action est accueillie à l'égard des deux défendeurs. Les demanderesses ont droit à une somme de 20 800 $, plus l'intérêt à compter de juin 1996 jusqu'à aujourd'hui. Les demanderesses devront produire des observations écrites concises sur la question des dépens dans les cinq jours suivant la date des présents motifs. Un jugement officiel conforme aux motifs sera rendu une fois que les défendeurs auront eu la possibilité raisonnable de répondre aux observations.

« Roger R. Lafrenière »                                                                        ______________________________                   Protonotaire

Toronto (Ontario)

12 décembre 2001

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

  

DOSSIER :                                                        T-2202-96

INTITULÉ :                                                         CLIFT'S MARINE SALES (1992) LTD.

et 706930 ONTARIO LTD.

défenderesses

- et -

MOORCO INCORPORATED, LESLIE SUTHERLAND, KERI ALLEN, alias KERI CALLEN, alias KERI-LYNN CALLEN,SEAN ALLEN, alias SEAN CALLEN, 1037542 ONTARIO LIMITED, ANGELO SANTANGELO, CLIFT'S MARINE SALES INC., les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le bateau « STRICTLY BUSINESS » et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le produit de la vente du bateau « STRICTLY BUSINESS »

défendeurs

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 5 DÉCEMBRE 2000 ET LE MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :                                     LE MERCREDI 12 DÉCEMBRE 2001


COMPARUTIONS :                           William M. Sharpe

pour les demanderesses

Nigel H. Frawley

pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        William M. Sharpe

Avocat

C.P. 1225

Station 304

1644, Bayview Avenue

Toronto (Ontario)

M4G 3C2

pour les demanderesses

  

Borden Ladner Gervais, s.a.r.l.

Avocats

Scotia Plaza

40, King Street West

Toronto (Ontario)

M5H 3Y4

pour les défendeurs


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                          Date : 20011212

                                                                    Dossier : T-2202-96

Entre :

CLIFT'S MARINE SALES (1992) LTD.

et 706930 ONTARIO LTD.

demanderesses

- et -

MOORCO INCORPORATED, LESLIE SUTHERLAND, KERI ALLEN, alias KERI CALLEN, alias KERI-LYNN CALLEN, SEAN ALLEN, alias SEAN CALLEN, 1037542 ONTARIO LIMITED, ANGELO SANTANGELO,CLIFT'S MARINE SALES INC., les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le bateau « STRICTLY BUSINESS » et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le produit de la vente du bateau « STRICTLY BUSINESS »

défendeurs

                                                  

                                                   

MOTIFS DU JUGEMENT

                                                     

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