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Date : 20210512


Dossier : IMM-5077-20

Référence : 2021 CF 428

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2021

En présence de l'honorable juge Shore

ENTRE :

WISSAM MELKANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 25 septembre 2020 par la Section d’appel de l’immigration (SAI) dans laquelle la SAI a confirmé que le demandeur était interdit de territoire pour manquement à son obligation de résidence pour une période quinquennale à titre de résident permanent, conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art 28 [LIPR].

[2] Le demandeur est né au Liban et a obtenu son statut de résident permanent le 15 juillet 2014. Près de quinze jours plus tard, le demandeur a quitté le Canada pour compléter un contrat de travail en Irak. Il a par la suite prolongé son séjour à l’étranger pour régler un litige judiciaire et pour s’occuper de sa mère atteinte d’un cancer au Liban.

[3] À son retour au Canada, le 7 novembre 2019, un agent a déterminé qu’il était inadmissible pour n’avoir accumulé aucun jour de présence au Canada, alors qu’il aurait été tenu de résider au pays pour 730 jours au cours des cinq années précédentes. La SAI a confirmé ceci et a conclu qu’il n’y a pas lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire selon des motifs d’ordre humanitaire.

[4] Le présent contrôle judiciaire porte sur la raisonnabilité des conclusions de la SAI eu égard au droit et aux déterminations de faits. Une « décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]). À moins de circonstances exceptionnelles, cette Cour ne doit pas modifier les conclusions de faits; de même que d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, ci-dessus, aux para 125, 128).

[5] Le demandeur avance que la SAI a déprécié la preuve dans l’analyse des facteurs à considérer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La SAI aurait également erré en s’appuyant sur le rapport de l’agent comportant une erreur sur l’identité du demandeur et sur la période d’un contrat en Irak. Enfin, le demandeur argue que la SAI aurait retenu des faits sans fondement ou conséquence, ainsi qu’ignorer la preuve au dossier comme son admission à un programme de MBA à Montréal pour l’année scolaire commençant en septembre 2016.

[6] Pour exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de considérations d’ordre humanitaire selon la LIPR, art 67(1)c), 68(1), la SAI est guidée par les facteurs non exhaustifs établis dans Ribic c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1985] DSAI No 4, endossés par la Cour suprême du Canada (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2002 CSC 3 aux para 40-41). La pondération de chaque facteur et de chaque élément de preuve est laissée à la discrétion de la SAI (voir Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1028 au para 16, citant notamment Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292 au para 32).

[7] De prime abord, le demandeur n’avait aucun jour de présence au pays durant la période s’étalant du 7 novembre 2014 au 7 novembre 2019, soit un manquement total de l’obligation de résidence. Par conséquent, les motifs d’ordre humanitaire invoqués devaient revêtir un caractère tout aussi exceptionnel afin de contrebalancer proportionnellement le non-respect de cette obligation.

[8] Dans son analyse, la SAI a premièrement retenu que le motif du départ volontaire pour des raisons économiques et professionnelles en Irak était un facteur négatif.

[9] Une note neutre a toutefois été attribuée quant au motif du séjour prolongé au Liban. Alors que la SAI a été satisfaite que la présence du demandeur auprès de sa mère diagnostiquée d’un cancer en décembre 2017 fût justifiée pour les années 2018 et 2019, le demandeur n’a pas démontré que sa présence permanente était requise pour régler un litige judiciaire entre 2015 et 2017. Sur ce, les notes de l’agent sur un second contrat en Irak durant la période en question auraient semé le doute auprès de la SAI. La Cour constate cependant – en accord avec le demandeur – que la preuve au dossier démontre que ce contrat en Irak était pour des années antérieures à 2015 et, donc, il y aurait une interprétation erronée de la preuve à cet égard.

[10] En se penchant sur le motif à savoir si le demandeur a tenté de revenir au Canada à la première occasion, la SAI a trouvé qu’il s’agissait d’un facteur négatif, même en appréciant les valeurs culturelles et familiales qui sous-tendent le désir du demandeur de s’occuper de sa mère. Selon la preuve, il était possible de prendre des arrangements alternatifs au Liban pour respecter l’obligation de résidence envers le Canada, mais ceci a uniquement été fait pour combler des besoins d’affaires, à l’évidence de déplacements – même brefs – en 2018 en Uruguay, avec passage au Brésil.

[11] La SAI a de suite considéré comme facteur négatif le degré d’établissement initial et subséquent. L’expérience canadienne du demandeur se limitait à ses visites familiales à Pâques 2006 et Noël 2008, et à son court séjour en 2014. De plus, alors que les efforts du demandeur quant à établissement subséquent soient louables – logement, véhicule, bénévolat, enregistrement de compagnies – la SAI a déterminé qu’il ne s’est pas véritablement intégré à la société canadienne, contrairement à son pays de nationalité.

[12] Les liens familiaux du demandeur au Canada, soit avec sa tante et son oncle par alliance, ont – pour leur part – été considérés comme étant un facteur positif. La SAI a toutefois constaté qu’ils ne vivraient pas d’effets préjudiciables, en absence de preuve à cet effet et remarquant qu’il n’y a eu aucune visite pendant les cinq années à l’étranger.

[13] De même, il n’y avait pas de preuve de conséquences monétaires négatives liées à l’immatriculation des entreprises du demandeur au Canada. La SAI a aussi songé que les investissements encourus ne sont pas irrécupérables et rien n’empêcherait le demandeur d’opérer ses compagnies du Liban, cinq représentants étant notamment dans des pays différents.

[14] En dernier lieu, il n’y avait pas d’intérêt de l’enfant à considérer ni de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales en l’espèce.

[15] L’évaluation négative des différents facteurs l’a donc emporté sur les facteurs neutres et positifs au dossier, soit le séjour prolongé à l’étranger et les liens familiaux. La SAI a estimé que le manquement à l’obligation de résidence du demandeur est la conséquence d’un choix personnel dicté par des considérations économiques, professionnelles et familiales plutôt que le fait de l’existence de circonstances exceptionnelles.

[16] Au vu de ce qui précède, nonobstant l’erreur factuelle accessoire au motif du prolongement du séjour à l’étranger, la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire en effectuant une analyse qui est raisonnable (Vavilov, ci-dessus, au para 100). L’erreur cléricale dans les notes de l’agent faisant partie du dossier du tribunal ne mine également pas le caractère raisonnable de la décision (Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 au para 56; voir aussi Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 à la p 228).

[17] Outre ces points, la Cour se voit effectivement demander de peser à nouveau la preuve, un exercice qu’elle ne peut entreprendre en révision judiciaire (Vavilov, ci-dessus, aux para 83, 125). La SAI a effectué une analyse approfondie en tenant compte des facteurs pertinents et a exercé son pouvoir discrétionnaire en soupesant ceux-ci. La SAI est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont elle disposait et ses motifs justifiaient ses conclusions (Tai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 248 au para 74, citant Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 au para 1 (CA)).

[18] Pour ces motifs, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT au dossier IMM-5077-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5077-20

INTITULÉ :

WISSAM MELKANE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Alice Santamaria

 

Pour le demandeur

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alice Mardelet Santamaria

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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