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                                                                                                                                 Date : 20031120

                                                                                                                    Dossier : IMM-6223-02

                                                                                                                Référence : 2003 CF 1356

ENTRE :

                                                              MARIGLEN ALIAJ

                                                                   ERVIN ALIAJ

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 6 novembre 2002, dans laquelle la Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni n'avaient qualité de « personne à protéger » aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.


[2]         Les demandeurs, Mariglen (Mariglen) et Ervin (Ervin) Aliaj, sont des frères originaires de Vlorë en Albanie. Ils prétendent avoir une crainte fondée de persécution aux mains du gouvernement de l'Albanie et du Parti socialiste d'Albanie, du fait de leur appartenance au Parti démocratique d'Albanie (PD).

[3]         La Commission a conclu que la crédibilité et la crainte fondée de persécution des demandeurs étaient diminuées en raison des nombreuses divergences entre leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP), leur témoignage, et les quatre rapports médicaux.

[4]         Les demandeurs prétendent que les conclusions de la Commission sur la crédibilité devraient être rejetées parce qu'elles sont abusives, manifestement déraisonnables et qu'elles portent atteinte aux principes de justice naturelle.

[5]         Je ne suis pas convaincu que la Commission a agi d'une manière arbitraire en évaluant la crédibilité des demandeurs, compte tenu des divergences. La Commission a expliqué de façon claire et explicite les raisons pour lesquelles elle doutait de la crédibilité des demandeurs, en se fondant sur de nombreuses divergences entre les FRP des demandeurs, leurs témoignages et les rapports médicaux. Notamment, je ne crois pas que la Commission ait commis une erreur en tirant les conclusions suivantes : les demandeurs n'avaient pas subi leurs blessures pour les motifs qu'ils invoquaient; la fourgonnette de la famille avait été incendiée; et Mariglen était présent au rassemblement politique tenu en mai 1999.

[6]         Toutefois, l'affaire qui nous occupe présente une difficulté en ce qui concerne les conclusions suivantes de la Commission : Edmund n'avait pas été tué pour des raisons politiques; Ervin n'avait pas pris part aux activités organisées par le forum des jeunes du PD; et la carte de membre du PD de Mariglen était frauduleuse.


[7]         D'abord, la Commission n'a pas cru qu'Edmund avait été tué pour des raisons politiques parce que, selon elle, la mort d'un activiste du PD aurait été mentionnée dans les documents du pays. Pour étayer sa conclusion, la Commission s'appuie sur de la preuve documentaire désignée comme « Pièce R-1, art. 2.2.30 » (voir la note 8, au bas de la page 11 du dossier du tribunal). Un examen de l'ensemble du dossier n'a pas révélé l'existence de cette preuve et la « Pièce R-1 » , un avis de comparaître, se trouve à la page 100 du dossier du tribunal. Le dossier du tribunal contient une table des matières de la preuve documentaire mais pas les documents eux-mêmes (voir page 103 du dossier du tribunal).

[8]         De la même façon, la Commission a rejeté la carte de membre du PD de Mariglen en se fondant sur des renseignements contenus dans la « Pièce R-1 » suivant lesquels « chacun des éléments de la société albanaise est corrompu [. . .] tout se vend, [. . .] qu'il s'agisse de visas, de diplômes universitaires ou de biens » (voir le dossier du tribunal à la page 14).

[9]         Enfin, Ervin a témoigné qu'il a participé aux activités du Forum des jeunes (FJ) du DP lors des élections du gouvernement local de 1999. Les transcriptions de l'audience montrent que l'agent de protection des réfugiés et le président de l'audience ont ensuite discuté d'un document qui confirme que les élections locales ont été tenues en 2000. Dans la décision, le président de l'audience renvoie encore une fois à un document manquant dans la « Pièce R-1 » au soutien de cette conclusion (à la page 17 du dossier du tribunal).

[10]       Dans la décision Kong et al. c. Canada (M.E.I.) (1994), 73 F.T.R. 204, à la page 211, la juge Reed a dit que de telles omissions peuvent servir de motifs pour infirmer une décision :


[20]           Qui plus est, bien que le dossier envoyé à la Cour soit certifié comme étant la copie conforme de tous les documents qui ont été produits devant la Commission, je ne trouve aucune copie de l'article dont l'extrait a été tiré. Je ne peux donc pas examiner le contexte dans lequel cette citation a été prise. Il semble ressortir de l'un des index du dossier qu'il y a d'autres documents que cet article, qui manquent dans le dossier certifié. Un dossier certifié devrait comprendre toute la preuve qui a été produite devant la Commission. Une telle absence peut être en soi un motif pour infirmer la décision.

[11]       Dans la décision de la Cour fédérale Halili c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 24 septembre 2002), IMM-5144-01, 2002 CFPI 999, la juge Heneghan a conclu que :

[5]     En l'espèce, la Commission se serait fondée sur une preuve démontrant que la contrefaçon de documents officiels était très répandue en Albanie. Bien qu'il soit question d'une telle preuve dans une note en bas de page figurant dans les motifs, il n'y a dans le dossier du tribunal aucune preuve appuyant cette conclusion de la Commission. Le dossier n'indique pas non plus que la Commission possède des connaissances ou une expertise particulières qui lui permettent de juger de la validité de documents délivrés en Albanie.

[12]       Même si la présente affaire concerne une carte de membre d'un parti politique, et non un document délivré par l'État, la Commission n'aurait pas dû mettre en doute la validité de la carte de Mariglen sans fournir d'éléments de preuve au soutien de sa conclusion parce que « la question des documents étrangers n'est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement » (Ramalingam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 8 janvier 1998), IMM-1298-97, [1998] A.C.F. no 10 (1re inst.) (QL)).

[13]       Subséquemment, dans Sardar Mumtaz Ahmed c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 17 février 2003), IMM-4571-01, [2003] A.C.F. no 254 (1re inst.) (QL), la juge Heneghan a dit :

[25]     À mon avis, les lacunes décelées dans le dossier donnent à entendre que la Commission a tiré une conclusion sans disposer de preuve à l'appui. [. . .]

[26]     La Commission s'est ensuite demandé s'il y avait une PRI et elle a conclu qu'il y en avait une. La Commission a tiré cette conclusion en se fondant principalement sur certains éléments de preuve documentaires. Toutefois, le dossier certifié du tribunal ne comprend pas le document en question.

[27]     L'absence de preuve laisse planer un doute sur la conclusion de la Commission, à savoir qu'il existait une PRI raisonnable. Les demandes de contrôle judiciaire visent notamment à permettre de vérifier si la décision d'un tribunal établi par la loi est raisonnablement fondée. Dans ce cas-ci, la preuve que le défendeur a soumise à la Cour ne justifie pas la conclusion de la Commission.


[14]       Dans Amrik Singh Gill c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 28 août 2003), IMM-4020-02, 2003 CF 1003, j'ai dit ce qui suit :

[. . .] Encore une fois, la preuve documentaire pertinente ne figure pas dans le dossier authentique du tribunal, ce qui rend impossible pour notre Cour d'évaluer le bien-fondé de l'interprétation qu'en a faite la Commission [. . .]

[. . .] Il ressort toutefois clairement à l'alinéa 17b) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, qu'il incombe au tribunal de constituer et de communiquer sans délai un dossier composé, notamment, de « tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde » de celui-ci. Je souscris pleinement, à cet égard, aux notes suivantes figurant en regard de l'article 17 dans Federal Court Practice, 2003, de Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders, à la page 1026 :

[traduction]

L'article 17 s'écarte de la procédure habituellement applicable aux demandes de contrôle judiciaire. En vertu de la partie 5 des Règles de la Cour fédérale (1998), la preuve de ce qui est au dossier incombe aux parties. Elles peuvent demander, en vertu de l'article 317, que le tribunal transmette des documents pertinents à la demande. Il semblerait que l'article 17 supplante l'article 317 en tant que moyen sommaire de saisir la Cour des documents pertinents, afin d'éviter les retards qu'entraînerait le maintien de la pratique habituelle et du rôle des parties.

[15]       La présente affaire se distingue de l'arrêt de la Cour d'appel Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (le 8 février 1993), A-757-91, [1993] A.C.F. no 127 (C.A.) (QL), où la Cour a conclu que la Commission peut connaître d'office des publications qui font état de la situation dans le pays d'origine du demandeur parce que l'on peut s'attendre à ce que de tels renseignements fassent partie des connaissances spécialisées de la Commission. La Cour d'appel fédérale dit que : « [d] ans la mesure où la Commission n'a pas expressément mentionné dans ses motifs de décision certains de ces documents, ils n'ont pas à être produits pour faire partie du dossier de cette Cour » . Dans la présente affaire, puisque la Commission a fait mention de façon précise de la preuve documentaire manquante pour réfuter des aspects très précis de la demande dont on ne s'attendrait pas qu'ils fassent partie des connaissances spécialisées de la Commission, la présente affaire se distingue donc de l'arrêt Hassan.


[16]       Étant donné le manque de preuve documentaire précise sur lequel se fonde en grande partie la Commission pour appuyer sa conclusion défavorable sur la crédibilité, il n'est pas possible pour la Cour de décider de manière adéquate si l'analyse que fait la Commission de la preuve documentaire manquante est manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                                                    « Yvon Pinard »          

                                                                                                                                                     Juge                    

Ottawa (Ontario)

Le 20 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                  IMM-6223-02

INTITULÉ :                                                                 MARIGLEN ALIAJ ET ERVIN ALIAJ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                         LE 16 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                 LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                                LE 20 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS:

Michael F. Battista                                                         POUR LES DEMANDEURS

Mary Matthews                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Watson Jordan Battista              POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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